Václav Havel
Václav Havel [ˈvaːt͡slaf ˈɦavɛl][b] Écouter, né le à Prague et mort le à Hrádeček, est un dramaturge, essayiste et homme d'État tchécoslovaque puis tchèque. Durant la période communiste, il prend part à l’opposition à la dictature en tant que membre de la Charte 77. En 1989, il est l’une des figures de proue de la révolution de Velours, qui restaure la démocratie parlementaire. Il est élu président de la République fédérale tchèque et slovaque de 1989 à 1992, puis président de la République tchèque de 1993 à 2003. Responsable politique atypique mû en priorité par l'éthique, il est généralement estimé comme une « personnalité extraordinaire » dans son pays[1] ; il est souvent appelé le « président-philosophe » et sa vie a été qualifiée d'« œuvre d'art » par l'écrivain Milan Kundera. BiographieJeunesse sous le pouvoir communisteVáclav Havel naît au sein d'une famille de la bourgeoisie praguoise : « une famille d'entrepreneurs richissimes, propriétaires de studios de cinéma et de dizaines d'immeubles dans la capitale[2] ». Après la libération du pays de l’occupant nazi par l'Armée rouge et l'arrivée au pouvoir des communistes en 1948, sa famille est dépossédée de ses biens et accusée d'avoir collaboré avec les nazis. Ses parents sont obligés de travailler comme ouvriers dans l'usine qu'ils ont créée[3]. À partir de son adolescence, le jeune Václav s'intéresse beaucoup à la poésie, et écrit de nombreux poèmes, ce qui surprend beaucoup son père[4]. À la fin de la guerre, il découvre le scoutisme, qui le marque profondément[5], mais ce mouvement est bientôt interdit et remplacé par celui des pionniers communistes, où il n'est évidemment pas admis, car le jeune Havel se trouve, comme la plupart des membres issus de l'élite, qualifié d'« ennemi de classe ». C'est pourquoi, après sa scolarité obligatoire, en 1951, il se trouve interdit d'études par le régime et ne peut entrer à l'université pour suivre les études de littérature et de cinéma comme il le souhaitait[3]. Dès ses quinze ans, il forme un groupe avec des amis, tous nés en 1936, qu'ils appellent « les trente-six ». Ils organisent des rencontres et des séminaires dans lesquels ils discutent très librement de l'oppression du régime socialiste, recherchent avidement des ouvrages d'auteurs interdits, et publient une revue dactylographiée, sans avoir conscience que ce qu'ils font est extrêmement dangereux : s'ils avaient eu dix-huit ans et avaient été découverts, ils se seraient retrouvés en camp de concentration stalinien ou condamnés à mort[6]. C'est grâce à l'un des membres de ce groupe qu'il découvre Franz Kafka, auteur interdit à l'époque (il sera autorisé à partir de 1963), qui restera durant toute sa vie son auteur préféré et la principale source d'inspiration de son œuvre théâtrale[7]. Cette marginalisation sociale lui est d'ailleurs imposée alors qu'il refusait déjà lui-même d'être reconnu plus pour sa « position sociale favorable » que pour son esprit. Pendant quatre ans, alors qu'il est apprenti-technicien dans un laboratoire de chimie, Havel assiste à des cours du soir, complétant ainsi sa formation pré-universitaire qui lui permet d'entreprendre des études d'économie à l'École technique supérieure de Prague, bien qu'il eût préféré entrer à la Faculté de cinéma de l'Académie des arts de Prague (où enseignait Milan Kundera), ce qui s'est révélé impossible à cause de son origine sociale[4]. Encouragé par tradition familiale à s'intéresser aux valeurs humaines de la République tchécoslovaque, Václav Havel commence dès l'âge de dix-neuf ans à publier articles et nouvelles, en particulier dans des revues liées au théâtre. ThéâtrePendant son service militaire, Václav monte avec deux de ses amis, Andrej Krob et Karel Brynda (plus tard dramaturge principal du théâtre d'Ostrava), l'ensemble théâtral de son régiment, avec une pièce attribuée à Pavel Kohout (qui en réalité n'existe pas : ce sont les trois amis eux-mêmes qui ont écrit la pièce) intitulée Les nuits de septembre, dans laquelle Havel joue le rôle d'un brigadier négatif. Cela permet à leur groupe d'amis de fuir la monotonie du service militaire, et d'aller dans des festivals, où ils rencontrent un certain succès. La pièce est jugée trop dangereuse pour l'esprit de l'armée, et le groupe doit renoncer aux médailles et aux prix[8]. Après son service militaire, il travaille comme éclairagiste[3] au théâtre ABC, puis plus tard, dès 1960, au théâtre sur la Balustrade (Divadlo na zábradlí). Il y rencontre Olga Havlová, comédienne, qu'il épouse en 1964[9]. Ce deuxième théâtre produit sa première pièce, la Fête en plein air (Zahradní slavnost) (1963), une pièce présentant d'une remarquable manière la forte régénération des tendances qui prévalaient dans la culture et la société tchèque dans les années 1960 et qui a culminé lors du Printemps de Prague de 1968. Pour lui, son action dans la vie publique et culturelle est un moyen de promouvoir son idéal démocratique. Pour vivre, il travaille en parallèle comme manœuvre dans une brasserie industrielle[3]. Václav Havel est d'abord inspiré par le théâtre de l'absurde et l'héritage kafkaïen, puis sa parole dissidente prend le dessus. Le grand nom qu'il s'est fait dans les années 1960, grâce à son œuvre dramatique, et à la censure que lui impose le régime politique, font que, dans les années 1970, Havel entre résolument dans la dissidence, pour rédiger un vibrant plaidoyer politique en faveur des droits de l'homme : le manifeste de la Charte 77. Représentant de l'opposition tchécoslovaqueAprès l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie en 1968, qui marque la fin du processus de libéralisation du Printemps de Prague, Václav Havel n'a pas abandonné ses convictions, dont il trouvait inspiration dans les écrits de Jan Patočka et de Martin Heidegger[c],[10], comme de nombreux dissidents tchèques de son époque. Il a été président du Cercle des écrivains indépendants, puis membre actif au sein du club des Sans-parti engagés. Son engagement lui coûte une censure de ses pièces : en 1971, ses pièces sont interdites[9]. En 1974, il travaille dans une brasserie. La communauté internationale remarque ce dissident, notamment en raison de sa lettre ouverte adressée au président Gustáv Husák, en 1975, où il dénonce la situation de la société et la responsabilité du régime politique[9]. Il est perçu dès lors comme un représentant de l'opposition intellectuelle tchécoslovaque. En tant que citoyen, il proteste contre l'oppression intense qui marque ce que la gauche au pouvoir nomme la « normalisation ». En 1977, il est l'un des cofondateurs, et l'un des trois porte-paroles de la « Charte 77 », une organisation de défense des droits de l'homme en Tchécoslovaquie. Son action le mène en prison à trois reprises : il y passe au total près de cinq ans, entre 1977 et 1989[9]. Il y écrit, en 1978, un essai, « Le Pouvoir des sans-pouvoir », dans lequel il analyse les mécanismes de la mauvaise raison d’État qui prive selon lui les citoyens ordinaires de toute capacité d'influer sur le cours réel de leur vie : mécanismes qui conduiraient à la résignation des individus et aussi à leur démission morale, stérilisant en fait la dynamique sociale. Derrière cette analyse, il veut démontrer la force de la résistance morale et de la vie. Cet essai obtient un impact non seulement chez les dissidents tchécoslovaques, mais aussi dans les mouvements d'opposition des autres pays socialistes. Le il est invité, avec huit autres dissidents, à un petit-déjeuner avec le président français François Mitterrand. Il est arrêté le pour un rassemblement interdit en mémoire de Jan Palach, et est condamné le , à neuf mois de prison. Il est finalement libéré le après avoir purgé la moitié de sa peine[11],[12]. Révolution de VeloursEn , à cause de ses séjours répétés en prison pour ses écrits politiques, Václav Havel est un dissident très connu de l'opinion publique et est spontanément placé par la foule à la tête du mouvement « Forum civique », une association unie des mouvements d'opposition et d'initiative démocratique[13]. Sa présence et ses interventions dans les manifestations attirent des foules de plus en plus nombreuses. Il devient alors un personnage clé de la révolution de Velours, qui culmine du au [9]. Ainsi, quand il prend la parole au cours d'une manifestation, la foule crie « Havel, na Hrad! », soit « Havel, au château ! » (siège de la présidence)[14]. Présidence de la RépubliqueEn , Václav Havel est investi par un courant d'opinion unanime et n'a donc aucune difficulté à évincer l'ancien secrétaire général du PC, Alexander Dubček, qui doit se contenter de la présidence de l'Assemblée fédérale. Après la démission du président Gustáv Husák, en attendant des élections parlementaires, Havel est élu président intérimaire de la Tchécoslovaquie, par l'Assemblée fédérale, composée pourtant à 80 % de députés communistes. Le nouveau président n'envisageait pas du tout l'accès à ce poste les jours précédant la chute du régime et dut se faire un peu prier. Il finit par accepter cette fonction à titre intérimaire : aussi, son mandat devait expirer quarante jours après les premières élections parlementaires libres qui devaient suivre. Mais, comme Havel l'a lui-même rappelé, « l'intérim a duré 13 ans » : les parlementaires élus démocratiquement le reconduisirent à la présidence de la République en . En tant que président de la République fédérale tchèque et slovaque, il rencontre très vite tous les chefs des États européens, ainsi que les présidents des États-Unis, de l'URSS et de nombreux autres pays. Son action sur la scène internationale permet au pays d'avoir de nouvelles relations avec l'extérieur. En politique intérieure, Václav Havel conduit de grands changements démocratiques dans l'administration du pays et dans la démocratisation de la société. Il est reconnu comme un président non partisan, indépendant de tout parti politique, et une autorité essentielle sur la scène politique ainsi que dans les relations entre Tchèques et Slovaques. Le , Havel démissionne de ses fonctions présidentielles, lorsque la partition entre Tchèques et Slovaques devient inéluctable, partition à laquelle il a été longtemps opposé[3]. Après son retrait, il délaisse la vie publique pendant deux mois. En , il tombe d'accord avec la proposition du gouvernement : que le président soit élu par les deux Chambres du Parlement, qu'il ne puisse pas être révoqué par celui-ci et qu'il ait le droit de le dissoudre. En retour, en , Václav Havel est élu président de la nouvelle République tchèque indépendante, devenant le premier détenteur de cette fonction. Son ami proche, Ivan Medek, devient chef du bureau du président (chancelier)[15]. Grand fumeur, il est opéré, en 1996, d'un cancer du poumon, dont il se rétablit[3]. Il est réélu en 1998, pour un nouveau mandat de cinq ans. Son ancien président du gouvernement, Václav Klaus, lui succède en . Václav Havel est partisan de la guerre d'Irak, lancée par George W. Bush. Dans les derniers jours de sa présidence, il signe « la lettre des huit » avec sept autres dirigeants européens[16], soutenant l'administration Bush[17] dans sa décision d'envahir l'Irak[18]. Après la présidenceSi à l’étranger, il bénéficie d’une grande popularité, dans son pays son étoile pâlit un peu[3]. Les Tchèques lui reprochent son remariage rapide après le décès, en 1996[2], de sa femme Olga Havlová, avec Dagmar Veškrnová, une actrice de dix-sept ans sa cadette[3] qui avait signé l'Anticharte[19], une réaction du pouvoir communiste à la Charte 77 signée par Václav Havel. Ils critiquent aussi la récupération d'une grande partie de l'important patrimoine immobilier confisqué à sa famille par les communistes[3]. En , lors de la séance d'ouverture de la Semaine Verte de la Commission européenne, il déclare : « Le monde est un grand mystère, nous devons l’aborder avec humilité », face à un public d’eurocrates, de lobbyistes professionnels et de représentatants d’ONG. Il remet explicitement en cause les fondations de la croissance économique : « Il n’est pas judicieux de croire que la croissance est quelque chose qui peut durer pour toujours » - faisant référence au Rapport de Donnella et Dennis Meadows (chercheurs au MIT) intitulé The limits to Growth (« Les limites à la croissance »). Václav Havel poursuit : « Ce n’est pas juste une question de philosophie, c’est très réaliste », évoquant l’expansion urbaine, les taux de criminalité en hausse et le sentiment général d’aliénation associée à la vie moderne[20]. En novembre et , Václav Havel passe huit semaines aux États-Unis pendant lesquelles il donne des conférences et des cours magistraux à l'université Columbia et participe à un entretien public avec l'ancien président Bill Clinton. À la suite de ce séjour, il publie À vrai dire (Prosím stručně), un recueil d'entretiens avec Karel Hvížďala, qui est présenté comme ses Mémoires. Il y raconte les anecdotes de son quotidien lors de sa présidence et la difficulté pour un homme de lettres de se conformer aux protocoles du pouvoir. Il montre également que, malgré la chute du bloc soviétique et l'arrivée de la liberté politique, son pays n'est toujours pas libéré sur le plan économique ; il est très critique envers le capitalisme financier, qui méprise les hommes, les pays et leur histoire. Pour lui, une société ignorante de son passé, qui ne fait que courir vers la télévision et les grands magasins, court vers l'abîme[21]. Il publie, en 2007, Partir (Odcházení), une pièce sur l'abandon du pouvoir. D'abord prévue pour le Théâtre national, elle est finalement proposée au théâtre de Vinohrady, dans laquelle joue Dagmar Havlová, l'épouse de l'ancien président. En 2008, en pleine polémique sur le déploiement du bouclier antimissile des États-Unis sur le territoire tchèque, il fait preuve d'atlantisme en déclarant : « Je crois qu'en l'occurrence on peut se comporter comme de vrais alliés et aider les États-Unis dans leur projet »[22]. De santé fragile, V. Havel connaît des problèmes pulmonaires, à la suite d'une pneumonie mal soignée pendant ses années de prison et de son cancer du poumon en 1996[23]. Il souffre de bronchite chronique et de problèmes cardiaques[23]. En , il est hospitalisé et contraint de rester les mois suivants dans sa maison de campagne, dont il sort peu[23]. Il trouve tout de même la force de rencontrer le dalaï-lama, de passage à Prague, et de signer une pétition pour que l'opposition russe s'unisse contre Vladimir Poutine, après les élections controversées du [24]. Václav Havel meurt dans son sommeil, d'une insuffisance respiratoire, le , dans sa maison de campagne de Hrádeček, commune de Vlčice, située à 113 km à l'est-sud-est de Prague[2]. Depuis 2012, le principal aéroport tchèque est nommé aéroport de Prague - Václav Havel. Hommages posthumesDeuil nationalLe gouvernement tchèque décrète un deuil national de trois jours (les 21, 22 et ), pour que les Tchèques puissent rendre hommage à leur ancien président. Une journée de deuil national est également décrétée par le gouvernement slovaque le . Déclarations à l'annonce de sa mort
Funérailles nationalesDes funérailles d'État se tiennent le 23 décembre, à la cathédrale Saint-Guy du château de Prague, sous la présidence de l'archevêque de Prague, Mgr Dominik Duka. Après la crémation, ses cendres sont déposées dans le caveau familial au cimetière Vinohrady[25]. Plusieurs ambassadeurs, ministres, chefs d'État et de gouvernement ainsi que d'autres dignitaires nationaux et étrangers sont présents, dont :
AffiliationsIl est membre honoraire du Club de Rome[26] et membre d'honneur du Club de Budapest dont il fut le premier à recevoir le prix Conscience planétaire en 1996[27]. Un homme politique atypiqueConnu pour son sens aigu de l'absurde et de l'autodérision, Václav Havel choisit parmi ses premières décisions, au printemps 1990, de nommer comme ambassadeur à Moscou, le fils de l'ancien secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque, Rudolf Slánský, pendu en 1952, sur pression de Staline, le dissident Rudolf Slánský fils. La presse de Prague qualifia cette décision de meilleur exemple de l'humour tchèque. Quand le pape Jean-Paul II vint en visite officielle à Prague, juste après la révolution de Velours, le président Havel, pourtant catholique non-pratiquant, se confessa à lui et cette démarche, très personnelle, fut révélée par le communiqué officiel. Le groupe Toy Matinee (en) avec Kevin Gilbert et Patrick Leonard lui ont dédié une chanson dans leur premier album sorti en 1991 : Remember My name. Samuel Beckett, qui fut prix Nobel de littérature, lui dédia sa pièce Catastrophe, en 1982, alors que le dissident Havel se trouvait en prison pour son engagement anticommuniste. Václav Havel fut proche de Frank Zappa, qui soutint dès le début la dissidence tchèque. Son Premier ministre d'alors et futur successeur, Václav Klaus, lui reprocha d'avoir envoyé des condoléances le jour de la mort du guitariste, alors que des grands hommes tchèques meurent chaque jour sans tant d'honneur[28]. Havel était également un très grand admirateur du groupe Velvet Underground, et est toujours resté culturellement proche du rock. BibliographieRecueils de poèmes
Œuvres dramatiques
Essais
Filmographie et théâtre
Ouvrages sur Václav Havel
Récompenses internationales
Notes et référencesNotes
Références
Voir aussiArticles connexesLiens externes
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