Un nombre p-adique peut aussi se concevoir comme une suite de chiffres en base p, éventuellement infinie à gauche de la virgule (mais toujours finie à droite de la virgule), avec une addition et une multiplication qui se calculent comme pour les nombres décimaux usuels.
La principale motivation ayant donné naissance aux corps des nombres p-adiques était de pouvoir utiliser les techniques des séries entières dans la théorie des nombres, mais leur utilité dépasse maintenant largement ce cadre. De plus, la valeur absolue p-adique sur le corps est une valeur absolue non archimédienne : on obtient sur ce corps une analyse différente de l'analyse usuelle sur les réels, que l'on appelle analyse p-adique.
Fixons un nombre premier p. La valuation p-adique d'un entier relatifa non nul (notée ) est l'exposant de p dans la décomposition de a en produit de facteurs premiers (c'est un cas particulier de valuation discrète). On pose . Par exemple, car la décomposition de 2662 en facteurs premiers est 2662 = 113 × 2. On étend cette valuation à en posant : . Cette définition ne dépend pas du représentant choisi pour le rationnel.
On définit la valeur absolue p-adique sur l'ensemble par : (en particulier, : en quelque sorte, plus est divisible par p, plus sa valeur absolue p-adique est petite). Le corps valué des nombres p-adiques muni d'une valeur absolue (encore notée ) peut alors être défini comme le complété du corps valué.
Quelques différences entre ℚp et ℝ
Cette construction de permet de le considérer comme un analogue arithmétique de . Cependant, le monde p-adique se comporte de façon très différente du monde réel.
Ostrowski a démontré que toute valeur absolue non triviale sur est équivalente soit à la valeur absolue usuelle , soit à une valeur absolue p-adique. est dite normalisée (on pourrait prendre pour un réel autre que : on obtiendrait une distance associée uniformément équivalente). L'avantage de la normalisation est la « formule du produit » pour tout rationnel non nul. Cette formule montre que les valeurs absolues sur (à équivalence près) ne sont pas indépendantes.
Par exemple, pour : pour et .
Approche algébrique
Dans cette approche, on commence par définir l'anneau intègre des entiers p-adiques, puis on définit le corps des nombres p-adiques comme le corps des fractions de cet anneau.
Par exemple, 7 en tant que nombre 2-adique serait la suite (1, 3, 7, 7, 7, 7, 7, …).
Toute suite dont le premier élément n'est pas nul a un inverse dans car p est l'unique élément premier de l'anneau (c'est un anneau de valuation discrète) ; c'est l'absence de cette propriété qui rendrait la même construction sans intérêt (algébrique) si l'on prenait pour p un nombre composé[7].
Par exemple, l'inverse de 7 dans est une suite qui commence par 1, 3, 7, 7, 23, 55 (car 7×55 ≡ 1 mod 26).
D'après ce qui précède, tout élément non nul de s'écrit de manière unique comme une série (automatiquement convergente pour la métrique p-adique) de la forme :
où est un entier relatif et où les sont des nombres entiers compris entre et , étant non nul. Cette écriture est la décomposition canonique de comme nombre p-adique. Elle se déduit immédiatement du cas [8], c.-à-d. : si , la donnée des équivaut à celle des puisque . On peut donc représenter un entier p-adique par une suite infinie vers la gauche de chiffres en basep, tandis que les autres éléments de , eux, auront en plus un nombre fini de chiffres à droite de la virgule. Cette écriture fonctionne en somme à l'inverse de ce qu'on a l'habitude de rencontrer dans l'écriture des nombres réels.
Par exemple, avec :
(pour tout entier naturel, le développement 2-adique est simplement le développement en base 2) ;
(dans , toute série géométrique de premier terme et de raison converge vers , car ) ;
de même (puisque ) .
Algorithmes utilisant les décompositions de Hensel
L'addition est tout à fait similaire à celle de , avec le même système de retenues :
Exemple : dans
On en déduit aisément une formule pour l'opposé : puisque, dans ,
,
c'est que
dans . De même, (on peut vérifier que, puisque , ajouter à conduit à décaler une retenue tout le long de l'écriture, pour finalement donner 0).
La multiplication se fait de façon analogue :
Exemple 1 : dans
Exemple 2 : de même, dans
,
ce qui montre que .
La division de deux entiers demande une analyse plus algébrique.
Exemple 1 : Écrivons dans . Remarquons tout d'abord que car sa valuation 7-adique est 0. Ainsi avec .
3 est inversible modulo 7 puisque . Ceci permet d'ailleurs d'écrire la relation de Bézout suivante :
d'où :
et à ce stade on a : .
Continuons et multiplions par -2 :
et arrangeons pour obtenir des coefficients entre 0 et 6 :
d'où :
et on observe une périodicité puisqu'on retombe sur .
Au bilan : c'est-à-dire :
d'où l'écriture 7-adique :
.
Exemple 2 : Écrivons dans . On sait que car sa valuation 7-adique est –1 : ce sera donc un nombre 7-adique « à virgule ».
On écrit :
Or on sait que donc en multipliant par 4 :
.
Il ne reste plus qu'à diviser par 7, mais ceci revient à décaler la virgule vers la gauche (on est en base 7) :
.
Exemple 3 : Calcul de dans . On sait (théorème d'Euler) que 9 divise , et de fait 1736, et ; on a donc et finalement .
La résolution d'équations algébriques utilise de manière essentielle le lemme de Hensel ; celui-ci affirme en particulier que si un polynôme à coefficients dans possède une racine simple dans , il en possède une dans .
Ainsi, 2 admet deux racines carrées dans (à savoir 3 et 4) ; il en possède donc deux (opposées) dans . Partant de , la méthode de Newton appliquée au polynôme (c'est-à-dire la suite définie par ) donne , qui est dans une valeur approchée d'une racine de 2 à près ; on en déduit les valeurs approchées des racines, et ; on aurait pu aussi les obtenir chiffre par chiffre, en résolvant successivement les équations , d'où , puis , etc.[9],[7].
Plus généralement, si alors pour tous avec non divisible par , admet deux racines carrées dans .
De même, avec premier quelconque, si et non divisible par alors le polynôme admet une racine dans . Puisque , ceci prouve que est un carré dans[10].
Un nombre p-adique est rationnel si, et seulement si, sa décomposition de Hensel est périodique à partir d'un certain rang[11], c'est-à-dire s'il existe deux entiers et tels que . Par exemple, l'entier p-adique n'est pas dans .
Pour p et q premiers distincts, les corps et ne sont pas isomorphes, puisque q2 – pq n'est pas un carré dans (sa valuation q-adique n'étant pas divisible par 2) mais est un carré dans si p > 2 (voir supra)[12].
pour p ≠ 2, le groupe des racines de l'unité dans est cyclique d'ordrep – 1 (par exemple, le 12ecorps cyclotomique est un sous-corps de ). On retrouve ainsi, au moins pour p – 1 > 2, que le corps n'est pas totalement ordonnable et, au moins pour , que[17] si p et q sont distincts alors et ne sont pas isomorphes.
L'espace métrique (complet par construction) est un espace localement compact (car le compact est un ouvert contenant ), naturellement homéomorphe, pour tout B > p, à l'ensemble (où est défini ci-dessus). Le compactifié d'Alexandrov de est à nouveau — comme E ∪ {+∞} ⊂ℝ — homéomorphe à l'espace de Cantor.
possède une dérivée nulle en tous points, mais n'est même pas localement constante en 0.
Pour tous appartenant respectivement à , il existe une suite dans qui converge vers dans et vers dans pour tout premier.
Extensions et applications
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Le nombre e (défini par la série ) n'appartient à aucun des corps p-adiques. Cependant, en conservant la définition , on peut montrer que et que, si , alors . Dès lors, il devient a priori possible de définir, pour tout , e comme une racine p-ième de ep. Un tel nombre n'appartient toutefois pas à mais à sa clôture algébrique (et donc à son complété), et l'exponentielle ainsi définie dépend de la racine choisie[28]. Plus généralement, il est possible de définir dans le corps de Tate une fonction exponentielle p-adique, qui cependant ne possède pas d'aussi bonnes propriétés que l'exponentielle complexe. En particulier, elle ne fait apparaître aucun analogue du nombre ; cette situation a été résolue par Jean-Marc Fontaine, qui a construit en 1982 l'anneau des « nombres complexes p-adiques »(en)(prononcer « de Rham »)[29].
Une des premières applications des nombres p-adiques a été l'étude de formes quadratiques sur les rationnels ; ainsi, en particulier, le théorème de Minkowski-Hasse affirme qu'une telle forme a des solutions rationnelles (non triviales) si et seulement si elle en a dans tous les corps , ainsi que dans .
↑(de) Kurt Hensel, « Über eine neue Begründung der Theorie der algebraischen Zahlen », Jahresbericht der Deutschen Mathematiker-Vereinigung, vol. 6, , p. 83-88 (lire en ligne).
↑(en) Israel Kleiner, « Field Theory: From Equations to Axiomatization — Part II », Amer. Math. Monthly, vol. 106, no 9, , p. 859-863 (JSTOR2589621), republié (avec (en) Israel Kleiner, « — Part I », ibid., no 7, , p. 677-684 (JSTOR2589500)) dans (en) I. Kleiner, A History of Abstract Algebra, Birkhäuser, , 168 p. (ISBN978-0-8176-4684-4, lire en ligne), chap. 4 (« History of Field Theory »), p. 63-78.
↑Il était tombé par hasard chez un bouquiniste sur un livre de Hensel, qui l'avait tant fasciné qu'il décida de continuer ses études sous sa direction.
↑Jean-Pierre Serre, Cours d'arithmétique, Presses Univ. de France, coll. « Le Mathématicien », (ISBN978-2-13-041835-1), p. 23
↑Pour une autre preuve, voir le lemme 1 de (en) Richard G. Swan, « Factorization of polynomials over finite fields », Pacific J. Math., vol. 12, no 3, , p. 1099-1106 (lire en ligne).
↑(en) Kazuya Kato, Nobushige Kurokawa et Takeshi Saitō (trad. du japonais), Number Theory 1 : Fermat's Dream, AMS, (1re éd. 1996) (lire en ligne), chap. 2, § 5 (« Multiplicative structure of the p-adic number field »), p. 69-74.
Une introduction élémentaire aux nombres p-adiques. Les prérequis sont la connaissance de l'arithmétique modulaire, et un peu d'analyse complexe d'une variable. L'ouvrage passe en revue les entiers et les nombres p-adiques, les corps de valuation discrète, les corps valués complets, les espaces de Banach et les fonctions analytiques p-adiques, et se termine avec des critères de rationalité de séries formelles. Un ouvrage accessible écrit par une spécialiste de l'analyse p-adique.
Très clair, accessible à un étudiant de 3e année. Construction(s) motivée(s) des nombres p-adiques, analyse élémentaire, extensions finies de , analyse sur . Nombreux exercices corrigés.
Paulo Ribenboim, L'Arithmétique des corps, Hermann, , chap. 4 (« Les nombres p-adiques »)
On y parle de valeur absolue d'un corps, complétion d'un corps valué, nombres p-adiques, fonctions exponentielles et logarithmes, valuations d'un corps, corps valués henséliens et compacité d'un anneau de valuation.
(en) Paulo Ribenboim, The Theory of Classical Valuations, Springer, (1re éd. 1999) (lire en ligne), chap. 2 et 3
La première partie établit la classification des formes quadratiques sur : deux telles formes sont équivalentes si et seulement si elles le sont sur tous les et sur (souvent considéré comme étant un « »).