Robert Lapoujade naît à Montauban où son grand-père, son père et son oncle sont boulangers-pâtissiers. Après la mort de son père en 1932, il interrompt ses études en 1935 pour devenir durant sept ans successivement garçon-boucher et aide de cuisine dans un restaurant, riveteur, couvreur[1], ouvrier agricole ou encore homme-sandwich[2]. Il réalise sa première exposition, d'œuvres figuratives, en 1939 à Montauban. En 1941, il est moniteur d'art dramatique à Ars-sur-Moselle[1].
Durant la guerre, il est envoyé à Uriage pour effectuer un stage d'art dramatique et y crée des décors et costumes[3]. Sous la fausse identité de Lucien Reynaud, il est ensuite dans les Hautes-Alpes prête-nom d'une maison de refuge pour des enfants juifs traqués. Réfractaire au Service du travail obligatoire, il se cache dans les bois puis rejoint des membres de Jeune France où il rencontre Loleh Bellon, Jean-Marie Serreau, Alfred Manessier. Arrivé à Paris en 1944, il s'installe rue de Seine et vit de petits travaux.
Robert Lapoujade se lie en 1945 avec Paul Flamand et Jean Bardet, directeurs des Éditions du Seuil, pour lesquelles il illustre des recueils et des couvertures et dessine leur logo[3], lequel représente la grille d'entrée et la façade du 27, rue Jacob, immeuble occupé par la maison d'éditions de 1945 à 2010[4]. Sa première exposition à Paris, d'œuvres toujours figuratives, a lieu en 1947 (préface de Waldemar George). L'année suivante, il réalise un portrait de Jean Cayrol pour son livre La vie répond publié par GLM.
En 1950, année qui marque le début de la non-figuration dans son œuvre[1], Robert Lapoujade présente une exposition à la Galerie mai de Marcel Michaud, participe au Salon de mai et publie un essai sur la peinture, Le Mal à voir. Il réalise plusieurs autres expositions en 1952, notamment à la galerie Arnaud (L'Enfer et la Mine), participe au Salon des Réalités Nouvelles et rédige un manifeste dans lequel il s'oppose au réalisme socialiste défendu par Fougeron, jugeant qu'il est possible de concilier engagement social et abstraction. En 1952, sa suite de sept grands tableaux sur le thème du Camp de concentration, conçue dans la non-figuration , constitue ainsi une réaction directe contre Les Mineurs de Jean Fougeron, Robert Lapoujade visant à y démontrer l'aptitude de la peinture abstraite aux préoccupations sociales[1].
Robert Lapoujade publie en 1955 aux Éditions du Seuil Les Mécanismes de fascination avec une préface du philosophe Jean Hyppolite[5], en 1956Le sens et le non-sens dans la peinture abstraite (CNRS) et L'Homme perdu, sur les rapports de la poésie et de la peinture (La Tour de feu). Il figure parmi les 16 peintres de la jeune école de Paris présentés par Hubert Juin (Le Musée de Poche).
De nouvelles expositions de Lapoujade sont préfacées en 1957 par Francis Jeanson. En 1959 le peintre expose Le Vif du sujet à Paris (préface de Jean-Louis Ferrier), Autour des objets à La Chaux-de-Fonds et des peintures à thèmes érotiques à Monaco. Parallèlement, Robert Lapoujade commence à réaliser de petits films expérimentaux, la plupart dans le cadre du Service de la recherche de l'ORTF dirigé par Pierre Schaeffer. Parmi la douzaine de films ainsi créés jusqu'en 1967, Andréou (1960), Chastel (1962), Trois portraits de l'Oiseau-Qui-N'Existe-Pas (Prix Émile Cohl), sur un poème de Claude Aveline, avec une musique de François Bayle (1963), Prassinos, l'image et le moment, commentaire dit par Jean Vilar (1963) et Jean Paulhan (1965).
En 1963, Lapoujade présente Sur le thème du nu à la galerie Pierre Domec. L'année suivante, il s'installe définitivement à Saincy, hameau de Bellot (Seine-et-Marne) et Marguerite Duras présente en 1965 ses Portraits non-figuratifs à la même galerie. De 1968 à 1971 il est chargé de cours de cinéma à l'école du cinéma et de photographie de Vaugirard. En 1969, son exposition Choses vues, à la galerie Domec, prend pour thèmes les événements de mai 1968 puis l'activité picturale de Lapoujade se réduit au profit de l'écriture et du cinéma. Il publie ainsi en 1970L'Inadmissible qu'il adaptera lui-même au cinéma sous le titre Le Sourire vertical, présenté au Festival de Cannes de 1973. Considéré comme pornographique, censuré par Maurice Druon, le film sortira en salles après quelques coupures. Olivier Cotte observe que le court métrage d'animation qui suit, Un comédien sans paradoxe, « repousse les limites de la marionnette par son hyperréalisme dû à la technique déjà utilisée par George Pal pour les Puppetoons(en) »[6].
De 1980 à 1986, Robert Lapoujade est professeur à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Autour de 1981 il se remet à peindre, participant à de nombreuses expositions collectives et publiant plusieurs textes sur la peinture, malgré une maladie qui le paralyse progressivement. Vers 1988, il donne pendant trois ans des cours à l'Académie Talens à La Ferté-Milon où est en partie tournée une vidéo de Jean-Noël Delamarre (Une Leçon de peinture, 1991). Il meurt le 17 mai 1993 en sa maison de Saincy[2].
En 1996, sa ville natale Montauban organise une exposition rétrospective accompagnée d'un important catalogue. À Bellot, une rue porte le nom de l'artiste. De même, à Montauban en 2011, un square est baptisé à son nom, à quelques mètres de sa maison natale[4].
Expositions
Expositions personnelles
Robert Lapoujade - Peintures et dessins, Galerie Jeanne Chastel, Paris, février-mars 1949.
Projet "Pour un musée en Palestine" - cent quarante œuvres, Institut du monde arabe, Paris, mars-mai 2018.
Réception critique et témoignages
« Une peinture de la peinture, présentation de sa propre réflexivité. » - Jean Hyppolite[17]
« Son répertoire de formes est directement inspiré de la nature, et singulièrement des vieux murs barbouillés de taches, dont parle Vinci qu'il cite en exergue à son essai Les Mécanismes de fascination. Lapoujade est loin de renier le sujet. Mais il veut la forme d'une "ambiguïté allusive" ; soyez d'abord sensible au panneau peint lui-même, à son rythme, à sa couleur ; ensuite, lisez le titre du tableau et vous découvrirez une présence. » - Bernard Dorival[1]
« C'est un événement assez considérable, je crois, qu'un peintre ait su plaire si fort à nos yeux en nous montrant sans fard le deuil éclatant de nos consciences. » - Jean-Paul Sartre[18]
« Rien de ce que fait Lapoujade n'est indifférent et demeure toujours excitant pour l'esprit. » - Michel Ragon[19]
« Lapoujade travaillant, c'est une chose inoubliable. Il dit : "je ne veux rien déterminer à l'avance, aussi ne vous étonnez pas de ma façon de peindre". C'est très impressionnant. Vous êtes là et, encore une fois, il ne vous regarde pas... Vous gêneriez l'absolue figure que vous êtes en lui s'il vous regardait. » - Marguerite Duras[10]
« L'exposition de Lapoujade, L'Enfer et la mine en 1952, prit chez ce jeune peintre, passé successivement par les expériences figuratives et abstraites, valeur de manifeste ; l'antagonisme humain-minéral y est traduit pae des allusions, des signes ou des rythmes percutants que Lapoujade lui-même qualifie d'“abstraction impressionniste”. Comme plusieurs autres artistes de sa génération, Paul Rebeyrolle, Bernard Dufour, Jean Messagier, Antonio Saura, il montre que les limites sont ténues entre abstraction et figuration. » - Pierre Cabanne[20]
« Un autodidacte "embarqué dans une imprévisible aventure de création" écrit Marcel Brion. Entre abstraction et figuration, un langage plastique informel affranchi de la ligne et débouchant sur une sorte d'expressionnisme symbolique. » - Gérald Schurr[21]
« Tout en adaptant à son propre usage les raisonnements formels de l'abstraction, il les fondait sur un substrat tiré de la réalité, mais non immédiatement perceptible et demandant un effort de décryptage de la part du spectateur. Dans cette résolution ambiguë comme beaucoup d'informels, il retrouvait l'écho de la dernière période iimpressionniste de Claude Monet, avec une juxtaposition serrée de touches grasses récréant la vibration de la lumière... Au sujet du caractère très particulier de son abstraction, qui ne concerne que la premier regard, on entend souvent évoquer le premier chef-d'œuvre inconnu du Frenhofer d'Honoré de Balzac. » - Jacques Busse[22]
« En 1961, Sartre écrit Le peintre sans privilèges[18] consacré à l'exposition du peintre Robert Lapoujade, Foules. Dans sa peinture, Lapoujade dénonce la pratique de la torture et condamne la violence. De son côté, pour Sartre, l'essentiel tient moins au sujet traité qu'à l'invention picturale qui en souligne la gravité. La réussite du peintre est d'éviter la morale et l'esthétisme. Seul peut peindre la guerre l'artiste qui y est préparé par une sensibilité personnelle et par un mouvement intérieur. D'où l'expression de Sartre : "Lapoujade ne peint pas ses toiles dans l'espoir d'augmenter de quelques centimètres carrés la superficie de la beauté ; mais il tirera ses motifs, ses thèmes, ses obsessions, ses fins, du mouvement même de son art... Hiroshima était réclamée par l'Art". Comment la peinture peut-elle donner sens au monde et avoir une prise sur le réel sans se renoncer à elle-même ? Il s'agit pour le peintre non pas d'imiter le monde, mais de l'incarner. » - Aliocha Wald Lasowski[23]
Louis Pauwels (préface de François Mauriac), Les Voies de petite communication, 11 dessins et couverture de Robert Lapoujade, 1 200 exemplaires numérotés, Éditions du Seuil, 1949.
Charles Piquois, Observations, poèmes, 3 dessins de Robert Lapoujade, Le Messager boiteux de Paris, 1951.
Jean-Clarence Lambert, Nue et le chant, eaux-fortes de Robert Lapoujade, René Debresse, 1953.
Pär Lagerkvist (avant-propos de Lucien Maury), Barabbas, eaux-fortes de Robert Lapoujade, 210 exemplaires numérotés, Les Bibliophiles du Palais, 1954.
Le mal à voir, illustré de 11 photographies d'Alain Resnais, Le Messager boiteux de Paris, 1951.
Les mécanismes de fascination, préface de Jean Hyppolite, collection « Pierre vives », Éditions du Seuil, 1955[39].
« Le sens et le non-sens de la peinture abstraite », dans : ouvrage collectif sous la direction de Jean Jacquot (préface d'Étienne Sourlau), Visages et perspectives de l'art moderne - Peinture, poésie, musique, CNRS, 1956.
« Le sens et le non-sens de la peinture abstraite », Visages et perspectives de l'art moderne - Peinture, poésie, musique, Entretiens d'Arras (20-22 juin 1955), C.N.R.S., 1956.
1959 : Enquête sur un corps, noir et blanc, 15 min.
1960 : Foules, court métrage d'animation, 9 min, Service Recherche de l'ORTF.
1961 : Noir Blanc, court métrage d'animation, 8 min, Service Recherche de l'ORTF, Prix spécial de la semaine internationale du film, Évreux.
1961 : Andréou, portrait d'artiste, noir et blanc, 15 min.
1962 : Prison, musique de Luc Perrini, court métrage d'animation, collection : Banc d'essai, archives INA, 12 min, Prix Antonin-Artaud.
1962 : Peintures de Roger Chastel, commentaires de Jean Lescure, musique Luc Ferrari, Service Recherche de l'ORTF.
1963 : Prassinos : l'image et le moment, portrait d'artiste, commentaires dit par Jean Vilar, Service Recherche de l'ORTF[43].
1963 : Trois portraits d'un oiseau qui n'existe pas, d'après un poème de Claude Aveline, musique de François Bayle (7 min 28 sec). Service Recherche de l'ORTF, Prix Émile-Cohl 1964[24].
1964 : Cataphote, Service Recherche de l'ORTF, 9,50 min.
1965 : Vélodramme, court métrage d'animation, musique Edgardo Canton, Service Recherche de l'ORTF.
1965 : Jean Paulhan : Portraits parallèles, collection Banc d'essai, archives Ina, Service Recherche de l'ORTF.
1977-1978 : Les mémoires de Don Quichotte, musique de Romain Didier, interprétation Claude Nougaro, Nicole Croisille..., comédie musicale inachevée, réalisée avec des marionnettes (Musée-Château d'Annecy, Service d'animation).
↑ a et bMarguerite Duras, Lapoujade - Portraits et compositions, Éditions de la Galerie Pierre Domec, 1965.
↑Robert Lapoujade, « interview à propos de son exposition Le portrait en peinture à la galerie Claude Bernard », émission Arts d'aujourd'hui, France Culture, 25 mars 1967.
↑Maurice Nadeau, « J'ai eu des amis peintres comme Robert Lapoujade, dont j'ai suivi les cours... », Une vie en littérature - Conversations avec Jacques Sojcher, Éditions Complexe, 2002, pages 115-116.
Jean-Paul Sartre, Situations IV, Gallimard, 1964. Le chapitre intitulé Le peintre sans privilèges (pages 364 à 386) est l'étude de Sartre pour le catalogue Robert Lapoujade, Galerie Pierre Domec, 1961.
Pierre Cabanne, Le Midi des peintres, collection « Tout par l'image », Hachette, 1964.
Marguerite Duras, Lapoujade - Portraits et compositions, Éditions Galerie Pierre Domec, 1965.