La première bataille du Rocher de la Piochais a lieu le pendant la Chouannerie. Elle s'achève par la victoire des chouans, qui tendent une embuscade à un convoi républicain entre Landéan et Louvigné-du-Désert.
Prélude
Le matin du 26 juillet 1795, la ville de Fougères fait sortir un vaste convoi qui s'engage sur la route de Caen[1],[2],[3]. Une partie de celui-ci a alors pour objet de livrer deux caissons de vivres à la garnison du bourg de Louvigné-du-Désert, tandis qu'un fourgon de messagerie, venu de Rennes et chargé de 324 420 francs en assignats, doit poursuivre sa route jusqu'à Caen[1],[2],[3]. Plusieurs négociants de Fougères et quelques voyageurs décident de profiter de l'escorte et de rejoindre le convoi qui se retrouve grossi de plusieurs charrettes et d'une chaise de poste, dans laquelle s'installent plusieurs femmes[1],[2],[3]. Les voyageurs se placent entre l'avant-garde et les voitures[1],[2],[3]. Une partie du détachement forme une arrière-garde, tandis que le reste marche sur deux files à droite et à gauche du convoi[2],[3]. Des éclaireurs sont également disposés sur les ailes[1],[2],[3].
Cependant, les chouans de la région de Fougères sont informés la veille de la sortie de ce convoi et de sa destination[2],[1],[4]. Les frères Aimé et Guy Picquet du Boisguy rassemblent leurs hommes pendant la nuit et décident de tendre une embuscade au rocher de La Piochais — aussi appelé rocher de la Plochais ou rocher de la Plochaye[1],[3],[5] — à l'ouest du bourg de La Bazouge-du-Désert, entre Landéan et Louvigné-du-Désert[2],[1],[4].
Sources
Côté républicain, le déroulement du combat est principalement relaté par trois rapports des administrateurs du district de Fougères[2]. Le premier est rédigé le 8thermidoran III ()[Note 1], au soir même du combat, le deuxième le 11 thermidor (29 juillet)[Note 2] et le troisième, le plus long et le plus détaillé, le 16 thermidor (3 août).[Note 3].
L'escorte du convoi est constituée de soldats du 1er bataillon d'infanterie légère de Nantes et de gardes territoriaux de Fougères[2],[1],[3]. D'après les rapports républicains, elle rassemble 125 à 140 hommes[2],[1],[6]. La garnison de la ville de Fougères compte quant à elle 200 hommes[3].
Le matin du 26 juillet, le convoi républicain sort de la ville de Fougères et se met en route pour Caen. Après avoir traversé la forêt de Fougères et le bourg de Landéan, il arrive au Rocher de La Piochais à huit heures et demie du matin[2],[1],[3]. Les chouans occupent une position très favorable[1],[2],[4]. Les républicains sont alors engagés dans une route resserrée par des marais presque impraticables, ce qui les empêchent de faire éclairer leur marche[1],[2],[4].
L'avant-garde, constituée de gardes territoriaux[3], arrive au milieu des chouans sans découvrir l'embuscade et se laisse complètement surprendre[1],[2],[4],[3]. D'après Pontbriand, elle essuie des tirs « presque à bout portant » et ne peut se mettre en bataille à cause de la nature du terrain[1],[4]. En un quart d'heure, elle est mise en complète déroute[1],[4].
Les simples voyageurs, dont la plupart sont sans arme, cèdent alors à la panique et se jettent au milieu du reste l'escorte en semant la confusion dans ses rangs[1],[3]. Malgré de vains efforts des officiers pour rallier leur soldats, la déroute devient rapidement générale[1],[4],[3]. Les chouans s'emparent du convoi et poursuivent les républicains jusque dans la forêt de Fougères[1],[2],[4],[3]. D'après le rapport des administrateurs, c'est lors de cette poursuite que la troupe subit la majeure partie de ses pertes[1],[3]. Un groupe de 25 chasseurs nantais et gardes territoriaux trouvent refuge au Loroux[3],[5]. D'autres se rendent à Aimé du Boisguy et au capitaine Louis Salmon, dit « Le Blond », dans le bourg de Landéan, où ils sont ensuite enfermés[1],[4].
Le chef chouan Guy Picquet du Boisguy est tué à cet instant du combat[1],[2],[4],[3]. D'après le récit de Pontbriand, il se devance presque tous ses hommes et rattrape un groupe d'une vingtaine de républicains en les sommant de se rendre, mais il s'embourbe dans un petit marais[1],[4]. Des gardes territoriaux ouvrent alors le feu et l'atteignent de deux ou trois balles, avant de reprendre leur fuite[1],[4]. Guy du Boisguy est ensuite transporté par ses hommes au village de La Cherbonnelais, à l'est du bourg de Landéan, où il succombe deux heures plus tard[1],[2],[4].
Alertée par le bruit de la fusillade, la ville de Fougères fait sortir à neuf heures du matin une partie de sa garnison et de sa garde nationale pour venir en aide au convoi[1],[3]. Ce détachement rallie une partie des fuyards et se porte sur les lieux des combats[1],[3]. À onze heures, elle atteint les chouans à la sortie de la forêt, aux abords du bourg de Landéan[1],[3]. D'après le rapport du district, les républicains essuient une décharge sans y répondre, puis marchent à la baïonnette[1],[3]. Les chouans prennent alors la fuite et se dispersent[1],[3]. Pontbriand donne un récit différent dans ses mémoires[1],[4]. Selon lui, les chouans de Bonteville affrontent la garnison de Fougères pendant une heure et celle-ci finit par battre en retraite sans être poursuivie[1],[4].
D'après les administrateurs de Fougères, les chouans fusillent sommairement une quinzaine de prisonniers au cours de ce dernier combat[1],[3]. Selon le troisième rapport du district, l'ordre est donné par Aimé du Boisguy qui tue de sa main plusieurs républicains[1],[3]. Les gardes territoriaux auraient été « principalement l'objet de sa fureur »[3]. Aimé du Boisguy venait alors d'apprendre la mort de son frère et il aurait pu avoir agit ainsi par vengeance, dans un mouvement de colère[1].
Conséquences
Après le départ des chouans, les républicains reviennent explorer le champ de bataille[1],[3]. Ils trouvent le fourgon vide et plusieurs voitures pillées[1],[3]. Le fourgon est ramené à Fougères, mais les deux caissons de vivres sont retrouvés et renvoyés à Louvigné-du-Désert[1],[3]. Le reste de la journée et le lendemain, les républicains achèvent de reconnaître les morts et de les faire enterrer[1],[3].
Le 3 août, le district alerte le département sur l'état préoccupant de la ville de Fougères[1],[2],[3]. Elle annonce que la garnison « affaiblie encore et même effrayée par cet échec, n'est plus en état de fournir des détachements assez forts pour protéger l'arrivage des subsistances »[1],[2],[3]. Les magasins militaires sont épuisés et les habitants de la ville manquent de grains, de bois et des denrées de première nécessité[1],[2],[3]. De leurs côté, les chouans, « enflés du succès qu'ils ont obtenu et des nouveaux moyens offensifs qu'il leur procure », n'hésitent plus à s'approcher la nuit des portes de la ville pour lacher des coups de fusils sur les avant-postes[1],[2],[3]. Le 6 août, les administrateurs alertent que « la très grande majorité des campagnes est au pouvoir des Brigands »[7]. Quelques jours plus tard, ils lancent un nouvel appel : « Notre ville est bloquée de tous côtés [...] Les approvisionnements de toute espèce manquent. Les routes sont partout interceptées, les ponts coupés en plusieurs endroits »[7].
Le département alerte alors le général Hoche à Rennes, qui s'engage à envoyer des renforts[1],[3]. Le 9 août, le 2e bataillon de la 154e demi-brigade et trois compagnies de carabiniers font leur entrée à Fougères[8],[7]. Quelques jours plus tard, le général Rey donne l'ordre au général Humbert, le commandant de la garnison de Vitré, d'y envoyer également une partie de la 12e demi-brigade[8],[7].
Pertes
Le bilan des pertes républicaines varie quelque peu selon les rapports. Le soir même du combat, le district de Fougères annonce un bilan de 80 à 100 morts, 13 prisonniers fusillés et 10 ou 12 blessés[2],[1]. Le 29 juillet, les administrateurs font état de plus de 80 morts[2]. Le 31 juillet, l'administrateur fougerais Le Beschu écrit au représentantLebreton que 100 hommes de l'escorte ont été tués[6],[Note 5]. Le 3 août, le district rapporte au département que les pertes sont d'au moins 50 morts, dont un sous-lieutenant, de 11 blessés et de 15 prisonniers sommairement exécutés par les chouans, mais dont plusieurs parviennent à survivre à leurs blessures[2],[1],[3]. Le , l'affrontement est également brièvement évoqué lors d'une fête républicaine, appelée « fête de la Reconnaissance et des Victoires », organisée à Nantes : « Un détachement de 100 hommes, commandé par Chamond, entouré à l'affaire de Fougères, le 8 thermidor an 3 par 3 000 chouans, refusent de se rendre, ils sont tous tués[9] ».
Les pertes résultant du pillage sont estimées à plus d'un million et demi de francs en assignats[1],[3]. Quinze chevaux ont été tués ou pris et une importante quantité d'armes et de munitions a été abandonnée aux chouans[1],[3].
Contrairement à son habitude, Pontbriand ne donne aucun bilan des pertes pour ce combat et fait seulement mention de 45 soldats républicains faits prisonniers, dont un lieutenant, qui sont enfermés au bourg de Landéan[1],[4],[5]. Un autre officier chouan, Marie Eugène Charles Tuffin de La Rouërie, écrit quant à lui dans un mémoire remis le 10 février 1796 au ministre britannique William Windham, qu'« au Rocher de la Plochais, sur la route de Fougères à Louvigné, les Républicains, au nombre de six cents, escortant un convoi, furent battus avec perte de deux cent cinquante hommes et du convoi »[5]. Cependant ce passage s'applique peut-être à la deuxième bataille du Rocher de La Piochais, livrée le 21 décembre 1795[10].
Les pertes des chouans ne sont pas connues, mais le troisième rapport du district de Fougères reconnait que ces derniers ne perdent qu'« un petit nombre des leurs »[3]. Parmi les morts figure Guy Picquet du Boisguy, qui est secrètement enterré pendant la nuit au cimetière de Landéan[1],[4]. Selon une déposition enregistrée le 28 juillet par les administrateurs de Fougères, le chef chouan est tué par un garde territorial nommé Jorse, qui revendique également la mort de son domestique, nommé Henry[3],[Note 6]. En récompense, celui-ci reçoit une somme de 3 000 livres[3]. Le district de Fougères, écrit cependant dans son rapport du 3 août que Guy du Boisguy a été tué par un garde territorial d'origine allemande nommé Zemmer[1],[3] ou Pierre Leeuws[2].
Les administrateurs font également mention de la mort d'au moins six civils lors de l'attaque du convoi : Desroyer et Dagnet, commissaires pour les réquisitions aux grains ; Cloutier et Vincent, négociants de Fougères, et deux jeunes femmes nommées Fesselier et Chobé[2],[1],[3]. Bernardine Boëda, épouse du commissaire Julien Dagnet, et sa mère, Françoise Boëda, sont portées disparues et supposées tuées[1]. D'après Pontbriand, les demoiselles Fesselier et Chobé sont fusillées par un groupe de six chouans qui s'emparent de tout leur argent[1],[4]. Aimé du Boisguy est informé de ces meurtres au cours de la nuit et donne l'ordre de retrouver les coupables[1],[4]. Le capitaine Joseph Boismartel, dit « Joli-Cœur », est suspecté et arrêté, mais aucune preuve n'est trouvée contre lui[1],[4],[5]. En revanche, deux autres chouans, Pierre Froustel et Charles Costas, sont arrêtés et jugé par un conseil de guerre à Saint-Brice-en-Coglès le 12 août[1],[4]. Reconnus coupables, ils sont condamnés à mort et exécutés le même jour[1],[4],[Note 7].
« Nous sommes bien fâchés, citoyens, de troubler la joie que vous inspirent nos avantages sur les émigrés débarqués à Quiberon par le récit du désastre que nous venons d’éprouver. Un détachement de cent-vingt-cinq hommes composé de la compagnie territoriale était parti ce matin pour Louvigné escortant deux caissons chargés de vivres pour le cantonnement de cette partie, le fourgon de Caen, une voiture occupée par trois femmes et plusieurs charrettes richement chargées ; ce convoi a été attaqué par les chouans à environ deux lieues de Fougères ; nos troupes ont été écrasées par le nombre de nos ennemis que plusieurs rapports portent jusqu’à douze cents et que la moindre estimation présente encore comme supérieur à tous les rassemblements de chouans qui avaient eu lieu jusqu’à présent dans nos cantons ; aussi notre perte a été énorme, on n’évalue pas le nombre de morts, que l’on ne sait pas encore au juste, à moins de quatre-vingts ou même cent ; les uns ont été tués dans le combat, beaucoup d’autres dans la poursuite que les chouans en ont faite ; plusieurs enfin au nombre de treize avaient été faits prisonniers et ont été fusillés ensuite ; les trois femmes n’ont point été épargnées par nos féroces ennemis ; l’une était une femme enceinte qui allait rejoindre son mari à Caen ; les deux autres étaient deux jeunes filles dont les pères (les citoyens Chobé et Fecellier) sont deux citoyens recommandables de notre commune qui perdent outre cela des sommes immenses en assignats. Deux autres pères de la même famille de notre commune, les citoyens Cloutier et Vincent ont péri aussi avec une grande partie de leur fortune qu’ils portaient avec eux ; nous regrettons aussi bien amèrement les citoyens Desroyer et Dagnet qui depuis longtemps nous servaient de commissaires pour les réquisitions de grains que nous ne remplacerons pas. Notre receveur avait chargé sur le fourgon près de quatre cent mille francs en assignats qui ont été perdus ; vous imaginez en effet que les chouans ont pris toutes les voitures. Répondant à la première nouvelle parvenue à Fougères de l’engagement avec les chouans, le commandant a fait partir pour porter du secours toute la troupe disponible sans en excepter notre garde nationale ; cette troupe s’est grossie en route de quelques fuyards qu’elle a fait rebrousser chemin et s'est mise en toute diligence à la poursuite des chouans qu’elle a retrouvés encore sur le champ de bataille occupés au pillage ; les chouans ont fait sur eux une seule décharge et ont pris ensuite la fuite devant nos républicains qui fonçaient sur eux la baïonnette au fusil ; c’est avant de prendre la fuite que les chouans ont massacré les prisonniers, notre troupe est rentrée ramenant les voitures avec ce qui avait échappé au pillage et dix ou douze blessés qui le sont pour la plupart très dangereusement[2]. »
« Nous n’avons que des malheurs à vous réciter et que d’infortunées victimes à regretter... La perte est considérable... Le nombre de morts monte à plus de quatre vingts. Il résulte des rapports que les Duboisguy ont commandé cette horrible boucherie ; un garde territorial nous a montré la carabine d’un chef chouan qui portait deux épaulettes en graines d’épinard qu’il a tué et si on croit les nouvelles qui circulent ce chef est un des Duboisguy. Hélas, citoyens, notre danger est à son comble ; les chouans se tiennent sur toutes les routes rassemblés et en grande force ; nous sommes bloqués et menacés sur tous les points par cette horde infernale qui ne respire que sang et carnage ; aucune provision pour la ville et les militaires ; si ces derniers manquent de vivres, comment faire, si les habitants sont affamés nous avons une insurrection intérieure à craindre... Nous vous invitons à ne rien négliger pour nous arracher du précipice ouvert sous nos pas[2]. »
« Le combat, qui a eu lieu le 8 thermidor dernier, entre un détachement de notre garnison et les chouans, est de toutes les affaires de genre qui se sont passées dans l'étendue de notre district celle qu'il faut regarder comme la plus malheureuse par les pertes de tous genre que la République y a éprouvées et par les actes de férocité que les chouans y ont commis.
Deux caissons portaient des vivres aux troupes cantonnées à Louvigné-du-Désert ou aux environs. Le fourgon de la messagerie de Rennes à Caen partait ce même jour de Fougères. Beaucoup de voyageurs avaient profité de cette occasion pour se mettre en route, et dans le nombre se trouvaient plusieurs négociants qui se faisaient suivre par des voitures richement chargées. Une chaise de poste renfermait plusieurs femmes que leurs affaires appelaient aussi à Caen. Tous ces objets rassemblés formaient un convoi assez considérable.
L'escorte forte d'environ cent quarante hommes était composée du détachement du premier bataillon d'infanterie légère de Nantes et de la compagnie de la garde territoriale de Fougères.
Les voyageurs s'étaient placés entre l'avant-garde et les voitures. Une partie du détachement formait une arrière-garde, le reste marchait sur deux files à droite et à gauche du convoi, des éclaireurs étaient disposés sur les ailes.
Ce convoi était à environ deux lieues de Fougères lorsque sur les huit heures et demie du matin il rencontra les chouans qui, avertis probablement de son départ, avaient fait toutes leurs dispositions pour l'attaquer avec avantage ; ils s'étaient réunis en grand nombre, s'étaient embusqués sur une hauteur et pour rendre leur masse plus imposante, ils l'avaient grossie de beaucoup d'habitants des campagnes qu'ils avaient contraints à les suivre.
À leur apparition subite, suivie à l'instant d'une décharge et bientôt après d'un mouvement général sur la tête du convoi, les simples voyageurs, qui la plupart étaient sans armes, prirent les premiers l'épouvante et, se rejetant dans la fuite sur la troupe qui était derrière eux, en entraînèrent une partie et mirent le reste en désordre. Le mal s'accrut bientôt au point que les officiers firent de vain efforts pour rallier leurs soldats, de sorte qu'après une bonne mais inutile résistance de l'avant-garde, composée de gardes territoriaux, la déroute devint générale. Les chouans poursuivirent les fuyards jusque dans la forêt de Fougères et ce fut pendant cette poursuite que nous fîmes la plus grande perte.
Au premier bruit de la fusillade, on se hâta d'envoyer de Fougères, au secours de notre détachement, tout ce qui y restait de troupes de ligne avec une partie de la garde nationale. Ce renfort partit peu de temps après neuf heures, recueillit dans sa route plusieurs fuyards, trouva la route jonchée de morts et avant onze heures rencontra, au-delà de la forêt, les chouans qui, de retour de leur poursuite, s'étaient ralliés, ayant au milieu d'eux quinze prisonniers auxquels ils n'avaient pas jugé à propos encore de faire subir la mort.
Nos troupes reçurent une décharge sans y répondre et marchèrent à la baïonnette. Les chouans ne jugeant pas à propos de les attendre, prirent la fuite et se dispersèrent, mais ils prirent le temps de massacrer auparavant ce qui leur restait de prisonniers. Cependant, plusieurs de ceux-ci, laissés pour morts avec les autres, ont été trouvés respirant encore et ont été secourus.
Nos troupes s'étant portées jusque sur l'ancien champ de bataille, y retrouvèrent les voitures que les chouans avaient abandonnées après les avoir pillées. Plusieurs corps morts étaient dispersés à peu de distance; les uns sur la grand route, les autres dans les champs voisins. Parmi ces dernières victimes, deux attiraient surtout l'attention : cétait les citoyennes Chobé et Fessellier, filles de deux négociants de Fougères, qui avaient été massacrés de la manière la plus atroce et la plus barbare.
Nos soldats, sur l'ordre de leurs chefs, inhumèrent sur le champ les corps les corps de ces deux femmes et plusieurs autres; ils s'appliquèrent ensuite à recueillir et à sauver ce qui, dans le convoi, avait pu échapper à la rapacité des chouans.
Les deux caissons, qui avaient peu soufferts, suivirent leur première destination pour Louvigné. Le fourgon trouvé presque vide fut ramené à Fougères, ainsi que plusieurs voitures que les Chouans avaient pareillement dépouillées de ce qu'elles portaient de plus précieux.
Le lendemain, un officier public est parti de Fougères avec une escorte pour achever de reconnaître les morts et de les faire inhumer.
Notre perte, indépendamment de onze blessés, consiste au moins en cinquante morts, parmi lesquels, outre indépendamment des deux femmes, on compte un sous-lieutenant de l'infanterie légère de Nantes, deux commissaires civils pour les réquisitions de grains, les citoyens Cloutier et Vincent, négociants de Fougères, et quelques autres voyageurs.
La perte résultant du pillage s'élève à des sommes considérables; celles en assignats seulement est estimée à environ un million et demi en y comprenant une somme de 324 420 francs que le receveur du district de Fougères avait chargée pour Paris sur le fourgon. Quinze chevaux ont été tués ou pris et leur valeur excède 200 000 livres. La perte en armes et en munitions n'est pas celle qui mérite le moins d'exciter nos regrets.
Cette journée cependant n'a pas été entièrement malheureuse pour la République. Si les chouans n'y ont perdu qu'un petit nombre des leurs, il paraît constant, du moins d'après plusieurs rapports, que du Boisguy l'aîné, l'un de leurs principaux chefs, a reçu dans cette affaire deux coups de feu : l'un au corps et l'autre à la tête, dont il est mort le lendemain.
Nous ne pouvons guère douter d'après la déclaration que nous a faite le citoyen Zemmer, Allemand d'origine, volontaire dans la garde territoriale de Fougères, que ce ne soit lui qui ait tué du Boisguy l'aîné ; il nous a représenté la carabine d'un chef de chouans qu'il a laissé pour mort après l'avoir abattu de deux coups de fusil et l'avoir ensuite combattu de près. Ce chef était décoré de deux épaulettes d'un grade supérieur et la description qu'en fait le citoyen Zemmer cadre fort bien avec le signalement de du Boisguy l'aîné.
Un frère cadet de ce du Boisguy, connu sous le nom d'Aimé, reste encore à la tête des chouans et se montre digne émule des férocités par lesquelles son frère avait déjà rendu son nom célèbre. Les dépositions de plusieurs blessés nous le représentent non seulement comme prononçant l'arrêt de mort de nos prisonniers, mais comme se faisant un jeu et un affeux privilège de l'exécuter lui-même en égorgeant de sa main un grand nombre de républicains qui avaient eu le malheur de tomber en son pouvoir ; il parait que nos gardes territoriaux étaient principalement l'objet de sa fureur. Nos pertes dans la journée du 8 thermidor sont d'autant plus fâcheuses que notre garnison, déjà peu nombreuse mais affaiblie encore et même effrayée par cet échec, n'est plus en état de fournir des détachements assez forts pour protéger l'arrivage des subsistances ni aucune autre opération relative au service et aux besoins de notre place.
Tous nos magasins militaires sont épuisés. Les habitants de notre ville manquent pareillement de grains, de bois et de toutes les denrées de première nécessité. Notre dénûment de ressources extérieures nous met à l'instar d'une place étroitement assiégée et nous n'avons aucun des approvisionnements qui mettent une pareille place en état de se défendre.
Nos ennemis, enflés du succès qu'ils ont obtenu et des nouveaux moyens offensifs qu'il leur procure, viennent, la nuit, jusqu'aux portes de la ville insulter de près, à coups de fusil, nos avant-postes. On nous assure que, secondés par les chouans des districts voisins, ils méditent une attaque sur Fougères. Si nos moyens de défense nous permettent encore de ne pas craindre beaucoup les suites d'une pareille entreprise pour l'enceinte principale de notre ville, pouvons-nous avoir la même sécurité relativement à nos faubourgs? Pouvons-nous surtout n'être pas dans de vives alarmes sur le sort de plusieurs cantonnements isolés ou de plusieurs communes patriotes abandonnées à ellesmêmes dans notre district? Chacun de ces points de résistance est évidemment trop faible pour pouvoir soutenir longtemps les efforts combinés de nos ennemis[1],[3]. »
« Un corps de la garnison de Fougères, portant le nom de division nantaise, commandé par l'adjudant-général F.M..., partit de Fougères, escortant un convoi pour la troupe cantonnée à Louvigné-du-Désert; cette colonne était forte de six cents hommes, environ soixante gardes territoriaux de Fougères s'y joignirent. Les du Boisguy, qui avaient été prévenus la veille, résolurent d'attaquer ce convoi. Ils réunirent, pendant la nuit, environ sept cents hommes et furent prendre position au lieu dit le Rocher de la Piochais, où ils dressèrent une embuscade. La position est très favorable; l'ennemi était forcé de s'engager dans une route resserée, à droite et à gauche, par des marais presque impraticables, qui l'empêchaient de faire éclairer la marche. Du Boisguy l'aîné commandait la gauche, son frère était au centre, Hay de Bonteville occupait la droite, avec la seconde colonne.
L'ennemi s'avança sans découvrir l'embuscade, l'avant-garde même était engagée au milieu des Royalistes, lorsque le feu commença ; aussi la première décharge de ceux-ci se fit presque à bout portant et fut très meurtrière ; les Républicains surpris par cette brusque attaque et ne pouvant même, à cause de la nature du terrain, se mettre en bataille, ne résistèrent pas plus d'un quart d'heure. En vain, leur chef et ses officiers voulurent opérer leur retraite en bon ordre, ils furent entraînés par les fuyards et leur déroute fut complète.
Du Boisguy l'ainé s'élança avec ardeur à leur poursuite et devança bientôt tous les siens; il n'était plus suivi que d'un seul homme, quand il voulut couper la retraite à une vingtaine de soldats qui fuyaient en désordre : « Bas les armes ! » s'écrie-t-il; ceux-ci s'arrêtent étonnés; pour arriver à eux, il y avait un petit marais à traverser; il s'y jette seul, et s'enfonce dans la vase jusqu'à la ceinture; plusieurs soldats l'ajustent et font leur décharge; il est frappé de trois balles et mortellement blessé. Ses soldats arrivent; il le retirent, et le transportent au village de la Charbonnelaie, en Landéan, où il expire deux heures après.
Pendant ce temps, son frère poursuivait toujours les Républicains sur la grande route, et venait quoiqu'il fût presque seul avec un nommé Salmon et le Blond, de la Morinais, (note: en fait probablement le capitaine Louis Salmon, dit le Blond) de faire mettre bas les armes à une compagnie de quarante-cinq hommes et au lieutenant qui la commandait, dans le bourg de Landéan où il les fit enfermer. Ses soldats, qui le suivaient de près, lui annoncèrent que son frère était grièvement blessé. Il quitta sur-le-champ sa troupe pour courir auprès de lui, mais il n'avait pas fait un quart de lieue, qu'une fusillade très vive le fit retourner sur ses pas. C'était Bonteville qui se trouvait aux prises avec la garnison de Fougères, sortie au bruit du premier combat. Cette seconde affaire dura plus d'une heure, et les Républicains ayant repris peu à peu la route de Fougères, du Boisguy, inquiet pour son frère, ne les suivit pas, afin de retourner auprès de lui. Ce fut en route qu'il apprit sa mort, et qu'il ainsi privé de la consolation de lui dire un dernier adieu.
Telle fut la fin de Guy du Boisguy, brave officier à qui on ne peut reprocher qu'une aveugle témérité. Il n'avait pas encore vingt et un ans et donnait les plus belles espérances; sonaudace égalait celle de son oncle de la Motte-Piquet, qu'il disait vouloir prendre pour modèle[4],[1]. »
« Le 26 de ce mois, un convoi de onze voitures, escorté de cent-vingt-cinq hommes, a été enlevé par les Chouans, sur la route de Caen, entre Plochais et le Rocher. Cent hommes de l'escorte ont été tués, la diligence a été pillée[6]. »
— Lettre de Le Beschu au représentantLebreton, rédigée à Fougères le 31 juillet 1795.
« Ce jour, 10 thermidor, troisième année républicaine, devant les administrateurs du directoire de Fougères, a comparu le citoyen Jorse, garde territorial, lequel a déclaré que le 8 de ce mois il faisait partie du détachement ayant été mis en déroute, il fit son possible pour rallier ses camarades ; que, forcé de se replier, il vit à l'entrée de la forêt un chouan, monté sur un cheval bai clair, courte queue, qui courait le long du grand chemin sur ceux qui fuyaient ; que ce chouan descendit de cheval pour courir vers le déclarant, qu'alors ce dernier lui tira un coup de fusil et le blessa à la tête, qu'il lui tira un second coup dans le côté gauche et l'abbatit; qu'alors ce chouan voulut encore, avec la carabine dont il était armé, parer les coups de crosse de fusil que le déclarant lui portait, qu'à force de frapper il cassa son fusil, se jeta sur le chouan, le prit à la gorge et finit par le tuer ou le laisser pour mort, s'empara ensuite de sa carabine qu'il a rapportée et qui est encore teinte du sang du même chouan. Le déclarant ajoute qu'au premier coup que reçut le chouan, il appela à son secours son domestique nommé Henry ; que le déclarant voyant ce petit domestique approcher, lui tira un coup de fusil et l'abbatit ; il ajoute encore que le chouan dont il a parlé était en petite veste de coton, gilet et pantalon, qu'il portait deux épaulettes à graines d'épinards et avait un très gros portefeuille, que le déclarant n'eut pas le temps de prendre, attendu qu'une foule de chouans arrivèrent en criant de toutes leurs forces et le poursuivirent longtemps. Le chouan tué était à peu près de la taille de cinq pieds trois pouces, cheveux frisés, avec une petite muscadine (termes du déclarant) »
« Tandis que ces évènements se passaient d'un côté, il en arrivait un autre plus déplorable encore, non loin du champ de bataille. Les Républicains avaient abandonné leur convoi pendant l'action ; une troupe de soldats s'en empara et le fit filer dans l'intérieur des terres, sans prendre aucun ordre. Il s'y trouvait une voiture où étaient deux jeunes demoiselles de Fougères ; l'une d'elles, Mlle Fesselier, allait se marier en Normandie ; une partie de sa dot, douze à quinze mille francs, dit-on, était dans la voiture. Mlle Fesselier était accompagnée de Mlle Chobé, sa cousine. Toutes deux avaient voulu profiter de l'escorte qui allait à Louvigné, et c'est ce qui fut cause de leur malheur. Les soldats qui suivaient le convoi découvrirent l'argent; un d'eux, nommé Froustel, dit qu'il avait des ordres et renvoya ses camarades au combat ; ils ne restèrent que six. Ces malheureux fusillèrent les deux jeunes filles pour s'emparer de l'argent, et abandonnèrent ensuite les voitures dans un chemin creux, où on les retrouva auprès des deux cadavres. Cet horrible meurtre fut annoncé au jeune du Boisguy au moment où il venait d'ordonner d'enterrer secrètement son frère, pendant la nuit, dans le cimetière de Landéan, et acheva de l'accabler de douleur. Il donna aussitôt les ordres les plus sévères pour découvrir et faire arrêter les meurtriers. Un de ses capitaines fut soupçonné et arrêté, mais on ne put trouver de preuves contre lui ; Froustel Pierre et Charles Costas, qui n'avaient plus reparu, furent arrêtés par des paysans et traduits, le 12 août, devant un conseil de guerre réuni à Saint-Brice. Il fut prouvé qu'ils avaient eux-mêmes fouillé la voiture et fusillé ces jeunes demoiselles; le conseil les condamna à mort et ils furent exécutés le même jour.
Les dépenses qu'on vit faire depuis au capitaine augmentèrent les soupçons, et il n'a jamais pu se blanchir, dans l'esprit de ses camarades, d'avoir été complice de ce crime[4],[1]. »
André Couillard, « La Chouannerie de 1795-1796 dans le pays de Fougères », dans Association bretonne et Union régionaliste bretonne, Comptes rendus, procès-verbaux, mémoires : 122e congrès — Châteaubriant, Bannalec, Imprimerie régionale, , 424 p. (lire en ligne).
Christian Le Bouteiller, La Révolution dans le Pays de Fougères, Société archéologique et historique de l'arrondissement de Fougères, , 839 p..
Théodore Lemas, Le district de Fougères pendant les Guerres de l'Ouest et de la Chouannerie 1793-1800, Rue des Scribes Éditions, (réimpr. 1994), 371 p. (ISBN978-2-906064-28-7, lire en ligne).
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