Tous les garçons et les filles est le premier album, édité en France et à l'étranger, de la chanteuse Françoise Hardy. L’édition originale est parue en France, fin novembre 1962[1]. Sans titre à l'origine, cet album fut identifié sous le titre de son principal succès à partir de sa réédition en disque compact en novembre 2009.
Genèse de l'album
Contexte socio-culturel
En ce début des années 1960, le nouveau franc est entré en vigueur, la croissance est là, le chômage est quasiment inexistant. La « civilisation des loisirs » se fait jour, l’automobile se démocratise, la « télé » entre dans les foyers. Les adolescents issus du baby boom ont de l’argent de poche et se laissent tenter par tout ce qui est « dans le vent ». Ils aiment se retrouver entre eux dans les surprise-parties, en boîte de nuit, au cinéma, ou encore au café autour des flippers, jeux de société et juke-boxes. Blue jeans, scooters, transistors, tourne disques et les 45 tours des « idoles » de la chanson font partie des achats les plus convoités. Musicalement, ce sont surtout des airs d'origine anglo-américaine qui ont leur faveur. Pour satisfaire cet engouement, des émissions leur sont spécialement destinées : Salut les copains[2], diffusée chaque jour sur Europe 1 depuis , et Âge tendre et tête de bois, programmée chaque mois sur l’unique chaîne de télévision[3] depuis . Confortées par leur audience, elles éditeront tour à tour leur magazine papier[4]. Après les succès rencontrés par Johnny Hallyday et Les Chaussettes noires, le temps des « yéyés » est arrivé, l’industrie du disque prospère. Pour élargir l'offre, les producteurs s’emploient à dénicher de potentiels « tubes » anglo-américains qui, adaptés en français, seront interprétés par de jeunes talents généralement recrutés par petites annonces dans la presse.
Premières auditions
Françoise Hardy se passionne pour la chanson depuis l’âge de 13 ans. Cette passion s’exacerbe vers la fin des années 1950 avec la découverte des musiques rock et country diffusées sur Radio Luxembourg anglais. Après avoir obtenu ses deux parties de « bac » à 16 ans, ses parents veulent la récompenser. Françoise hésite entre un transistor et une guitare. Finalement, elle jette son dévolu sur l’instrument de musique. « Dès que j’eus le précieux instrument entre les mains, je me mis à « gratouiller » trois accords sur lesquels je chantonnais des bouts de mélodies de mon cru, inspirés de mes slow-rocks anglais et américains préférés[5]. »
À la rentrée universitaire de septembre 1960, Françoise Hardy (17 ans et demi) entame sa première année d’allemand en faculté des lettres de la Sorbonne. Après les cours, elle s’adonne à mettre en musique les états d’âme sentimentaux de l'adolescence. Même si cela lui paraît être « le bout du monde », elle ambitionne de concrétiser un fantasme : enregistrer un disque. Un jour, une annonce retient son attention dans le journal France-Soir : une maison de disques désire auditionner des chanteurs débutants. Sautant sur l'occasion, elle obtient rendez-vous chez Pathé-Marconi où on lui accorde un peu d’attention mais sans donner suite. Françoise se tourne alors vers le Petit Conservatoire de la chanson, connu pour ses cours dont certains font l’objet d’une émission télévisée mensuelle intitulée En attendant leur carrosse. La chanteuse Mireille en est le professeur et auditionne chaque semaine de nouveaux candidats. Devant le nombre, peu sont retenus. Françoise fait partie des sélectionnés. Cette expérience lui est précieuse pour s'accoutumer à chanter devant un public.
Après avoir réussi son examen de propédeutique lettres[6] en juin 1961, Françoise contacte les Disques Vogue, un label qui a Johnny Hallyday en catalogue et souhaite trouver son pendant féminin[réf. nécessaire]. Selon Pierre Mikailoff, c'est après avoir entendu Hallyday à la radio « qui lui semble mauvais », qu'elle contacte la maison de disques estimant qu'elle aurait toutes ses chances[7]. Auditionnée en studio par le directeur artistique, celui-ci lui conseille de travailler la mesure car elle s’est révélée incapable de chanter accompagnée par des musiciens.
Au retour des vacances d’été, André Bernot, le directeur des auditions de Vogue, reprend contact avec elle pour lui donner des cours de solfège afin qu’elle puisse chanter en mesure en vue d'une seconde audition. Fin prête au bout de quelques mois, rendez-vous est pris pour être présentée devant le directeur artistique Jacques Wolfsohn, le 14 novembre[8]. Cette audition étant probante, un contrat est conclu pour un an.
Le , « Mademoiselle Hardy » fait son apparition sur le petit écran lors de la diffusion d’un cours du Petit Conservatoire. Après quelques mois consacrés à composer des musiques, écrire des chansons et choisir les titres de son futur disque, le moment est venu d’entrer au studio d’enregistrement de Villetaneuse. Trois de ses compositions ont été retenues : J’suis d’accord, Il est parti un jour et Tous les garçons et les filles. Est ajouté Oh oh chéri, adaptation d’un titre américain qu’a refusé Petula Clark mais sur laquelle compte miser la production. Le tout — accompagné par l'orchestre maison de Roger Samyn (guitare et basse) — est enregistré en quelques heures, le 25 avril[9].
Reste à protéger les chansons. Il faut pour cela satisfaire aux procédures d’admission à la SACEM. Si pour l'examen d'auteur cela se passe sans encombre, il n’en va pas de même pour celui de compositeur. Françoise Hardy compose à la guitare mais ne sait pas noter la musique et ses connaissances en solfège sont insuffisantes. Pour franchir l’obstacle, Roger Samyn est désigné comme cosignataire des musiques (avec l'émergence d’une nouvelle génération d’artistes composant des mélodies sans connaître le solfège, le règlement d’admission à la SACEM sera changé en conséquence au cours de l’année suivante). Roger Samyn touche ainsi la moitié des droits d'auteurs de Françoise sur ses douze premières compositions. Cela reste cependant le morceau qui lui rapporte le plus de droits d'auteur[10].
Le 5 juin, deuxième programmation de Françoise Hardy dans l’émission consacrée au Petit Conservatoire de la chanson. Elle y présente son premier 45 tours, quelques jours avant sa mise en place chez les disquaires. Son rêve est désormais réalisé, elle n’attend rien de plus.
Comme prévu, Oh oh chéri est diffusé en priorité sur les ondes. Par la suite, les radios semblent privilégier la chanson J'suis d'accord. Puis, au fil des semaines, Tous les garçons et les filles devient celle la plus souvent programmée et demandée.
En juillet, comme chaque année, Françoise part en vacances (dans une famille autrichienne, près d’Innsbruck). À son retour, elle apprend avec étonnement que son disque connaît des ventes prometteuses.
Le 21 septembre, en direct du Petit Conservatoire de Mireille, Françoise chante, Tous les garçons et les filles en s’accompagnant à la guitare. Le lundi 8 octobre, elle est programmée dans une importante émission de variétés de la RTF : Toute la chanson[11]. Elle y apparaît en interprétant à nouveau sa chanson à succès. Mais c’est au soir du dimanche 28 octobre, alors que la grande majorité des Français attend les résultats du référendum sur l'élection au suffrage universel du président de la République devant leur téléviseur, qu’elle est vraiment découverte par le grand public lors de l’un des intermèdes musicaux qui ponctuent la soirée[12]. Dès le lendemain, les ventes du 45 tours se mettent à grimper.
À la mi-novembre, le contrat avec Vogue arrive à son terme. Devant le succès obtenu, il est renouvelé pour 5 ans. Un accord avec les Éditions musicales Alpha, créées par son directeur artistique Jacques Wolfsohn, est également signé.
Entre-temps, au vu du succès considérable que connaît son premier 45 tours, huit autres chansons ont été enregistrées. L’une d’entre elles n’est pas son œuvre ; Le Temps de l’amour a été écrite par Lucien Morisse et André Salvet sur une musique de Jacques Dutronc[13].
Contrairement à la stratégie commerciale en vigueur chez les maisons de disques, qui est d’éditer en priorité les nouvelles chansons sur 45 tours avant de les réunir sur un 33 tours, il est décidé de brûler les étapes en composant le contenu de l’album sans tarder.
En vente chez les disquaires depuis la fin novembre, deux nouveaux titres semblent prometteurs : C’est à l’amour auquel je pense[14] et Le Temps de l’amour[15]. Ce dernier deviendra lui aussi un « tube » — sans toutefois égaler celui de Tous les garçons et les filles — et occultera inexorablement la version originelle du chanteur José Salcy, éditée le mois précédent par les disques Vogue. L’interprétation de Françoise Hardy deviendra la référence et sera considérée à tort comme étant la première.
Françoise, qui a maintenant abandonné ses études, explique ce succès par différents concours de circonstances et de coïncidences favorables, au peu de concurrence et peut-être à son physique puisque la presse s’empare maintenant de son image. Ne se sentant pas prête pour affronter le public, elle refuse la proposition de Bruno Coquatrix pour passer à l’Olympia, car, dépassée par les événements, elle craint de ne pas être à la hauteur[16]. Ses débuts sur scène ont lieu le mardi 11 décembre, à l’occasion d’un gala donné dans la ville de Nancy[17].
Mi-décembre, les huit nouveaux titres parus en priorité pour l’album, sortent sur deux super 45 tours. Deux cent mille exemplaires de son premier super 45 tours ont été vendus[18]. L’album recevra le Grand Prix du disque 1963 de l’Académie Charles-Cros et le Trophée de la télévision 1963.
Ton meilleur ami (F. Hardy / F. Hardy, Roger Samyn).
On se plait (F. Hardy / F. Hardy, Roger Samyn).
La Fille avec toi (F. Hardy / F. Hardy, Roger Samyn).
Il est tout pour moi (F. Hardy / F. Hardy, Roger Samyn).
Disques promotionnels
Destinés à la promotion de l’album, ces disques, exclusivement distribués dans les médias (presses, radios, télévisions, exploitants de juke box…), portent la mention « Échantillon promotionnel. Interdit à la vente ».
1966 : LP, disques Vogue/Vogue International Industries (LD 600-30)[30].
1967 : LP, disques Vogue/Vogue International Industries (LD 600-30)[31].
2000 : CD (digipack), disques Vogue/BMG (7 43217 44332).
Novembre 2009 : CD (pochette cartonnée), Tous les garçons et les filles, disques Vogue/Legacy/Sony Music (886975 62462/1)[32]
Juin 2017 : LP (vinyle jaune, 180 gr.), Tous les garçons et les filles, Disques Vogue/Sony Music (8 89853 32111 9).
Disque super 45 tours (vinyle)
Juillet-août 1962 : EP, Contact avec Françoise Hardy, disques Vogue, coll. « En route vers le succès » (EPL 7967)[33].
: EP, Disques Vogue (EPL 7967).
« Contact avec » est supprimé au recto, au verso et sur la tranche. Au recto, « Francoise » est toujours sans cédille, la disposition et la couleur des titres ont été revus et la référence est imprimée en rouge. La tranche est imprimée en rouge. Doit dater de septembre/octobre 62, après les passages télé.
En 2013, les chansons de l’album sont entrées dans le domaine public. Voulue par l’industrie de la musique, la durée de protection des droits des artistes interprètes et des producteurs sur les enregistrements musicaux est passée de cinquante ans à soixante-dix ans en Europe. Cette directive adoptée par le Parlement européen le , est entrée en vigueur en novembre2013 avec effet rétroactif. En conséquence, les enregistrements de 1962 sont tombés dans le domaine public le (Ceux de 1963 ne seront donc libres de droit qu’en 2033). La majorité des publications est fabriquée, éditée et distribuée dans divers pays. Après le vote du Parlement européen, en , les fabricants européens peuvent choisir entre la mention "Made in UE" ou nommer leur pays[38].
France, janvier 2013 : CD (jewel case), Tous les garçons et les filles, RDM Édition[39] (CD686).
France, février 2013 : CD (jewel case)[40], Magic Records[41] (3930956).
Cette édition contient les douze titres de l'album en deux versions : stéréophonique puis monophonique.
: Cœur de pirate : reprise chantée en tournée ; inédite en CD.
Octobre 2012, Vitor Hublot : CD, Les Contes de la libido ordinaire, Psoriadiscs (PSO 11).
Le Temps de l’amour
Nota Bene: Le chanteur José Salcy fut le premier à l’enregistrer pour son premier super 45 tours, José Salcy et ses Jam’s, disques Vogue (EPL. 7 966), édité en octobre 1962. Françoise Hardy l’enregistra à son tour pour son premier album 33 tours, qui parut fin . La version de la chanteuse se démarqua en remportant un succès notable. En conséquence, les reprises qui seront faites de ce titre, feront généralement référence à ce qui est devenu un des standards de Françoise Hardy.
↑Parution signalée par Françoise Hardy dans un reportage réalisé en novembre et paru dans le n° 5 du magazine Salut les copains, daté du mois de décembre 1962 : « Celle en qui personne ne croyait : Françoise Hardy », pages 74 à 76. Une des premières publicités de l’album est parue en page 8 de la revue France Disques n° 3, datée du samedi .
↑Baptisée d’après le titre d’une chanson de Gilbert Bécaud et Pierre Delanoë (sortie en novembre 1960 sur 45 tours Pathé-Marconi, 7 EGF 284).
↑Baptisée d’après les paroles d’une chanson de Gilbert Bécaud et Pierre Delanoë : Tête de bois (sortie en décembre 1960 sur 45 tours Pathé-Marconi, EGF 502).
↑Le n° 1 du magazine Salut les copains est daté juillet août 1962, avec Johnny Hallyday en couverture. Le n° 1 du magazine Âge tendre et tête de bois est paru en janvier 1963 avec Johnny Hallyday + Brigitte Bardot en couverture (Françoise Hardy sera en couverture du n° 2).
↑F. Hardy, Le Désespoir des singes… et autres bagatelles, éd. Robert Laffont, 2008, p. 37.
↑F. Hardy, Le Désespoir des singes… et autres bagatelles, éd. Robert Laffont, 2008, page 42. Jusqu'en 1966, propédeutique fut le nom donné à la première année d'études supérieures, préparatoire aux licences dans certaines universités.
↑Télé 7 Jours n° 136 du 27 octobre 1962 et Le Nouveau Candide n°83 du 29 novembre 1962. L'intermède musical en question était la rediffusion de sa prestation enregistrée pour l'émission de variété Toute la chanson, diffusée le 8 octobre précédent.
↑ a et bÀ l’origine, une musique instrumentale intitulée Fort Chabrol, composée par Jacques Dutronc en été 1961 pour son groupe, Les Dritons. Arrangée par Dean Norton, elle fut enregistrée par le groupe Les Fantômes et leurs ‘Big Sound’ guitares, en janvier 1962 : EP, Le Diable en personne (Shakin’ All Over) - Golden Earrings - Fort Chabrol - Original Twist Guitar, disques Vogue (EPL 7 918).
↑Françoise Hardy se fera brocarder pour la syntaxe quelque peu redondante, indigne d'une étudiante en lettres, de cet intitulé. Il aurait fallu écrire « C'est l'amour auquel je pense » ou « C’est à l’amour que je pense », quitte à modifier la mélodie en conséquence.
↑Elle interprète ces deux titres à la télévision le 24 novembre 1962, dans l’émission de variétés, Soirée rose pour jour gris.
↑Elle y passera en « vedette américaine » de Richard Anthony en octobre 1963.
↑Gala organisé par les magazines Disco Revue et France Disques et par Radio Lorraine-Champagne, avec Dick Rivers en tête d’affiche. Source : France Disques, l’actualité hebdomadaire du disque, n° 3 du samedi 15 décembre 1962.
↑Sources : La Discographie française, n° 127 du 15 décembre 62 et Paris Match, n° 717 du 5 janvier 1963.
↑Orthographié par erreur, Jean François Perrier. Sera rectifié sur la seconde édition.
↑Titre de la chanson originale écrite et interprétée par Bobby Lee Trammell en 1958, réalisée sur le single You Mostest Girl/Uh Oh, Fabor/Dandelion Music (127-B), US.
↑Pseudonymes de Gilbert Guenet et Jean Setti, lesquels ont écrit plusieurs chansons pour Johnny Hallyday.
↑Premier interprète : José Salcy et ses Jam’s, 1962, EP, Barbara - Par le bout du Nez - Ray Charles - Le Temps de l'amour (Fort Chabrol), disques Vogue (EPL 7966).
↑Source : La Discographie Française, n° 127 du 15 décembre 1962.
↑Photo réalisée par Jean-Marie Périer du magazine Salut les copains. Au dos de la pochette de ce troisième 45 tours sont reproduits, des extraits de presse relevés dans Paris Match n° 713 du 8 décembre 62, Le nouveau Candide, n° 83 du 29 novembre 62, Télé 7 jours du 8 au 14 décembre 62, Salut les copains de décembre 62, La Discographie française, n° 127 du 15 décembre 62.
↑Réplique de la couverture du 1er super 45 tours réédité en septembre 1962.
↑Jean-Marie Périer est ici correctement orthographié au verso de la pochette.
↑Pochette avec bandeau « Grand Prix du disque 1963 ‘‘Académie Charles Cros’’ – Trophée de la télévision 1963 ».
↑Le nouveau logo « Vogue International Industries » apparaît au verso de la pochette.
↑Les étiquettes du disque arborent le logo présent sur les disques 45 tours depuis 1962.
↑Photographie de couverture, réalisée par Gérard Neuvecelle, reprise du 45 tours paru en décembre 1962.
↑Label de la société MAM productions, spécialisée dans la réédition en CD de disques de variété, située à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire).
↑ a et bMaison d’édition musicale située à Florence, filiale de MiruMir Music Publishing, entreprise de publications musicales établie à Moscou, spécialisée dans la réédition de disques vinyles.
↑Recto de pochette : réplique de l’album français originel. Verso de pochette : le texte a été recopié (avec quelques fautes de police de caractère, fautes de frappe et ponctuations à l’anglaise), sans logo Vogue, sans date originale de parution ni crédit photo.
↑Version avec disque de couleur jaune - distribuée en France exclusivement par la FNAC sous l’étiquette « Club Vinyl » (Import limité à 300 ex.). Verso de pochette : aucune correction n’a été apportée mais le crédit photo revenant à Jean-Marie Périer a été rajouté.
↑Maison d’édition musicale située au 9 Liddell Road Estate, Maygrove Road, West Hampstead, London.
↑Shuga Records est un label basé à Chicago, 1272 N Milwaukee Avenue.
↑Él, est un label indépendant londonien fondé en 1984 par Mike Alway.
↑Livret : réplique de la pochette anglaise de l’album.