Engagé volontaire comme aviateur pendant la Première Guerre mondiale, il tire de cette expérience humaine son premier grand succès littéraire, L'Équipage, publié à 25 ans. Dès lors, son œuvre romanesque se nourrit de l'aventure humaine dans laquelle il s'immerge, à la recherche d'hommes exceptionnels. Après la guerre, il se consacre en parallèle au journalisme et à l'écriture romanesque. Il participe à la création de Gringoire, un hebdomadaire politique et littéraire qui devient l'un des plus importants de l'entre-deux-guerres, et signe des grands reportages à succès pour Paris-Soir que dirige alors Pierre Lazareff. Il publie notamment Belle de jour, qui fait scandale et reste entouré d'une réputation sulfureuse jusqu'à son adaptation cinématographique en 1967 par Luis Bunuel, et Fortune carrée, roman inspiré d'un périple en Mer Rouge lors duquel il rencontre Henry de Monfreid. Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, il est correspondant de guerre, puis rejoint la Résistance et rallie le général de Gaulle à Londres. Il y compose et coécrit avec son neveu Maurice Druon les paroles du Chant des partisans, qui devient l'hymne de la Résistance[2], et écrit L'Armée des ombres en hommage à ses combattants, puis finit la guerre comme capitaine dans l'aviation. Après la Libération, il retourne aux voyages - dont il tire de grands reportages et la matière de romans, dont celui qui est considéré comme son chef-d'œuvre romanesque, Les Cavaliers, ou encore Le Lion, qui rencontre un immense succès.
Il se consacre aussi au devoir de mémoire et d'amitié en écrivant la biographie d'hommes comme le Dr Kersten, dans Les Mains du miracle, ou Jean Mermoz. Il est élu à l'Académie française en 1962.
Biographie
Origines
Joseph Elie Kessel est le fils de Samuel Kessel, médecin juif d’origine lituanienne (à l'époque en Russie impériale), et de Raïssa Lesk, d'une famille juive établie à Orenbourg, en Russie, sur le fleuve Oural[3]. Samuel Kessel, après avoir passé son doctorat à Montpellier, s'embarque avec son épouse pour l'Argentine où il a obtenu un poste pour trois ans. C'est dans ce pays que naît Joseph. La famille revient ensuite en Europe pour se rapprocher de la famille Lesk à Orenbourg[4],[5], où elle réside de 1905 à 1908.
Infirmierbrancardier durant quelques mois en 1914, à l'âge de 16 ans, il obtient l'année suivante sa licence de lettres et se trouve engagé au Journal des débats, dans le service de politique étrangère[8].
Aviateur dans la Grande Guerre et premiers romans
Tenté un temps par le théâtre (il est reçu en 1916 au Conservatoire avec son jeune frère, Lazare (1899-1920) dit Lola — le père de Maurice Druon —), Joseph Kessel fait quelques apparitions comme acteur sur la scène de l’Odéon. Mais à la fin de cette même année, Joseph Kessel choisit de prendre part aux combats, et s’enrôle d’abord dans l’artillerie, puis dans l’aviation. Il sert au sein de l’escadrille S.39, sous le commandement du Capitaine Thélis Vachon. Séduit par le charisme de cet homme à l'enthousiasme contagieux, il lui rend hommage à travers le personnage du capitaine Gabriel Thélis dans son premier grand succès, L'Équipage, publié en 1923[9]. Il termine la guerre par une mission en Sibérie en passant par les États-Unis, puis Vladivostok[10].
En 1920, il est envoyé à Londres par le Journal des débats pour son premier grand reportage. Mais comme il a alors un statut d'apatride, il se fait faire un faux passeport. Cela l'incite à demander l'année suivante la nationalité française qu'il obtient, en faisant intervenir Robert Dreyfus, conseiller haut placé au bureau du sceau, en [11].
Il se marie en 1921 avec Nadia-Alexandra Polizu-Micşuneşti (d'une famille appartenant à la noblesse roumaine du XIXe siècle), surnommée « Sandi », qui meurt en 1928 de tuberculose[12].
En 1926, il publie un roman intitulé Makhno et sa juive où il décrit le leader anarchiste ukrainien Nestor Makhno en tyran assoiffé de sang touché par la beauté d'une jeune juive. Il provoque une vive réaction dans les milieux anarchistes et des réponses de Makhno lui-même, qui vit en exil à Paris. La crédibilité du récit de Kessel, qu'il affirme basé sur le témoignage d'un officier blanc, est aujourd'hui considérée comme nulle[13].
De l'aventure littéraire à la littérature de l'aventure des hommes
Avec Georges Suarez et Horace de Carbuccia, Joseph Kessel fonde en 1928, à Paris, un hebdomadaire politique et littéraire orienté à droite, Gringoire. Romain Gary, qui deviendra plus tard son ami, y publie deux nouvelles à ses débuts, L'Orage (le ) puis Une petite femme (le ), sous son véritable nom, Roman Kacew. Kessel décide de se mettre au vert en 1932 et séjourne un mois entier à l'hôtel Excelsior à Genève avec sa femme et sa mère. Il écrit en trois semaines le roman Wagon-Lit. Il en profite aussi pour aller à Annemasse, côté français, rendre visite au docteur Alexandre Lapiné, un ami proche qui avait assisté à sa naissance en Argentine. Il écrit aussi un article dans Le Messager sur le téléphérique du Salève, inauguré deux mois auparavant[14]. Joseph Kessel est également membre du jury du prix Gringoire, fondé par l'hebdomadaire, avec d'autres écrivains de l'époque et sous la présidence de Marcel Prévost. Mais par la suite, déjà choqué par l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne et les persécutions antijuives qui s'ensuivent, Kessel quitte Gringoire quand le journal commence à adopter une ligne nettement antisémite. En 1936, il publie La Passante du Sans-Souci, un roman au ton antifasciste[15].
Il rencontre Catherine Gangardt (1903-1972) (d'origine lettone et surnommée « Katia ») avec qui il se marie en 1939[16] mais dont il divorcera ensuite[17].
Joseph Kessel appartient à la grande équipe réunie par Pierre Lazareff à Paris-Soir, et qui représente l’âge d’or des grands reporters. Il fait pour le journal de nombreux voyages dont il rapporte des reportages qui font monter le tirage du journal de plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, et dont il tire la matière de romans. Il est correspondant de guerre pendant la guerre d'Espagne, puis durant la drôle de guerre.
En , dans l'enceinte du pub The White Swan, à Coulsdon dans la banlieue sud de Londres, ils composent, toujours avec son neveu Maurice Druon, les paroles françaises du Chant des Partisans[18] qui deviendra le chant de ralliement de la Résistance, chant interprété par Germaine Sablon, sa compagne d'alors. La même année, Kessel publie L'Armée des ombres en hommage à ses combattants de l'ombre. Il finit la guerre capitaine d’aviation dans une escadrille qui, la nuit, survole la France pour maintenir les liaisons avec la Résistance et lui donner des consignes.
C'est à cette époque qu'il rencontre à Londres Michèle O'Brien, une Irlandaise avec qui il se marie en 1949. Elle sombre par la suite dans une dépendance à l'alcool qui incite Kessel à s'intéresser aux Alcooliques anonymes et à leur méthode de traitement de l'alcoolisme[19], et à publier Avec les Alcooliques Anonymes, en 1960.
Grand reporter et retour aux voyages
À la Libération, Joseph Kessel reprend son activité de grand reporter. Il est l'un des journalistes qui assistent au procès du maréchal Pétain en juillet-, puis au procès de Nuremberg, pour le compte de France-Soir. Il voyage en Palestine et reçoit le premier visa du tout nouvel État d'Israël quand il se pose à Haïfa le [20].
Entre-temps, il publie Les Amants du Tage, La Vallée des Rubis, Le Lion, Tous n’étaient pas des anges, et il fait revivre, sous le titre Témoin parmi les hommes, les heures marquantes de son existence de journaliste.
En 1950 paraît Le Tour du malheur, livre comportant quatre volumes. Cette fresque épique, que l'auteur mit vingt ans à mûrir (voir l'avant-propos), contient de nombreux éléments de sa vie personnelle et occupe une place à part dans son œuvre. En s'attachant à des personnages très excessifs, elle dépeint les tourments d'une époque (la Grande Guerre puis l'entre-deux-guerres) et recèle une analyse profonde des relations humaines. On peut lire dans les relations entre le personnage principal et son jeune frère, Daniel, celles qui liaient Joseph Kessel et son petit frère Lazare, qui se suicida en 1920 à l'âge de 21 ans.
Élection à l'Académie française
Consécration ultime pour ce fils d’immigrés russes juifs, l’Académie française lui ouvre ses portes. Joseph Kessel y est élu le , au fauteuil du duc de La Force, par 14 voix contre 10 au premier tour de scrutin, face à Marcel Brion. Devant l'Académie française, il revendique alors hautement son appartenance au judaïsme, comme il en avait précédemment témoigné dans Terre de feu (1948) publié au moment de la création de l'État d'Israël[23]. Il tient à faire orner son épée d'académicien d'une étoile de David[24].
« Pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France, dont les ancêtres grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale… vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. De la sorte, messieurs, vous avez donné un nouvel et puissant appui à la foi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards fixés sur les lumières de la France. »
En juin 2020, il entre dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade[25]. La même année sort l'Album Pléiade Joseph Kessel, no 59 de la collection.
Mort
Joseph Kessel meurt d'une rupture d'anévrisme le , à Avernes[26], quelques mois avant son épouse Michèle (sa troisième épouse, née O'Brien, irlandaise), morte à Collioure en [27].
François Mauriac lui rend hommage dans son Bloc-notes : « Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d’abord dans la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme. »
↑Kessel, qui n'aimait guère son prénom, tenait à ce que son nom soit graphié « J. Kessel » sur la couverture et à l'intérieur de ses livres. Voir « Note sur la présente édition » de Serge Linkès, dans Romans et récits, I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2020, p. LIX.
↑À la suite d'un oubli de déclaration de la part de ses parents et des témoins, il fut déclaré né Joseph Elie Ressel le à la colonie de Villa Clara en Argentine. Si Ressel a bien été corrigé en Kessel, sa mère n'a jamais réussi à faire changer la date[1].
↑Xavier Lenormand, Étienne Thieulin, À travers notre ville, l'histoire des rues de Bourg-la-Reine, Orléans, Imprimerie Nouvelle, 1994, p. 164 (ISBN2-9509068-0-X).
↑Il raconte cette expérience dans l'un de ses derniers ouvrages, Les temps sauvages, daté de juin 1975.
↑Doan Bui et Isabelle Monnin, Ils sont devenus français. Dans le secret des archives, Jean-Claude-Lattès, 2010 : « Alors, en 1921, Joseph décide de s'y coller. Il va à la préfecture solliciter sa naturalisation, ce sera plus simple que les bidouillages hasardeux. D'autant qu'il connaît Robert Dreyfus, un conseiller haut placé au bureau du sceau, chargé de plaider sa cause. »
↑« Joseph Kessel, l’ami colosse », liberation.fr, (lire en ligne, consulté le ).
↑Alexandre Skirda, Nestor Makhno, La lutte pour les soviets libres en Ukraine 1917-1921, Paris, Spartacus, , 498 p. (ISBN979-10-94106-36-5), p. 320-321
↑Dominique Ernst, « Quand le romancier Joseph Kessel écrivait dans Le Messager! », Le Messager, , p. 32 (lire en ligne).
Marc Alaux, Joseph Kessel, La vie jusqu'au bout, Transboréal, 2015.
André Asséo, Rêver Kessel, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.
Olivier Weber, Dictionnaire amoureux de Joseph Kessel, Plon / Place des éditeurs, coll. « Dictionnaire amoureux », , 750 p. (ISBN978-2-259-27781-5, lire en ligne)
Georges Walter, Le Livre interdit : Le silence de Kessel, Le Cherche-midi, 2016.
Alexandre Boussageon, Joseph Kessel - Écrivain De L'aventure, Paulsen (Éditions), 2015
Olivier Weber, Kessel, le nomade éternel, Paris, Arthaud, 2006.
Olivier Weber, Lucien Bodard, un aventurier dans le siècle, Paris, Plon, 1997.
Jean-Marie Baron, Ami, entends-tu…, Paris, Gallimard, 2006.
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Présence de Kessel, Alain Tassel (dir.), Association des publications de la Faculté des Lettres, série «Actes et Hommages» no 1, Nice, 1998.
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Joseph Kessel, Romans et récits, tome I, Serge Linkès (dir.), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2020
Joseph Kessel, Romans et récits, tome II, Serge Linkès (dir.), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2020
Dominique Bona, Les Partisans : Kessel et Druon, une histoire de famille, Gallimard, 2023