Savielly Grigorevitch Tartakover naît d'un père autrichien et d'une mère polonaise, tous deux d'origine juive[3]. Son père, un chrétien de première génération, le fait baptiser avec la forme latine de son nom, Sabelius[4]. Ses parents, qui seront plus tard assassinés en 1911 lors d'un pogrom antisémite à Rostov-sur-le-Don, l'emmènent hors de Russie lorsqu'il est âgé de 12 ans, soit en 1899[5],[6].
C'est durant ses études qu'il se passionne pour les échecs. Il joue dans les cafés et rencontre aussi les grands joueurs de son époque, contre lesquels il dispute des parties brillantes. Déjà à l'âge de 19 ans, il obtient son titre de maître d'échecs en terminant premier du tournoi de Nuremberg 1906.
Pendant la Première Guerre mondiale, il combat dans les rangs de l'armée austro-hongroise. Après la guerre, il s'installe en France à Paris et, dès que la Pologne recouvre son indépendance en 1918, il prend la nationalité polonaise (alors qu'il ne parle pas cette langue). Il devient ainsi une sorte d'ambassadeur honoraire de ce pays, capitaine et entraîneur de l'équipe d'échecs polonaise dans six tournois internationaux[7].
C'est seulement après la Première Guerre mondiale qu'il décroche ses plus grands succès, notamment lors du tournoi de Liège en 1930 ou aux Olympiades de Hambourg la même année où il décroche une médaille d'or pour la Pologne[6],[7].
Carrière échiquéenne
Lorsqu'il arrive en France, Tartakover décide de devenir un joueur d'échecs professionnel. Avec d'autres grands maîtres, tels Aaron Nimzowitsch et Richard Réti, il fait partie de l'école hypermoderne et ne dédaigne pas de pratiquer les débuts dits « irréguliers » comme la défense hollandaise.
Sa meilleure période couvre les années 1920-1935. Tartakover participe à de grands tournois, remportant le tournoi de Hastings à trois reprises (1924, 1926 et 1927). Il partage la première place avec Nimzowitsch au tournoi de Londres en 1927. Dans les années 1930, il participe six fois aux Olympiades avec la Pologne, et donne cinq médailles à son équipe ; il gagne deux fois le championnat de Pologne, en 1935 à Varsovie, et en 1937 à Jurata.
Comme plusieurs grands joueurs de son époque, Tartakover connaît la réussite à l'âge « mûr ». Parlant de ses progrès plutôt lents, il explique : « Il est vrai que déjà, avant 1930, dans maintes grandes compétitions internationales (comme à Teplitz-Schönau 1922, Vienne 1922, Semmering 1926), je menais la course pendant longtemps et semblais déjà effleurer la victoire définitive, mais, au lieu de se raidir et de devenir plus insistante, ma tension faiblissait vers la finale, où les gaffes d'un instant gâchaient l'œuvre de plusieurs semaines ! »[8]
Tartacover écrit d'abord des articles dans des magazines d'échecs puis, publie avec un certain succès plusieurs livres sur les échecs, le principal ayant pour titre La Partie d'échecs hypermoderne (titre original allemandDie hypermoderne Schachpartie, 1925).
C'est pourtant par son livre d'initiation aux échecs, paru en 1934 sous le titre du Bréviaire des échecs, que Tartacover passera à la postérité parmi les adeptes français du noble jeu. Cet ouvrage, maintes fois réédité et qui a formé des générations de débutants, illustre son grand talent pédagogique, ainsi que sa vaste culture historique et littéraire.
Outre son Bréviaire, Tartacover écrit une trentaine d'ouvrages sur les échecs et collabore à de nombreuses revues échiquéennes, gagnant ainsi le titre officieux de « Champion des journalistes d'échecs »[11].
Quelques joueurs d'échecs parisiens gardent le souvenir de la fin de vie amère de Tartacover. Ruiné, et trop fier pour emprunter à ses amis, il passe ses journées dans un club d'échecs parisien, guettant l'éventuel « client » d'où il pourra gagner quelques francs pour s'acheter à manger - son goût maladif des jeux d'argent (casino) l'ayant laissé complètement démuni[13].
Il meurt en 1956 à Paris, seul[13]. Il est inhumé au cimetière parisien de Pantin dans la 136e division. Sa tombe, en bordure, existe toujours mais est totalement anonyme[14].
Personnalité
Xavier Tartacover est considéré comme l'une des personnalités les plus remarquables des échecs de son temps. Harry Golombek, traducteur en langue anglaise de ses écrits, affirme dans un avant-propos :
« Le Dr Tartakower est de loin le plus cultivé et le plus spirituel de tous les maîtres d'échecs que j'aie jamais rencontrés... Son discours et sa pensée ressemblent un peu à un mélange moderne de Baruch Spinoza et de Voltaire, et avec tout cela, une pincée d'originalité paradoxale qui fait l'indispensable Tartakower. »
Joueur d'échecs talentueux, Tartacover est également connu pour ses innombrables aphorismeshumoristiques, parfois appelés « Tartakoverismes ».
Malgré son esprit tranchant, il est superstitieux — comme d'autres joueurs d'échecs — et a l'habitude d'emporter avec lui de tournoi en tournoi un vieux chapeau des plus disgracieux. Il ne le porte qu'au dernier tour et gagne.
Cependant, ce chapeau ne lui garantit pas le succès dans les casinos qu'il fréquente assidûment[15]. Le jeu (et plus précisément son addiction au jeu) cause la ruine de Tartacover : à l'instar de ceux de David Janowski, les prix de ses tournois finissent dans les caisses d'un casino, à la fin de soirées passées devant la roulette[13].
Par ailleurs, malgré l'apparente jovialité conférée par son humour, il possédait un caractère irascible qui lui valut quelques inimitiés, et surtout la solitude[13].
Tartacover était tellement féru de mondanités que ses collègues le surnommaient malicieusement « Tartacaviar[16] ».
Style de jeu
Le style du jeu de Tartacover reflète parfaitement son esprit virevoltant, imaginatif mais fragile. Sa spécialité consistait à remettre au goût du jour des coups jusque là considérés comme douteux. Son grand principe, qu'il partageait alors avec les autres hypermodernes (surtout Richard Réti), était de ne pas en avoir[17].
Les coups excentriques de Tartacover, s'ils déconcertent plusieurs grands maîtres de premier plan, arrivent souvent à déconcerter surtout leur auteur. Néanmoins, à son tableau de chasse, figurent tous les plus grands joueurs de son époque. Pour certains, comme Frank Marshall et plus tard Paul Keres, Tartacover représente même une véritable « bête noire »[17].
Contributions à la théorie des ouvertures
Personnage haut en couleur, Tartacover aimait l'originalité, qu'il manifesta grâce à son style fantasque durant sa carrière. Il introduisit deux ouvertures d'échecs originales et bien des variantes.
La deuxième ouverture fut introduite lors du tournoi de Barcelone 1929 : lors du banquet d'ouverture de ce tournoi fermé, il annonça avec légèreté aux organisateurs qu'il introduirait un nouveau système d'ouverture. Ce fut le début catalan qui allie à la poussée du pion d4 le fianchetto du fou en g2.
Parmi ses variantes, la « variante Tartakover du gambit dame » est une ligne de jeu fréquemment employée par les joueurs de l'élite mondiale. Hormis l'américain Bobby Fischer, tous les champions du monde de l'ère moderne, comme les russes Boris Spassky ou Anatoli Karpov l'ont intégrée à leur répertoire d'ouverture : 1. d4 d5 2. c4 e6 3. Cc3 Cf6 4. Fg5 Fe7 5. e3 0-0 6. Cf3 h6 7. Fh4 b6[19].
Liste des ouvertures portant le nom de Tartacover :
En réponse à une enquête de la revue Les Cahiers de l'Échiquier français[22], Tartacover désigna en 1928 comme étant sa meilleure partie celle qu'il joua en 1922 contre Geza Maroczy, lors de la partie Maróczy - Tartakover.
« On n'a jamais gagné une partie en abandonnant ! »
« Celui qui prend des risques peut perdre, celui qui n'en prend pas perd toujours. »
« Je n'ai jamais vaincu un adversaire en bonne santé. » (cette citation fait référence aux joueurs qui accusent une maladie, parfois imaginaire, pour expliquer leur défaite)
« Les grosses bourdes sont là, sur l'échiquier, attendant d'être commises. »
« Qu'il faut, pour être le veinard, des gaffes aux échecs, faire l'avant dernière. »
« La tactique consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il y a quelque chose à faire. La stratégie consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il n'y a rien à faire. »
« Il est encore meilleur de sacrifier les pièces de son adversaire. »
« Tout est finement imaginé ; mais les dieux, avant la fin de la partie, ont placé le milieu de jeu. »
« Ne jouez donc aux échecs que pour vous distraire ; c'est le plus beau des jeux, mais c'est un jeu. Ses lauriers sont trompeurs, son ambition est maladive. »
↑Certaines éditions françaises de ses ouvrages ont recouru à l'orthographe « Tartacover » tandis que d'autres ont préféré l'orthographe « Tartakover ». Les éditions Stock elles-mêmes, qui avaient initialement recouru à l'orthographe « Tartacover » en 1937 et 1953, ont ensuite utilisé, en 1967 et 1978, l'orthographe « Tartakover ».
↑Sur le site de l'historien des échecs Edward Winter, à C.N. 3900 (chess note 3900) ; on voit la signature de l'auteur avec un c et un v au lieu de k et w (3900 Tartakower).
↑ abc et d(pl) Radosław Leniarski, Paweł Kerntopf, Gazeta Wyborcza, « Szachy ze swastyką » [« Échecs avec croix gammée »], sur wyborcza.pl, .
↑Il poursuit : « Par contre, à Liège 1930, ma volonté de vaincre s'est enfin maintenue sans fléchir jusqu'à la fin, puisque, même encore dans la dernière ronde [..], j'ai quand même préféré rechercher les complications pour abattre inexorablement mon rival direct dans ce tournoi-là : « le mystérieux Hindou » Sultan Khan » — Nicolas Giffard, Le Guide des Échecs, page 446 (éditions Robert Laffont, 1993) (ISBN2-221-05913-1)
« Le lendemain était un jour de repos, et une excursion au zoo du Bronx fut organisée. Le boute-en-train de l'équipe était sans conteste Tartacover qui amusa tout le monde par une conversation à bâtons rompus avec Suzan... le plus bel orang-outang. Il décida même de lui dédier sa prochaine partie contre Maroczy. Effectivement, il tint son pari et entama la partie par : 1.b4!?! Tartacover expliqua que la montée de ce pion lui faisait penser à un orang-outang grimpant à un arbre. »