« À la fin de septembre, le capitaine Renou, dit Alexandre, engagea Pontbriand, qui se trouvait à Parigné avec du Boisguy, à l’accompagner en Normandie, où il allait porter des ordres à Dauguet, chef de la troisième colonne. Pontbriand, qui désirait voir ces troupes, accepta volontiers. Ils partirent ensemble et parcoururent le pays insurgé de l’arrondissement d’Avranches, puis revinrent le long de la côte, jusqu’au château de Macey, où ils se reposèrent. Le soir, ils s’arrêtèrent dans une ferme, près Carnet, où Tuffin de la Rouarie se trouvait avec une partie de la colonne Normande, qui fut coucher un peu plus loin. Ils étaient fatigués, et déjà ils avaient fait mettre leurs chevaux à l’écurie, lorsque Renou, comme frappé d’un pressentiment, dit à Pontbriand : « Ne couchons pas ici, allons plus loin. » Il fait revenir les chevaux et conduit son compagnon à une autre ferme, éloignée seulement de trois à quatre cents pas de la première. Pontbriand surpris lui ayant demandé la raison de ce changement : « Je n’ai pas d’idée pour ici, » lui répondit-il. Le lendemain, vers 4 heures du matin, une femme entre dans la maison où ils étaient couchés, en criant : « Y a-t-il des Royalistes ici ? voilà les Bleus. » – Renou et Pontbriand sautent de leur lit en saisissant leurs armes. – « Les voilà dans l’aire, sauvez-vous, » dit cette femme. – Ils le firent si promptement qu’ils ne prirent pas le temps de remettre leurs souliers, et sortirent par une porte de derrière dans un jardin fermé de toutes parts d’une palissade d’épine, qu’il leur fallut franchir. De tous côtés ils entendaient les coups de fusils tirés sur les Normands, surpris dans leurs logements ; cependant ils remirent leurs chaussures et purent rejoindre Tuffin, qui déjà formait quelques compagnies. Pontbriand ne pouvait plus marcher ; ses pieds étaient remplis de grosse épines, qu’un de ses amis, Dufredo Duplantis, qui avait passé huit jours avec lui à Vitré, s’empressa de lui extraire, avec l’aide d’un soldat. Il n’y avait pas de temps à perdre, la fusillade était engagée tout autour d’eux et ils coururent au combat. Les compagnies normandes reculaient ; Tuffin, Alexandre Renou et Pontbriand s’efforçaient de les retenir et d’empêcher la déroute ; déjà il n’y avait plus que ces officiers et quelques soldats à tenir tête à l’ennemi, lorsque Duplantis dit à Tuffin : « Tâchez de me donner seulement cinquante hommes et je réponds du succès. » Tuffin l’amène avec lui, en recommandant au peu de gens qui soutenaient le combat de tenir ferme, et court sur les derrières réunir ce qu’il peut d’hommes parmi les fuyards. La voix de ce chef et la promesse que leur fait Duplantis d’une victoire certaine les raniment ; il en forme promptement une petite troupe et la conduit sur le flanc de l’ennemi, qui déjà ne gardait plus aucun ordre. « En avant ! » crie Duplantis en arrivant sur eux, « ils sont perdus ; » et, en même temps, il en renverse un d’un coup de fusil ; cela seul suffit pour faire d’autres hommes de ces gens découragés naguère. Ils suivent leur nouveau chef au milieu des Républicains surpris par cette attaque. Tuffin ramène ses compagnies au secours de Pontbriand et de Renou ; quarante hommes frais arrivent des logements plus éloignés ; ils se mettent à leur tête et poussent vivement tout ce qui se trouve devant eux sur la gauche de la colonne. Tout à coup, ils se trouvent en face des gardes nationaux de Saint-Georges, qui arrivent au secours des leurs, mais qui, bientôt, épouvantés du commencement de déroute des troupes de ligne, prirent la fuite après avoir tiré seulement quelques coups de fusil. Cela décida le succès du combat. Les soldats républicains, se voyant abandonnés par ceux qui venaient pour les secourir, se démoralisèrent et battirent d’abord en retraite, l’espace de quelques champs, en défendant les fossés qui les environnaient ; mais, attaqués de front par Tuffin et Dauguet, sur la droite par Duplantis, et pressés sur leur gauche par Pontbriand et Renou, ils finirent par se débander, si bien qu’une partie se sauva du côté de Saint-Georges et que l’autre s’enfuit jusqu’à Pontorson. Cette division, qui pouvait causer leur perte, les sauva, parce que Tuffin, ne voulant pas disperse ainsi ses troupes, arrêta la poursuite. Cette affaire, qui dura plus de deux heures, ne fut pas meurtrière ; les Républicains combattirent presque toujours à l’abri des fossé ; ils ne perdirent que vingt-huit hommes et six prisonniers, qui demandèrent à servir avec les Royalistes et que Dauguet incorpora dans une de ses compagnies : ils étaient plus de cinq cents hommes, sortis d’Avranches et de Saint-James ; Tuffin n’en avait pas beaucoup davantage. Tous les officiers s’accordèrent à attribuer à Duplantis l’honneur de cette action.
Ce fut encore le secours que les gardes territoriaux venaient apporter aux troupes de ligne qui fut cause de leur déroute ; ces soldats, mi-bourgeois, mi-paysans, la plupart mariés, étaient cruels, bon pour le pillage, pour battre ou égorger des malheureux sans défense et, bien souvent, ils entraînaient les troupes de ligne dans une fuite précipitée[1]. »