Débat autour de l'identité moldaveLe débat autour de l'identité moldave se déroule en République de Moldavie entre d’une part les « roumanistes » (en roumain Româniști, en russe Румынисты) partisans d’une inclusion de leur identité dans l’identité roumaine, et qui sont dans leur quasi-totalité des autochtones roumanophones, et d’autre part les « moldavistes » (en roumain Moldoveniști, en russe Молдава́нисты) partisans d’une exclusion de leur identité de l’identité roumaine, et qui sont dans leur majorité des électeurs des partis communiste et socialiste, regroupant la quasi-totalité des colons slavophones (un quart de la population du pays) ainsi qu’environ un cinquième de la population autochtone[1],[2]. Aux termes de la déclaration d’indépendance de 1991 et de l’arrêt no 36 de la Cour constitutionnelle du 5 décembre 2013[3] la langue officielle du pays (langue maternelle de 77 % de la population) est dénommée « roumain » (limba română /'limba ro'mɨnə/) : c’est le nom utilisé par les pro-européens et aussi par le pays voisin, la Roumanie, dont la région contigüe est également appelée « Moldavie » et a aussi fait partie de l’ancienne principauté de Moldavie. Aux termes de l’article 13 de la Constitution[4] cette même langue ausbau, « moderne » ou « savante » est dénommée « moldave » (limba moldovenească /'limba moldoven'e̯ascə/) : c’est le nom utilisé par les minorités slavophones et les partis communiste et socialiste. Ces deux dénominations concernent la même langue romane orientale parlée en Moldavie et Roumanie par environ 24 millions de locuteurs, dont 3,5 millions en République de Moldavie. Deux courants coexistent parmi les « roumanistes » : une minorité (représentée par le parti libéral) milite pour l’union politique de la Moldavie et de la Roumanie (et, par là, pour l’intégration de la Moldavie dans l’Union européenne et l’OTAN, et pour sa sortie de la CEI), tandis que la majorité revendique seulement la reconnaissance de son identité roumaine dans les frontières de l’État indépendant actuel, et sans forcément sortir de la sphère d’influence russe[5], en modifiant la constitution de manière qu’elle offre à tous les groupes ethniques de Moldavie, sans discrimination, la liberté de se définir comme membres d’ensembles linguistiques et culturels dépassant le cadre du pays (ce qui est déjà le cas des Russes, Ukrainiens, Bulgares, Gagaouzes…, mais pas des autochtones roumanophones discriminés par leur « définition constitutionnelle » exposée plus bas)[6],[7]. Deux courants coexistent aussi parmi les « moldavistes » : une minorité (représentée par des mouvements comme „Grande Moldavie”[8], „Mouvement « Voïvode »” ou „Bouclier moldave”[9]), affirme que tous les Moldaves y compris ceux de la Moldavie roumaine (regiunea Moldova) sont des « non-Roumains » et que « leur langue est différente du roumain » tandis que la majorité affirme, comme à l’époque soviétique, que seuls les « Moldaves » de la République de Moldavie (Republica Moldova) sont des « non-Roumains »[10]. ![]() HistoireÉvolution sémantiqueLe terme moldave désigne en français tout ce qui appartient ou relève de la Moldavie en tant que principauté historique, en tant que région d'Europe, en tant que région de Roumanie et en tant qu'État indépendant. L'identité moldave a connu différentes étapes[11],[12] :
Le voit la création en URSS de la République socialiste soviétique autonome moldave, en Podolie, sur la rive est du Dniestr, au sein de la République socialiste soviétique d'Ukraine (la Bessarabie étant alors roumaine). Dans cette République socialiste soviétique autonome moldave, deux lignes politiques ont été appliquées à tour de rôle : Grigore Kotovski, l'un des fondateurs de cette République, soutenait qu'elle devait propager le communisme en Roumanie voisine, et que l'identité de sa population moldave devait être reconnue comme roumaine : jusqu'en 1938, les écoles enseignèrent en roumain écrit en caractères latins, l'accent étant mis sur l'idéologie, et la Roumanie voisine étant présentée comme une « mère-patrie gémissant sous le joug de la monarchie, des bourgeois et des boyards ». Mais Gueorgui Tchitcherine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, était d'un autre avis. Il estimait que cette politique favorisait « l'expansion d'un chauvinisme roumain » et qu'il fallait l'abandonner. C'est lui le véritable initiateur soviétique du « moldavisme », en suggérant de définir les Moldaves comme une ethnie « différente des Roumains, de langue romane différente, issue du mélange des Volokhs avec les slaves Oulitches et Tivertses ayant formé les Volochovènes, ancêtres des Moldaves mi-slaves, mi-romans, vivant principalement en République socialiste soviétique autonome moldave, où ils sont libres, et en Bessarabie, sous le joug roumain, où ils attendent leur libération de l'URSS ». Cela permettait de justifier les revendications territoriales soviétiques sur la Bessarabie. Tchitchérine, contrairement à Kotovski, soutenait en effet la position de Staline : celle de la « construction du socialisme d'abord dans un seul pays » : l'URSS. La « ligne Tchitcherine » finit par être adoptée le . Un « alphabet moldave » écrit en caractères cyrilliques russes fut adopté, et toute mention de la Roumanie autrement que comme une « puissance impérialiste occupant indûment un territoire soviétique » (la Bessarabie) fut dès lors assimilée à une trahison (punissable de la peine de mort)[14]. Ainsi apparaissent dans la RASS de Moldavie « une langue et une littérature nouvelle », langue que la plupart des habitants ne savait ni lire ni écrire : le « moldave ». Première étape de rapprochement des langues (donc des populations) « moldave » et russe, cette nouvelle langue est définie comme « romane, mais différente du roumain », considéré comme un élément dangereux par le pouvoir soviétique (la Roumanie était une démocratie parlementaire entre 1921 à 1938). Dans cette nouvelle langue, l'intention russificatrice des autorités de Moscou se manifeste clairement par la substitution de très nombreux mots russes aux mots roumains/moldaves (par exemple mălină au lieu de zmeură pour une framboise, ou bien văgzal au lieu de gară pour une gare de chemin de fer), par le choix systématique des mots d'origine slave au détriment des mots équivalents d'origine romane existant dans la langue usuelle (par exemple duh au lieu de suflet pour l'esprit), par l'interdiction de l'alphabet latin en 1938 (alors que depuis 1859 le roumain s'écrivait en caractères latins y compris en URSS) et par l'adoption du cyrillique russe (alors qu'avant 1859, le roumain s'écrivait en caractères gréco-slavons différents du cyrillique russe, en Bessarabie comme ailleurs). À l'époque soviétique, statistiques et cartes ethnographiques ont fait une distinction entre les communautés roumanophones du nord de la Bucovine (région détachée de la Moldavie en 1775 par l'Autriche), comptées en tant que румыны (roumaines), et celles de Bessarabie (région détachée de la Moldavie en 1812 par la Russie), comptées en tant que Молдаване ("Moldaves"). Cette distinction vise à renforcer la thèse soviétique selon laquelle il existe une nationalité moldave distincte de la nationalité roumaine, y compris en URSS. En août 1940, lors de l'annexion de la Bessarabie par l'URSS, en application du Pacte germano-soviétique, la RASSM est érigée en République « unionale » à égalité avec l'Ukraine, mais la nouvelle République, officiellement créée « pour » les roumanophones d'URSS, se révèle en pratique être dirigée « contre » eux, et c'est pourquoi lors de la « perestroïka » de Gorbatchev, les autochtones revendiqueront en masse leur rattachement à la Roumanie et c'est un unioniste, Mircea Druc, qui est élu président du Conseil des ministres de la République socialiste soviétique moldave (-). De 1989 à 1991, le retour à l'alphabet latin, l'adoption du drapeau, d'un hymne et d'un nom de monnaie roumains semble sonner le glas du « moldavisme », mais ensuite, les russophones et les ex-communistes se ressaisissent, réalisent que la Moldavie restera dans l'orbite géopolitique de la Russie et, après la cuisante défaite moldave dans la guerre du Dniestr, refondent le un puissant Parti communiste. Le président moldave Mircea Snegur (agrarien) développe alors la doctrine « un seul peuple, deux États » pour affirmer l'indépendance de la Moldavie sans nier l'identité roumaine de ses autochtones (pas plus que l'identité russe de ses russophones, etc.) mais les communistes et russophones le combattent âprement et parviennent, lors des élections législatives de 1994, à réintroduire de « moldavisme » dans la législation, lorsque la langue roumaine fut de nouveau officiellement définie comme « moldave », comme à l'époque soviétique[15]. AccalmiesLa controverse identitaire en Moldavie orientale a connu trois périodes d'accalmie[16] :
RepriseAprès la reconstitution des mouvements communistes et la reconnaissance internationale de facto d’une zone d’influence exclusive de la Russie sur 12 des 15 anciennes républiques unionales soviétiques[18] (dont la République de Moldavie), le « moldavisme » y a ressurgi, dégradant les relations avec la Roumanie et redevenant officiel le . Depuis, les autochtones qui se déclarent « moldaves » sont officiellement des « citoyens titulaires » (cetăţeni titulari), mais n’ont légalement plus le droit de se définir comme membres d’un peuple et d’une culture roumaine dépassant les frontières de la Moldavie, tandis que ceux qui se déclarent « roumains » le peuvent, mais sont officiellement considérés comme une « minorité nationale » dans leur propre pays[19] et sont accusés par les pro-russes d’être des « vecteurs de l’impérialisme roumain »[20]. Évolution juridiqueLes controverses juridiques ne concernaient que la majorité autochtone, et non les minorités. C’est la majorité autochtone et elle seule qui était définie comme « moldave » par l’article 13 de la Constitution[21] rédigé en 1994 dans le contexte du retour de l'influence russe après sa victoire dans la guerre du Dniestr de 1992[22]. En revanche, les autres langues (minoritaires) également officielles localement, peuvent librement être dites respectivement russe, ukrainienne, bulgare ou gagaouze, sans qu’il soit fait référence à d’éventuels impérialismes russe, ukrainien, bulgare ou turc. Il est également précisé dans plusieurs décrets que le « moldave » est historiquement antérieur au roumain, puisque la Moldavie a existé comme Principauté (depuis 1359) bien avant la naissance de la Roumanie (1859)[23]. Cette définition officielle de l’identité moldave réservait donc le nom de « Moldaves » aux seuls roumanophones, tout en niant leur roumanophonie (puisque le moldave est défini comme « langue différente du roumain ») : elle se réfère ainsi clairement au « droit du sang ». Si la législation moldave suivait le « droit du sol », tous les habitants du pays seraient également des « Moldaves » quelles que soient leurs langues, et le « roumain » serait la langue de 70 % d’entre eux, à côté du russe, de l’ukrainien, du gagaouze et du bulgare… sur le modèle suisse où tous les habitants du pays sont également des « Suisses » quelles que soient leurs langues, l'« allemand » (et non le « suisse ») étant la langue de 70 % d'entre eux, à côté du français, de l’italien, du romanche[24]. Jusqu’en 2013 et notamment durant la gouvernance communiste (2001-2009), plusieurs décrets[23] précisèrent que l’identité « Moldave » (naționalitatea moldovenească) excluait l’identité « roumaine » (naționalitatea română) : les enseignants de cette langue qui osaient la qualifier de « roumaine » et revendiquer l’égalité avec les Russes ou les Ukrainiens, soit la liberté de se définir comme membres d’une culture dépassant les frontières de l’État et également présente à l’étranger (dans leur cas, en Roumanie), étaient qualifiés par le gouvernement Voronine de partisans de l’impérialisme roumain et de ses agents (décrits comme des ennemis de la nation)[25], ce qui a généré de nombreuses manifestations de protestation du corps enseignant. En référence à l’article 13 de Constitution[21], quelques-uns ont été poursuivis et parfois sanctionnés, mais leurs avocats, arguant du fait que dans la Déclaration d’indépendance de 1991, antérieure à la Constitution actuelle, la langue du pays est définie comme roumaine, ont fait appel auprès de la Cour constitutionnelle qui, par son arrêt no 36 du [26] a annulé les sanctions en admettant officiellement que le moldave est du roumain, et que les deux mots sont interchangeables, sans pour autant contester la dénomination officielle de la langue et des habitants d’origine autochtone, telles qu’elles figurent dans l’article 13 de la Constitution. Ainsi, le « roumanisme » était implicitement reconnu, même si le « moldavisme » demeurait constitutionnel : le pays est donc revenu à la situation du lorsque le Soviet suprême de la Moldavie soviétique reconnut officiellement que « moldave » et « roumain » sont « deux langues identiques »... Si ce compromis devait être remis en cause, le parti communiste, qui a 45 % de sièges au parlement, a menacé le gouvernement d’une grève générale ; la région autonome Gagaouze et l’État séparatiste de Transnistrie ont évoqué leur rattachement à la Nouvelle-Russie[27], le mouvement russe des Nachi a évoqué un blocage informatique du pays[28] et le millionnaire moldo-russe Renato Usatyi (ru), chef du parti pro-russe RPP (en), a déclaré vouloir construire une nouvelle muraille de Chine entre la Moldavie et la Roumanie[29]. Jusqu'en 2023, l'article 13 de la Constitution, inspiré du « droit du sang », créait une double discrimination linguistique[30] :
Conformément à cet article 13, les roumanophones pouvaient au choix se déclarer « Moldaves » ou « Roumains » aux recensements, mais un « Moldave » pouvait déclarer le « roumain » comme langue maternelle. Au recensement de 2014, parmi les roumanophones (78 % de la population), seuls 3 % ont osé se déclarer « Roumains », les autres jugeant moins risqué de se déclarer « Moldaves » ; toutefois 22 % de ces derniers ont déclaré le roumain comme langue maternelle[31]. Proposée par le Parti action et solidarité majoritaire depuis les élections législatives moldaves de 2021, la loi no 52 modifiant l'article 13 de la Constitution[32] a été adoptée le 16 mars 2023 dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie et de la procédure d'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne. Cette loi actualise une solution déjà préconisée en 2014 par Günter Verheugen, représentant de l'Union européenne[33]: aligner la législation moldave sur le droit international, pour que tous les citoyens du pays soient également des « Moldaves » quelles que soient leurs langues et origines. À l'exemple des modèles belge ou suisse où tous les citoyens du pays sont également des « Belges » ou des « Suisses » selon le droit du sol quelles que soient leurs langues ou origines selon de droit du sang, cette nouvelle loi moldave abolit toute discrimination entre les citoyens de la Moldavie, désormais tous Moldaves, que leur langue usuelle soit roumaine (cas de 78 % d'entre eux), russe, ukrainienne, gagaouze ou bulgare[34] Cette loi vise à mettre fin aux tensions politiques générées par la double définition, linguistique et soviétique, de la langue majoritaire, et dans l'idéal, à la « controverse autour de l'identité moldave » elle-même mais, comme en 2014, l'opposition pro-russe (bloc électoral des communistes et socialistes, parti Șor) a voté contre et, comme la Transnistrie, ne reconnaît pas la validité de cette loi qui devrait néanmoins favoriser une nouvelle accalmie[34],[35]. Références historiques et idéologiques![]() Même s’ils ne sont pas tous hostiles à un partenariat avec l’Union européenne (du moins sur le plan économique), les « moldavistes » se réfèrent explicitement au modèle soviétique et à ses définitions ethniques : Vladimir Voronine, chef du parti communiste et président du pays de 2001 à 2009, et Igor Dodon, président de la Moldavie élu en novembre 2016, sont leurs chefs de file politiques et considèrent les « roumanistes » comme « des fascistes ». Héritiers du passé soviétique, les « moldavistes » craignent le modèle roumain et occidental, et affirment que même si les Moldaves sont linguistiquement proches des Roumains, on ne peut pas effacer le fait que la Moldavie a fait partie d'une communauté soviétique constituant elle-même « un univers entier » (Vladimir Voronine)[36]. Les « moldavistes » réclament que le russe (déjà « langue de communication inter-ethnique » légalement) devienne aussi langue d’État à côté du « moldave », et un changement du drapeau national, jugé trop proche de celui de la Roumanie, au profit d’un drapeau aux deux couleurs horizontales rouge en haut, bleu en bas, avec les armoiries jaunes au centre, proche de celui du gouvernement communiste sud-viêtnamien victorieux en 1975[37]. Parmi les « moldavistes », deux idéologies s'affrontent :
Les « moldavistes » sont tous en accord pour réclamer un « bilinguisme moldave-russe » officiel à tous les échelons étatiques et territoriaux, pour que le statut « langue de communication inter-ethnique » reste dévolu au russe, et pour donner au terme « moldave » le sens ethnique hérité de l'Union soviétique, qui en fait une nation différente des Roumains. Parmi les « roumanistes » aussi, deux idéologies s'affrontent :
Les « roumanistes » sont tous en accord pour réclamer que le roumain, langue d’État, devienne aussi la « langue de communication inter-ethnique » (rôle actuellement dévolu au russe), et pour donner au terme « moldave » le sens de l’identité régionale de la Moldavie en tant que région géographique et historique transnationale. Si les partis communiste et socialiste (environ la moitié des sièges au Parlement) ont toujours été et demeurent fermement les pivots du « moldavisme », le parti chrétien-démocrate, jadis pivot du « roumanisme » avec le libéral, a infléchi ses positions en 2005-2006, à la suite de la visite en Moldavie du commissaire européen Günter Verheugen, passant de l’unionisme, jugé depuis lors « facteur de tensions entre l'UE et la Russie », à la doctrine « un peuple, deux pays » et au modèle « suisse »[41]. EnjeuxL'identité historique moldave est compatible tant avec l'identité roumaine (dans laquelle elle est incluse) qu'avec le droit du sol (selon lequel tout habitant de la Moldavie est un moldave quelles que soient ses origines, sa culture, sa langue). L'identité moldave soviétique et post-soviétique, en revanche, n'est compatible ni avec le droit du sol, ni avec l'identité roumaine. Elle relève clairement du droit du sang, car selon cette définition, seuls les autochtones de la Moldavie sont des « moldaves », et cette « moldavité » les exclut des Roumains. De cette incompatibilité découle la controverse identitaire, dont le résultat sur le terrain est qu'à l’ouest du Prut (en Moldavie occidentale, roumaine et incluse dans l'Union européenne soit 43 % de la Moldavie historique, et où les Moldaves sont 98 % de la population) peuvent être la fois Moldaves et Roumains, tandis qu'à l'est du Prut (en Moldavie et en Ukraine, soit 57 % de la Moldavie historique, où les Moldaves sont 63 % de la population) ils doivent choisir entre être Moldaves ou Roumains (plus de 90 % choisissent la première solution, qui a les faveurs des autorités)[42]. Enjeux linguistiquesSi des arguments historiques et ethnologiques sont parfois invoqués dans cette controverse essentiellement politique, c’est le champ linguistique qui est l’enjeu principal de l'argumentation des deux « écoles », « roumaniste » et « moldaviste ». Sur le plan scientifique, leur opposition empêche l’émergence de recherches indépendantes et embrigade toutes les études dans des démonstrations opposées dont l'enjeu est la reconnaissance ou non :
Du point de vue strictement linguistique, le roumain et le moldave sont une seule et même langue : le daco-roumain, langue abstand en termes de sociolinguistique, c’est-à-dire langue dont les dialectes passés ou actuels présentent assez de traits structurels communs scientifiquement établis, pour constituer une langue unitaire dont tous les locuteurs natifs se comprennent spontanément et intégralement. Le cas du daco-roumain comme langue recevant des dénominations différentes (voire des alphabets différents) dans des États différents pour des raisons politiques, n’est pas unique : voir Bosnien-Croate-Monténégrin-Serbe ou Hindi-Ourdou. AlphabetLa principauté de Moldavie, comme celle de Valachie et comme les roumanophones transylvains utilisaient initialement l’alphabet cyrillique gréco-slavon[44]. La plupart des lettrés et des journaux de Bessarabie sont passés progressivement à l’alphabet latin dans le courant du XXe siècle, comme ceux de Transylvanie, de Bucovine et de Valachie: ce mouvement était corrélatif du développement du sentiment national roumain dans ces pays. Lors de la première déclaration d'indépendance en 1917, le "Sfatul Ţării" de la République démocratique de Moldavie adopta officiellement l'alphabet latin que le Royaume de Roumanie maintint (et que la République socialiste soviétique autonome moldave d'Ukraine, créée en 1924, utilisa jusqu'en 1938). En 1938, les Soviétiques décident de revenir à l'alphabet cyrillique dans la RSSA moldave, et en 1940 ils l'étendent à toute la République socialiste soviétique moldave. L'intention officiellement déclarée est alors de revenir aux racines du peuple moldave, d'avant l'occupation impérialiste roumaine. Pourtant, l'alphabet cyrillique adopté n'est pas l'ancien alphabet gréco-slavon[45] de la Principauté de Moldavie, mais l'alphabet russe, légèrement adapté. Et la langue de communication inter-ethnique n'est pas le moldave, mais le russe, ce qui fait qu'en pratique, tous les Moldaves sont obligés de connaître le russe, alors que les non-Moldaves peuvent très bien ignorer la langue du pays. En 1989, le Soviet suprême de la RSS de Moldavie de celle-ci proclame le roumain « langue de communication inter-ethnique » et décide de revenir à l'alphabet latin, mais la mesure n'est pas appliquée dans les « rayons » de la rive gauche du Dniestr ("Transnistrie"). Depuis l'indépendance (août 1991) la situation inaugurée en 1989 perdure : la langue d'État (officiellement appelée "roumain" de 1991 à 1994) est écrite en caractères latins sur la rive droite du Dniestr, et en caractères cyrilliques russes sur la rive gauche. Depuis 2004, le russe est à nouveau la seule « langue de communication inter-ethnique », ce qui fait qu'en pratique, un tiers des citoyens moldaves sont officiellement dispensés de connaître la langue d'État. Noms des lieuxLa toponymie moldave avait été progressivement russifiée aux époques russe et soviétique[46] : Chișinău (rendu par « Quichinaou » ou par « Kichenaou » sur les cartes d'état-major napoléoniennes d'avant l'annexion russe) est devenue Кишинев (Kichinev ou Kichiniov), Orhei est devenue Оргэев (Orgeev ou Orgueïov) et ainsi de suite. Lorsque l'autorité russe ou soviétique avait à choisir entre un nom moldave et un nom turc, ukrainien ou autre, elle choisit le second : Akkerman, Bender, Bolgrad, Ismail ou Kagul plutôt que Cetatea Albă, Tighina, Palada, Obluciţa ou Frumoasa. À l'époque soviétique, même des noms de villages ont été russifiés : Ciubărciu est devenu Чобручь (Cioburciu), Ediniţa : Единець (Edineţ), Codăeşti et Jibrieni : Приморске (Primorske), Gălileşti : Десантне (Desantne), Zoreni : Староселье (Staroselje). En outre, sur le plan étymologique, pour occulter tout lien avec la Moldavie historique, l'historiographie soviétique a systématiquement attribué des origines tatares aux toponymes, fussent-elles difficilement soutenables et sans sources[47]. C'est le cas par exemple de Dubăsari, Chișinău ou Orhei, signifiant respectivement "coracliers" en roumain (un coracle est un bac rond manœuvré à la rame), Kis-Jenö "le petit côté" et Vàrhély "la citadelle" en hongrois (il y avait ici des garnisons de mercenaires sicules transylvains postés par les voïvodes moldaves pour précisément empêcher les raids des Tatars). La version soviétique officielle (toujours en vigueur en Russie et Ukraine, et de ce fait dans de nombreux articles en anglais et allemand) est que ces trois toponymes auraient des origines composites principalement tatares, respectivement de Dîmbu-Sarî (du tatar Sarî, "jaune", avec le roumain Dîmb, "colline" devant), de Kîşla-Nouă (du tatar Kychla, "hivernage", avec l'adjectif roumain Nouă, "nouvelle") et de Yanği-Şer (du tatar Yanği, "nouvelle" et de l'arabe Shehr, "ville" - cette version allant de pair avec la version fantaisiste qui figure dans certaines éditions de l'Encyclopédie soviétique, selon laquelle nom de « Bessarabie » signifierait "région désarabisée" par l'Empire russe, version sans aucune source et sans fondement historique, puisqu'il n'y a jamais eu d'Arabes dans la région, mais qui occultait, pour le lecteur profane, l'origine roumaine du nom de « Bessarabie »)[48]. Après 1989, le professeur Anatol Eremia de l'Académie des Sciences de Moldavie et son équipe de géographes, d'historiens, de philologues et de cartographes se sont attelés à la tâche de "restauration toponymique", mais lors du changement constitutionnel de 1994, le processus est interrompu et la toponymie officielle de la République de Moldavie officialise les noms de lieux hérités des époques russe et soviétique (Edineţ et Bender plutôt qu'Ediniţa et Tighina, mais aussi les nombreux villages rebaptisés par exemple Krasnoarméïsk, Oktiabrskoe ou Pervomaïsk soit « de l'Armée rouge », « d'Octobre » ou « du 1-er mai »)[49]. Nom de la majorité autochtoneLes moldavistes, comme Ernest Gellner qui écrit que « ce sont les États qui créent les nations », affirment que seule la notion de Moldave est historique, que l'introduction de l'identité roumaine en Bessarabie par quelques intellectuels citadins et anti-russes du XIXe siècle est artificielle et n'exprime que l'« impérialisme roumain ». Les roumanistes pour leur part, soulignent que les premiers témoignages de l'utilisation de l'ethnonyme “Romain”, “Roman” ou “Romée” par les roumanophones, pour se désigner eux-mêmes, est attestée dès le XVIe siècle. Ainsi Francesco della Valle en 1532 et Tranquillo Andronico en 1534, traversant la Transylvanie et la Moldavie, attestent que les Roumains (Valachi) « s’appellent eux-mêmes Romains »[50]. En 1542, le saxon transylvain Johann Lebel note que les Valaques se désignent eux-mêmes sous le nom de Romuini[51] alors que le chroniqueur polonais Orichovius (Stanisław Orzechowski) observe en 1554 qu’« en leur langue les Moldaves s’appellent Romini »[52]. L'Italien Ferrante Capeci écrit vers 1575 écrit que les habitants de ces Principautés « s’appellent eux-mêmes Roumains (Romanesci) »[53] tandis que Pierre Lescalopier remarque en 1574 que « Dans tous ces pays de Wallachie et Moldavie et la plupart de la Transilvanie… ceux du pays se disent vrais successeurs des Romains et nomment leur parler “romanechte”, c'est-à-dire romain… »[54]. Le dalmate Antonio Veranzio remarque vers 1570 que les roumanophones vivant en Transylvanie, Moldavie et Valachie « se nomment eux-mêmes “Romanos” »[55]. Les « roumanistes » soulignent aussi que les anciens chroniqueurs moldaves, tels Grigore Ureche, utilisaient en parallèle le terme Moldave (pour les habitants de la Moldavie) et Roumain (pour ceux de ce pays, de la Valachie et de la Transylvanie)[56], et qu'en russe, l'ancien nom des Moldaves, Молдавянинь (Moldavianiny) avait un sens initialement géographique et historique comme le roumain moldoveni, l'allemand Moldauer ou l'anglais Moldavian. Les « moldavistes » rétorquent à cela qu'au Moyen Âge, la dénomination ethno-linguistique rumân/român signifiait surtout « roturier » et « serf », de même que la dénomination valaque signifiait aussi « berger ». Pour eux, ces termes n'ont donc pas de sens ethno-linguistique, celui-ci n'étant apparu que tardivement, au XIXe siècle, et ils utilisent systématiquement pour désigner les habitants de la Moldavie médiévale le terme russe moderne, apparu au XIXe siècle, de Молдаване (Moldavane), qu'ils traduisent par Moldawier en allemand et par Moldovans en anglais, conformément au sens ethnique et politique défini par l'ethnographie soviétique[57], selon lequel l'identité des Moldaves, définie seulement à partir du rattachement de la Bessarabie à la Russie en 1812, est une « construction imaginaire »[58] basée sur « des traits historiques propres qui la distinguent de ses voisins même s'ils parlent plus ou moins la même langue et même si leurs origines sont communes »[59]. Ainsi, les mêmes sources historiques, interprétées dans un sens ou dans l'autre selon l'alternative canard-lapin, sont utilisées dans la controverse identitaire moderne, au grand dam des historiens, tels Nicolae Chetraru, Anatol Eremia ou Anatol Petrencu, qui auraient aimé pouvoir, après l'indépendance de 1991, faire des recherches indépendantes des considérations politiques actuelles. Nom et symboles du paysLors de la première indépendance de la république de Moldavie, le , le Sfatul Ţării choisit le nom de "Moldavie" plutôt que "Bessarabie", parce que "Bessarabie" (qui ne désignait avant 1812 que l'actuel "Boudjak") avait été donné en 1812 par les Russes, et parce que les députés voulaient souligner l'identité entre la Moldavie russe et la Moldavie roumaine[60]. Mais paradoxalement, après l'union moldo-roumaine du , la Roumanie choisit d'utiliser le nom de Bessarabie pour ce qui devint alors une nouvelle province du royaume. Pour l'administration roumaine, c'était plus commode de distinguer ainsi ce pays de la Moldavie occidentale, appelée « Moldavie » tout court. Du coup, ce sont les Soviétiques qui, le , utiliseront le nom de « Moldavie » pour la région autonome qu'ils créent alors en… Ukraine, sur la rive podolienne du Dniestr, dans le but de reprendre à leur compte l'identité moldave… pour mieux l'opposer à l'identité roumaine[61]. Lors de l'érection de la RSS de Moldavie en république fédérée soviétique en août 1940, sur un territoire incluant désormais 60 % de la "Bessarabie" prise à la Roumanie, le nom de Moldavie est maintenu (traduit en anglais par Moldavian SSR et en allemand par Moldauischer SSR). Lors de la seconde indépendance, en août 1991, le nom de « Moldavie » n'est pas remis en question, mais il est utilisé contradictoirement par les « roumanistes » et les « moldavistes ». Les premiers s'en servent, comme le Sfatul Ţării jadis, pour souligner l'identité entre la république de Moldavie et la Moldavie roumaine ; au contraire, les « moldavistes » essaient de différencier le nom de la Moldavie indépendante, de celui de la Moldavie historique. Alors que les « roumanistes » utilisent en anglais, français et allemand les noms historiques de "Moldavia", "Moldavie" et "Republik Moldau"[62], les « moldavistes » parviennent à accréditer à l'ONU, en anglais et dans les langues latines, le néologisme "Moldova" (forme pourtant roumaine du nom) par opposition à la forme historique Moldavia, Moldavie[63] ; et en allemand, le néologisme "Moldawien" par opposition à la forme historique Moldau. L'effacement du nom historique s'accompagne, comme à l'époque soviétique, de distorsions et d'occultations de l'histoire moldave : la tendance est de séparer (notamment dans les livres scolaires d'histoire) le territoire de l'actuelle république du reste de l'ancienne principauté (l'actuelle région roumaine de Moldavie), en affirmant que ce territoire n'a pas été partie intégrante de la Moldavie historique, mais successivement de la Rus' de Kiev, de la Lituanie, puis de l'Empire ottoman[64]. Le sort de l'un des deux symboles emblématiques de la controverse : la statue de la louve romaine de Chișinău, située devant le Musée d'Archéologie et d'Histoire, est révélateur de cette lutte culturelle : bien que personne ne conteste la romanité de la langue locale, cette statue a été vandalisée à de nombreuses reprises par les « moldavistes » (parfois légèrement : tags, excréments, mélasse, purin, goudron, lisier, jets de couleurs acryliques... mais parfois sévèrement : mise en pièces) et elle a été à chaque fois réparée ou réinstallée à grands frais et en grande cérémonie par les « roumanistes »[65]. L'autre symbole emblématique est le drapeau du pays, adopté lors de l'indépendance en 1991 et que le président Igor Dodon élu en 2016 juge trop proche du drapeau roumain et souhaite remplacer par un nouveau drapeau[66],[67]. Les humoristes moldaves, tels Valentin Stratan, ont fait de ces controverses un prétexte à rire : « -Comment s’appelle notre langue ? » demandent-ils. « - Notre langue ! » répondent-ils, par allusion à l’hymne national (dont c’est le titre). Clivage religieuxSi 98 % des habitants de la Moldavie sont orthodoxes, cette confession n'est pas non plus épargnée par la controverse, les « roumanistes » étant, lorsqu'ils le peuvent, affiliés à l'église roumaine de Moldavie dépendant du Patriarcat de Bucarest, tandis que les « moldavistes » préfèrent l'église russe de Moldavie dépendant du Patriarcat de Moscou et de toute la Russie (mais dont les liturgies utilisent aussi le roumain là où les fidèles le demandent). Dans la pratique, les deux églises se partagent les fidèles, les paroisses et le territoire (dans certains quartiers et villages, on trouve ainsi deux églises) ; jusqu'en 2002, chacune revendiqua seule la légitimité canonique, les « roumanistes » arguant de l'obédience historique jusqu'en 1836 aux Métropoles de Suceava puis de Iași, et de 1918 à 1944 au Patriarcat de Roumanie, les « moldavistes » arguant de l'obédience au Patriarcat de Moscou de 1836 à 1918 et depuis 1944. Depuis 2002, après une décision de la Cour européenne des droits de l'homme, les deux obédiences coexistent[68]. Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, on observe une multiplication des paroisses passant de l'obédience russe à celle de Bucarest[69]. Clivage politiqueSur le plan politique les enjeux sont un héritage de l'histoire soviétique. ![]() ![]() ![]() Politique intérieureSur le plan politique intérieur, la controverse identitaire exprime les tensions de la société moldave qui peine à trouver des compromis satisfaisants entre les courants qui la traversent. Entre 1994 et la loi no 52 du 16 mars 2023[32], l’article 13 de la Constitution suscitait des discriminations légales et des confusions sémantiques en raison de la divergence entre les définitions scientifiques de l'ethnologie et de la linguistique, et celles de la sphère politique, concernant le terme « Moldave » :
Sur le plan politique intérieur, la controverse et la lutte politique entre « moldavistes » et « roumanistes » entretenait une instabilité constitutionnelle et législative (la Constitution, de nombreuses lois, l’hymne de l’État, l’organisation territoriale, les uniformes, les institutions, ont subi de nombreux changements depuis l’indépendance) ce qui peut décourager des investisseurs (le PIB de la Moldavie a longtemps été inférieur à celui du Bangladesh et reste le plus bas d’Europe ; 34 % de la population active est expatriée). Sa fédéralisation voulue par les pro-russes n’est pas une association à égalité entre unités territoriales aux mêmes droits, mais une discrimination juridique et économique au profit de deux d’entre elles, qui, échappant à l’autorité du gouvernement moldave, ont constitué des zones de non-droit ouvertes à divers trafics (capitaux illicites, armes, tabac, stupéfiants, prostitution, sang, organes). Cela biaisait les relations de la Moldavie avec les pays voisins, car pour mobiliser ses électeurs, chaque parti politique se sert de ses relations privilégiées avec l’un des pays voisins et dénonce les relations privilégiées des partis adverses avec d’autres pays[70]. Politique internationaleLors de sa déclaration d'indépendance, la Moldavie a condamné l'annexion soviétique de 1940 et ses conséquences, affirmant qu'elle ne reposait sur aucune base légale[71], mais le Traité de Paris de 1947 constitue une reconnaissance internationale des pertes territoriales roumaines de l'été 1940, auxquelles se sont ajoutés en 1948 encore 3,2 km2 d'îles (sur le bras danubien frontalier de Chilia et en mer Noire) dont la perte n'a été reconnue qu'un demi-siècle plus tard par le traité frontalier roumano-ukrainien de Constanza, signé le . Au total la Roumanie a donc perdu 50,138 km2 au profit de l'URSS entre 1940 et 1948. Les conséquences territoriales de l'occupation soviétique de la Bessarabie et de la Bucovine du Nord ont ainsi été admises par la communauté internationale, Roumanie incluse, contrairement à celles de l'occupation des États baltes eux aussi envahis conformément au protocole secret du pacte Hitler-Staline, mais dont ni les États-Unis[72], ni le Parlement européen[73],[74],[75], ni la CEDH, ni le Conseil des droits de l'homme de l'ONU[76] n'ont reconnu l'incorporation parmi les 15 Républiques socialistes soviétiques ; de plus, la plupart des pays non-communistes membres de l'ONU ont continué à reconnaître de jure l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie[77],[78],[79] qui, après la dislocation de l'URSS fin 1991, ont été les trois seules anciennes républiques soviétiques à pouvoir quitter la sphère d'influence de la Russie, à n'intégrer ni la CEI-Eurasec, ni l'OCCA, ni l'OTSC, et à rejoindre l'OTAN et l'Union européenne[80]. La reconnaissance internationale des pertes territoriales roumaines a empêché le mouvement unioniste de parvenir à ses fins (l'union entre Moldavie et Roumanie) et laissé le champ libre aux pressions géopolitiques de la Russie à travers le séparatisme pro-russe en Transnistrie et à travers les positions du parti communiste de Moldavie (reconstitué dès 1993, et qui remporte entre un tiers et la moitié des députés au parlement selon les élections), parti qui exprime l'opposition des descendants des colons soviétiques (un tiers de la population) à tout rapprochement avec la Roumanie en particulier et avec l'occident en général[81] Sur le plan politique international, depuis les élections de 1994, la controverse détériore les relations entre la Roumanie et la République de Moldavie sans pour autant améliorer celles de la Moldavie avec la Russie ou l’Ukraine, et surtout, sans permettre de réaliser les espérances du gouvernement actuel, à savoir d’établir la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire et notamment en Transnistrie. Depuis que la frontière de l'Union européenne s’est établie sur le Prut, en 2007, la question linguistique grève les relations de la Moldavie avec l’Union européenne, dont la Roumanie fait partie et qui ne reconnaît pas la langue moldave, car la Roumanie refuse de ratifier tout document déniant la « roumanité » des autochtones de la République de Moldavie. Or, dans les pays slaves de l’ex-URSS (et à leur suite, chez beaucoup d’auteurs anglo-saxons et allemands), les habitants roumanophones de la République de Moldavie et d’Ukraine sont comptés comme "Moldaves", ce qui correspond à la position des « moldavistes ». En revanche, concernant la diaspora des citoyens moldaves à travers le monde, ceux-ci sont comptés comme "Moldaves" toutes langues confondues, conformément aux sources du Ministère moldave des affaires étrangères et au droit international ; mais les Moldaves de Roumanie, eux, sont exclus de ce décompte puisque les autorités roumaines les comptent comme Roumains. Ainsi, dans l’approche exclusivement politique et statistique de ces pays et de ces auteurs, le sens du mot Moldaves (russe : Молдаване, anglais : Moldovans) devient confus pour deux raisons :
Il y a donc, au sein même de l’Union européenne, dont la Roumanie fait partie, des divergences directement issues de la controverse identitaire, dans l’acception des notions de « Moldaves » et de « Roumains », au point qu’en 2007, le Comité des ministres de l’Union européenne a été pris à témoin et sollicité pour en juger. En effet, le , les députés communistes moldaves Irina Vlah et Grigori Petrenko ont été élus, lors du IIe congrès du Parti de la gauche européenne, à Prague, membres du bureau exécutif de ce parti (à dominante communiste). Le , à l'occasion de l'Examen périodique universel au palais des Nations, la délégation moldave, en majorité « moldaviste », a demandé que l'on utilise en français République de Moldova[82], au dépit des « roumanistes » qui tiennent à ce que le mot Moldavie désigne toutes les entités situées sur le territoire de l'ancienne Principauté de Moldavie ; en France, à la suite des efforts d'Anca Dumitrescu, le gouvernement, par la circulaire Juppé, ainsi que le code ISO 639, ont consenti, conformément aux vœux des « moldavistes », à adopter le néologisme Moldova[83], suivis en cela par une partie des médias[84], tandis que l'Académie française s'y refuse et emploie toujours le mot français Moldavie, conformément aux vœux des « roumanistes ». Le , James Pettit, ambassadeur des États-Unis en Moldavie, à l'occasion du 25e anniversaire de l'indépendance du pays, a affirmé dans les interviews qu'il a accordées en anglais à la chaîne Moldova 1[85] et en roumain à Prime 1[86], que c'était un État multinational et que par conséquent une union avec la Roumanie poserait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait. Dans ces interviews, il a aussi adopté la position « moldaviste » définissant les Moldaves vivant dans cet État comme une ethnie différente des Roumains, en raison de leur longue séparation d'avec ces derniers : c'est précisément l'ancien point de vue soviétique, aujourd'hui pro-russe. Cela a soulevé une tempête de protestations dans les cercles « roumanistes », tant en Moldavie[87] qu'en Roumanie[88], amenant James Pettit à nuancer ses propos en affirmant le que « si un peuple veut s'unir, nul ne saurait l'en empêcher et certainement pas les États-Unis[89]. » GéopolitiqueSur le plan géopolitique, la Moldavie présente ainsi un exemple de ces inventions d'identités nationales par des États post-soviétiques ou post-yougoslaves à la fin du XXe siècle[90]. Cette réinvention, que les dirigeants de ces États ont estimée nécessaire pour légitimer leur indépendance (plutôt que de s'appuyer sur des valeurs universelles et transculturelles), repose sur deux développements principaux[91] :
L'élite politique et culturelle s'est ainsi divisée en une fraction « pro-unification » (avec la Roumanie en Moldavie, avec la Serbie au Monténégro, avec la Bulgarie en Macédoine) et une fraction indépendantiste (qui dans les trois cas a obtenu la majorité). Comme en Moldavie, ces constructions d'identités nouvelles ont donné lieu à des dérives hors du champ scientifique : ainsi, des auteurs macédoniens s'appuient sur des sources qui prouveraient un lien de filiation entre le macédonien actuel (langue slave apparue avec la migration des Slaves dans les Balkans au VIe siècle de notre ère) et la langue macédonienne antique (langue thrace hellénisée bien antérieure)[92] On retrouve ces querelles identitaires en Biélorussie et en Ukraine, où les anciens dissidents de l'époque soviétique, pro-européens et pro-occidentaux, cherchaient à s'éloigner du modèle soviétique et à se rapprocher du modèle polonais ou balte (cf. Révolution orange et Euromaïdan), tandis que les « pro-russes » tels Alexandre Loukachenko ou Viktor Ianoukovytch, craignant ce modèle, cherchent au contraire à reconstituer le monde soviétique et à se rapprocher de Moscou : à cet égard, la politique des gouvernements Voronine et Dodon en Moldavie était la même que celle du gouvernement biélorusse[93]. Notes et références
Voir aussiBibliographie
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