Jacques Lemaigre DubreuilJacques Lemaigre Dubreuil Jacques Lemaigre-Dubreuil dans Le Petit Journal du 3 mars 1935.
Jacques Lemaigre Dubreuil, né le à Solignac (Haute-Vienne) et mort le à Casablanca (Maroc), est un homme d’affaires, dirigeant du groupe Lesieur et militant politique français. Dans les années 1930, il est proche des milieux d’activistes de d'extrême droite qu'il finance comme la Cagoule, puis après la guerre, se rapproche des milieux autonomistes du Maroc. Il a été assassiné, vraisemblablement par un groupe terroriste — sans doute la Main Rouge — bien que la justice n'ait jamais conclu sur ce point. Origines et jeunesseNé dans une famille aisée du Limousin, Jacques Lemaigre Dubreuil est le fils de Georges-Léon Lemaigre Dubreuil (1864-1933), qui fut maire de Solignac pendant quarante ans, et de Geneviève Labour. Jacques eut un frère, René (1892-1979) et deux sœurs, Marie-Louise (1893-1984) et Edmée (1898-1961). La famille Lemaigre Dubreuil est une famille d'ancienne bourgeoisie originaire du Limousin[2]. Louis Lemaigre (1713-1763) était marchand à Champsanglard (Diocèse de Limoges). Jacques Lemaigre (mort en 1787) était bourgeois de Champsanglard. Jean Le Maigre, sieur du Breuil (1749-1830), était procureur du Roi en la sénéchaussée de Guéret (Marche). Alexis Lemaigre du Breuil (1774-1855), était avocat à Guéret. Il fait ses études à l'école Gerson à Paris puis à l'École des sciences politiques. Première Guerre mondialeEn 1914, à l'âge de 19 ans, il rejoint le 20e dragon de Limoges. L'année suivante[3], il est accepté à l'École de cavalerie de Saumur avec les véhicules armés légers. En 1916, il part en Roumanie avec le grade de sous-lieutenant, faisant partie d'une mission française associée aux Roumains — face aux Autrichiens. En 1917, après son retour en France, il est affecté à la 9e armée, y devenant lieutenant le jour de Noël 1918[4]. Par la suite, il est désigné pour faire partie de l'état-major du haut-commissaire français à Constantinople. Il sert enfin dans l'armée du Levant en Syrie pour quatre ans, jusqu'en 1922, lorsqu'il quitte l'armée avec le grade de capitaine[5]. L'après-guerreDirecteur de LesieurEn 1922, de retour à la vie civile, il travaille à la Banque des pays du Nord puis la quitte pour rejoindre la société Marc Desaché, courtiers à la Bourse de Paris. Le , il épouse Simone Lesieur (1904-1992)[6], fille de Georges Lesieur, fondateur de la société des « Huileries Georges Lesieur ». Jacques Lemaigre Dubreuil en intègre le conseil d'administration[6] la même année. En 1931, à la mort de son beau-père, il devient, à l'âge de 37 ans, le dirigeant de la société. Il prend en charge son développement en France et à l'étranger jusqu'à sa mort. En pratique[4], il partage la direction de l'entreprise avec son beau-frère Paul Lesieur, deuxième fils de Georges. Ce dernier gère la direction opérationnelle de la société, la production ainsi que le complexe d'expéditions. Lemaigre Dubreuil, lui, s'occupe principalement du marketing en France et à l'étranger ainsi que de la production et de l'acheminement à Coudekerque des matières premières — arachide principalement — notamment en provenance de Dakar au Sénégal. Il possédait des intérêts dans les magasins du Printemps. Militant d'extrême droite dans les années 1930Il devient un militant d’extrême droite[7], au début des années 1930. Il en est l'un des financiers[7]. En 1934, il adhère à la Fédération nationale des contribuables, fondée en 1928, en devient au début de l'année suivante le président de la fédération de la Seine, puis le président national[8]. Il appuie Henri Dorgères et son mouvement des Comités de défense paysanne, les fameuses « chemises vertes », au financement duquel il participe[9]. À partir de 1936, il prend ses distances avec Dorgères[10]. Devenu, depuis , l'un des conseillers de la Banque de France, il est l'un des adversaires les plus résolus du Front populaire[7]. Il soutient la Cagoule[7] et finance l'hebdomadaire L'Insurgé[11]. Il donne aussi, publiquement, 50 000 francs à Henri de Kérillis pour son journal L'Époque, en 1938[12]. En , il achète à Léon Bailby le quotidien parisien Le Jour-L'Echo de Paris. Bailby demeure un temps à son poste de directeur avant d'attaquer en justice le nouveau propriétaire[13],[14]. La même année, Lemaigre Dubreuil fait placarder sur les murs de Paris des affiches répondant à l'éditorial pacifiste de Marcel Déat « Mourir pour Dantzig ? » : « Les frontières de la France (ou de l'Alsace ?) sont à Dantzig »[15],[11]. Seconde Guerre mondialeLa défaite de 1940 rend très difficile le maintien de l'exploitation du site historique des Huiles Lesieur à Dunkerque. Lemaigre Dubreuil transfère son activité à Casablanca[6], bénéficiant de l'encouragement des autorités allemandes pour l'importation d'huile en Europe[16]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est très actif dans l’ombre et effectue de nombreux voyages entre la France métropolitaine et l'Afrique[16]. Il devient membre du réseau Alliance sous le pseudonyme de « Gras-double » lors de la tentative faite en mai 1941 de soulever l'Armée d'Afrique[17]. Il contribue parallèlement à l’arrivée du général Giraud sur la scène politique[16],[18], en gardant contact entre le réseau et le « groupe d'Alger » (général Mast, lieutenant-colonel Jousse, lieutenant Henri d'Astier de la Vigerie…) avant novembre 1942[19]. Il fait ensuite partie des hommes qui favorisent le débarquement des Alliés en Afrique du Nord (Maroc et Algérie), le 8 novembre 1942, lors de l'opération Torch[6],[18],[20],[21], marquant un tournant décisif de la Seconde Guerre mondiale sur le front occidental. Avec Jean Rigault[22],[20],[23], Jacques Tarbé de Saint-Hardouin[22],[20], le colonel Van Hecke[20] (nommé par Pétain à la tête des Chantiers de jeunesse en Afrique du Nord)[22] et d'Henri d'Astier de la Vigerie[20], Lemaigre Dubreuil fait partie du « groupe des Cinq » (ou « comité des Cinq ») qui contribuent avec le consul américain Robert Murphy[16] à préparer le débarquement des Alliés en Afrique du Nord[24],[20],[25],[22]. Astier de la Vigerie est le seul, parmi les « Cinq », à unifier véritablement la Résistance[26],[27],[28],[29],[30]. La prise de contrôle d'Alger, le , est dirigée avec Astier[28], par le jeune José Aboulker[30], le colonel Germain Jousse[31] et grâce à la complicité du commissaire de police André Achiary[30], tandis que Lemaigre Dubreuil allait attendre Giraud à Blida[28]. Lorsque Giraud, dans son discours du , annonce son renoncement aux principes de la Révolution nationale, Lemaigre Dubreuil quitte ses fonctions dans l'organe gouvernemental instauré en Afrique du Nord[21]. En juin-juillet 1944[32], pensant que les États-Unis pourraient accepter une paix de compromis, alors que les Russes gagnent du terrain en Europe de l'Est, il tente, sans succès, d'établir un contact entre les Américains et Pierre Laval par l'intermédiaire de l'ambassadeur de Vichy à Madrid, François Piétri[21]. Pour l'autonomie du MarocLemaigre Dubreuil est dans un premier temps, de 1944 jusqu'au tout début des années 1950, pour le maintien de l'ordre établi au Maroc, en raison de l'importance économique de l'Empire colonial pour la France[6]. En 1951, il participe aux évènements qui voient l'éviction du général Juin comme résident général au Maroc et son remplacement par le général Guillaume[6]. Il publie ensuite une vingtaine d'articles de plus en plus critiques sur la situation marocaine. Le 21 novembre 1952 paraît son premier article dans le quotidien L'Information politique, économique et financière[33], pour dénoncer le manque de réforme et de coopération entre Marocains et Français du Maroc, intitulé « La France, le Maroc et l'Amérique »[33], premier d'une série d'une vingtaine d'articles témoignant d'une réflexion critique sur la situation coloniale marocaine[34]. Quelques semaines après, les émeutes de Casablanca, de décembre 1952, alertent l'opinion métropolitaine française[33] et peu après François Mauriac lance la première campagne des libéraux français du Maroc, via un appel publié dans Le Figaro du 13 janvier 1953[33]. Jean-Marie Garraud et François Mennelet publient peu après dans ce quotidien une « grande enquête », du 12 au 23 mars 1953, évoquant « un conflit moderne, ouvert et omniprésent »[33], vision qui tranche sur celle des Français du Maroc, pour qui il demeure « de nature féodal et tribal »[33],[35]. Ils citent plusieurs personnalités estimant que sans changement de politique, « tout était perdu »[35] en plus de reprendre les avertissements de Monseigneur Lefèvre en mars 1952[35]. Finalement, en août 1953, Mohammed Ben Youssef est exilé en Corse puis à Madagascar[33]. Deux mois après la déposition du sultan du , il écrit dans Le Monde du un article exprimant un avis mitigé, reconnaissant que cette destitution est un mal nécessaire pour « […] la sauvegarde et le tranquillité de l'Empire[6] », mais qui a en revanche « fait naître bien des périls ». Dénonçant les tenants du « colonialisme le plus odieux[6] » qui en sont très satisfaits[6], il estime urgent de « faire appel à cet effet à des Marocains ne jouant jusqu'à ce jour aucun rôle dans aucun organisme officiel ou semi-officiel », y compris ceux qui « étaient hier favorables à l'Istiqlal »[36], le parti indépendantiste. À partir de 1953, il évolue vers une position davantage autonomiste et participe activement au rapprochement des interlocuteurs en servant d'intermédiaire entre les représentants du gouvernement, les modérés et les « libéraux » favorables à l'autonomie[6]. Ce qui lui attire la haine farouche des mouvements — qualifiés à l'époque de « contre-terroristes » — partisans du maintien du Maroc sous protectorat français[6]. Il prend le contrôle du journal Maroc-Presse en , après que celui-ci a mis en cause Philippe Boniface, préfet de la région de Casablanca, comme partie prenante du « contre-terrorisme » en favorisant l'impunité des activistes français[6]. Pierre July, le ministre des Affaires marocaines et tunisiennes de l'époque, rapporte qu'à cette occasion, Lemaigre Dubreuil prévoit son assassinat[6]. Le nouveau patron de presse se sert de son journal pour défendre le point de vue des libéraux par des éditoriaux qui ont un grand retentissement dans l'opinion au Maroc et ouvre une tribune libre dans laquelle s'expriment, entre autres, des personnalités proches de l'Istiqlal[6]. AssassinatLemaigre Dubreuil est assassiné à Casablanca dans la soirée du samedi , sur la place qui porte désormais son nom, au pied de l'immeuble Liberté qu'il habitait[6]. Arrivé de Paris dans la matinée, il quitte ses bureaux vers 23 heures, conformément à ses habitudes. Il se trouve en compagnie d'un ami nommé Simon Castet et s'apprête à prendre place dans sa voiture. Deux automobiles arrivent à sa hauteur et des individus présents dans les véhicules font feu sur les deux hommes. Jacques Lemaigre Dubreuil est atteint par une rafale d'arme automatique et décède sur place. Son compagnon est indemne[37]. Ses obsèques ont lieu le , en la Cathédrale du Sacré-Cœur de Casablanca. « C'est beaucoup, pour sceller l'amitié entre deux peuples que d'avoir les mêmes martyrs »[38], déclare le Prix Nobel de littérature François Mauriac. Le groupe de La Main rouge, parfois qualifié d'« escadron de la mort »[38], dirigé par le SDECE, bénéficie alors de financements du préfet de région Philippe Bonifiace et de chefs marocains liés aux Français[39]. Le 12 juillet, les autorités du protectorat interdisent l'hebdomadaire de langue française Zadig, publication locale qui avait pris une position jugée outrancière en faveur du groupe Présence française et qui avivait les tensions d'une partie de la population du Maroc contre certains Français libéraux. Zadig avait désigné M. Lemaigre-Dubreuil comme une des personnalités à abattre[40]. Le 21 juillet, quinze personnes sont expulsées du Maroc, dont le docteur Georges Causse, président de Présence française[41]. Le président du Conseil Edgar Faure missionne Roger Wybot, directeur de la DST, pour mener l'enquête sur place. Celui-ci se heurte à l'hostilité et à l'absence de coopération des policiers et des autorités du protectorat. Il conclut à un « crime de gangsters… ou de policiers »[42],[43]. Le principal témoin du meurtre, qui accompagnait Lemaigre-Dubreuil le soir de l'agression et qui n'a pas été atteint par les tirs est retrouvé « assassiné ou suicidé »[6] un mois après les faits[6]. Pierre Petitjean, nouveau directeur de la sécurité, reprend l'enquête en août 1955 et communique en janvier 1957 à ses supérieurs les noms de plusieurs personnes qu'il tient pour les assassins de Lemaigre-Dubreuil. En octobre 1957, M. Soulet, juge d'instruction parisien, est chargé du dossier de l'assassinat, à la suite d'une plainte contre X déposée par la famille de la victime. Ayant bénéficié des révélations d'un informateur, le magistrat inculpe le 7 mars 1958 Antoine Méléro[44], ancien policier au Maroc. Celui-ci est également mis en cause dans une affaire de proxénétisme. En avril, Louis Damiani, un malfaiteur ancien membre de Présence française, détenu pour une agression survenue l'année précédente, fait des révélations concernant l'assassinant de Lemaigre-Dubreuil : il indique y avoir participé et met en cause huit autres personnes, dont Antoine Méléro[45]. Il fournit également des indications sur des attentats contre des personnalités musulmanes, contre Pierre Clostermann et l'avocat Jean-Charles Legrand ainsi que sur un projet d'attentat contre Pierre Mendès-France[46]. En janvier de l'année suivante, le juge Soulet fait écrouer Charles Luigi et André Congos, présenté comme un ancien bras droit du docteur Causse. Les deux hommes sont accusés par Louis Damiani d'avoir participé à l'assassinat. Méléro, Luigi et Congos sont mis en liberté provisoire à la faveur de vacances judiciaires, par un juge intérimaire, sur réquisitions conformes du parquet[47]. À l'occasion du procès pour agression de Louis Damiani, on apprend que la voiture ayant servi le jour de l'assassinat était bien une voiture appartenant à Luigi, dans laquelle se trouvait Méléro. On apprend également que le rapport de Pierre Petitjean faisait état d'aveux de Méléro. En dépit de tous ces éléments, un non-lieu est prononcé en 1965[6]. Comme le précise le journaliste Vincent Nouzille, le groupe présente de nombreuses similitudes avec l'organisation La Main rouge[48], dont le rôle au Maghreb à cette période a été dévoilé et précisé lors de l'ouverture des archives décidée par le président François Hollande après son élection. Jacques Lemaigre-Dubreuil repose dans le caveau de la propriété familiale à Larchant, en Seine-et-Marne[13]. Notes et références
Voir aussiBibliographie
Articles connexesLiens externes
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