Mobilisé en août, Messac est blessé à la tête le , trépané et versé, en , à Caen, dans le service auxiliaire où il exerce les métiers les plus singuliers, notamment ceux de coltineur, cuisinier, valet d’écurie, aide-charretier, ravaleur, cardeur de matelas, employé des chemins de fer. Partout, il déploie une égale incompétence et tient à demeurer soldat de seconde classe pour des raisons idéologiques sur lesquelles il s’explique longuement. En 1918, docker dans le port de Dunkerque, il apprend l’anglais avec les Tommies. Démobilisé le , pour traduire son écœurement et son dégoût de la guerre, il écrit alors deux romans autobiographiques, Le Voyage de Néania et Ordre de transport, une pièce de théâtre, Phobie du bleu, un pamphlet, Le Pourboire du sang, et Poèmes guerriers dans lesquels il montre le peu de cas que les États font de la vie des soldats.
Carrière
Entre-temps, profitant d’une convalescence chèrement payée, il obtient, en , sa licence ès-lettres. En 1922, il est reçu à l’agrégation de grammaire. Il est alors nommé professeur au lycée d’Auch (1922-1923), lecteur à l’université de Glasgow (1923-1924), professeur à l’université McGill de Montréal (1924-1929), soutient, à Paris, le , sa thèse, Le « Detective Novel » et l'influence de la pensée scientifique, et, un peu plus tard, sa thèse complémentaire, Influences françaises dans l'œuvre d'Edgar Poe. Au terme d’une réflexion amère et souvent très dure sur la condition professorale (Smith Conundrum), il rentre en France, la même année, après avoir perdu un enfant en bas âge ; il est nommé professeur de 6e au lycée de Montpellier. Docteur ès-lettres, avec la mention très honorable, à l’unanimité, félicitations, double inscription sur la liste d’aptitude à l’enseignement supérieur, il n’a cependant jamais accès à l’université française. Il raconte cette période à la fois féconde et difficile de sa vie dans un autre roman autobiographique, L’Homme assiégé. En 1936, il quitte Montpellier pour rejoindre une autre cité épiscopale, Coutances, où il est titulaire de la chaire de 4e et assure, en 1940, un cours en classe de mathématiques spéciales.
Activité littéraire et journalistique
Parce qu’il a écrit quelques romans et nouvelles de science-fiction, on présente généralement Régis Messac comme un auteur du genre, voire « un précurseur de la science-fiction française ». Pourtant, Messac a produit une œuvre beaucoup plus vaste et infiniment plus variée. Théo Varlet, qui l’a qualifié « d’historien de la littérature d'imagination scientifique », ne s’y est point trompé. L’anthologiste Marc Madouraud non plus, qui relève à propos de Régis Messac que « son œuvre de pionnier de l’étude de la science-fiction [...] est historiquement plus importante ». En réalité cette œuvre va bien au-delà de l’étude de la science-fiction.
Dès la fin de la guerre de 1914, Messac aiguise sa plume pamphlétaire. De 1919 à 1922, il donne des articles aux revues La Fusée[2] et L’Activité française et étrangère, publication dirigée par Jacques Bonzon, avocat des pauvres et des anarchistes. Messac y développe ses thèmes de prédilection : la corruption, la collusion des puissances financières et du pouvoir politique, l’antimilitarisme, son hostilité à la religion, à la bourgeoisie et à la famille traditionnelle, le bourrage de crâne auquel se livrent l’école et les médias, la question féministe. Ainsi peut-il écrire dans L’Activité française et étrangère du : « Les bourgeois [...] n’ont pas d’idées et ils ont peur d’en avoir. La France est une nation de petits boutiquiers perdus par un esprit de lucre étroit, dont toute la science est de grappiller sur le salaire du travailleur. »
Messac publie de nombreux articles dans les colonnes du Quotidien et du Progrès civique, en donne à des revues littéraires ou scientifiques comme La Grande Revue, La Revue belge, la Revue d’histoire littéraire de la France, la Revue de littérature comparée, Science, La Science moderne, au journal pacifiste leBarrage, des revues syndicales : L’École émancipée, Encre rouge, La Tribune syndicale, L’Université nouvelle, mais aussi, à partir de janvier 1930, il écrit dans la revue Les Primaires dont il devient rédacteur en chef de janvier 1932 à mars 1940. Sous son nom et sous divers pseudonymes, Messac tient des rubriques, publie ses propres études littéraires et scientifiques, ses chroniques, nouvelles, traductions, écrit des articles polémiques, satiriques et un nombre important de comptes-rendus d’ouvrages à caractère littéraire scientifique ou philosophique. En 1935, il rassemble dans une rubrique, « Dents de vautour et mains de serpent », les plus belles perles littéraires portées à sa connaissance.
En politique, selon le journaliste François Fonvieille-Alquier[3], Messac se défiait « des grands partis organisés de la gauche et leur préférait les groupements anarchisants, trotskysants, les minorités syndicales et autres formations fantômes soumises à des conflits de tendances et à des scissions périodiques ». Le Dictionnaire des anarchistes précise : « Régis Messac demeura sept années à Montpellier où il a laissé le souvenir d’un libertaire farceur et sarcastique se moquant de toutes les conventions et de toutes les idées reçues. »[4]
Adepte de la non-violence, théoricien de la paix, membre, dans les années 1930, du comité directeur de la Ligue internationale des combattants de la paix, aux côtés de Félicien Challaye et de Robert Jospin, Messac se revendique pacifiste actif. Il se flatte de n’avoir jamais utilisé une arme contre l’ennemi et déclare, le , lors de son procès devant le tribunal militaire allemand, « n’avoir jamais ni professé ni prêché la haine contre les Allemands », être « prêt à serrer la main du soldat allemand qui l’avait blessé d’un coup de feu au début de la guerre de 1914 ». Régis Messac a traversé comme un météore le ciel de l'anarchisme non-violent[5].
Le gouvernement lui a décerné la Croix de guerre, à titre posthume. À titre posthume toujours, il a été fait sous-lieutenant, et chevalier dans l’ordre de la Légion d'honneur.
Seconde Guerre mondiale
Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que, selon son expression, « la ronde infernale autour du globe [qu’il avait] prédite dans Quinzinzinzili est commencée, cette fois pour de bon », Régis Messac rédige Pot-pourri Fantôme, une chronique des années de guerre et d’Occupation de 1939 à 1942. Ce pamphlet contre le régime de Vichy est salué par la critique comme « la meilleure peinture littéraire jamais réalisée sur cette période », comme un réquisitoire « où gronde la révolte d’un esprit libre devant la servitude », un livre qui « appartient au petit nombre des documents précieux de l’histoire immédiate que l’Histoire conformiste laisse disparaître quand elle n’a pas contribué à leur anéantissement. »
Simultanément, Régis Messac s’engage dans la constitution d’une fraction du Front national, un mouvement de résistance d’obédience communiste, qui s’est développé dans la Manche à partir de 1941. Arrêté à Coutances le lundi , il est détenu à la prison de Saint-Lô jusqu’au . Condamné à un an de prison le précédent, il est déporté Nacht und Nebel pour être rejugé en Allemagne par le Tribunal du peuple à Breslau. Au cours de son périple, il connaît successivement la prison de Fresnes ( – ), le camp de concentration de Natzweiller-Struthof, en Alsace ( – ), le pénitencier de Brieg, en Silésie ( – ), le camp de concentration de Gross-Rosen (à partir du ). La dernière trace avérée de son existence porte la date du au camp de Gross-Rosen. On peut cependant penser qu’il a pu être évacué, en février, sur le camp de Dora (auquel cas il aurait été contraint de participer aux marches de la mort), voire, en mars, du camp de Dora sur le camp de Bergen-Belsen.
Régis Messac qui, dès 1931, dans sa revue Les Primaires, s’était intéressé à l’univers concentrationnaire, en connaissait le mécanisme. Dans son récit des horreurs vécues au camp du Struthof, François Kozlik[6] décrit l'étonnement des internés lorsque arrivent au camp, en 1943, les premiers NN Franzosen (Français Nacht und Nebel). « C'étaient, dit-il, des prêtres portant la soutane, des officiers supérieurs, c'étaient, comme on le sut plus tard, des médecins, des ouvriers, des paysans. Presque sans exception des Français de la Résistance. » Puis, après avoir quelque temps observé ces prisonniers d'un genre nouveau, Kozlik ajoute : « Il est presque incroyable [de constater] de quelles réserves de forces l'être humain dispose. [...] Car la tenue de ces Français, la manière dont ils serraient les dents, le courage avec lequel ils se chargeaient de travaux impossibles à exécuter, la discipline avec laquelle ils sortaient par le portail, tous en rang, le corps redressé, le visage décomposé, d'une pâleur mortelle, enflé et ensanglanté, mais tenant droit la tête dans un effort farouche, émurent même le plus endurci des internés, qui ne pouvait cacher son admiration ».
Le témoignage des compagnons d’infortune de Messac, rescapés de l’enfer concentrationnaire allemand[7], confirme l’attitude de dignité exemplaire de « cet intellectuel aux mains blanches, qui n’avait jamais manié la pioche », qui s’employa à venir en aide à ses camarades, à intervenir dans les conflits les opposant aux Allemands, à protéger les plus vulnérables au péril de sa vie.
Il aurait pu, notamment, utiliser la connaissance qu'il avait de la langue allemande pour obtenir, en camp, un emploi plus doux. Il refusa, cachant même ses compétences dans ce domaine à ses geôliers, du moins au début : « Il se contentait de nous traduire en cachette le communiqué allemand que nous recevions journellement.» (Marcel Leclerc )[8] Cédant aux instances de ses camarades d'infortune, il finit par accepter, fin 1944, d'être l'interprète du chef de Block et connaît effectivement, pendant quelque temps, un sort un peu moins rude.
Porté disparu, la date fictive de la mort de Régis Messac est fixée au par jugement du tribunal de Coutances en date du .
« À part une mauvaise photographie et un portrait, écrit Francis Lacassin dans L'Express du , il ne reste rien de lui ; sauf son œuvre… Cela vaut mieux qu’une pierre tombale pour un homme qui, non sans raison, voyait en ses contemporains des cadavres en puissance. »
Les Premières Utopies, suivi de La négation du progrès dans la littérature moderne ou Les antiutopies, préf. de Serge Lehman, Paris, Éditions ex nihilo, 2009 (ISBN978-2-916185-05-7).
Liberté, liberté chérie !, éd. établie, présentée et annotée par Olivier Messac, Paris, Éditions ex nihilo, 2007 (ISBN978-2-916185-01-9).
Musique arachnéenne [1932], Jean-Claude Lattès, 1973 : réédition : Ex Nihilo, 2016 (avec La Loi du Kampilan [1927], nouvelles, préf. de Jean-Luc Buard) (ISBN978-2-916185-30-9)
« Polydore Marasquin au royaume des singes », présentation d'une réédition des Émotions de Polydore Marasquin (1857) de Léon Gozlan, revue Les Primaires, .
Esquisses de morphologie littéraire, revue Les Primaires, 1er semestre 1936. Lire en ligne sur Gallica
Roman policier, fragment d'histoire, préf. de Gérard Durozoi, Ex nihilo, 2009 (ISBN978-2-916185-08-8)
Hypermondes, bibliothèque de l'imaginaire, du roman scientifique et de l'utopie, préf. de Clément Hummel, repères biographiques et bibliographiques par Olivier Messac, Ex Nihilo, coll. Hier & Demain, 2018 (ISBN978-2-916185-32-3)
Correspondance
Lettres de prison, correspondance clandestine, [1943], suivi de la Mort du Loup, itinéraire d'un disparu, Ex Nihilo, 2005 ; deuxième édition, Ex Nihilo, 2007 (ISBN978-2-916185-00-2)
↑Jean-Pierre Biondi et Jean-Jacques Becker, La Mêlée des pacifistes : la grande dérivée, Paris, éditions In Forma, Maisonneuve & Larose, , 239 p. (ISBN2-7068-1465-9, lire en ligne), p. 36.
↑François Kozlik, Struthof, le mont de l'épouvante, Horreurs vécues au camp du Struthof, Éditions Sedal, Strasbourg, 1945, 64 p.
↑Régis Messac, Lettres de Prison, seconde partie, La Mort du Loup, itinéraire d’un disparu (témoignages), Éditions Ex-nihilo, Paris, 2005, 135 p.
↑Régis Messac, Lettres de Prison, seconde partie, La Mort du Loup, lettre de Marcel Leclerc à Germaine Messac, 24 février 1948, Editions Ex-nihilo, Paris, 2005, 135 p.
Voir aussi
Bibliographie
Ouvrages
Régis Messac, l'écrivain journaliste (collectif, dir. Natacha Vas-Deyres & Olivier Messac), Paris, Éditions ex nihilo, 2012, (ISBN978-2-916185-20-0), 260 pp.
Portraits de Régis Messac, édition établie et présentée par Guibert Lejeune, Paris, Éditions ex nihilo, 2018, (ISBN978-2-916185-33-0), 24 pp.
Guibert Lejeune, Régis Messac combattant de la paix, Paris, Éditions ex nihilo, 2018, (ISBN978-2-916185-39-2), 80 pp.
Robert H. Michel, Régis Messac à l’université McGill (1924-1929) Mythe & réalité, traduit de l'anglais (Canada) par Jean-Marie Jot, préface de François Ouellet, édition bilingue, Paris, Éditions ex nihilo, 2018, (ISBN978-2-916185-39-2), 248 pp.
Articles
Bio-bibliographical Notice, par Georges H. Gallet, New York, The Science Fiction News Letter, vol. III, no 10, p. 3-4, .
In memoriam, par Roger Denux, la Tribune des fonctionnaires, .
Régis Messac, par Ralph Messac, Bulletin des anciens élèves du lycée de Coutances, pages 4 & 5, .
Une communication de Ralph Messac (fils), Fiction magazine, no 44, pages 141 , .
Hommage à Régis Messac, par Jean-Jacques Bridenne, Fiction magazine, no 48, pages 131-133 , .
Pour présenter l’auteur… (préf.), par Ralph Messac, in Pot-pourri fantôme, pages 7–9, Paris, Éditions Bellenand, 1958.
Anthologie des écrivains morts à la guerre (1939-1945), par l’Association des écrivains combattants, préface du maréchal Juin, pages 525-536, Paris, Albin Michel, 1960.
Un précurseur méconnu de la science-fiction française : Régis Messac, par François Fonvieille-Alquier, pages centrales, Combat, .
Régis Messac, par Jean-Jacques Bridenne, Désiré, no 21, .
Sans titre (préf.), par Marc Angenot, in Smith Conundrum, roman d'une université américaine, pages 7–15, Paris, Éditions ex nihilo, 2010.
Régis Messac à l'université McGill (postf.), par Robert Michel, in Smith Conundrum, roman d'une université américaine, pages 167-181, Paris, Éditions ex nihilo, 2010.
Sans titre (préf.), par Michel Besnier, in la Crise, chronique éditoriale 1930-1939, pages 13–17, Paris, Éditions ex nihilo, 2013.
Sans titre (préf.), par Didier Daeninckx, in le Voyage de Néania à travers la guerre et la paix, pages 7–13, Paris, Éditions ex nihilo, 2014.
Du pastiche à la mystification, Régis Messac nouvelliste (préf.), par Jean-Luc Buard, in la Loi du kampilan, pages 7–23, Paris, Éditions ex nihilo, 2016.
Sans titre (préf.), par Dominique Kremp & Guibert Lejeune, in Coutances à l'heure allemande (correspondance 1940-1943), pages 7–12, Paris, Éditions ex nihilo, 2018.