La deuxième bataille de Montaigu se déroule le lors de la guerre de Vendée. Elle s'achève par la victoire des Vendéens qui reprennent le bourg de Montaigu aux républicains.
Le matin du 21 septembre, à Clisson, le général Canclaux, le commandant en chef des forces de l'Armée des côtes de Brest et de l'Armée de Mayence, envoie l'ordre au général Beysser d'évacuer Montaigu et de se porter sur le bourg de Boussay afin de faire sa jonction avec les troupes de Kléber[2],[5]. Cependant Beysser n'exécute pas l'ordre avec toute la célérité voulue[3],[2],[4].
Déroulement
Le , les troupes vendéennes de Lescure, Charette, Joly et Savin sont devant Montaigu[3],[4],[6]. Une première escarmouche éclate dans la matinée entre les républicains et les hommes de Joly, mais le combat s'engage véritablement aux environs de deux heures de l'après-midi, alors que Beysser et ses hommes déjeunent[3],[4].
Les défenses des patriotes s'effondrent très rapidement : les avant-postes sont pris d'assaut et les Vendéens s'engouffrent dans la ville[3],[4]. Beysser se montre incapable de rallier ses troupes et de les mettre en bataille[3]. Son artillerie est inefficace et sa cavalerie ne parvient pas à manœuvrer[3],[2]. Seuls les soldats du 79e et du 109e régiment d'infanterie de ligne montrent une certaine combativité et parviennent à repousser un moment les troupes de Charette[2]. Le général républicain donne alors l'ordre de la retraite, mais celle-ci s'effectue dans la confusion la plus totale[3],[2]. Les républicains abandonnent la ville et sont harcelés sur la route par des tireurs embusqués derrières des haies[3]. Ils sont poursuivis jusqu'à Remouillé et Aigrefeuille, à 10 kilomètres de Montaigu, où la tombée de la nuit met fin aux combats[2],[4],[7]. Ils n'arrêtent cependant leur fuite qu'aux Sorinières, au sud de Nantes[3].
Un détachement républicain se retrouve coupé du reste de l'armée et encerclé à l'intérieur du château de Montaigu[3],[2]. Cependant le gros de l'armée vendéenne se rue à la poursuite de Beysser sur la route de Nantes et ne laisse derrière elle que ses forces les moins combatives[3],[2]. Les assiégés parviennent ainsi à effectuer une percée et à rejoindre Les Sorinières en passant par la route de Vieillevigne[3],[2].
Pertes
Les pertes ne sont pas connues. Dans son rapport[A 1], Beysser, lui-même blessé par un coup de biscaïen qui lui a enfoncé une côte[3], déclare ignorer ses pertes en hommes mais estime qu'elles doivent être « considérables » car de nombreux soldats se sont dispersés dans les campagnes[7]. Dans ses mémoires[A 2], le général Kléber évoque également une perte « considérable » pour le corps de Beysser[8]. Un soldat républicain nommé Broussais écrit quant à lui dans une lettre à son père le 25 septembre : « Je ne saurais vous évaluer notre perte. Les uns disent 1 200, les autres 15 à 1 800, plusieurs 2 000. Pour moi nous avons perdu aux environs de 1 500 hommes. On nous prit 5 pièces de canons »[3]. Le chef vendéen Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière écrit dans ses mémoires : « L'ennemi perdit peu de monde, mais nous eûmes à peu près toute l'artillerie »[9]. Un autre chef vendéen, Bertrand Poirier de Beauvais, affirme aussi dans ses mémoires[A 3] qu'au moins 500 républicains ont été tués sur un seul point du champ de bataille[10] et que pas moins de 14 canons ont été récupérés par les royalistes[3]. De même, dans ses mémoires, la marquise Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein écrit que tous les canons et bagages de l'armée de Beysser tombent aux mains des Vendéens[A 4]. Beysser n'avoue quant à lui que la perte de deux canons[12].
Selon les états du 11e bataillon de Paris, dit de la République, onze hommes du bataillon sont tués le 21 septembre 1793 à Montaigu, un autre est signalé blessé et un autre est porté disparu[13].
Une polémique se développe également par la suite entre auteurs républicains et auteurs royalistes à propos des cadavres des soldats du corps de Beysser, retrouvés par Kléber lorsque ce dernier reprend la ville le 1er octobre[3]. En 1794, Kléber écrit dans ses mémoires : « Nous trouvâmes le puits du château rempli de cadavres des soldats de ce malheureux corps »[5]. En 1795, l'adjudant-général républicain Jean Hector Legros écrit dans ses propres mémoires : « Ce sont les Rebelles, qui après avoir gagné à Montaigu une grande bataille sur l'ivrogne Beysser, ont rempli de nos soldats vivants un puits de quarante toises de profondeur »[14],[15],[16]. En 1881, l'auteur royaliste Adolphe de Brem écrit que « 400 bleus qui refusaient à Joly de se rendre et tentaient une sortie à travers nos gens, furent exterminés tous en face du château »[3]. Sur la base de ce récit, le républicain Charles-Louis Chassin estime que « par ordre de Joly suivant les uns, ou de Charette, suivant les autres, les prisonniers républicains, blessés et vivants, furent précipités dans le puit du château »[3]. Cette hypothèse est par la suite vigoureusement combattue par d'autres auteurs royalistes, comme l'abbé Deniau ou René Bittard des Portes[3]. Dans ses mémoires[A 5], le chef vendéen Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière donne également une version différente de celle d'Adolphe de Brem à propos de la prise du château, où il écrit que le détachement républicain assiégé « se fit jour pour s'échapper... ceux des nôtres qui étaient dans la ville voulurent bien les laisser passer pour en être débarrassés »[3]. En 1998, l'historien Lionel Dumarcet estime que « quant aux hommes retrouvés dans le puits, rien ne prouve qu'ils aient été torturés avant d'y être jetés »[3].
Suites
Kléber reprend la ville sans combattre le 1er octobre et la met en état de défense[5]. Il écrit dans ses mémoires : « Murs de clôture, maisons, arbres, haies, en un mot tout ce qui aurait pu favoriser l'approche de l'ennemi fut démoli, coupé ou incendié. Montaigu n'était plus reconnaissable ; aussi des bataillons de la colonne de Beysser, venant à y passer quelque temps après, furent forcés d'admirer nos précautions, en gémissant sur leur négligence »[5].
« Au moment où vous vous félicitiez, mon général, de voir le malheur de Kleber réparé, je suis désespéré d'avoir à vous apprendre un nouveau malheur qui éloigne encore le succès de vos espérances et des miennes.
Dans la matinée d'hier, vers les neuf heures du matin, mes postes avancés avaient été attaqués du côté de Boussay et de Clisson ; j'avais fait battre la générale, toutes les troupes étaient sorties de la ville et disposées à bien recevoir l'ennemi, ou même à l'aller chercher ; mais comme rien ne paraissait encore vers les deux heures, il me sembla convenable de profiter du moment pour leur faire prendre de la nourriture. Ce fut alors que je reçus votre lettre. Vous m'ordonniez de faire filer mon artillerie et mes bagages sur Clisson avec une escorte suffisante , et de porter ma colonne vers Boussay, par le chemin de traverse qui y conduit de Montaigu, et vous désiriez que tout fût en marche à deux heures. L'alerte du matin et l'état présent de la troupe me forçant à différer, je me proposais de partir vers les trois heures , et cet instant n'était pas éloigné lorsque j'entendis de nouveau crier aux armes. Le représentant Cavaignac revenait alors du poste avancé où son courage l'avait porté, et où il avait essuyé la plus vive attaque à la tête des soldats que son exemple contint long-temps. Ses sages observations me déterminèrent à me placer sous les murs de Montaigu, les troupes reprenant alors leurs premières dispositions. Mais un malheureux poste, placé sur la route de Boussay, se replie, celui qui lui succède est entraîné après lui, et la contagion du désordre gagne de tous les côtés. Je m'avance avec du canon pour soutenir mes troupes , les rebelles commencent leurs manæuvres ordinaires , se jetant par terre pour éviter notre feu. C'eût été le moment de les charger, mais les chemins étant impraticables, la confusion croissait par la crainte que les bandes rebelles ne parvinssent à nous tourner ; et, puisqu'il faut vous le dire, ma cavalerie, dont je vous ai si souvent fait l'éloge, a démenti sa répultation, et parce qu'elle n'était pas soutenue par l'infanterie, et parce qu'elle se défiait elle-même de ses propres moyens. Nous n'avions que le parti de la retraite; j'ordonnai aux deux bataillons qui avaient été commandés pour soutenir le premier poste, et qui se trouvaient encore dans la ville, de l'évacuer promptement en se repliant sur l'armée. Je fis avancer une compagnie de grenadiers sur notre gauche, pour arrêter les rebelles qui l'incommodaient en la tournant, et pour assurer notre retraite ; et je restai à l'arrière-garde , occupé d'ordonner toutes les dispositions nécessaires. L'ennemi eut bientôt gagné la grande route et dirigé son canon sur nous ; notre retraite alors ne fut plus qu'une déroute. Reproches, menaces , prières, tout fut inutilement employé de ma part et de celle du représentant du peuple pour arrêter mes troupes. Je croyais encore pouvoir les rallier à la lande qui se trouve en avant de Remouillé, y prendre une position avantageuse, et conserver les moyens de communiquer de là avec Clisson ; mais le mal était sans remède ; la cavalerie que je m'efforçais de ramener, se débandait à mesure, et il fallut encore abandonner le terrain. Mêmes efforts à Remouillé et à Aigrefeuille, et toujours en vain. Il commençait à se faire tard; la nuit arrêta et pouvait seule arrêter et l'ennemi et les fuyards.
Je me décidai à revenir moi-même à Nantes pour soigner une blessure que j'ai reçue au côté droit, d'un biscaïen dont · le coup, déjà amorti , n'a fait que m'enfoncer une côte. Cette blessure ne sera pas dangereuse sans doute ; mais, mon général, il en est une autre dont une âme républicaine ne peut guérir que difficilement. Voilà donc le fruit de quinze jours d'une campagne heureuse !...
Je ne puis pas encore évaluer notre perte en hommes, elle doit être considérable ; non pas que notre colonne ait élé entamée, mais parce qu'il en est revenu peu de ceux que la peur avait jetés dans les campagnes.
En effets d'artillerie, nous n'avons laissé derrière nous que deux pièces de canon et un caisson dont une roue s'est brisée. C'est du moins le rapport qu'on me fait à présent.
Je reçois à l'instant avis que les généraux Vergnes et Grouchy ont donné l'ordre de ramener la troupe en ville. Je vais tâcher de sortir pour me concerter avec eux[7]. »
— Rapport du général Beysser au général Canclaux, le 22 septembre 1793.
« Malgré mes réflexions, Canclaux insista sur mon départ, et je me mis en route à l'heure à laquelle je présumai que Beysser pourrait y être, ayant à peu près la même distance à parcourir. Il était en effet nuit close quand je fus rendu à Boussay. Avant de prendre position, je fis pousser des patrouilles sur la droite, pour aller à la découvert de la colonne de Beysser ; mais il fut impossible à mes éclaireurs de m'en donner des nouvelles.
Dans la désagréable perspective de me voir seul encore, avec mes dix-huit cents hommes, enfoncé dans le pays et éloigné de quatre heures du corps d'armée, je pris le parti d'appuyer ma droite au cimetière de Boussay, et, formant avec ma troupe un carré, je la déployai dans un vaste champ retranché par des levées de terre et des fossés très larges. Je plantai un drapeau au milieu d'un pré, et j'y établis mon quartier général avec soixante chasseurs à cheval et quarante chevaux du 7e bataillon d'infanterie légère.
Le temps était très froid, je ne pus défendre que l'on fît du feu, mais j'employai la ruse du faible, et j'ordonnai qu'on fît beaucoup et sur un très grand développement. A une heure après minuit, Saint-James et Lavalette, aides de camp du général Canclaux, vinrent m'éveiller pour m'apprendre que Beysser avait été attaqué et surpris à Montaigu, et que son armée, en déroute complète, s'était dirigée sur Nantes. Ils me communiquèrent ensuite l'ordre du général Canclaux de me replier à l'instant sur Clisson. Je fis aussitôt prévenir la troupe de notre départ , dans le plus grand silence. Elle fut bientôt sous les armes et en marche ; le jour commençait à paraître lorsque j'arrivai sur les hauteurs de Clisson ; là je fis halte, et je permis qu'on s'occupât de la cuisine.
Dès que toutes les précautions militaires, nécessitées par les circonstances, me parurent suffisamment prises, je n'eus rien de plus pressé que de me transporter chez Canclaux, pour savoir de lui les détails relatifs à la déroute de Beysser. J'appris que, dans la journée du 20, l'ennemi avait battu la division des Sables aux ordres du général Mieszkowski, proche de Saint-Fulgent ; et, après cette victoire, il s'était porté sur Montaigu. La troupe de Beysser étant logée en ville, sans aucune espèce de précaution, avait été surprise, et n'avait pas eu le temps de prendre position ; de sorte que la déroute se manifesta au moment même de l'attaque. Sa perte fut considérable, mais elle l'eût été encore davantage sans la valeur des 79e et 109e régiments qui soutinrent courageusement la retraite. « Quant à notre armée, ajouta Canclaux, elle ne peut pas se soutenir dans le pays, ainsi en flèche ; je vais donc donner les ordres pour la retraite sur Nantes, où nous combinerons un nouveau plan de campagne »[8]. »
« Le surlendemain, 21 septembre, nous marchâmes sur Montaigu.
Beysser, qui savait que nous devions rencontrer Canclaux et l'armée de Mayence, dut être embarrassé quand il apprit que ce général avait été battu à Torfou. D'après cette nouvelle, son armée et lui, craignant d'être attaqués, se tenaient si attentifs à la moindre des choses qu'ils eurent au moins vingt alertes dans la matinée du jour où nous vînmes ; du moins, c'est le compte qu'on nous a rendu.
Enfin, notre arrivée eut lieu vers les trois heures du soir. On avertit Beysser, qui de nouveau se mettait à table pour dîner, ayant été dérangé nombre de fois par ces fausses alertes ; il se fâche et défend qu'on batte la générale ; mais différents coups de fusils tirés très près de la ville le font bientôt monter à cheval. Son armée, dans la crainte d'être attaquée se tenant sur ses gardes, fut bientôt disposée et se battit très bien.
En quittant les environs du château du général du Chaffaud, j'avais pris les devants pour placer quelques pièces de canons sur les hauteurs qui dominent Montaigu ; mais partie de nos gens, ayant abrégé le chemin en passant par des champs, arrivèrent avant moi. Entendant tirer à la ville, je donnai ordre à mon artillerie de suivre le chemin qui y conduisait, et me hâtant, j'arrivai comme les soldats de Beysser se battaient encore dans Montaigu.
J'avance jusqu'à la hauteur du calvaire : le feu y était très vif. Auguste de Béjarry, avec lequel j'étais, eut son cheval tué sous lui, et après m'avoir donné je ne sais quoi qui était attaché à sa slle pour le mettre sur la mienne, il se jeta dans notre infanterie, laquelle successivement grossie chassa ce qui était dans la ville ; le surplus de l'armée ennemie étant battu partout se retira en bon ordre sur la route de Nantes. Elle fit halte à une lieue de Montaigu sur une hauteur, avec quelques pièces de canon pour protéger son artillerie et ses bagages qui filaient sur l'arrière.
Une colonne prit sur la gauche de la route et fut poursuivie par des Essarts, qui avec son monde en tua environ cinq cents.
Aussitôt que notre canon fut arrivé, je l'opposai à celui des républicains qui nous incommodait beaucoup, nous tirant à mitraille. Charette était avec moi sur la route, son infanterie plus loin derrière lui. Un corps considérable de la grande armée était à droite de la route, attendant pour donner que notre artillerie eût fait taire celle de l'ennemi. Alors je quittai l'artillerie et me mis à la tête de cette infanterie, dont le plus grand nombre m'accompagna, suivant les landes à quelque distance de la route, pour tâcher de couper l'artillerie républicaine et ce qui la soutenait, du reste de son armée.
Nous réussîmes en partie dans notre projet, car, à peine fûmes-nous arrivés à la hauteur de l'ennemi, qu'il abandonna ses pièces de retraite, fuyant ensuite dans le plus grand désordre.
La confusion était si grande parmi les républicains, après avoir été forcés d'abandonner leurs pièces de retraite, que peu après il y eut un encombrement au pont de Remouillé. Ce fut là que j'eu la satisfaction, comme c'était ma partie, de me donner des soins particuliers pour envoyer derrière notre armée une quantité d'artillerie, caissons et autres équipages abandonnés au défilé tumultueux de ce pont par l'ennemi ; au total : quatorze pièces, et des caissons à proportion.
Pendant que j'étais ainsi occupé au pont de Remouillé, Beauvollier vint m'apporter l'ordre, de la part du généralissime d'Elbée, de quitter cet endroit et de me mettre à la tête de ceux qui poursuivaient les républicains, dans le but d'arrêter nos gens à propos, d'empêcher qu'on ne s'aventurât trop loin, afin qu'après une belle victoire il ne nous arrivât pas malheur.
C'était d'autant plus à craindre que Canclaux, étant à Clisson, à très courte distance, instruit par le bruit du canon de notre marche, pouvait envoyer du secours aux soldats de Beysser, lequel, tombant sur nos gens en désordre, aurait absolument changé les affaires.
Je me portai donc promptement en avant, donnant ordre que deux pièces de canons suivissent. Mon dessein tait d'arrêter notre monde au bourg d'Aigrefeuille ; mais l'ennemi, arrivé là, profita de cette position pour retarder notre poursuite afin de laisser prendre de l'avance au corps de son armée et sauver quelques blessés. Aussi, soit de front, soit des côtés du bourg, nous fit-il essuyer un feu très vif et très soutenu.
Les deux pièces de canon arrivèrent heureusement à notre aide ; dès les premiers coups que je fis tirer, la colonne qui occupait la rue s'effaça le long des maisons, continuant son feu. Je pris alors de l'infanterie pour tourner le village; ce que voyant, l'ennemi se retira précipitamment.
Le terrain va en pente quand on quitte Aigrefeuille pour aller à Nantes ; nous eûmes bientôt perdu de vue les soldats républicains, mais comme il était utile de savoir encore les mouvements de l'ennemi, je me portai en avant avec le jeune Forestier. Après avoir observé quelque temps, avant de nous en retourner, je tirai mon mousqueton sur des traînards.
Dans ce moment, la bête que je montais, vive et animée, m'emporta sur l'ennemi. Forestier fut assez généreux pour ne pas vouloir m'abandonner, mais son cheval en courant ne faisait encore qu'exciter le mien ; cependant je parvins à l'arrêter au moment où j'allais être perdu. Je raconte cela, pour rendre hommage au dévouement de ce jeune homme qui se sacrifiait lui-même en voulant me sauver, s'il était possible. Le jour qui était à son déclin nous favorisa beaucoup.
Forestier et moi retournant à Aigrefeuille entendîmes une fusillade très considérable qui venait de cet endroit. Ne sachant ce que cela voulait dire, nous nous déterminâmes à traverser ce bourg au galop ; la nuit commençant, on ne nous distingerait pas peut-être, si cette fusillade provenait de quelques corps ennemi. Nous fûmes agréablement surpris de reconnaître nos gens. Je m'informai pourquoi ce feu. Alors le général Joly me dit que c'était lui qui l'avait ordonné, faisant en même temps crier : Vive le Roi ! pour célébrer notre victoire.
Il me fallut encore, pour le satisfaire, tirer un coup de canon ; après quoi nous nous retirâmes à Montaigu, où toute l'armée bivouaqua[10] »
« Le surlendemain, MM. de Charette et Lescure marchèrent contre le général Beysser ; ils devaient s'entendre le jour suivant pour assaillir le convoi des Mayençais d'un côté, tandis que MM. d'Elbée et Bonchamps le prendraient de l'autre côté. MM. de Charette et de Lescure se rendirent sans bruit près de Montaigu, y surprient le général Beysser, le battirent à plate couture et s'emparèrent de tous ses canons et bagages ; le succès fut bien plus complet que contre les Mayençais qui, étant d'excellentes troupes, disputaient le terrain pied à pied. L'armée de Charette prit encore la déroute et ne se rallia qu'au milieu du combat, grâce aux efforts de son général et des officiers ; ceux-ci, et en particulier M. de Charette, payèrent très bien de leur personne ; ils étaient furieux de voir leurs soldats dans un tel effroi, mais les uatre déroute éprouvées dans leur pays leur avaient fait perdre la tête ; au contraire, ceux de la grande armée, fiers de la victoire de Torfou, étaient devenus des héros. Ce fut, je crois, à ce combat, que M. de Lescure fut tiré à bout portant par un républicain qui le reconnut pour être un général : le fusil rata et M. de Lescure, quoique ayant le sabre à la main, le prit à bras-le-corps, sans lui faire de mal, en lui disant : « je te fais grâce ». Il le confia à ses soldats, qui le massacrèrent ; cela lui fit tant de peine qu'il jura pour la seule fois de sa vie. Ce fait est vrai, mais je ne suis pas très sûre qu'il se soit passé à ce combat[11]. »
« L'ennemi nous avait laissé deux jours de repos : nous ne fîmes point la même faute ; dès le lendemain l'armée marcha sur Montaigu. Ce jour notre artillerie était nombreuse, mais quelques pièces seulement furent conduites jusqu'à la ville, le reste était sur le derrière de l'armée gardé par M. de Rouëran. La garnison de Montaigu était à ce qu'on nous dit de 8 000 hommes. Beysser la commandait. Notre arrivée lui fut annoncée de bonne heure, mais ce général étant dans l'attente d'un renfort qui devait se réunir à lui, crut que c'étaient de nouveaux frères qui venaient augmenter son armée et continua le repas qu'il venait de commencer. Les avant-postes n'étaient pas fort éloignés de la ville ; cependant ils furent attaqués avec tant de promptitude que pas un soldat ne put s'y réfugier. C'était beaucoup dans nos armées de pouvoir s'emparer des avant-postes : les cris de victoire poussés par les vainqueurs faisaient hâter le pas à ceux qui venaient derrière, et comme chacun se plaçait en raison de son courage, les derniers croyant l'ennemi en déroute, accouraient aux premiers rangs et se trouvaient au combat sans en avoir eu envie.
Cependant, nos canons tiraient sur la ville. Beysser comprit alors que nous étions des faux-frères; il voulut nous combattre mais il n'était plus temps : tous nos hommes étaient entrés et son armée sortant en désordre pour prendre le chemin de Nantes, reçut une fusillade des plus terribles de ceux qui l'attendaient au passage. En vain les républicains cherchèrent à se rallier, la poursuite fut trop vigoureuse; on se canonna de part et d'autre ; bientôt nos pièces furent retirées pour laisser le soin à notre cavalerie de charger ; la résistance fut peu de chose. Ils abandonnaient une pièce de temps en temps pour mieux fuir et malgré l'avantage du grand chemin et de plusieurs landes qui présentaient de l'espace aux manœuvres de la troupe de ligne, nous les poursuivîmes jusqu'à Remouillé.
Chacun avoua que si la troupe de Torfou eût formé la garnison de Montaigu nous n'aurions point eu la victoire. Avant de les quitter, M. Charette commanda une décharge générale de toutes les armes ; cet ordre qui ne pouvait être exécuté au même instant, occasionna un feu de file bien soutenu qui semblait être exécuté par des soldats habiles, tandis qu'il n'était que l'effet d'un grand nombre de tirailleurs plus prompts les uns que les autres. L'ennemi perdit peu de monde, mais nous eûmes à peu près toute l'artillerie. Un détachement resté dans le château ne put suivre la route de Nantes : il se fit jour pour s'échapper sur celle de Vieillevigne ; heureusement pour ceux qui la composaient que les plus braves étant à la poursuite sur la route de Nantes, ceux des nôtres qui étaient dans la ville voulurent bien les laisser passer pour en être débarrassés. Tout le pays qu'ils eurent à parcourir se trouvant évacué, ils se rendirent sans danger jusqu'aux Sorinières.
L'esprit des paysans qui composaient les détachements de la grande Armée, était bien différent de celui qui régnait parmi nous. Les nôtres pillaient, battaient et juraient comme de vrais soldats ; les autres dans ce temps-là revenaient du combat en disant leur chapelet, ils faisaient prisonniers tous ceux qu'ils pouvaient prendre sans les tuer et rarement s'emparaient de leurs dépouilles[9]. »
Jean Hector Legros, Mes rêves dans mon exil ou coup d'œil politique et militaire sur la Vendée, Paris, Imprimerie Jean-François Billault, , 88 p. (lire en ligne).
Jean Julien Michel Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République, t. II, Paris, Baudoin Frères, libraires-éditeurs, , 515 p. (lire en ligne).
Jean Tabeur (préf. Jean Tulard), Paris contre la province : les guerres de l'ouest, 1792-1796, Paris, Economica, coll. « Campagnes & stratégies / Les grandes batailles » (no 70), , 286 p. (ISBN978-2-7178-5641-5)..