« Pendant ce temps-là, le Bocage était aussi le théâtre des combats qui n'avaient pas été prévus. Il y avait à Amaillou, entre Bressuire et Parthenay, un petit rassemblement de paysans qu'on avait formé pour la sûreté du pays. M. de Lescure apprit que le général Biron était à Niort, que son armée grossissait tous les jours, et que l'avant garde était à Saint-Maixent, menaçant Parthenay. Il envoya sur-le-champ à Saumur, prier MM.de Baugé, les chevaliers Beauvolliers et de Beaurepaire, de se rendre à Amaillou ; lui-même, tout blessé qu'il était, voulut y aller pour veiller de près à la défense de ce poste. Il partit malade et le bras en écharpe; je l'accompagnai, ne pouvant me résoudre à le quitter dans cet état.
Nous nous arrêtâmes une nuit à Clisson, et le lendemain nous arrivâmes à Amaillou. Nous y trouvâmes M. de R***; c'était un gentilhomme d'une trentaine d'années. Pour se donner un air plus distingué, il était en habit de velours bleu, brodé en paillettes, en bourse, et un chapeau sous le bras, l'épée au côté : c'était la première fois qu'on le voyait au camp. Il dit qu'ayant appris que les chefs étaient occupés ailleurs, il avait cru devoir se rendre à Amaillou, pour y prendre le commandement du poste. M. de Lescure le remercia beaucoup ; et comme il arrivait avec des officiers harassés de fatigue, il pria M. de R*** de vouloir bien encore commander le camp, et se charger du bivouac pour cette nuit-là.
Il répondit qu'un gentilhomme comme lui n'était pas fait pour coucher dehors. « Comme chef, vous avez raison, s'écria M. de Lescure en riant. » Il ordonna aux soldats de se relayer pour le garder toute la nuit à la pluie, loin du feu : cela fut exécuté, et M. de R*** ne reparut plus.
Le jour d'après, comme j'étais à me promener avec le chevalier de Beauvolliers, nous vîmes tous les paysans en rumeur ; ils avaient saisi deux chasseurs républicains ; nous devinâmes qu'ils étaient déserteurs : en effet, ils venaient de Saint-Maixent. Leur fuite avait été aperçue; ils avaient été poursuivis pendant cinq lieues, et ils arrivaient tout essoufflés. Nos gens avaient commencé par les entourer, les uns leur disant qu'ils étaient des espions, d'autres qu'il fallait crier vive le Roi! quelques-uns qu'il fallait les tuer. Au milieu de ce tumulte, ils étaient fort interdits ; nous les prîmes sous le bras, et nous les conduisîmes à M. de Lescure, qui était sur son lit : il les interrogea. Le premier répondit gaîment qu'il s'appelait Cadet; qu'on l'avait mis dans la légion du Nord, et que voulant se battre pour le Roi, il désertait. Le second, d'un air embarrassé, dit qu'il avait émigré, et qu'il était sous-officier dans le régiment de la Châtre. Sa manière de s'expliquer donna de la défiance à M. de Lescure, qui recommanda de le surveiller. Bientôt après, il se distingua par son courage et son mérite ; et quand il fut estimé dans l'armée, il conta qu'il était gentilhomme d'Auvergne, qu'il s'appelait M. de Solilhac. Je ne conçois pas ce qui avait pu l'engager à se cacher d'abord ; depuis, il a toujours été un des plus braves officiers de la Vendée.
La présence de M. de Lescure amena à Amaillou un grand nombre de paysans; il pensa alors qu'il fallait s'avancer et occuper Parthenay. M. Girard de Beaurepaire, qui commandait une petite division attachée à l'armée de M. de Royrand, lui fit dire qu'il viendrait se réunir à lui, et qu'il lui amènerait cent cinquante cavaliers : c'était un secours fort utile, car M. de Lescure n'avait que quinze chevaux. Cette jonction se fit à Parthenay.
On s'attendait à être attaqué. M. de Baugé et le chevalier de Beaurepaire firent murer toutes les issues de la ville, hormis les portes de Thouars et de Saint-Maixent ; deux pièces de canon furent mises à cette dernière porte ; on plaça un poste avancé et des factionnaires. Il fut convenu que d'heure en heure il partirait une patrouille qui ferait une lieue, puis reviendrait, de façon qu'il y en aurait toujours une dehors. M. Girard de Beaurepaire fut chargé de veiller à l'exécution de toutes ces mesures de précaution, qui furent négligées : il alla se coucher, et la patrouille de minuit ne partit pas. L'avant-garde des républicains, commandée par le général Westermann, arriva jusqu'à la porte : le factionnaire fut égorgé et la batterie surprise. Un nommé Goujon, l'un des six dragons qui avaient déserté, se fit tuer en défendant, les pièces avec courage.
MM. de Lescure et de Baugé s'étaient jetés sur le même lit. M. de Baugé se leva sur-le-champ, et courut à la porte de St.-Maixent : il la trouva abandonnée ; les paysans étaient en pleine déroute ; il reçut une balle qui lui cassa la jambe, et se trouva au milieu des Bleus; la nuit était obscure : il ne fut pas reconnu, et tournant à droite, il se dirigea rapidement vers la rivière. Alors on vit bien que c'était un Vendéen, et on fit une décharge sur lui. Il fit sauter son cheval dans l'eau et mit à la nage ; une seconde décharge tua le cheval. Les Vendéens, qui étaient à l'autre bord, parvinrent cependant à retirer M. de Baugé.
M. de Lescure, que sa blessure faisait beaucoup souffrir, avait eu bien de la peine à s'habiller et à se sauver ; peu s'en fallut qu'il ne fût pris.
Le lendemain matin les républicains occupèrent la ville, où ils n'avaient pas osé s'avancer beaucoup pendant la nuit.
M. de Lescure n'avait pas voulu que je le suivisse à Parthenay ; j'étais retournée d'Amaillou à Clisson ; il m'envoya un cavalier pour me prévenir de ce qui se passait. Cet homme arriva au grand galop, la fayeur lui avait fait perdre la tête : il se croyait poursuivi, il frappa à ma porte, et me réveilla en criant « Madame, de la part de M. de Lescure, sauvez-vous ; nous avons été battus à Parthenay : sauvez-vous. » L'effroi me saisit ; c'est à peine si j'eus le sang-froid de demander s'il n'était rien arrivé à mon mari. Je m'habillai à la hâte, oubliant d'attacher mes robes, et je fis réveiller tout le monde ; je courrais dans la cour, tenant toujours ma robe ; je trouvai une troupe de faucheurs ; je leur dis d'aller se battre, et qu'il n'était pas temps de travailler ; je saisis par le bras un vieux maçon de quatre-vingts ans; je le priai de me conduire dans une métairie dont il me semblait que j'avais oublié le chemin; j'y traînai ce pauvre homme, qui pouvait à peine marcher pendant que je courais. On vint me donner quelques détails qui calmèrent un peu ma terreur panique. Je sus qu'après le premier moment, M. de Lescure s'était retiré paisiblement, et sans être ni poursuivi, ni inquiété. Je montai cependant à cheval, et je partis pour Châtillon; j'y arrivai à cinq heures du soir. Je fus toute surprise, en y entrant, de ce qu'on s'empressait autour de moi en s'écriant : La voilà! la Voilà! Le bruit s'était répandu que M. de Lescure et moi avions été pris à Parthenay : tout le monde était dans la consternation. J'allai rassurer le conseil supérieur, en racontant ce que je savais, puis je pris le chemin de la Boulaye. Je trouvai ma mère qui arrivait en voiture. Elle avait appris, par le bruit public, les fausses nouvelles qu'on répandait, et elle voulait se faire conduire à Niort pour périr avec moi sur i'échafaud. Nous fûmes bien heureuses de nous retrouver : elle ne pouvait s'en fier à ses yeux.
Cependant M. de Larochejaquelein voyait chaque jour diminuer sa garnison de Saumur ; rien ne pouvait retenir les paysans, car ils croyaient que tout était fini, qu'il n'y avait plus rien à craindre. L'un partait après l'autre, pour aller retrouver sa métairie et ses bœufs. M. de Larochejaquelein vit bien qu'avant peu il n'aurait pas un soldat, et il s'occupa à envoyer chaque jour dans le Bocage, la poudre, l'artillerie et les munitions de tout genre. Pour faire illusion aux habitants sur la faiblesse de la garnison, il parcourait chaque nuit la ville au galop avec quelques officiers, en criant vive le Roi ! En il se trouva, lui neuvième à Saumur. Trois mille républicains venaient d'occuper Chinon : il fallut quitter la ville. Il restait deux canons, il les emmena ; mais à Thouars, il fut obligé de les jeter dans la rivière. Il arriva à Amaillou le jour où M. de Lescure se retirait de Parthenay.
Cependant ces deux messieurs virent bien qu'ils n'avaient pas assez de monde pour défendre ce canton ; ils se retirèrent sur Châtillon pour y rassembler la grande armée. Le général Westermann, de son côté, avança avec dix mille hommes environ ; il entra à Parthenay : de là il vint à Amaillou sans éprouver de résistance ; il fit mettre le feu au village : c'est là le commencement des incendies des républicains. Westermann marcha ensuite sur Clisson ; il savait que c'était le château de M. de Lescure, et s'imaginant qu'il devait trouver une nombreuse garnison et éprouver une défense opiniâtre, il avança avec tout son monde, non sans de grandes précautions, pour attaquer ce château du chef de» brigands : il arriva vers neuf heures du soir. Quelques paysans, cachés dans le bois du jardin, tirèrent des coups de fusils, qui effrayèrent beaucoup les républicains ; mais ils saisirent quelques femmes, et surent qu'il n'y avait personne à Clisson, qui d'ailleurs n'était susceptible d'aucune défense. Alors Westermann entra, et écrivit de là une lettre triomphante à la Convention, en lui envoyant le testament et le portrait de M. de Lescure. Cette lettre fut mise dans les gazettes. Il ne voulut pas renoncer à ce qu'il avait imaginé d'avance, et il manda qu'après avoir traversé une multitude de ravins, de fossés, de chemins couverts, il était parvenu au repaire de ce monstre, vomi par l'enfer, et qu'il allait y mettre le feu. En effet, il fit apporter de la paille, et des fagots dans les chambres, les greniers, les écuries, la ferme, et prit toutes ses mesures pour que rien n'échappât à l'incendie.
M. de Lescure, qui avait bien prévu cet évènement, avait donné, longtemps auparavant, l'ordre de démeubler le château; mais, apprenant l'effroi que cette nouvelle avait répandu dans les environs, et que les habitants abandonnaient leurs métairies, il craignit l'effet que cette précaution produirait sur le pays, et ne fit rien enlever de Clisson ; ainsi le château fut brûlé avec les meubles et absolument tout ce qu'il renfermait ; des provisions énormes de blé et de foins ne furent pas même épargnées ; il en fut de même partout : les armées républicaines brûlaient nos magasins et écrasaient le pays par leurs réquisitions.
J'étais allée dîner à Châtillon, avec ces messieurs, le jour où l'on vint leur apprendre l'incendie de Clisson ; cela ne nous fit pas grand effet : il y avait longtemps que nous nous y attendions ; mais ce qui était important, c'était la marche de Westermann, qui s'était sur-le-champ avancé à Bressuire, et qui se dirigeait sur Châtillon[5]. »