KanakKanak
Femmes kanak vêtues de robes mission en pleine discussion.
Le peuple kanak (anciennement épelé canaque) est un peuple autochtone mélanésien implanté en Nouvelle-Calédonie, collectivité territoriale française du Pacifique Sud. Il constitue 41 % de la population totale de l'archipel, ainsi que la population majoritaire de la province Nord (72,2 %) et de la province des îles Loyauté (94,6 %). ÉtymologieLe terme de « kanak » vient de l'hawaïen kanaka signifiant « homme », « être humain » ou « homme libre »[1] issu du mot proto-polynésien *taŋata, mais les langues autochtones de Nouvelle-Calédonie n'utilisent pas cette racine[2]. Le terme se généralisa au XIXe siècle, à l'initiative des premiers navigateurs et marchands européens, sous la graphie « canaque » en français (Kanaka en anglais) à l'ensemble de l'océan Pacifique, pour désigner plus particulièrement les populations autochtones de ce qu'on appelle traditionnellement la Mélanésie, bien que certains récits du XIXe siècle l'utilisent également à propos des Marquisiens ou des Pascuans. Toujours est-il que le terme, lié dans cette graphie à l'imagerie coloniale[3], prit peu à peu un sens plus ou moins péjoratif pour ne désigner que les populations autochtones de Nouvelle-Calédonie. À partir des années 1970, les autochtones se le réapproprièrent en le « re-océanisant » sous la graphie « kanak ». Le terme, aujourd'hui empreint d'une forte charge identitaire, est devenu l'un des symboles des revendications culturelles et politiques des Néo-Calédoniens autochtones. Le chef historique de la revendication nationaliste et indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, à travers sa pièce Kanaké écrite pour le festival Mélanésia 2000 en 1975, a joué sur l'homonymie de ce terme avec le nom du héros d'un mythe régional de l'aire paicî, « Tein Kanaké », afin, selon Mounira Chatti, maître de conférences en littérature comparée à l'université de la Nouvelle-Calédonie, « de réaliser le glissement de Kanaké, code onomastique donné au héros dans les différentes versions du récit originel, vers un nouveau Kanaké, héros national qui parle au nom de la nation kanak. L'obsession de l'unité kanak amène le futur chef de file du mouvement indépendantiste à purger le mythe d'origine de son caractère régionaliste pour « le hisser au rang d'épopée nationale » (Bensa, 1987 : 428) »[4]. En citant Alban Bensa, Mounira Chatti souligne que « le mot « kanak » n'a rien à voir, « ni étymologiquement ni historiquement » (Bensa, 1987 : 428), avec le nom du héros Kanaké dont il est presque l'homonyme »[5]. GraphieL'adjectif comme le nom « kanak » sont souvent utilisés sous une forme invariable en nombre et en genre. Cela étant, l'orthographe de ce mot est récente et a fortement évolué depuis les années 1970 :
Il est intégré à la langue française en lui appliquant les règles usuelles d'accord en genre et en nombre mais est également souvent utilisé de manière invariable. L'emploi de canaque reste toutefois correct[10] et parfois utilisé dans la presse[11]. DémographieLors du recensement de 2019, 111 856 personnes se déclaraient comme Kanak, soit 41,21 % du total des habitants du territoire (en 2009 99 078 habitants et 40.34 %, 104 958 personnes pour 39,05 % en 2014). Cette proportion monte à 47,2 % (environ 128 000 habitants, soit 4,2 points de plus qu'en 2014) en incluant ceux ayant indiqué appartenir à plusieurs communautés dont celle des Kanaks (près de 5 000 métis kanaks-européens et 3 800 kanaks-polynésiens, par exemple)[12]. À quoi on peut ajouter certains des 25 909 individus qui ont préféré se définir comme « Autres » ou « Non déclarés »[13] et surtout comme « Calédoniens ». Les deux cinquièmes d'entre les Kanaks, 48 071 personnes (soit 42,98 % de l'ensemble de la communauté, pour 40,08 % en 2014, 39,02 % en 2009 et contre 29,51 % en 1996) vivaient en 2019 dans le Grand Nouméa en province Sud. Cet accroissement est essentiellement venu du fait de l'important exode rural né ces vingt dernières années qui a fait venir vers la ville de nombreux jeunes Kanaks dans le but de trouver un emploi ou pour y scolariser leurs enfants. Ils intègrent notamment des habitats spontanés toutefois différents, selon de nombreux sociologues et anthropologues dont Dorothée Dussy, des bidonvilles du Tiers-Monde (les « squats » de zones non bâties), où ils reproduisent souvent le mode de vie de la tribu d'organisation sociale traditionnelle autarcique (ou bien aussi un habitat en solution individuelle avec de petites cultures horticoles vivrières personnelles)[14]. Les Mélanésiens constituaient en 2006 ainsi 63 % des 8 316 squatters (environ 5 240 personnes), et 64 % des 8 148 habitants de squat en 2008 (environ 5 215 personnes)[15]. Toutefois, si la proportion d'urbains kanaks ne cesse d'augmenter, ceux-ci restent minoritaires comparativement à la population totale de l'agglomération nouméenne (26,36 % en 2019, 23,43 % en 2014, 23,6 % en 2009, une proportion qui apparaît stable en raison du grand nombre d'urbains mélanésiens s'étant définis comme « Métis », « Autres » ou « Calédoniens » par rapport à l'ensemble de leur communauté kanak, la part par exemple des « Autres » étant passé par exemple dans le Grand Nouméa de 6.9 % à 10.03 % entre 2009 et 2019, et celle de ceux se reconnaissant dans plusieurs communautés de 10,08 % en 2014 à 12,59 % en 2019). Cette proportion à Nouméa a donc légèrement augmenté. En dehors du Grand Nouméa, sur la Grande Terre, la côte Est est la plus peuplée de Kanaks, avec 26 463 personnes (23,66 % de l'ensemble des Mélanésiens, contre 29,74 % en 1996, 25,68 % en 2009 et 24,63 % en 2014)[16]. Le nombre de ceux qui habitent en Provinces Nord est de 36 013 soit 32,2 % de la communauté (contre 37,15 % des Kanaks en 1996 puis seulement 33,62 % en 2009 pour remonter légèrement à 33,9 % en 2014). Dans les îles Loyauté, il est de 17 367 individus ce qui représente 15,53 % des Kanaks (alors qu'ils étaient 20 267 soit 23,35 % en 1996, diminuant à 16 847 et 17 % en 2009 puis remontant à 17 191 mais une proportion toujours en baisse à 16,38 % en 2014). Dans ces deux dernières provinces, les Kanaks restent largement majoritaires par rapport aux autres communautés (72,16 %, soit plus des 2/3 mais 6 points de moins qu'en 1996 et 2 points de moins qu'en 2009 mais presque 2 points de plus qu'en 2014, dans le Nord, et 94,63 % aux Îles). La chute démographique par la migration semble avoir été diminuée en Province Nord par l'évolution de la zone VKP (Voh-Koné-Pouembout) et de l'usine du Nord. Une population jeuneLa population mélanésienne est restée particulièrement jeune, même si un phénomène de vieillissement peut être observé. En 2019, un peu moins d'1/3 (32,41 %) a moins de 20 ans, alors que cette tranche d'âge touchait près de la moitié (47,2 %) de la population kanak en 1996 et presque 2/5 (38,72 %) en 2009. Cette proportion reste toutefois la plus forte parmi toutes les communautés (en comparaison, seulement un cinquième, ou 21,9 %, des Européens sont dans la même classe d'âge). Et, plus précisément, moins d'1/6 des Mélanésiens (15,63 %) ont moins de 10 ans, contre près d'un quart d'entre eux (24,7 %) en 1996 et encore presque 1/5 (18,07 %) en 2009. Les Kanaks de moins de 20 ans représentent toujours 44,31 % de la jeunesse néo-calédonienne (52,52 % en 1996 et 45,42 % en 2009), mais cette proportion baisse légèrement en raison du fait que de plus en plus de jeunes se définissent comme « métis » ou appartenant à plusieurs communautés (cette proportion passant de 12,97 % en 2009 à 17,22 % en 2019). Et les plus de 60 ans ont vu au contraire leur part augmenter : ils représentent en 2019 11,08 % des Mélanésiens pour seulement 6 % en 1996 et 8 % en 2009 (mais ils sont, comparativement, plus d'un cinquième, ou 21,8 %, chez les Européens)[16]. L'âge moyen des Mélanésiens s'établit alors à 32,1 ans (contre 25 ans 13 ans auparavant et 29 ans en 2009), et la pyramide des âges reste essentiellement triangulaire avec une base qui se rétrécit toutefois et un sommet s'élargissant[12]. En effet, plusieurs signes semblent avoir confirmé une chute de la natalité et un allongement de la durée de vie : cela est visible notamment dans les deux provinces où les mélanésiens sont particulièrement majoritaires, dans le Nord et les Îles. Dans la première, le taux de natalité est ainsi passé de 34,6 ‰ en 1981 à 30,1 ‰ en 1987, à 27,1 ‰ en 1993, à 24 ‰ en 1996, à 18,5 ‰ en 2003 et à 17,7 ‰ en 2012 (contre 16,6 ‰ la même année dans le Sud), l'indicateur conjoncturel de fécondité est passé de 4,1 enfants par femme en 1990 à 2,3 en 2010 et 2012, tandis que le taux de mortalité est passé de 9,3 ‰ en 1981 à 7,6 ‰ en 1989, à 6,5 ‰ en 1996, à 6,4 ‰ en 2003 et à 6 ‰ en 2012 (depuis 2002, les taux se sont stabilisés autour de 6 ‰) et le taux de mortalité infantile de 22,7 ‰ en 1981 à 14,2 ‰ en 1989, à 13,1 ‰ en 1996, à 3,7 ‰ en 2003 et à 3,6 ‰ en 2012 (contre 4 ‰ la même année dans le Sud). Aux Îles, le taux de natalité a évolué de 37,1 ‰ en 1983 à 36,4 ‰ en 1986, 33,7 ‰ en 1992, 26,7 ‰ en 1996, 19,7 ‰ en 2003 et 19 ‰ en 2012 (soit désormais un taux très proche de celui du Sud), l'indicateur conjoncturel de fécondité est tombé de 4,5 enfants par femme en 1990 à 2,8 en 2010 et 2,9 en 2012, quand la mortalité est allée de 7,9 ‰ en 1981 à 7 ‰ en 1988, 5,9 ‰ en 1996, 4,5 ‰ en 2003 avant de remonter par la suite à 8,1 ‰ en 2012 et la mortalité infantile est tombée de 13,6 ‰ en 1981 (avec des taux régulièrement supérieurs à 17 ‰ dans les années 1980) à 12,4 ‰ en 1988, 14,3 ‰ en 1996, 9,3 ‰ en 2003, 6,6 ‰ en 2011 et 3 ‰ en 2012[17]. Ces chiffres s'expliquent par plusieurs facteurs, globalement liés à un meilleur niveau de vie[18], à l'adoption d'un mode de vie plus « urbain » pour de plus en plus de Mélanésiens et à l'installation d'infrastructures sanitaires d'importance en « Brousse », comme le Centre hospitalier du Nord (CHN) disposant de deux hôpitaux, l'un à Koumac et l'autre à Poindimié. L'espérance de vie a augmenté de seulement 60,7 ans dans le Nord et de 64,7 ans dans les Îles en 1981 à respectivement 75,4 et 73,5 ans dans les deux provinces en 2012, soit à peine moins que les 77,9 ans de la Province Sud tout en ayant connu un pic à 75,9 et 74,2 ans en 2010. La population vivant en tribusEn 1996, 56 542 personnes étaient domiciliées en tribu, dont 54 923 Kanaks soit moins des deux tiers de l'ensemble de la population mélanésienne de l'époque (63,3 %), chiffre à peu près identique à celui de 1989 (les Kanaks en tribu ne représentaient déjà plus que 63,7 % du total). Cette proportion descend toutefois par la suite à 51 % en 2014 (pour 61 000 Mélanésiens environ vivant en tribu) et 48 % en 2019 (revenant aux alentours de 55 000 personnes). Les Îles Loyauté, qui n'ont jamais fait l'objet d'installation de colons blancs, restent la province où les habitants continuent le plus à vivre de manière traditionnelle, la seule où les terres coutumières couvrent la totalité du territoire (à l'exception de Wé à Lifou) et le nombre de Mélanésiens recensés auprès d'une des tribus de l'archipel, soit 19 780, représente ainsi 97,6 % des Kanaks présents dans l'archipel. De plus, 32 647 personnes déclaraient alors appartenir à l'une des tribus des Îles, qu'ils y résident ou non (la province îles, qui ne possède aucune ressource particulière permettant la mise en place d'un bassin d'emploi d'importance, à l'exception du tourisme, est la plus touchée par l'exode de ses jeunes vers la capitale territoriale), ce qui fait que, au total, les Loyaltiens représentent 37,6 % des Kanaks[19]. Dans le Nord, une partie des Kanaks quitte le mode de vie traditionnel pour trouver un emploi (d'ouvrier agricole, de salarié, de commerçant ou de fonctionnaire) dans les villages et chef-lieu de leurs communes, ainsi la part de mélanésiens résidant en tribu diminue : ils étaient 26 805 en 1996, soit 83,13 % du total[20]. Le Sud est, de loin, la province avec le moins de résidents en tribu : avec 8 338 personnes dans ce cas en 1996, ils représentent donc moins d'un quart (24,3 %) de la population mélanésienne de la province Néanmoins, le lien affectif et social avec sa tribu d'origine est tel qu'en 1996 26 223 Kanaks (30,2 % de la totalité des Mélanésiens) n'y résidant pas se déclarent encore lui appartenir et participent donc toujours aux cérémonies traditionnelles et à la solidarité clanique (partage des revenus[18] notamment). Finalement, 5 642 Kanaks (6,5 %) ne se rattachent à aucune tribu. Le rééquilibrage des flux migratoires intérieurs à la Nouvelle-CalédonieDepuis la création des provinces en 1989, une politique de rééquilibrage économique et démographique a été lancée afin de limiter la macrocéphalie du Grand Nouméa et d'arrêter les migrations de Kanaks vers le chef-lieu en les retenant sur place et en les insérant mieux dans le tissu économique et social. L'une des priorités de cette politique fut alors de former des cadres néo-calédoniens, et en tout premier lieu kanaks : c'est le programme « 400 cadres» lancé en 1988 et auquel a succédé en 1998 le programme « Cadres avenir », qui offre des aides conséquentes pour le financement des études et aiguille l'étudiant pour trouver des stages et, à terme, obtenir un emploi, tout cela dans des secteurs porteurs de l'économie néo-calédonienne. À la fin de l'année 2007, les deux programmes avaient permis de former 450 cadres[21]. Le programme « 400 Cadres » a notamment permis d'obtenir le premier médecin mélanésien (le Dr Paul Qaeze, médecin généraliste), tandis que « Cadres Avenir » a fêté, en , son millième stagiaire, et compte à son actif notamment le deuxième médecin kanak (le Dr Jacques Lalié, de Lifou, diplômé en et revenu sur le territoire en 2008[22]). Le premier avocat kanak, en Nouvelle-Calédonie, Francky Dihace, a prêté serment à Nouméa le [23],[24] (le barreau de Nouméa compte 112 avocats). La directrice du Groupement d'intérêt public Marie-Laure Gibert estimait vers 2008 que la Nouvelle-Calédonie n'était qu'à « 10 % des besoins pour le rééquilibrage », tandis que certains reprochent au dispositif de favoriser l'installation définitive en Métropole des bénéficiaires (s'ils y fondent une famille durant leurs études ou s'ils y développent une première expérience professionnelle, néanmoins les chiffres ne font état que de 7 % des bénéficiaires qui ne rentrent pas sur le Territoire à la fin de leur cursus universitaire ou de leur formation, tandis que 90 % réussissent à trouver un emploi dans les trois mois qui suivent leur retour)[25]. Plusieurs projets visant au développement économique de la province Nord ont également été lancés, notamment par la volonté de constituer des zones urbaines dans la région Voh-Koné-Pouembout sur la côte Ouest et le « Grand H » (autour de Poindimié) sur la côte Est. Le pilier principal de ce rééquilibrage est resté une activité d'industrie minière avec la création d'une Société minière du Sud Pacifique (SMSP), contrôlée majoritaire par la Société d'investissement de la Province Nord (SOFINOR), qui s'est constitué un domaine minier au cours des années 1990 et a lancé, en 1998, le projet de l'usine du Nord dans le massif de Koniambo en partenariat avec le canadien Falconbridge puis le suisse Xstrata pour un début de production en 2011 (Koniambo est contrôlé à 51 % par la SMSP, le reste par Xstrata)[note 1]. Cette politique a permis de réduire quelque peu les migrations vers le Sud : si le solde migratoire de la province reste négatif, il est passé d'une perte oscillant entre 180 et 370 personnes par an entre 1996 et 2003 à seulement 75 en 2007[17]. La construction de nouvelles infrastructures a dans ce projet pris place: le centre hospitalier du Nord avec deux pôles hospitaliers, un à Koumac à l'Ouest et l'autre à Poindimié à l'Est, le projet d'un troisième à Koné[26], la route transversale Koné-Tiwaka, la création du lycée de Poindimié... La population mélanésienne reste malgré quelques évolutions la communauté la plus touchée par l'absence d'emploi en Nouvelle-Calédonie, avec 13 638 Kanaks déclarés comme chômeurs en 2019 (soit un taux de chômage de 26,54 %, et plus des deux tiers, ou 68,71 %, de l'ensemble des chômeurs néo-calédoniens). Il y a lieu de prendre en compte dans ce nombre les personnes qui se déclarent « inactives » (zone dite « floue » du chômage compte tenu des faibles possibilités d'emploi rémunéré) à savoir les habitants des tribus qui n'exercent pas d'activité professionnelle avec transaction monétaire et se déclarent alors chômeurs, mais participent aux tâches de la tribu parmi lesquelles la polyculture vivrière traditionnelle (igname, taro), la pêche, la chasse vivrière ou l'artisanat traditionnel[16],[27]. Ainsi, 7 515 chômeurs kanaks pratiquaient en 2009 une activité annexe agricole (plus des deux tiers, ou 69,49 %, de l'ensemble des chômeurs mélanésiens, ce taux étant inférieur à 10 % pour toutes les autres communautés), dont une grande majorité (6 803) dans un but de consommation personnelle et une petite minorité (712) pour la vente. De même, 6 360 chômeurs mélanésiens (58,81 %) pratiquent la pêche vivrière (5 800) ou commerciale (560)[28]. D'autre part, les actifs occupés kanaks sont encore sous-représentés (mais en augmentation) parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures (1 441 individus pour 3,82 % des actifs occupés kanaks en 2019, contre seulement 875 personnes et 2,9 % des actifs occupés kanaks en 2009, tandis que cette catégorie représente 11,15 % des travailleurs néo-calédoniens et 22,18 % chez les Européens, tandis que les Kanak sont passés de 9,3 % en 2009 à 11,6 % de l'ensemble des personnes s'inscrivant dans cette catégorie socioprofessionnelle en 2019), les commerçants, artisans ou chefs d'entreprise (1 890 Kanaks en 2019 contre 1 148 en 2009, soit 5,01 % des actifs occupés de cette communauté contre 3,78 % dix ans auparavant, tandis que ce taux est de 10,36 % parmi l'ensemble des actifs occupés néo-calédoniens et de 15,65 % pour les Européens, les Kanaks représentent alors 11,62 % en 2009 puis 16,36 % en 2019 de l'ensemble de cette catégorie). En revanche, ils sont surreprésentés parmi les ouvriers (11 900 en 2009 puis 13 554 Kanaks en 2019, soit entre un tier et deux cinquièmes, ou 39,19 % en 2009 puis 35,9 % en 2019, des actifs occupés mélanésiens, et environ la moitié, ou 47,05 % en 2009 puis 50 % en 2019, des ouvriers néo-calédoniens), les employés (10 545 pour 34,73 % des actifs occupés kanaks et 37,51 % de l'ensemble de la catégorie en 2009, contre respectivement 13 017 Kanaks, 34,48 % et 40,96 % en 2019) et les agriculteurs exploitants ou pêcheurs (1 917 personnes, soit 6,3 % des actifs occupés kanaks mais les trois quarts, ou 76,68 %, des agriculteurs ou pêcheurs néo-calédoniens en 2009, puis respectivement 2 375, 6,29 % et 76 % en 2019)[16],[28]. Organisation socialeLa société kanak est organisée sur la base d'une unité sociale et spatiale particulière, le clan, et est organisée aujourd'hui dans un ensemble de cadres coutumiers hiérarchiques, pour la plupart créés après l'arrivée des Européens. Les coutumes sont presque toujours des adaptations des sociétés aux contraintes, et les coutumes kanak ne cessent d'évoluer, depuis des milliers d'années. Avant la pénétration européenne, il n'existe pas de village, et pas de tribu, mais des formes d'organisation sociale, que la notion de réseaux dessinerait mieux. La notion de clan, décalque du système écossais, est une approche explicative, historiquement indispensable, désormais insuffisante, pour des sociétés ne constituant pas un état. Le clan : cellule familiale traditionnelleUn clan est un groupe humain composé de plusieurs familles ou lignages (qui ont chacun leur nom patronymique, qui se transmet de manière patrilinéaire) descendant d'un ancêtre commun, et qui vivent sur une terre que ses membres gèrent en communauté selon des rapports sociaux hiérarchiques bien définis. Néanmoins un clan peut être amené à se modifier au fil du temps en fonction de son renforcement (il peut alors accueillir de nouveaux membres) ou de son affaiblissement (certains de ses membres peuvent alors le quitter pour s'installer sur de nouvelles terres et créer de nouveaux clans), au gré des guerres et jeux de pouvoir existant entre les clans. La taille des clans aujourd'hui peut ainsi varier d'une cinquantaine à plusieurs centaines de familles. Hiérarchie au sein du clanLa manifestation des relations sociales, fondé sur le respect, une gestuelle et une parole particulière, dépend d'un certain nombre d'éléments :
Traditionnellement, sur la Grande Terre et aux îles Belep et des Pins, les clans constituent, avant l'arrivée des Européens, des entités autonomes, très représentatifs de la chefferie clanique du monde mélanésien, et pouvant contrôler des espaces très larges, regroupant plusieurs villages. Les clans font partie à leur tour d'ensembles régionaux, c'est-à-dire de clans partageant des territoires particulièrement proches au point de s'imbriquer les uns aux autres, et culturels communs, avec des structures sociales communes. La hiérarchie politique y étant faiblement développée, voire totalement absente, les structures sociales sont généralement fluides et particulièrement mobiles, avec des clans qui sont dits « migrateurs », les individus ne résidant pas aux mêmes endroits dans le temps et en fonction des saisons et migrant régulièrement entre les différents clans (nécessitant à chaque fois, des cérémonies d'accueil). L'un des « pays » les plus étudiés pour l'ensemble de ces aspects fut le pays paîci, de Maurice Leenhardt à Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre[29]. Ce pays est alors structuré, au niveau régional, par ses relations matrimoniales entre deux groupes partageant le même ancêtre commun mythique. En revanche, d'autres régions, dont le modèle semble être le pays Hoot Ma Waap, voient leurs relations entre clans conditionnées par la présence de deux sociétés locales distinctes en fonction d'un rapport d'ancienneté entre la première société qui, selon l'histoire orale, se serait installée sur le territoire, et les suivantes (dans le pays Hoot Ma Waap, les Hoot seraient ainsi les premiers, et les Waap les seconds)[30]. Néanmoins, l'organisation clanique est légèrement différente aux Îles Loyauté : là, déjà avant l'arrivée des Européens, les clans sont généralement fédérés au sein d'une entité plus large organisée sur le plan politique, des « grandes chefferies » ou districts coutumiers qui s'apparentent déjà plus au système de la royauté polynésienne. Cette particularité est certainement due aux importantes migrations polynésiennes qu'ont connues les Loyauté par le passé, comme en témoigne la présence à Ouvéa d'une langue polynésienne, le faga uvea. On voit alors apparaître une hiérarchisation et une spécialisation des clans en fonction des attributions qui leur sont confiées au sein de la grande chefferie : il existe ainsi des clans des propriétaires fonciers, de la mer (regroupant les pêcheurs), de la magie, guerrier, notamment. Le grand chef symbolise le district et assure la cohésion sociale et à ce titre, il est respecté et adulé par la population du district. Il est la référence, le chef des hommes et de la terre et tranche en dernier ressort les litiges, tandis que les chefs de clan lui doivent obéissance et respect. L'organisation clanique repose également sur une forte différenciation sexuelle : les hommes exercent les responsabilités sociales et publiques, comme la conclusion des alliances, la gestion des relations sociales et de la vie publique, et doivent s'assurer de la pérennité sociale du clan. Ils sont au service de la communauté et pris en charge par elle, et s'assure de l'approvisionnement en ressources alimentaires et vitales de la communauté, dont la responsabilité de la culture de l’igname, objet d’échanges sociaux coutumiers. Les jeunes, après l'adolescence, sont placés dans un endroit distinct où ils vivent en commun pour recevoir une éducation aux responsabilités sociales et claniques. Les femmes, quant à elles, sont responsables de tout ce qui se rapporte à la vie et à l’intimité familiale comme les travaux quotidiens et ménagers du foyer et de l’intendance familiale, ou encore la reproduction des membres du clan. Si tous travaillent aux travaux des champs, les hommes et les femmes y ont des rôles bien différenciés[31]. Les relations matrimonialesLes pratiques matrimoniales kanak n'ont fait l'état d'aucune étude générale mais plutôt d'approches régionales, tant les pratiques diffèrent d'un pays traditionnel à l'autre, et même au sein d'une même aire. L'un des systèmes les plus étudiés par les ethnologues, et souvent généralisé (à tort) par les précurseurs de la discipline en Nouvelle-Calédonie (notamment Maurice Leenhardt), est celui dit de « dualisme matrimonial » ou de « dualisme exogame » de « Dui ma Bai » (« Dui avec Bai »), dans le pays paîci. Celui-ci compterait une dizaine de clans (onze selon Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre) répartis entre deux groupes non localisés, les Dui et les Bai, descendant des deux fils du premier homme, toujours selon le modèle de représentation généalogique par « liens de parenté ascendante » de l'individu, de la famille, du lignage, des clans et des ancêtres du premier homme. Les mariages se font, selon ce modèle[32], par « cousins croisés », un homme Dui épousant une femme Bai, et inversement. Techniquement, n'importe quel homme issu de n'importe quel lignage de n'importe quel clan d'une moitié peut épouser une femme de n'importe quelle famille de n'importe quel clan de l'autre partie, mais il existe en réalité un certain nombre de préférences, d'obligations et d'interdits sociaux relevant tout à la fois de la représentation et de la théorie que de la réalité et de la pratique :
De là, toute l'organisation sociale et les pratiques culturelles sont conditionnées selon ce dualisme, avec les cérémonies du cycle de vie qui mettent sans cesse face à face, du moins en théorie, une partie cérémonielle Dui et une partie cérémonielle Bai. Selon Isabelle Leblic, 50 % des alliances du pays paîci recensées respectent ce principe, 22 % se font au sein exclusivement d'une des deux moitiés et 16 % se font hors système (avec une personne extérieure à l'aire paîci), dont à 61 % pour des Bai et à 39 % pour les Dui. Le respect de ce système tend notamment à s'estomper aux marges géographiques du pays. Les 12 % restants sont indéterminés[33]. Jean Guiart, quant à lui, a distingué, au sein même du pays, des zones binaires suivant le modèle Dui-Bai, et d'autres ternaires Dui-Bai-Görötu, ce troisième groupe pouvant être représenté notamment dans le sud de l'aire par le clan dit « Wêkumè » que Guiart ne fait appartenir ni aux Dui ni aux Bai, et même si Isabelle Leblic fait état dans ces recensements du clan « Vêkumè » de membres s'affiliant majoritairement aux Bai. Ce dualisme exogame du système paîci, en partie remis en question par les ethnologues d'aujourd'hui sur son caractère systématique, est le seul aujourd'hui recensé en Nouvelle-Calédonie même si, toujours selon Isabelle Leblic, deux moitiés exogames semblent également avoir existé dans l'aire Ajië avec les Wêbwa (ou Wexuban) et les Wêmé ou (Wexumé). Toujours selon les travaux d'Isabelle Leblic, l'enfant du système Paîci appartient automatiquement au clan et à la moitié du père, ce qui ne semble pas avoir été le cas partout. L'héritage donné par les deux parents et la représentation des ascendants est en revanche pratiquement commun à l'ensemble du Territoire : les parents paternels transmet ainsi à ses enfants le nom de lignage, des droits sur des terres et la puissance des ancêtres, symbolisés ou matérialisés par un totem ou tee, tandis que le lignage maternel, utérin, lui transmet le sang et la vie et est responsable de la bonne croissance et de la force de sa descendance utérine. Il faut y ajouter le lignage de la grand-mère maternelle, des « maternels au second degré » souvent désignés l’expression « mäjoro pwëtù » qui peut être traduit par « le pied de fougère qui envoie des rejets au loin »[29]. L'adoption coutumière est aussi beaucoup pratiquée : il s'agit d'un don de l'enfant au clan des oncles maternels, il change alors de nom et fait donc pleinement partie de sa nouvelle lignée et de son nouveau clan. L'adoption est ainsi souvent pratiquée comme contre-don à une alliance qui aurait créé un déséquilibre entre les deux clans, celui du père et celui de la mère. L'adoption « perpétue ainsi des noms, des sous-clans, des relations anciennes, et permettent donc d'assurer le fonctionnement d la société et de ses échanges cérémoniels » (Monnerie 2005 : 55). L'article de Christine Salomon Hommes et femmes, Harmonie d'ensemble ou antagonisme sourd ? (2000) s'attache à démontrer l'importance de la question du genre sur le sujet[34]. Tribus, districts et aires coutumièresL'organisation administrative coutumière actuelle[35] est définie sur la base de l'arrêté du et est intégrée à l'organisation coloniale de la Nouvelle-Calédonie[36]. Cet arrêté regroupe les clans en tribus ou chefferies, sur la base du modèle des Loyauté, et donne une reconnaissance administrative à l'organisation kanak en « villages », sous la forme d'une « agrégation légale ayant des attributs de propriété et organisée sous la seule forme qui fut et qui soit propre encore à l’état de la population indigène »[37]. Les «tribus», terme colonial et contesté, possèdent alors de manière indivise les terres réservées aux peuples kanak par le code de l'indigénat. Elles sont devenues aujourd'hui le cadre de vie des Mélanésiens, le terme de tribu désignant aussi la zone d'habitations plus ou moins regroupées où ses membres vivent. Elle reproduit le schéma de l'organisation du clan, avec à sa tête un « chef » (désigné parmi les chefs de clan par le conseil des anciens) et un conseil. Lorsque la tribu n'est en vérité constituée que d'un seul clan, alors le chef tribal est le « frère aîné » du clan et son « conseil des anciens » devient l'assemblée de la tribu. Une délibération du a décidé que, dans toute tribu où pourrait se constituer un conseil de chefs de clan (et donc comportant plus de deux clans), celui-ci se substituerait au conseil des anciens en place[38]. Il y a aujourd'hui 341 «tribus» dont : 203 en province Nord, 87 dans les îles Loyauté et 51 dans le Sud. La tribu la plus peuplée en 1996 (en termes de personnes se revendiquant comme appartenant à cette tribu mais n'y résidant pas forcément) est celle de Drueulu dans le district de Gaitcha sur Lifou (1 210 personnes y appartenant, 642 y résidant), et la moins importante est celle de Ouen-Kout à Hienghène (avec seulement quatre personnes)[39]. Les « tribus » ont de plus été regroupées, par un autre arrêté de 1898, en districts coutumiers, ou grandes chefferies. Elles ont à leur tête un grand-chef, au départ nommé par le gouverneur[37] puis désigné par le conseil de district parmi les chefs de tribu ou, s'il s'agit d'un district ne comportant qu'une seule tribu, le chef de cette dernière est obligatoirement grand-chef. Les districts peuvent également avoir, mais pas obligatoirement (notamment s'ils ne comportent qu'une seule tribu) un conseil de district qui regroupe les chefs de tribu. Toutes les tribus ne font toutefois pas partie d'un district : on compte ainsi aujourd'hui 14 tribus dites « indépendantes ». Il existe 57 districts coutumiers, dont 28 dans la province Nord, 16 aux îles Loyauté et 13 en province Sud. Ils peuvent comporter d'une seule (les districts d'Eni, Medu et Wabao à Maré, d'Imone et Takedji à Ouvéa, de l'île Ouen au Mont-Dore et de Goro, Touaourou et Unia à Yaté) à 17 tribus (le district du Wet à Lifou)[40]. Les aires coutumières ont été créées plus tardivement, sous le nom de « pays » par le statut dit Lemoine mis en place par la loi du . Ces six pays, dotés chacun d'une assemblée de pays comportés 24 représentants de la coutume et 24 représentants des communes, sont appelés Hoot Waap (Belep, Poum, Ouégoa, Kaala-Gomen, Voh, Koumac, Pouébo et Hienghène), Paci Camuki (Ponérihouen, Poindimié, Touho, Koné et Pouembout), Ajié Aro (Houaïlou, Moindou, Poya et Bourail), Téi Araju (Farino, Sarraméa, La Foa, Boulouparis, Thio et Canala), Dumbéa (Île des Pins, Yaté, Mont-Dore, Dumbéa, Païta et Nouméa) et des Loyauté (Maré, Lifou et Ouvéa)[41]. Ils sont transformés par le statut Pons II de 1988 en neuf « aires culturelles » qui reprennent les territoires des précédents pays, à l'exception du pays des Loyauté qui est scindé en quatre aires : Drehu (Lifou), Nengone (Maré) et Iaai (Ouvéa) et Faga Uvéa (Ouvéa également), et qui envoient des représentants à l'assemblée consultative coutumière[42]. Les huit Aires coutumières actuelles sont créées par les accords de Matignon et la loi référendaire du [43]. Elles ont à leur tête un conseil d'aire qui désigne en son sein un président, tandis que les règles de désignation et les mandats sont définis par chacune des aires, bien que les grands chefs de districts présents dans l'aire soient membres de droit de ce conseil. Et chaque aire envoie deux représentants au Conseil consultatif coutumier qui a été transformé par la loi organique de 1999 en un Sénat coutumier. La délimitation des aires ne repose cependant pas sur les districts coutumiers, mais sur les communes et les provinces. Ainsi, la commune de Poya, ne comprend qu'un seul district, celui de Muéo, mais son territoire est divisé entre deux provinces (Sud et Nord) et donc entre deux aires (Paici-Camuki et Ajië-Aro). Pourtant, deux aires coutumières ont un territoire à cheval sur deux provinces (le Nord et le Sud), en suivant la délimitation des communes : Ajië-Aro et Xaracuu. Les huit aires sont, du nord au sud de la Grande Terre puis aux Îles Loyauté :
Droit kanak
Le droit kanak, aussi dit coutume kanak ou droit coutumier kanak[note 2] désigne les ordres juridiques kanak s'appliquant aux personnes de statut civil coutumier de Nouvelle-Calédonie. Un exemple d'écriture récente du droit kanak est le socle commun des valeurs kanak. Statut civil et terres coutumiersLe droit des Kanak de jouir de leur statut civil coutumier et de la propriété coutumière est reconnu par l'article 75 de la Constitution et défini par le titre Ier de la loi organique du [44]. Celui concerne surtout les affaires familiales, de successions ou de gestion des biens coutumiers et s'applique entre deux personnes de statut coutumier (lorsqu'une des deux personnes est de statut civil commun, c'est le code civil qui s'applique). Guerres kanakL'histoire pré-européenne reste mal connue faute de documents écrits. L'absence de sites de fortification (sauf à Maré) suggère la rareté des guerres d'envergure entre clans ou tribus (possiblement grâce au système coutumier mélanésien d'échanges et de compensations) mais des migrations de populations ont existé, qui ont provoqué des troubles et laissé des traces dans la tradition orale, ce qui suggère des tensions locales et des escarmouches. Culture kanakMonnaie kanakReligionLe socle commun des valeurs kanak (2013 et 2014) rappelle que la spiritualité kanak s'appuie sur deux piliers, l'esprit de l'ancêtre et les valeurs chrétiennes, adoptées progressivement. Maurice Leenhardt était plus mesuré. Quand on lui demandait combien d'individus il avait convertis au christianisme (protestant) en presque vingt ans, il répondait : « Peut-être un ! ». C'était signaler la prégnance des croyances traditionnelles.
— Jean Guiart, Agir à contre-emploi, 2013, p. 190-191 Respect des mortsLes rites funéraires ont une grande importance dans la vie coutumière kanak, la mort étant considérée comme une étape de la vie, marquant la séparation du corps (qui retourne à la terre pour la nourrir) et de l'esprit (qui rejoint ceux de ses ancêtres), selon un syncrétisme chrétien et animiste[46],[47]. Une dizaine de sites répertoriés, en Grande-Terre et aux Îles Loyautés, étaient utilisés pour honorer les corps momifiés des chefs. Le cas des momies Faténaoué/Hwatenewe (Voh) est bien renseigné[48],[49]. L'ensevelissement traditionnel du défunt varie régionalement : corps accroupi ficelé dans une natte (avec deux anses), exposition au sol, transport sur perche par deux porteurs, ensevelissement (sauf la tête), port de masque(s) s'il s'agit d'un notable, rite de capture de l'esprit du mort dans une pierre[50], rite du jado (razzia des clans maternels). Longtemps après, les avi dispersent les ossements. Le crâne est nettoyé et placé sur un autel avec les autres crânes des ancêtres. La période de deuil voit se succéder, sur plusieurs semaines (voire une année), une série de gestes coutumiers entre les clans paternels et maternels du défunt[47]. Le retour des restes d'Ataï (mort en 1878) et d'Andja, en 2014, ont été un élément important de la reconnaissance mémorielle de la grande révolte kanak de 1878 et de sa répression. Pierres sacréesLes pierres sacrées, ou pierres à magie, étaient traditionnellement utilisées à des fins spécialisées. Matérialisant l'esprit des défunts et invoquant leurs forces, elles servaient à favoriser la culture de l'igname, du taro, la pêche, la bonne issue d'une guerre, etc.[51] La forme des pierres à magie rappelait souvent leur thématique ; une forme de tête de poisson pour la pêche par exemple[52]. Les rituels de fertilité avec « pierres de fertilité » sont d'usage en horticulture. L'igname dans la société kanakL'alimentation kanak se fait à partir des productions végétales (cueillette, agroforesterie, maraîchage) (dont l'igname, le taro), et animales, principalement dues à la pêche, et à la chasse, à défaut d'élevage ; aucune trace de porc ou ni poulet n'a été retrouvée dans les sites archéologiques de Nouvelle-Calédonie, contrairement à d'autres îles mélanésiennes[53]. L'igname est l'un des éléments principaux des échanges coutumiers, tandis que le cycle de récolte de ce tubercule conditionne le calendrier social traditionnel kanak. De plus, il a constitué, avec le taro, l'élément de base de l'alimentation mélanésienne avant l'arrivée des Européens[54]. La culture de l'igname est documentée sur de nombreux bambous gravés kanak. Variétés cultivéesPlusieurs variétés sont cultivées en Nouvelle-Calédonie, presque toutes de l'espèce Dioscorea alata (« igname ailée » ou « grande igname »), avec des récoltes plus ou moins précoces :
La culture traditionnelleTraditionnellement, avant l'arrivée des Européens, l'igname était semé, cultivé et récolté à l'aide d'un bâton à fouir et d'une pelle en bois dur, selon le principe d'une horticulture de brûlis sur billons (afin d'obtenir de gros tubercules et de protéger les plantes des fortes pluies, les Kanak aménageaient des billons le long des courbes de niveau des pentes de colline, parfois en forme de croissants orientés vers l'aval pour lutter contre l'érosion et avec un dallage sur la face amont pour canaliser les eaux de ruissellement) ou buttes (aux îles Loyauté). Les étapes du travail agricole, en préparation des semailles, étaient :
Les travaux étaient également répartis entre les sexes : aux hommes le labour, l'émottement et le ratissage par les femmes. La symbolique et l'utilisation rituelleDans sa pièce Téa Kanaké retraçant les origines mythiques du peuple kanak et représentée à Mélanésia 2000, Jean-Marie Tjibaou définit ainsi l'igname :
Il est ainsi un symbole de virilité, d'ancienneté, de pouvoir (il symbolise les chefs ou la puissance du clan paternel), de fertilité, de vie et de longévité. Mais il existe une hiérarchie parmi les ignames, qui dépend de son ancienneté (plus la variété est implantée depuis longtemps dans le terroir, plus elle est prestigieuse et intégrée aux cérémonies coutumières), de sa précocité (les variétés précoces, dont notamment la goropo ou la kokoci, nécessitent plus de soins et sont donc plus précieuses, d'autant que, en tant que primeurs, elles ouvrent la saison des récoltes) et de sa forme (plus la forme est droite, longue, régulière, plus sa tête est fine, plus son goût est apprécié et moins elle a de poil, et plus elle est honorée, notamment les variétés boitanin ou touaourou). Les meilleures ignames servent alors de base traditionnellement à l'échange coutumier (avec la monnaie kanak, les coquillages, la natte et la jupe de fibres) lors de tous les grands évènements (sacre du chef, naissance, mariage, deuil, alliances entre clans), celles de qualité moyennes forment la base de la consommation quotidienne et les moins appréciées, laissées à moitié à l'état sauvage, servent juste de récoltes d'appoint. Du fait du caractère symbolique important de l'igname, chaque étape de sa culture donne lieu à des cérémonies et pratiques rituelles[55]. Le cycle de l'igname
Problèmes de conservationSeulement, le développement économique de l'archipel (commencé avec le boom du nickel des années 1970) et l'abolition du code de l'indigénat (en 1947), permettant ainsi aux Mélanésiens de s'installer n'importe où sur le Territoire, a poussé les Kanak sur un marché du travail plus « occidental », notamment dans le bâtiment ou dans les exploitations agricoles (notamment dans les plantations de café où les Mélanésiens remplacent la main d'œuvre jusqu'ici généralement employée, celle des Indonésiens, qui ont quitté en grande partie le Territoire après l'indépendance de leur pays), et pousse les jeunes à un exode rural vers Nouméa. Certaines tribus se dépeuplent, et de ce fait les champs tandis que des variétés d'ignames se raréfient. À ces facteurs démographiques et économiques s'ajoute une cause sanitaire, avec la multiplication des maladies ou nuisibles menaçant l'igname comme l'anthracnose (champignon, menace la plus répandue et la plus dangereuse), les cochenilles ou encore la phyllostica (champignon). Le développement à partir des années 1990 d'une volonté de préserver la pratique de la culture de l'igname, comme élément identitaire mais également économique, la demande augmentant, a favorisé la mise en place de cultures semi-intensives, avec la mécanisation de certaines étapes du cycle de l'igname (comme l'édification des billons, l'ensemencement ou la récolte), une meilleure sélection des variétés adaptées aux goûts des consommateurs ou encore le développement de tuteurs à grande échelle. Un conservatoire de l'igname a été installé à Païta, centre d'expérimentation chargé de sélectionner les meilleurs variétés pour la production et la consommation et de multiplier ces variétés, de développer des techniques modernes et d'étudier la possibilité de conserver des produits pour une mise en marché en contre-saison. La pêche kanakPour pêcher, il faut appartenir à un clan pêcheur, résidant ou ayant accès au bord de mer, et surtout être reconnu comme « détenteur des connaissances et des objets magico-religieux nécessaires à la capture de la faune maritime » (Leblic, p. 92). La pêche se fait surtout par filet et par piège. Les coquillages sont ramassés. Les techniques de pêche ont été transformées aux débuts de la colonisation, après 1850, par l'adoption du fil de coton (puis du nylon) et du fer pour les hameçons. Après les premiers échanges, en 1774, le fer est massivement introduit en 1841-1865 lors du trafic de bois de santal. Le négociant Towns fournit en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides 20 000 hameçons en 1846-1848. La Nouvelle-Calédonie en aurait ainsi reçu 60 000 en 25 ans. L'usage progressif des haches, hachettes (clous, herminettes) a rapidement transformé le mode de fabrication des pirogues. La pêche à l'arc ne se pratique plus. La pêche à la sagaie se fait rare. La pêche à la ligne est la seule autorisée pour les femmes. La pêche à l'épervier est encore très pratiquée sur platier. Le droit français de la mer et le droit coutumier de la mer s'imposent à tous et partout. Les langues kanak
La Nouvelle-Calédonie connaît une grande diversité linguistique. Il existe ainsi 27 langues, dont quatre ayant le statut de langues régionales avec des épreuves facultatives au baccalauréat (le drehu, le nengone, le paicî et l'ajië) et 11 dialectes kanak, formant un sous-groupe des langues océaniennes, au sein de la branche des langues malayo-polynésiennes et de la famille des langues austronésiennes. À cela il faut ajouter un créole à base lexicale française (le tayo, parlé à Saint-Louis) et une langue polynésienne (le fagauvea, parlé dans une partie de l'île d'Ouvéa). Au recensement de 2009, le nombre de locuteurs (personnes de 15 ans et plus sachant parler une de ces langues) s'établissait à 70 225 individus (28,60 % des Néo-Calédoniens, dont 47,07 % se localisaient en Province Sud, 34,08 % en Province Nord et 18,85 % dans les îles Loyauté). 65 454 d'entre eux (93,21 %) étaient des Kanak : ainsi, près des deux tiers de la communauté (66,06 %) sont des locuteurs de leur langue maternelle. Cette proportion est plus élevée aux îles Loyauté (plus des trois quarts, ou 77,64 %, des Kanak loyaltiens) et en Province Nord (plus des deux tiers, ou 68,89 %, des Mélanésiens du Nord) que dans le Sud (60,15 % des Kanak du Sud). S'y ajoutaient 2 181 personnes s'étant déclarées comme appartenant à plusieurs communautés (3,11 % de l'ensemble des locuteurs et 10,69 % des Métis de plus de 15 ans, ayant certainement des origines mélanésiennes). De plus, 11 606 personnes (4,73 % de la population totale de plus de 15 ans) pouvait comprendre une langue sans la parler, dont 7 409 Kanak (63,84 % de ces personnes, et 7,48 % de la communauté) et 1 380 Métis (11,89 % de la totalité de ceux comprenant au moins une langue sans la parler, et 6,77 % de la communauté)[28]. Littérature kanak d'hier et d'aujourd'huiLittérature oraleLa société kanak repose traditionnellement sur l'oralité et n'a pas développé d'écriture propre avant l'arrivée des Européens. Pour cela, la tradition orale revêt une importance toute particulière dans l'organisation sociale et politique, sa légitimation, et la conception de la mémoire collective et de l'origine des clans. Emmanuel Kasarhérou, directeur de l'ADCK et du Centre culturel Tjibaou, définit ainsi la littérature orale : « La littérature orale peut être définie comme la partie de la tradition qui est mise en forme selon un code propre à chaque société et à chaque langue, en référence à un fonds culturel. Elle véhicule aussi bien l’histoire du groupe que ses croyances, ses représentations symboliques, ses modèles culturels ou sa vision du monde naturel. La littérature orale conforte l’identité propre à une culture ou à une communauté[58]. » Elle comprend des contes humoristiques et moraux, des poésies, proverbes, devinettes, chants[59], discours coutumiers. L'énonciation et la transmission de cette tradition est alors particulièrement codifiée et contrôlée, les savoirs oraux étant un fait collectif et non individuel. Il est possible alors de connaître l’histoire, sans avoir l’autorisation de la dire. Il existe une forme d’autorégulation commune de la parole. Le contrôle de cette connaissance particulière (souvent par les Anciens) peut donner une place sociale particulière au sein du clan, voire peut être confié à une même lignée, famille ou clan aux îles Loyauté. La mise en forme de cette « littérature orale » peut se faire dans une forme linguistique (souvent fortement métaphorique) propre à cet art, accentuant l'aspect exclusif de sa transmission et rendant encore plus difficile les tentatives de traduction. C'est le cas notamment du vivaa, ou « discours de coutume » en langue ajië prononcés lors des cérémonies de naissance, de mariage ou de deuil, ainsi que dans d’autres occasions de la vie sociale, et accompagnant le geste coutumier[60]. Le travail de plusieurs anthropologues, ethnologues ou linguistes ont permis une mise par écrit et une tradition de certains récits de la littérature orale kanak. D'autres ont inspiré des romans, recueils de poème ou de contes de nombreux écrivains locaux. C'est le cas par exemple des Contes de Poindi de Jean Mariotti ou d'une grande partie de l'œuvre de Jean-Marie Tjibaou (tout particulièrement la pièce Téa Kanaké du festival Mélanésia 2000) ou de Déwé Gorodey. Face aux bouleversements de la société kanak nés de la colonisation, notamment l'affaiblissement de la pratique des langues kanak et des structures sociales traditionnelles, l'ADCK s'est attachée, par le biais de son département Patrimoine et Recherche, à lancer des campagnes de collecte et de recherches dans le domaine du patrimoine kanak immatériel et donc tout particulièrement concernant la littérature orale. L'Agence contribue ensuite à la mise en valeur des récits ainsi collectés par le biais de publications écrites (et tout particulièrement de sa revue trimestrielle Mwà Véé mais aussi d'édition de livres), de programmes radiophoniques en langues surtout sur la station Radio Djiido (l'émission mensuelle Ruo, ce qui signifie « L'écho » en langue nengone, lancée le [61]) et de l'enregistrement sur CD audio de contes ou chants traditionnels kanak[62]. L'Université de la Nouvelle-Calédonie ainsi que l'Institut de formation des maîtres de Nouvelle-Calédonie (IFM-NC) assurent la formation d'enseignants en langues et culture kanak et la reconnaissance académique de conteurs traditionnels. Littérature contemporaineDepuis les années 1960 et 1970, des écrivains kanak ont émergé. Leur style allie souvent héritages de la « littérature orale » (et donc références aux chants, contes, mythes et récits traditionnels) et ton engagé, véhiculant revendications politiques (telles que l'indépendance, ou tout du moins la décolonisation) ou socio-économiques (sur les thèmes du rééquilibrage, du rapport entre tradition et modernité ou de la perte de repères ou de valeurs). Les premiers d'entre eux sont généralement issus de l'enseignement missionnaire, et sont souvent des clercs, religieux ou d'anciens séminaristes (Joseph Kapéa ou Jean-Marie Tjibaou sont d'anciens prêtres catholiques, Apollinaire Anova (1929-1966) est curé jusqu'à sa mort[63], Waïa Gorodé[64] est le fils d'un pasteur proche de Maurice Leenhardt), ce qui explique également une forte influence religieuse chrétienne dans leurs textes. L'un des premiers écrivains kanak véritablement connus fut Jean-Marie Tjibaou qui s'attacha à travers ses textes à renouveler la culture kanak traditionnelle et à faire reconnaître l'existence d'une culture commune à l'ensemble des Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie qui forment le « peuple kanak », point de départ de sa revendication nationaliste et indépendantiste. Son œuvre principale fut la pièce de théâtre Téa Kanaké, reprenant une légende de la région de Canala sur l'origine des êtres humains, représentée lors du festival Mélanésia 2000 en 1975. Pour sa part, Apollinaire Anova (1929-1966) hérite de sa formation religieuse un style résolument messianique (dans sa présentation par exemple du soulèvement du grand-chef Ataï) et eschatologique, couplé à une certaine influence du marxisme qui lui fait voir dans la révolte de 1878 le point de départ d'un long processus devant aboutir à l'indépendance[65]. Aujourd'hui (1990-2010), l'auteure la plus prolifique et la plus célèbre est Déwé Gorodey. Elle aussi engagée en politique pour l'indépendance, adhérente du FLNKS et du Palika et membre depuis 1999 du gouvernement, chargée des questions culturelles, elle veut avant tout faire connaître au monde la culture et les traditions kanak, tant sur le plan oral (elle est conteuse traditionnelle) qu'écrit. Également militante féministe, elle porte aussi une réflexion sur le statut de la femme au sein du monde mélanésien (son premier roman, L'Épave, traite notamment des violences faites aux femmes). Elle est l'auteure de nombreux poèmes, contes et nouvelles, dont certains traduits en anglais (Dire le vrai-To Tell the Truth, recueil de 18 poèmes bilingues réalisé en 1999 en collaboration avec l'autre principal écrivain néo-calédonien de sa génération, Nicolas Kurtovitch, The Kanak Apples Season qui est une anthologie parue en 2004 de l'ensemble de ses nouvelles traduites en anglais tandis que Sharing as Custom Provides, éditée l'année suivante, est celle de ses poèmes). Parmi les autres écrivains kanak contemporains peuvent être cités : le dramaturge, poète et metteur en scène Pierre Gope, le poète, conteur, musicien et auteur pour enfants Denis Pourawa et le poète Paul Wamo. Les arts visuelsL'architectureL'architecture traditionnelle kanak comprend uniquement la « case », véritable symbole de l'organisation de la société en « Maison » et « Grande Maison » tribale[66],[67]. Il en existe de plusieurs types : à la fois lieux des cérémonies ou palabres (grande case du clan ou des districts des Îles Loyauté, les plus représentatives et les plus chargées de symbolisme), d'habitat (avec des cases ordinaires pour les femmes) ou de stockage (greniers à igname). Ronde (forme qui représente un espace collectif de vie, propice aux palabres, aux échanges et au maintien d’un esprit communautaire) avec un toit conique offrant souvent une forte pente (pour permettre l'écoulement des eaux de pluie, tandis que la forme aérodynamique générale de l'édifice permet une forte résistance aux vents violents quelle que soit leur direction), elle est souvent construite, notamment sur la Grande Terre où les inondations sont courantes, sur un tertre surélevé par rapport au terrain naturel pour échapper aux dégâts des eaux. Sa construction n'utilise que des matériaux végétaux : murs et « pré-couverture » du toit (kötu en Xârâcùù)[68] en peau de niaouli (élément particulièrement étanche) généralement (et dans certaines régions avec du pandanus ou du cocotier), couverture du toit en paille (bon isolant qui permet de maintenir une température ambiante constante et douce tout au long de l'année, même en période de fortes chaleurs), attaches de la structure avec des lianes (rendent l'édifice flexible et donc résistants encore une fois aux intempéries) et éléments importants (flèche faîtière, poteau central, poteaux de tour de case, chambranle, linteau de la porte) en bois de houp (arbre endémique à la Nouvelle-Calédonie, séculaire, représentant l'origine des clans et dont le bois est sacré). Chacune des pièces sculptées a une symbolique particulière[69],[70],[71] :
Les dix haut bâtiments du Centre culturel Tjibaou de Renzo Piano reprennent d'une matière stylisée la forme des cases traditionnelles kanak. Sculpture et peintureAinsi, l'essentiel de la sculpture traditionnelle kanak est liée à l'espace architectural de la grande case (flèche faîtière, poteau central, poteaux de tour de case, chambranles, linteau) et porte essentiellement vers la représentation des ancêtres et la symbolique des clans. Le corps stylisé, et tout particulièrement le visage ainsi que le nez souvent surdimensionné, la mort mais aussi les animaux font partie des principaux thèmes iconographiques. Le matériau support est le bois (de houp qui a une valeur sacrée, le santal ou le gaïac, par exemple), coupé au feu ou à l'aide d'herminettes, taillé avec des morceaux de quartz aigus, poli avec du sable de rivière, des feuilles ou des écorces râpeuses et finalement teinté et ciré à l'aide des sèves et sucs d'arbre[72]. Leur réalisation est confiée à des membres spécialisés du clan, dont certains ont pu avoir une réputation dépassant leur aire culturelle et linguistique traditionnelle, la littérature orale ayant également conservé les noms de certains sculpteurs célèbres. Des statues, également en bois ou en pierre, peuvent également être réalisées pour servir de protecteurs de la case ou dans des rituels. La sculpture contemporaine kanak s'inspire fortement des techniques et de la symbolique traditionnelles, tout en s'ouvrant aux thématiques et aux mutations actuelles de la société mélanésienne ou plus largement néo-calédonienne[73]. Certaines pratiques plus spécifiques ont également été développées de manière ancienne dans certaines aires géographiques de l'archipel. Par exemple, l'utilisation, les matériaux de production et la symboliques varient selon les régions concernant le masque sculpté kanak, tradition limitée à certaines zones de la Grande Terre (nord, centre et une partie du sud) qui a disparu avec la colonisation et l'interdiction par les missionnaires chrétiens des religions ancestrales. Au nord, le masque était étroitement associé aux cérémonies funéraires des chefs et apparaît également comme un symbole de la chefferie, du pouvoir spirituel et politique du chef. Le masque représente donc le pouvoir du chef pendant la vacance qu'est le deuil, puis est offert au chef suivant lors de son intronisation, conjointement à d'autres emblèmes d'autorité (flèche faîtière, hache ostensoir). La figure représentée rappelle les visages sculptés des flèches faîtières, chambranles ou poteaux, symbolisant le chef défunt mais aussi l'ancêtre fondateur du clan et la divinité du monde des morts qui peut donner son nom au masque (Wimawi pour le clan Waap, Gomawé dans les pays Ajië et Paici). Les masques sont ornés d'une haute coiffure en dôme et d'une barbe faites en cheveux humains tressés (surtout pour les masques Gomawé) ou symbolisées par un bonnet d'écorce blanchie à la chaux pour la coiffure des masques Wimawi ou par des racines de fougères dans le centre ou plus au sud pour la barbe, ce qui sont des marques de deuil (étant interdit de se couper les cheveux ou la barbe pendant la période de deuil précédant la sortie du masque). Enfin, le reste du masque est constitué par une longue robe en plumes de notou recouvrant tout le corps, l'apparence de l'oiseau faisant référence aux esprits des forêts et au peuplement autochtone de l'île. Il est possible que d'autres masques aient pu existé dans le nord pour représenter les sujets et ainsi le dualisme au cœur de l'organisation sociale traditionnelle kanak. Dans les régions plus méridionales où des masques étaient utilisés, il semblerait que ceux-ci revêtaient alors davantage une fonction théâtrale dans des danses mimiques appelées wasaï, afin de susciter la peur ou la joie[74],[75]. Un autre type de sculpture traditionnelle localisée, qui pour sa part a perduré dans la sculpture contemporaine et revêt aujourd'hui une image identitaire forte, est le bambou gravé. Surtout pratiqué dans la région de Canala et plus généralement dans le centre-nord de la Grande Terre (Houaïlou, Koné, Poindimié) ou à l'île des Pins, la gravure sur bambou est attestée depuis la fin du XVIIIe siècle, avec à l'origine des motifs essentiellement géométriques, mais s'est surtout développée à la suite de la prise de contact avec les Européens. D'un diamètre de 3 à 6 cm, Le kare e ka, nom qui lui est donné en xârâcùù, présente sur toute sa surface des scènes entremêlées gravées à l'aide, à l'origine, d'outils rudimentaires (quartz, pinces de crustacés...) puis d'outils métalliques improvisés, puis enduites par une graisse née de la carbonisation de la noix de bancoule qui s'incruste alors dans les lignes pour les noircir. Il a pu servir de « bâton de voyage » contenant des herbes magiques et devant porter chance au voyageur (utilisation aujourd'hui disparue) ou, surtout, de « livre d'images » en forme de bâton porté par les Anciens pour illustrer les événements qui ont marqué l'histoire du clan ou de la communauté (deuils, constructions de cases, pêches à la tortue, cérémonies, récolte des ignames, batailles, mais aussi tous les bouleversements que créent l'arrivée des Européens tels que les maisons, les costumes, les chevaux, les cerfs, les bateaux, les télégraphes, les armes...), chaque bambou racontant une histoire[76]. En 2015, la revue culturelle kanak Mwà Véé (No 87) répertorie 196 artistes sculpteurs, surtout masculins, dont Armand Goroboredjo, Jean-Marie Ganeval, Narcisse Wan-Hyo Tein Thavouvao Teînbouenc (1958), Jean-Marc Alerte, Robert Sakiia (1935, Ouégoa), Calixte Pouémoin (1950), Guy Nomaï (1952), Ito Waïa, Dick Bone, Gérard Wadehnane, Bernard Wadehnane, Patrick Waloua, Vincent Bokoé, Saerge Theain-Boanouna, Joselito Holero, Paul Ayawa, Jean-Jacques Poiwi, Philippe Tonchane, Jean-Marc Tiaou, etc. En 1999, les Chroniques du pays kanak, tome 3, s'intéressent à divers peintres, surtout féminins, dont Micheline Néporon[77] (1955, Unia), Denise Tivouane (1962, Saint-Gabriel), Paule Boi (196?), Yvette Bouquet (1955, Koumac), Maryline Thydjepache (1972, Nouméa), Ito Waïa (1959, Nece (Maré)). Bambous gravésLe Kanak en voyage emporte avec lui, comme viatique, « pour se protéger des dangers de la route », un bambou gravé, kârè e tâ (en ajië), contenant des herbes magiques. L'extérieur, couvert de motifs abstraits et figuratifs, est un support de mémoire, concernant la vie de la tribu. Leur langage en fait un « testament illustré d'une culture disparue » (Lobsiger-Dellenbach)[78],[79],[80]. La fabrication en a été abandonnée vers 1920. Une fabrication en série, de moindre qualité, avait été mise en place dès 1860 pour satisfaire la curiosité occidentale. Une tige de bambou, de dimension variable, est gravée, incisée, entaillée, avec divers instruments, éclats de quartz, valves de coquillage, morceaux de carapaces de crustacé, puis teintée au noir. Les incises sont recouvertes d'une pâte brunâtre, décoction de noix de bancoulier, ou noir de fumée. Le langage est stylisé en partie en raison des contraintes techniques : réalisme, symbolisation, décoration. Quelques artistes ont repris la technique ou les thèmes, à partir de 1990 : Gérard Bretty (1947[?]-2007, devenu Jézebruff Kabradinsky)[81], Micheline Néporon, Paula Boi Gony, Kofié Lopez Itréma, Stéphanie Wamytan[82], Yvette Bouquet. Les arts sonoresDanse et musique
Émission de Radio Djiido intitulée Histoire de la musique contemporaine kanak depuis 1960 ()[83].
Les danses kanak traditionnelles sont assez variées[84]. Cuisine kanakLa cuisine kanak traditionnelle est une cuisine mélanésienne, donc océanienne[85]. Le bougna, à base de légumes traditionnels et de lait de coco, est le plat emblématique de la cuisine traditionnelle mélanésienne. Suivant les lieux et les saisons, les viandes, poissons ou fruits de mer utilisés varient en fonction de leurs disponibilité. Placé dans un panier de feuilles de bananier le mélange est cuit à l'étouffé dans le four kanak : dans un trou est disposé un lit de pierres chauffées à blanc, puis le (ou les) bougna(s). Suivant les régions le four est recouvert ensuite de terre ou de peaux de niaoulis. Le bougna est un plat de fête et n'est pas l'ordinaire traditionnel de la famille kanak. L'ordinaire était plutôt composé de légumes bouillis, de fruits, viandes ou poissons grillés. Le ver de bancoule reste un mets assez « folklorique » rarement préparé hors des foires destinées aux touristes. Peut être, au même titre que la sauterelle, constituait-il un plat de substitution facile à trouver loin de son foyer. Vêtement kanakLe vêtement kanak a beaucoup évolué de 1774 à 1950[86]. Après les événements des années 1980, une réhabilitation du vêtement traditionnel est observable, pour les grandes occasions. Dans la vie courante, dans le Grand-Nouméa comme en brousse, les gens sont habillés à l'occidentale, robe mission comprise. De nombreux magasins affichent : tenue correcte exigée, chaussures obligatoires. Parmi les tissus, étoffes végétales, matériaux des vêtements :
Les femmes portaient généralement une jupe courte, sisi, faite de fibres végétales, de banian ou de bourao, enfilées sur des cordelettes, sur plusieurs épaisseurs, souvent teinte en marron, rouge, noir, blanc[88]. Les autres éléments décoratifs étaient plutôt réservés aux grandes occasions. Le manou, ou paréo, bande de tissu nouée aux hanches, apparaît avec les missionnaires. La robe mission[89] ou robe popinée[90], longue, ample, sans décolleté, pudique, apparaît plus tard, imposée par les missionnaires. Les hommes portaient un étui pénien, ou bagayou, en fine paille tressée, à extrémité reliée à la ceinture par une cordelette. Les missionnaires imposent son remplacement par le pagne, manou. Les notables portaient, en représentation, le tidi[91], un cylindre de vannerie, coiffe nattée, orné de plumes, entouré de bandeau à incrustation de pierreries. Pour certaines occasions, les hommes se maquillent le corps avec de la poudre noire (champignon baru) et le visage avec du charbon (arbrisseau rhé). Avec l'arrivée des technologies occidentales, les Mélanésiens abandonnent certaines techniques traditionnelles, dont la poterie (au profit des marmites en fonte) et le tapa (au profit des étoffes), ce qui contribue à diminuer le statut social des femmes mélanésiennes. Médecine traditionnelleLa médecine traditionnelle est réalisée par des tradipraticiens reconnus par la communauté. La maladie a parfois une origine magique, malveillante, de sorcellerie : il faut utiliser les esprits et les démons pour confectionner et administrer des médicaments[92]. Plutôt efficace en petite médecine, elle se révèle vite incapable de gérer des maladies inconnues, de grande médecine (Hnawia, 1990). Elle fait grand usage des plantes[93],[94]. La purge à l'eau de mer est utilisée. La chirurgie existe : réduction orthopédique des luxations et fractures, scarifications, trépanations. Une forme de circoncision a été longtemps pratiquée. La saignée est pratiquée. La scarification est pratiquée, avec des coquillages tranchants, à des fins davantage esthétiques ou coutumières. On pratique également, comme dans d'autres cultures, la suppression des vieillards, le contrôle des naissances par infanticide (abandon de nouveau-nés ou avortement, par potion abortive).[réf. nécessaire] Jeux kanakLa revue Kaan Falik (boutures de parole) ou Les Documents du Bureau du Patrimoine Culturel, consacre son No 4 () à un élément patrimonial, les Jeux et jouets traditionnel (Aire coutumière Hoot ma Waap) :
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