Édouard Goergé est né en Australie. Il est le fils de Gustave Goerg, directeur des comptoirs familiaux du champagne Irroy en Australie et de Blanche Adet (mi-irlandaise, mi-bordelaise), qui voulaient y installer des comptoirs de champagne, issu donc d'une famille de négociants en champagnes.
Édouard Goerg gagne ensuite leur comptoir en Grande-Bretagne où il demeure quelques années avant de s'installer à Paris en 1900. Dès lors, il voyage beaucoup en France comme en Italie, en Inde et à Ceylan.
Goerg est mobilisé durant la Première Guerre mondiale, et ce jusqu’en 1919. Il est envoyé sur le front de l'Ouest, puis est affecté dans les régions orientales du front et découvre ainsi la Grèce, la Turquie et la Serbie. L’expérience dramatique de la guerre va fortement influencer la nature de son œuvre dans les vingt années suivantes, avec notamment Ainsi va le monde sous l’œil de la police, un manifeste anti-guerre.
Démobilisé, Édouard Goerg retourne en 1919 à l'académie Ranson et y fait la connaissance d'Andrée Berolzheimer qu'il épouse en 1920[6]. Le conflit qui l'oppose longtemps à son père jusqu'à la mort de celui-ci, en 1929, oriente sa peinture vers une critique de la société bourgeoise et de ses mœurs hypocrites. À partir de 1920, il devient l'une des figures majeures de l’expressionnisme français, son œuvre se caractérisant par des couleurs profondes, des compositions étranges et des thèmes à contenu social (religion, cirque). Toute une période de son œuvre le rapproche également du surréalisme, notamment ses travaux dans le domaine de la lithographie. En tant qu'illustrateur, il réalise de nombreux livres de bibliophilie[4].
À la même époque, il refuse de participer au voyage initié par Arno Breker que des artistes français (dont Charles Despiau) sont invités à effectuer dans le Reich pour y rencontrer Hitler. Son épouse Andrée, d’origine juive, doit se cacher avec leur fille Claude-Lise et meurt faute de pouvoir accéder aux soins. Goerg en ressent un profond traumatisme. Il est traité par électrochocs. Il se remarie en 1946[4].
Sa seconde épouse l'encourage à peindre à nouveau. « Il aime les nus juvéniles et les fleurs » écrit Bernard Dorival[5]. De fait, la femme est un de ses thèmes de prédilection, qui revient en plusieurs périodes. La plus connue est celle des Femmes-fleurs à la discrète et sereine mélancolie[4].
Alors qu’il s’apprête à quitter sa femme, il meurt en [10]. Sa mort de façon mystérieuse se complique de la disparition de tous ses écrits et mémoires qu'il tenait depuis 1912.
Il est inhumé dans le parc de son « château » à Callian[4], où son épouse, morte en , le rejoindra.
Élu le au fauteuil d'Édouard Goerg à l'Académie des beaux-arts, Jacques Despierre, dans son discours de réception, évoque l'œuvre de son prédécesseur en ces termes :
« On ne sent plus le métier. C'est là un des critères qui nous étonnent le plus, celui où la création surgit soudain de la matière sans que l'on puisse en déceler le mécanisme. C'est le privilège des plus grands[11]. »
Œuvres
Contributions bibliophiliques
Étienne Beaurouge, La Chanson du moteur, 4 gravures hors texte d'Édouard Goerg, 100 exemplaires numérotés sur papier Japon, Éditions de la Librairie Six, Paris, 1922.
Ouvert la nuit, six planches gravées, chacune en 30 exemplaires numérotés, représentant les six nuits et destinées à illustrer l'ouvrage de Paul Morand ainsi titré (cette édition ne se réalisa pas), 1922.
Frédéric Boutet, , Tableau de l'au-delà, 14 eaux-fortes par Édouard Goerg, 347 exemplaires numérotés, coll. « Tableaux contemporains », n° 7, 1927.
Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (traduction de Gérard de Nerval), Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre, 4 illustrations d'Édouard Goerg (aquarellées de la main de l'artiste dans certains exemplaires de tête), Éditions du Trianon, Paris, 1928.
Saint-Jean, L'Apocalypse traduite selon le rythme par Paul-Louis Couchoud, 20 lithographies originales hors-texte par Édouard Goerg, 198 exemplaires numérotés, Jacques Haumont éditeur, Paris, 1945.
Lewis Carroll (traduction de Bernard Citroën), Chiméra : deux contes photographiques (Un photographe à la campagne duivi de La légende de l'Écosse), frontispice d'Édouard Goerg, 11 eaux-fortes de Mario Avati, Les Impénitents, Paris, 1955.
William Beckford, Vathek, préface de Marc Chadourne, Paris, éditions du Cercle des amateurs de livres et d'art typographique, 1962.
Écrit
Édouard Goerg, « La part du tragique », dans ouvrage collectif sous la direction de Gaston Diehl, Les problèmes de la peinture, Éditions Confluences, 1945.
Édouard Goerg, peintures, dessins, lithographies, peintures - Hommage au peintre décédé à Callian il y a cinquante ans, médiathèque de Callian, juillet-août 2019.
Salon d'automne, Paris, à partir de 1922, sociétaire en 1925.
Premier Salon du temps présent, Paris, 1935 (membre du comité organisateur présidé par André Lhote).
1937 : Édouard Goerg part à Barcelone en février avec six autres membres de l’A.E.A.R. (Cabrol, Jannot, Labasque, Lauze, Lefranc et Masereel).
Espagne 1930-1937 : no pasaran ! - six peintres, Paris, (catalogue avec préface Vaincre ou mourir par Louis Aragon, édité par l'Union General de Trabajadores, Barcelone)[16].
Les Maîtres de l’art indépendant 1897-1937 (neuf tableaux d'Édouard Goerg), Petit Palais, Paris, 1937.
Salon de la Société des peintres graveurs, Paris, 1937.
La Marseillaise de la Libération - Exposition sous le patronage d'Yvon Bizardel, directeur des Beaux-Arts, musées et bibliothèques de la ville de Paris, galerie Roux-Hentschel, Paris, juillet 1945[18].
« Il rêvait d'être acteur, il fut peintre. Il n'est pas impossible qu'une escapade aux Indes n'ait joué sur sa vocation. Comme Jérôme Bosch ou Goya, ses maîtres préférés, il appartient à la pléiade des fantastiques qui, comme le poète, s'attachent à traduire : "Le cauchemar plein de choses inconnues". Que ce soit en peinture ou en gravure, il ouvre une large fenêtre sur le royaume des chimères. » - René Barotte[19]
« Édouard Goerg n'est pas seulement un grand peintre de la satire sociale et un grand pamphlétaire. C'est le peintre prophétique des danses de mort des jeux de massacre. Son monde est un spectacle à épisodes multiples. La comédie humaine et la divine comédie y alternent. Les charges, les proverbes et les moralités font place dans son œuvre aux thèmes lyriques et aux thèmes élégiaques. Aux masques et aux idoles de la féminité succèdent les personnages divins et les évocations de la splendeur céleste. Un visionnaire compose ou invente de toutes pièces les mirages d'un éternel printemps et un flamboyant jardin de paradis aux parterres de verdure constellés de mille fleurs. » - Waldemar-George[20]
« Son œuvre commence dans la satire sociale, puis atteint l'hallucination, en actualisant les sorcelleries de Jérôme Bosch, voire en représentant les grands monstres des abîmes. Édouard Goerg a conduit sciemment son œuvre aux limites du délire. Sans avoir le côté "reportage" des recherches d'Henri Michaux, en se référant sans cesse à une culture picturale très étendue, sa peinture a été une des plus ouvertes au mystère. De la satire à la vision, elle a couvert tout l'éventail de la peinture expressionniste. » - Pierre Descargues[46]
« Il fut un grand aîné et un ami, dès mes débuts. Je me souviens de cette première visite que je lui fis en son hôtel particulier de la rue Du Couédic et de son si bon accueil… Accueillant aux jeunes, ayant assez de talent pour ne pas les craindre, et sans doute aussi suffisamment de qualité humaine pour souhaiter les aider, il fut un exemplaire président des Peintres Graveurs… Il y avait une note satanique dans le meilleur de son travail. Son beau visage en portait la marque, cette attache effilée du lobe de l'oreille, fuyante et d'une acuité infernale, ce regard vrillant, sa chevelure en flammes. » - Michel Ciry[47]
« Après avoir pris à partie les représentants de la bourgeoisie, l'artiste exprime, de 1935 à 1940, dans des toiles "d'imagination apocalyptique", l'angoisse que lui inspire la condition humaine. Puis, durant la Seconde Guerre mondiale, il exécute des tableaux dits "aux filles-fleurs", où la beauté physique se trouve opposée à la laideur morale. Par la suite, il s'attachera surtout à la représentation poétique, voire fantastique de l'homme. Imposant toujours une atmosphère très personnelle, grâce au mouvement du dessin dont les oves et les ondes multiplient les courbes, les tableaux de Goerg, d'abord monochromes, ont, vers 1929, gagné un éclat nouveau, dû à l'apparition de tons plus francs. » - Les Muses, encyclopédie des arts[33]
« Goerg nous a laissé un type de femme. Adolescente aux hanches étroites, aux yeux charbonneux, ébouriffée, toute droite au milieu des bouquets. Les visages, dans ses tableaux, ont les mêmes fonctions que les fleurs : ils éclatent en taches claires sur le vert sombre ou le bronze d'un fond très modulé. Sans un collier, sans une parure, ces nus paraissent incongrus dans ce décor de jardin, et l'expression mutine, parfois innocente, de ces filles-fleurs ajoute à l'équivoque. Telle est l'image que l'on garde d'une œuvre placée traditionnellement dans les expositions et les histoires de l'art à côte de celle d'un Rouault, les deux représentants les plus marquants de ce qu'on appelle l'expressionnisme français. » - Pierre Mazars[48]
« La part la moins connue, et sans doute la meilleure de son œuvre, date de l'époque surréaliste, entre 1922 et 1942 ; elle est née à la fois des stigmates laissés par les horreurs de la Première Guerre mondiale et des recherches angoissées de l'artiste sur le plan philosophique et religieux. » - Gérald Schurr[49]
« Il a généralement groupé des nus féminins, mais assez souvent ces nus ont, si l'on peut ainsi dire, des témoins mâles strictement accoutrés. C'est dans ces dernières figures que persiste le plus cette intention bouffonne des débuts. Toutefois, le comique se charge d'amertume, de sarcastique. On retrouve aussi quelque chose d'un caricatural douloureux dans ces nus de très jeunes filles, qui sont les ingénues des compositions de Goerg. Traitant sans complaisance le thème de la volupté, ce peintre est loin d'avoir tout sacrifié au sujet, à la littérature. C'est par des vertus hautement picturales, par un emploi personnel de la couleur que ce peintre s'est le plus certainement imposé. » - Jacques Busse[50]
↑ Waldemar George (préface), La Marseillaise de la Libération - Catalogue, éditions de la Galerie Roux-Hentschel, juillet 1945.
↑ a et b René Barotte, « Édouard Goerg », Les Peintres témoins de leur temps - vol. VI, "Le sport", Achille Weber et Hachette, 1957, pages 120-121.
↑ a et b Waldemar-George, « Édouard Goerg », Les peintres témoins de leur temps - vol. X, "Richesses de la France", Achille Weber et Hachette, 1961, pages 140-141.
↑ a et bÉdouard Goerg, Conciliabule, huile sur toile 73 x 92 cm, 1928, n° 98 du catalogue 50 maîtres de Renoir à Kising - La collection Oscar Ghez (préface d'Oscar Ghez), Éditions du musée de Tel Aviv, 1964.
↑ a et b Françoise Woimant, Marie Cécile Miessner et Anne Mœglin-Delcroix, De Bonnard à Baselitz - Estampes et livres d'artistes, B.N.F., 1992, page 181.
↑Région Pays de la Loire, « Un nouveau musée régional d'art moderne à Fontevraud pour accueillir la donation Martine et Pierre Cligman », dossier de presse, septembre 2017.
↑Ekaterina Teryukova, « Collecting and research in the Museum of history of religion », dans : sous la direction de Gretchen Buggeln, Crispin Paine et S. Brent Olate, Religion in museums - Global and multidisiplinary perspectives, Bloomsbury Academic, 2017, pages 147-154.
↑ Pierre Lévy, Des artistes et un collectionneur, Flammarion, 1976.
↑ Pierre Descargues, « Les bagarreurs de l'art figuratif - Les chefs de file de l'expressionnisme français », Connaissance des arts, juillet 1961.
↑ Michel Ciry, Le temps du refus - Journal 1968-69, Plon, 1971, page 215.
↑ Pierre Mazars, « Un voyant, Goerg », Histoire et petites histoires de l'art, Grasset, 1978.
↑ Gérald Schurr, Le Guidargus de la peinture, Les Éditions de l'Amateur, 1996, pages 370-371.
Raymond Nacenta, The School of Paris - The painters and the artistic climate of Paris since 1910, Oldbourne Press, 1960.
Jacques Lethève, Goerg : l'œuvre gravé, [catalogue d'exposition], préface par Julien Cain, introduction par Édouard Goerg, Paris, Bibliothèque nationale, 1963.
Waldemar-George, Goerg, Éditions Pierre Cailler, Genève, 1965.
Michel Ragon, Histoire générale de la peinture, Éditions Rencontre, Lausanne, 1966.
Sophie Lefèvre, Réalistes des années 20 - Peintures d'Alix, Mauny, Courmes, Fautrier, Goerg, Gromaire, Lurçat, Éditions Musée-Galerie de La Seita, 1998.
Emmanuel Bénézit (article de Jacques Busse), Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol.6, Gründ, 1999.
Jean-Pierre Delarge, Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains, Gründ, 2001.
Michel Charzat, La Jeune Peinture française, 1910-1940, une époque, un art de vivre, Hazan, 2010.
Filmographie
1928 : Édouard Goerg à Cély d'André Sauvage. Film restauré par les Archives françaises du film du CNC.