Le psaume 68 (67 selon la numérotation grecque) Que Dieu se montre seulement ou Psaume des Batailles est un hymne d'action de grâce[1] évoquant comme une glorieuse épopée la succession d'événements significatifs de l'histoire du peuple d'Israël[2]. Il peut être regardé comme un résumé du second livre des Psaumes et son chef-d’œuvre[3].
Le texte biblique fut traduit en français par Théodore de Bèze, vite doté d'une mélodie, qui fut ensuite incorporée au Psautier de Genève et à ses différentes harmonisations[4],[5]. Durant les guerres de Religion et la révolte des Camisards[6], c'est cette version qui fut reprise par les colonnes en marche des armées protestantes et acquit alors son surnom de « chant de guerre des huguenots ».
Chantez à Dieu, célébrez son nom ! Frayez le chemin à celui qui s’avance à travers les plaines ! L’Éternel est son nom : réjouissez-vous devant lui !
Cantate Deo psalmum dicite nomini eius iter facite ei qui ascendit super occasum Dominus nomen illi et exultate in conspectu eius turbabuntur a facie eius
Pourquoi, montagnes aux cimes nombreuses, avez-vous de l’envie contre la montagne que Dieu a voulue pour résidence ? L’Éternel n’en fera pas moins sa demeure à perpétuité.
Ut quid suspicamini montes coagulatos mons in quo beneplacitum est Deo habitare in eo etenim Dominus habitabit in finem
Épouvante l’animal des roseaux, la troupe des taureaux avec les veaux des peuples, qui se prosternent avec des pièces d’argent ! Disperse les peuples qui prennent plaisir à combattre !
Increpa feras harundinis congregatio taurorum in vaccis populorum ut excludant eos qui probati sunt argento dissipa gentes quae bella volunt
De ton sanctuaire, ô Dieu ! tu es redoutable. Le Dieu d’Israël donne à son peuple la force et la puissance. Béni soit Dieu !
Mirabilis Deus in sanctis suis Deus Israhel ipse dabit virtutem et fortitudinem plebi suae benedictus Deus
Mise en vers de Théodore de Bèze extrait de "Les Pseaumes mis en rime francoise par Clement Marot et Theodore de Beze" 1562
1ère strophe :
Que Dieu se monstre seulement/Et on verra soudainement/Abandonner la place :
Le camp des ennemis espars/Et ses haineux de toutes pars/Fuir devant sa face
Dieu les fera tous s'enfuir,/Ainsi qu'on voit s'evanouir/ Un amas de fumée.
Comme la cire aupres du feu/Ainsi des meschans devant Dieu/La force est consumée.
2ème strophe :
Cependant devant le Seigneur/Les iustes chantent son honneur/En toute esjouissance:
Et de la grand' ioye qu'ils ont/De voir les meschans qui s'en vont,/Sautent à grand'puissance.
Chantez du Seigneur le renom,/Psalmodiez, louez son nom,/Et sa gloire immortelle:
Car sur la nue il est porté,/Et d'un nom plein de maiesté,/L'Eternel il s'appelle.
Ce psaume est composé de 16 strophes et demie, de même structure.
Usages liturgiques
Dans le judaïsme
Le psaume 68 est récité à la fête de shavuot dans certaines traditions. Les versets 5 et 6 sont inclus dans les prières de maariv récitées le soir qui clôt le shabbat. Le verset 20 fait partie de la Uva letzion. Enfin, les versets 35 et 36 du psaume 68 se trouvent dans les zemirot.
Au regard de la liturgie des Heures actuelle, le psaume 68 est récité ou chanté à l’office des lectures du mardi de la troisième semaine[13]. Il est lu aussi le 22e dimanche du temps ordinaire de l’année C dans le cycle trisannuel des messes dominicales.
Une nouvelle mélodie est créée par Guillaume Franc en 1565 pour donner à chaque psaume une mélodie spécifique[17]. Claude Goudimel en fait plusieurs arrangements dès 1568[18] notamment un arrangement à quatre voix publié en 1580, où la mélodie est soutenue par les ténors[19].
Sa mélodie entrainante[20], d'un abord facile[15], et son allusion à un soutien divin dans l'adversité, promettant une victoire future[21], sont propices à le rendre populaire. L'incipit de 1562 rappelle cette dimension providentielle[15]:
« David voulant confesser qu'il tenait de Dieu toutes les victoires, magnifie en général sa vertu, puis il spécifie sa bonté paternelle en ce qu'il a racheté et conservé son peuple. De là, il vient à glorifier en Dieu, de ce qu'il a été maintenu au droit de la couronne Royale, selon qu'il en avait eu la promesse »
La répression de la religion réformée qui s'organise dans la seconde moitié du XVIe siècle favorise le rassemblement des protestants autour d'hymnes forts consolateurs[22] promettant une victoire future. C'est la raison pour laquelle il est repris dans plusieurs affrontements. Douen en fait l'inventaire[23] signalant qu'il est chanté au siège de Sancerre et aux batailles de Dreux, Saint-Denis, Jarnac,
Moncontour, etc. Mais le théologien et musicologue Beat Föllmi, tout en reconnaissant qu'il a dû être souvent chanté[24], met en doute la réalité de certaines de ces reprises[15].
Lors des persécutions qui entourent la révocation de l'Édit de Nantes au XVIIe et XVIIIe siècles, on le voit ressurgir comme un chant de profession de foi. Il devient un hymne fréquemment chanté par les Camisards. La tradition veut qu'il fût chanté en allant au combat[25],[26] et que les ennemis, l'entendant, soient glacés d'effroi[16]. Cette narration apparait dans de nombreux lieux de mémoire du protestantisme cévenole[27],[28],[29],[30].
Cette dimension guerrière est parfois critiquée. Douen signale par exemple que Voltaire traitait le psaume 68 de « chant de corps de garde » et s'étonnait que des personnes aient pu être condamnées pour avoir prié « en vers français aussi mauvais que nos psaumes latins »[31]. C'est également Douen qui contribue à consolider sa réputation de chant de ralliement le qualifiant de « Marseillaise huguenote »[32],[33] faisant ainsi un parallèle entre la révolte cévenole et la révolution française, la première devenant un phénomène précurseur de la seconde[34].
Le psaume 68 est également étudié pour son rôle militant lors des guerres de religion:
Beat Föllmi, « Du bûcher au champ de bataille. Le chant des psaumes pendant les conflits confessionnels au XVIe siècle », Revue d'histoire du protestantisme, (HALhal-03083273)
Gilbert Dahan, « L'exégèse protestante des Psaumes et son influence dans les usages militants des réformés », Revue d'histoire du protestantisme, vol. 5, nos 2/3, , p. 339-356 (JSTOR45408639)
Emmanuel-Orentin Douen, Clément Marot et le Psautier huguenot : étude historique, littéraire, musicale et bibliographique, contenant les mélodies primitives des psaumes et des spécimens d'harmonie, (lire en ligne)
↑Claude Goudimel, Les cent cinquante pseaumes de David : nouvellement mis en musique à quatre parties, Pierre de Saint-André, (lire en ligne), diapositive 12
↑Matthieu Lelièvre, Portraits et récits huguenots, t. I - seizième siècle, Toulouse, Société des livres religieux, (lire en ligne), Le psautier Huguenot et son histoire chapitres V et VI.