Dimitri MitropoulosDimitri Mitropoulos
Dimitri Mitropoulos (dessin).
Répertoire Dimitri (Dmitri ou Dimitris) Mitropoulos (en grec moderne : Δημήτρης Μητρόπουλος) né le à Athènes et mort le à Milan, est un chef d'orchestre, pianiste et compositeur grec, naturalisé américain en 1946. Dimitri Mitropoulos est l'un des grands musiciens charismatiques que la Grèce ait donné et, avec Maria Callas, le musicien classique le plus important issu de ce pays au XXe siècle. Ayant commencé sa carrière par un tour de force qui plut au public en jouant le troisième concerto de Prokofiev, en tant que pianiste et dirigeant l'orchestre en même temps, sa personnalité et ses dons ont produit sur les orchestres – et l'auditeur – d'exceptionnels résultats artistiques. Pourvu d'une phénoménale mémoire qui lui permettait de diriger sans partition, il aborde le répertoire dans une esthétique engagée et incisive, arrachant aux musiciens qu'il dirige tout leur potentiel. De ses trente-cinq ans de carrière, effectuée pour les deux tiers aux États-Unis, et grâce à l'enregistrement, il reste de lui quelques interprétations majeures, immortalisant des collaborations avec des solistes, des œuvres symphoniques et des témoignages lyriques qui font date pour le discophile. BiographieDimitri Mitropoulos naît à Athènes dans une famille de la classe moyenne non musicienne et très religieuse. Son père, Yannis, est pope et tient une boutique de maroquinerie dans le centre-ville. Sa mère, Angeliki, est ambitieuse pour son fils et facilite une bonne éducation en langues et en musique. Très précoce dans ce domaine, Dimitri sculpte une petite flûte à cinq ans et se met au piano, dès l'âge de sept ans, avec le pianiste italien Achilleas Delbuono. L'enfant voulait d'abord entrer dans les ordres – quelques-uns de ses aïeux y étaient et son oncle était évêque. Mais il abandonne ce plan lorsqu'il apprend qu'il ne pourra pas emmener au monastère son bien le plus précieux, un petit harmonium, les instruments de musique étant proscrits des rites orthodoxes grecs[1]. Avant d'étudier au conservatoire, Mitropoulos composait déjà. La première œuvre connue date de ses douze ans : une sonate pour violon et piano – hélas perdue. De onze à quatorze ans, il profite d'après-midi musicaux stimulants chez lui, chaque samedi. À seize ans, lors d'un voyage à Rome pendant l'été 1912, il découvre son idéal de vie mis en pratique : Saint-François d'Assise. Les austères règles de vie franciscaines deviendront pour lui naturelles, parce qu'issues d'une dimension spirituelle. Comme François s'est donné au Christ, Dimitri se donne entièrement à la musique, à l'essence de chaque partition nouvelle, avec autant de foi que le Saint prêchant aux oiseaux[2]. FormationAthènes, 1910–1919Mitropoulos entre au Conservatoire d'Athènes en 1910. Il étudie l'harmonie et le contrepoint avec le belge Armand Marsick (1877–1959), compositeur, violoniste et chef d'orchestre dès 1912. Marsick, lui-même élève de d'Indy, a participé de manière décisive au goût du jeune compositeur en le familiarisant avec la culture musicale française[3], César Franck, Debussy et les compositeurs de Schola Cantorum notamment. Il reçoit l'enseignement de Ludwig Wassenhoven pour le piano (1913–1919) et pratique aussi la percussion. Le jeune Dimitri se produit sur scène pour la première fois au piano en 1913, avec une de ses compositions en compagnie de son professeur. Le , à tout juste dix-neuf ans[4] aux concerts réguliers de l'Orchestre du conservatoire, il dirige une de ses premières œuvres symphoniques, « La mise au tombeau » [Ταφή], pièce d'une veine post-romantique et impressionniste, influencée par la musique française. Enfin, il fait ses débuts de pianiste soliste en 1918 avec une œuvre de d'Indy. La même année il compose une grande œuvre sur un livret de Maeterlinck, Sœur Béatrice, opéra en trois actes – une heure et demie de musique – créé l'année suivante à l'Odéon avec Katina Paxinou dans le rôle-titre[5], en présence de Saint-Saëns. Enthousiasmé par ce qu'il a entendu, le musicien français écrit un long article élogieux, lui propose de partir étudier la composition avec Paul Gilson à Bruxelles et engage le conservatoire d'Athènes à lui offrir une bourse. En 1919, après dix ans d'études, il obtient sa médaille au piano avec brio. En 1920, il se rend en Belgique et poursuit sa formation au Conservatoire royal de Bruxelles. Il étudie aussi l'orgue avec Alphonse Desmet. Berlin, 1921–1924En 1921, Mitropoulos se rend à Berlin pour se perfectionner au piano à la Hochschule für Musik dans la classe du compositeur et professeur Ferruccio Busoni. En 1922, il lui présente Eine Griechishe Sonate (1920–21), une œuvre pour piano composée à Bruxelles, sa plus vaste par ses dimensions à cette date. Busoni la reçoit mal et cela provoque chez Mitropoulos un choc qui le prive pour longtemps de l'envie de composer. Busoni le pousse à abandonner la composition et à choisir la direction d'orchestre. Si l'opportunité de diriger ne s'était pas présentée, il aurait pu abandonner ses études[6]. Malgré cette critique négative et son impact, Mitropoulos est profondément influencé par l'esthétique de Busoni et on en retrouve des éléments tout au long de sa carrière d'artiste. De 1922 à 1924, il travaille comme assistant (Korrepetitor) du Generalmusikdirektor Erich Kleiber au prestigieux Staatsoper Unter den Linden (l'Opéra d'État de Berlin), y découvrant les subtilités de la scène. Il a l'occasion d'y briller dans les solos de piano de Petrouchka ou de Prométhée de Scriabine[7]. Il passe aussi beaucoup de son temps à improviser à l'orgue dans une église[4]. À Berlin, il loge avec son collègue grec Nikos Skalkottas (1904–1949), compositeur encore méconnu de nos jours. En 1924, Skalkottas orchestre une de ses pièces pour piano, Fête crétoise (1919), créée à Athènes deux ans plus tard. Par la suite, Mitropoulos programme au concert quelques-unes de ses populaires Danses grecques, qu'il enregistra dans les années 1950 à New York. À l'été 1924, il rentre à Athènes et, muni d'une recommandation de Kleiber, prend le poste d'assistant à l'Orchestre du Conservatoire d'Athènes. Après quatre ans de silence, il se remet à composer avec une sensible transformation dans l'idiome musical : sa Passacaglia, Intermezzo e Fuga pour piano (1924) est la première de ses compositions de style atonal. Malgré tout, l'influence de Busoni s'y fait encore ressentir dans le choix de formes baroques, la passacaille et la fugue. En 1925, il compose un cycle de mélodies sur des textes du poète Cavafy 14 Inventions. Là encore, chaque pièce emprunte à une forme baroque : par exemple canon, fugue ou passacaille. Le matériau musical, rythmique ou tonal, utilisant pour sa part des procédés de diminution et d'augmentation par rapport à la mélodie. Suit son Ostinata pour violon et piano (1927), première composition usant des techniques sérielles – les publications de Schoenberg datant de 1925. Ces trois œuvres sont jouées le à Athènes, devant un public réticent à ce nouveau langage dissonant et atonal. Mais ce qui cause le scandale, c'est surtout la mise en musique des textes de Cavafy. Ces derniers évoquent l'incertitude du lendemain, la moralité, les plaisirs sensuels, l'homosexualité, et font référence à des personnages réels ou de la littérature. C'était beaucoup pour le milieu conservateur. La critique qualifia le tout d'« esthétique psychopathe »[8]. L'année suivante, il écrit son Concerto Grosso (1928) pour orchestre, considéré comme sa meilleure œuvre[9]. Dans cette pièce, il revient à un style atonal, mais juxtapose des éléments d'esthétiques opposées : consonant/dissonant, homophone/contrapuntique, néoclassique/moderniste[3]. DébutsDès 1926, à tout juste trente ans, on lui confie tour à tour les divers orchestres de la capitale grecque, et ce jusqu'en 1937[10]. En 1930, il est nommé professeur de composition au Conservatoire ; il a trente-quatre ans. La même année, sa carrière est propulsée par un heureux concours de circonstances. Invité par l'Orchestre philharmonique de Berlin pour un concert avec le pianiste Egon Petri (lui aussi élève de Busoni), il a l'occasion de marquer les esprits. Au programme, la création allemande de trois œuvres : le troisième concerto de Prokofiev, la Symphonie de Paul Dukas et son Concerto grosso pour orchestre (1928). Le soliste, Egon Petri étant indisposé quelques jours avant le concert, Mitropoulos décide de le remplacer. Il connaissait la partition qu'il avait créée le , lors d'un concert à Athènes. Les répétitions s'engagent avec bonheur et le concert est un succès (), augmenté par une publicité sur le remplacement au pied levé de Petri. Mitropoulos devient le premier soliste de son époque à diriger l'orchestre du piano dans ce répertoire moderne si exigeant pour le soliste et le chef[11]. Pour lui ce n'était cependant pas une première. Le à Athènes, il avait déjà donné ainsi les Variations Symphoniques de César Franck, jouant et dirigeant en même temps. La pratique est d'ailleurs courante pour les Concertos de Mozart ou même la Rhapsodie in Blue de Gershwin. Mais dans une œuvre complexe, virtuose, « épuisante » pour le pianiste, c'est une gageure. Pendant la pause, le pianiste Frederic Lamond vient le féliciter de sa performance[7]. Il semble que Prokofiev fut un peu gêné par la concurrence de la renommée offerte à Mitropoulos par la publicité du concert de Berlin ; le musicien russe gagnait lui-même sa vie en exécutant cet impressionnant concerto. Il fut ainsi poussé à écrire un autre concerto[12]. TournéesFort du succès berlinois, Dimitri Mitropoulos entreprend une carrière internationale de pianiste et de chef d'orchestre. Le à Paris, il joue ce même concerto avec l'Orchestre des Concerts Lamoureux[13],[14], dans les mêmes conditions, ce qu'on lui demande de faire souvent[15]. De 1932 à 1936, il dirige aussi régulièrement l'Orchestre Straram et l'Orchestre symphonique de Paris – créé en octobre 1928 par Monteux et Ansermet. Quinze jours plus tard, il se produit en Angleterre. En février 1933, il fait ses débuts en Italie, invité à diriger l'Orchestre de l'Académie Sainte Cécile et à la Scala de Milan. L'année suivante, il joue de nouveau en France, en Italie, mais aussi en Belgique et en Pologne. En mai, il est en Russie pour diriger les Philharmoniques de Moscou et de Leningrad. Il est également invité à diriger plusieurs saisons à Monte Carlo. À Athènes, pendant une dizaine années, il crée de nombreuses œuvres en premières dans la cité hellène : Debussy, Ravel, Stravinsky, Honegger, Serge Prokofiev, Strauss, Falla, Hindemith et bien d'autres, réformant le répertoire symphonique familier des auditeurs. Pendant ces années, il a invité des solistes du moment à se produire en Grèce : Camille Saint-Saëns (mort en 1921), Cortot, Thibaud, Casals, Huberman, Brailowsky, Dohnányi, Kreisler et Nathan Milstein. Il a aussi laissé diriger son orchestre par des chefs aussi prestigieux que Martinon, Walter, Jochum ou Scherchen[16]. Il forme de jeunes artistes grecs, tel Théodore Vavayiannis, élève et assistant de Mitropoulos à l'orchestre du conservatoire. Sous sa direction, il a appris à mémoriser les partitions et plus tard Vavayiannis dirigera sans partition et sans baguette, comme son maître[17]. Après l'avoir vu diriger en Europe, Serge Koussevitsky l'invite à faire ses débuts aux États-Unis, avec l'Orchestre symphonique de Boston, le . Mitropoulos revient l'année suivante pour une deuxième série de concerts à Boston, encore plus vivement acclamée que la précédente. Minneapolis, 1937–1949En janvier 1937 à la suite d'Ormandy, il est nommé directeur musical de l'Orchestre symphonique de Minneapolis aujourd'hui appelé Minnesota Orchestra, mais assume son poste à Athènes encore jusqu'en janvier 1938. Au lendemain de sa première soirée à Minneapolis le , le journaliste et écrivain John K. Sherman écrit :
Mitropoulos transforme rapidement un orchestre provincial de bonne stature, en un grand orchestre américain reconnu internationalement comme centre de musique contemporaine. À la grande confusion du public, il choisit de jouer des compositeurs du XXe siècle, Gustav Mahler en particulier. Cette tendance se trouve renforcée par ailleurs : de 1942 à 1947, Křenek se trouve en résidence à la Hamline University de Saint Paul, « ville jumelle » de Minneapolis et, en 1944, Louis Krasner – commanditaire et dédicataire du Concerto d'Alban Berg – devient premier violon de l'orchestre, si bien que les « Twin Cities étaient l'un des sièges et une citadelle de la musique atonale », comme le dit John K. Sherman[19]. Il participe au développement de la culture musicale à l'université, suscitant parfois des vocations[12]. En janvier 1937, il rencontre pour la première fois Leonard Bernstein, encore étudiant à Harvard, vingt ans tout juste. Lors d'une réception, Mitropoulos a entendu L. Bernstein jouer une sonate. Il en était tellement stupéfait que sur le coup, il a invité Bernstein à passer une semaine pour assister aux répétitions et aux concerts de l'orchestre. C'est ainsi que Bernstein s'est passionné pour la direction. Lorsque Mitropoulos est retourné à Minneapolis, il a envoyé de l'argent à Bernstein pour lui permettre de venir pendant les vacances d'hiver. De retour à Harvard, Bernstein décide d'étudier la direction d'orchestre alors qu'il voulait initialement devenir pianiste[20]. La même année, il dirige la création de la première Bachianas brasileiras de Heitor Villa-Lobos et du Concerto pour violon et orchestre d'Ernest Bloch, aux côtés de Joseph Szigeti à Cleveland[21]. Toujours à Minneapolis, en 1941, il crée des œuvres de John Verrall (1908-2001) aux saisons 1940–41, et la Symphonie en mi bémol de Paul Hindemith[22]. Mitropoulos vivait de façon très austère, se contentant pendant longtemps d'une petite cave dans un bâtiment de l'université, qui ne contenait qu'un lit, un piano droit et quelques affaires personnelles. Son divertissement préféré est le cinéma et tout spécialement les westerns[23],[24]. Dès son arrivée à Minneapolis, il soutient moralement et financièrement nombre de jeunes musiciens, tel David Diamond à qui il commande en tout huit œuvres nouvelles et L. Bernstein[2]. Dès 1940, Mitropoulos commence à enregistrer avec son orchestre: Franck (Symphonie[25]), Prokofiev (première Symphonie[26]) Mendelssohn (Capriccio brillant avec Joanna Graudan[27]). Après une bataille avec le conseil d'administration de l'orchestre pour l'autoriser à produire une œuvre de Mahler, il enregistre la première symphonie le ()[28], un des premiers enregistrements de l'œuvre. Il poursuit avec des Mozart (Entr'actes de Thamos[29]), Mendelssohn (troisième Symphonie[30]), Borodine (deuxième Symphonie[31]), sa transcription de la Fantaisie et fugue de Bach[32], Milhaud (Le bœuf sur le toit – une première au disque[33]). En concert il laisse aussi de mémorables Berg avec le NBC (Concerto pour violon avec Joseph Szigeti[34]). Puis ce sera Tchaikovski (deuxième Symphonie[35]), Massenet (Scènes alsaciennes[36]), Schumann (Troisième Symphonie[37]), le premier Concerto de Tchaikovski avec Artur Rubinstein[38] et le Concerto pour deux pianos de Poulenc[39]. À part Szigeti, Rubinstein et Joanna Graudan, il collabore avec Rudolf Serkin, Robert Casadesus, Claudio Arrau, pour la seule saison 1938–39. Dans les années quarante avec Josef Hoffmann (quatrième Concerto de Beethoven[40]), Yehudi Menuhin, dans le Concerto de Bartók en 1943 ainsi que Rachmaninov qui, en tant que compositeur, entendit interpréter sa troisième symphonie et en 1944, sur ses derniers jours, la création de ses Danses Symphoniques. Mitropoulos accompagne aussi de jeunes solistes : Zino Francescatti (mars 1943), Isaac Stern dans le Concerto de Mendelssohn (décembre 1943), Ginette Neveu dans Brahms et William Kapell dans le premier concerto de Khatchaturian (janvier 1945). Il est chef invité du NBC Symphony en 1939, en 1945[41] et pour la saison 1940–41 à la tête du Philharmonique de New York, le plus important orchestre des États-Unis. Il participe notamment à un concert commémoratif du 75e anniversaire de la naissance de Ferruccio Busoni, avec Egon Petri et Joseph Szigeti, tous les trois étant élèves du maître italien, et Szigeti le créateur du concerto pour violon en 1912, sous la direction du compositeur[42]. En 1946, il est naturalisé citoyen américain. Pour les saisons de 1944 à 1948, il est chef et directeur artistique des concerts d'été du Philharmonique de Philadelphie. C'est à ces occasions qu'est capté un Troisième concerto de Prokofiev[43] dont il assure évidemment la partie soliste et la direction de l'orchestre. Il est aussi invité à Boston et, comme à Philadelphie, il impressionne beaucoup les musiciens. Il est même pressenti pour devenir chef principal à Philadelphie mais Eugene Ormandy y fait obstacle et quelques jalousies de Serge Koussevitsky l'empêchent également à Boston[2]. Pendant la saison 1948–1949, il prend un congé de six mois et dirige conjointement avec Leopold Stokowski le Philharmonique de New York. À la fin de cette période, Mitropoulos laisse son poste de Minneapolis à Antal Doráti, après douze années de collaboration. New York, 1949–1958Mitropoulos commence son travail avec le prestigieux Orchestre philharmonique de New York en 1949[44] succédant à Artur Rodzinski en tant que directeur musical, et dirige au côté de Leopold Stokowski. Il devient chef principal dès 1951. À l'époque l'organisation de l'orchestre est différente d'aujourd'hui. Il ne fonctionne que cinq mois dans l'année et Mitropoulos se contente d'un salaire relativement faible, malgré les pressions et le stress important[12]. Cette tension en fait partir certains – Barbirolli[45] – ou même refuser ce poste à d'autres, tel Monteux[46]. George Szell pour sa part a eu ce mot :
Le Philharmonique a un concurrent important : l'orchestre symphonique de la NBC jouit d'une notoriété renforcée par les diffusions radiophoniques et, à partir de 1958, à la télévision. Mitropoulos cherche à attirer un nouveau public à la musique grâce à des apparitions télévisées ou en investissant pendant une semaine une salle de cinéma populaire, le Roxy Theatre. Il a en outre élargi le répertoire de l'orchestre – Un survivant de Varsovie de Schönberg (dès 1950), la Symphonie op. 21 de Anton Webern, non sans mal d'ailleurs, puisqu'au cours d'une répétition le harpiste lui jeta sa partition aux pieds et partit dans les coulisses[49] –, commandant pour son orchestre de nouvelles œuvres à des compositeurs et poursuit la défense des symphonies de Gustav Mahler. Il est toutefois regrettable que la firme Columbia n'ait pas profité de l'occasion pour effectuer des enregistrements commerciaux de ces œuvres dans de bonnes conditions. L'unique enregistrement officiel est celui de la première à Minneapolis en 1940 ! Il grave néanmoins en studio, la dixième Symphonie de Chostakovitch[50], des symphonies de Mendelssohn et de Tchaikovski. Les programmes de Mitropoulos à New York étaient exigeants et le public, comme les musiciens, exprimaient souvent leurs difficultés à laisser de côté les habitudes esthétiques dominantes et attendues. Ses concerts – constitués d'une bonne dose de Krenek, Schoenberg, Session, Boris Blacher – étaient source de réactions négatives. Et lorsqu'il créait des œuvres inconnues de Vaughan Williams, Mahler, Morton Gould, Diamond, Malipiero, Respighi, Prokofiev, Chostakovitch ou Milhaud, il exigeait de son public de la curiosité. Cependant les musiciens rapportent leur évolution d'état d'esprit. Par exemple, lors du travail pour la création de Wozzeck en 1951, Harry Zaratzian, un des altistes de l'orchestre témoigne :
— Harry Zaratzian Tournées et invitationsEn 1951, il part pour une tournée européenne avec l'Orchestre de New York, la première après la Seconde Guerre mondiale, et dirige en alternance avec Bruno Walter. Il effectue aussi des tournées américaines avec l'orchestre en 1954 en compagnie du jeune chef Guido Cantelli (1920–1956). En 1955, toujours avec Cantelli, il entreprend un autre tournée européenne qui l'emmène d'abord à Paris en septembre. Il y grave en studio un grand Cinquième Concerto de Beethoven avec Casadesus[52]. Puis à Athènes en octobre codirigeant avec Cantelli et Georg Szell, où ses concerts sont un triomphe[53]. Il n'y avait pas dirigé depuis janvier 1938. Il participe aussi à des concerts symphoniques avec le Philharmonique de Vienne, l'Orchestre philharmonique de Berlin, le Concertgebouw d'Amsterdam ou l'Orchestre de la Radio bavaroise (1956, 1957, 1958). Chacun de ses passages étant source de témoignages historiques. Il dirige aussi au festival de musique contemporaine de Venise et au festival d'Athènes. Dans son travail avec le Philharmonique ou à l'occasion de ses tournées, il collabore régulièrement avec des solistes : notamment avec les pianistes Casadesus, William Kapell (premier Concerto de Brahms à peine six mois avant son décès[54]) Glenn Gould, et les violonistes Francescatti (premier Concerto de Paganini dès 1950, Concerto de Brahms[55]), Oïstrakh (Concerto pour violon nº 1 de Chostakovitch[56]), Isaac Stern (premier Concerto de Prokofiev[57]). En 1954, il accompagne le jeune van Cliburn (1934–2013) pour son premier concert au Carnegie Hall, dans le premier Concerto de Tchaïkovski[58] – qui sera son cheval de bataille lors du Concours Tchaïkovski à Moscou quatre ans plus tard. Chef lyriqueParallèlement à son travail avec le Symphonique, Mitropoulos a une carrière importante dans le répertoire lyrique et y connaît ses plus grands triomphes, même à l'heure des attaques de la presse en 1957 (ce sont les mêmes critiques qui le contestaient à la direction du Philharmonique qui relaient les succès au Met). Il a fait ses débuts comme chef d'opéra en mai 1950, avec Elektra de Strauss. De 1954 à 1960, il occupe le poste de chef principal au Metropolitan Opera de New York en remplacement de Bruno Walter. Il y a fait ses débuts le en montant Salomé de Strauss avec Christel Goltz et Vinay. En 1955, il dirige Un ballo in maschera de Verdi avec Richard Tucker, Leonard Warren, Marian Anderson et Roberta Peters[59] et Tosca de Puccini, avec Renata Tebaldi et Richard Tucker[60] et Madame Butterfly avec Albanese, Daniele Barioni, Elias[61]. En 1956, Boris Godounov et Manon Lescaut avec Corena[62] ; Ernani de Verdi avec Mario Del Monaco et Cesare Siepi[63] ; Carmen avec Risë Stevens et del Monaco[64], Die Walküre Ramon Vinay[65] et Eugène Onéguine[66]. En 1956 il dirige Maria Callas dans Tosca. En 1958, il crée Vanessa opéra de Samuel Barber avec Eleanor Steber, Resnik, Nicolai Gedda[67] ; le pour l'ouverture de la saison 1958-59 c'est Tosca avec Tebaldi et del Monaco, mais aussi Gianni Schicchi, Cavalleria rusticana et Pagliacci avec del Monaco, Amara, Sereni[68]. En 1960, il monte Simon Boccanegra avec Guarrera, Tozzi, Flagello, Milanov, Bergonzi[69]. En 1958 il participe à la tournée estivale des villes américaines de l'orchestre. Ses interprétations sont musicalement et dramatiquement, vives et incisives. Ses Puccini, Verdi ou Richard Strauss par exemple, sont des modèles de l'art de la direction. Le Metropolitan Opera possède heureusement beaucoup d'enregistrements d'archives de ces intenses moments artistiques. De décembre 1954 à avril 1960, il y a dirigé 208 représentations. Mitropoulos a réalisé quelques enregistrements pour Columbia avec le Philharmonique de New York, notamment un merveilleux Wozzeck d'Alban Berg. Chef lyrique invitéOutre son activité new-yorkaise et américaine (La fanciulla del West avec Eleanor Steber, Mario Del Monaco, Tito Gobbi à Chicago le ), dès le début des années 1950, il est invité régulièrement en Europe, lorsqu'il n'est pas en déplacement avec son orchestre. Il dirige en Italie, notamment à La Scala où le , il propose pour la première fois dans la salle milanaise, le Wozzeck de Berg avec Gobbi et Italo Tajo ; en 1954 c'est Elektra de Strauss avec Ramon Vinay et le Arlecchino de Ferruccio Busoni avec Giulietta Simionato, Rolando Panerai et Fernando Corena, Petre Munteanu et Petri. À Florence en 1953, il monte La Forza del Destino avec Tebaldi, Aldo Protti, Del Monaco, Barbieri et Siepi et l'année suivante La fanciulla del West avec Steber, Del Monaco et Guelfi. En 1958 Ernani avec Cerquetti, Del Monaco, Bastianini et Boris Christoff. Il est aussi invité en Autriche, à Vienne et au Festival d'été de Salzbourg, où il laisse de mémorables productions (Vanessa[70] de Barber toujours avec Eleanor Steber dans le rôle-titre, La Forza del Destino[71], Don Giovanni et Elektra). En 1957, victime d'une virulente campagne de presse touchant à sa vie privée, qualifié d'homme solitaire, sans femme, il abandonne son poste à la Philharmonie de New York et est remplacé par son élève et protégé Leonard Bernstein[72] qui codirigeait avec lui cette saison-là. Après une tournée en Amérique latine avec Bernstein en 1958, il ne dirigera plus cet orchestre qu'en tant que chef invité. Par exemple, le à Carnegie Hall, lors d'un festival consacré à Mahler, une Cinquième Symphonie, qui a été enregistrée. Il poursuit néanmoins son travail au Metropolitan Opera. Mitropoulos ne s'est jamais marié ; il était « connu comme homosexuel » et « n'éprouvait pas la nécessité d'un mariage cosmétique »[73]. Il aurait eu une relation avec Leonard Bernstein selon Norman Lebrecht[74] ; Leonard Burkat, un ami d'enfance de Bernstein, va dans ce sens et Kiki Speyer Fouré, qui s'est presque fiancée à Bernstein, en était persuadée ; David Diamond, un ami intime de Mitropoulos, était certain du contraire[1]. Discutant avec Maxim Gershunoff (futur agent musical[75]), Mitropoulos a déploré :
Fin de vieAyant déjà souffert de deux attaques au cœur en décembre 1952 et janvier 1959[78] suivies de longues hospitalisations qui l’empêchent de diriger la moitié de la saison, les médecins lui conseillent d'abandonner la direction, ce que Mitropoulos ne pouvait envisager. Il accepte toutefois de diriger avec une baguette pour économiser ses forces[2]. Il déclare cependant que « la baguette peut réaliser l'ensemble, mais elle ne peut pas être aussi expressive que les mains et le corps[79] », ou bien « diriger avec une baguette c'est un peu comme jouer du piano avec des gants[80],[19]. » Après sa convalescence, il reprend sa carrière internationale au même rythme. Une troisième crise cardiaque l'emporte le . Âgé de 64 ans, le mæstro s'effondre lors de la première répétition de la troisième symphonie de Mahler à La Scala de Milan. Sa dépouille, transportée en Suisse est incinérée, conformément à ses vœux, et ses cendres sont rapatriées au cimetière d'Athènes. Un hommage donné par l'Orchestre d'État d'Athènes en novembre 1960, comportait la marche funèbre de la Troisième de Beethoven, jouée sans chef. On peut trouver un enregistrement de la Troisième symphonie de Mahler donnée par Mitropoulos avec l'Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne, le , deux jours avant sa mort. Seul enregistrement complet de l'œuvre : l'enregistrement de 1956 à New York, est amputé en raison des limites de temps accordé par la radio américaine. Au cours de ce concert Mitropoulos fut déjà victime d'un malaise cardiaque dont le public ne vit rien. À l'interruption à la fin du premier mouvement de la Symphonie, le médecin le pressa de mettre fin au concert. Il concéda seulement de s'asseoir sur une chaise haute le reste de la soirée. L'orchestre de Cologne lui portait un attachement profond et de nombreux témoignages évoquent son humanité et sa générosité, par exemple quand il offrit un piccolo au flûtiste. Son dernier enregistrement officiel est La forza del destino de Verdi avec Giuseppe Di Stefano, Antonietta Stella et Ettore Bastianini à Vienne[71]. Bien vite, Mitropoulos fut virtuellement oublié aux États-Unis. Quelques années après sa disparition, le livre d'un critique américain consacré aux grands chefs d'orchestre, lui consacrait deux paragraphes. Lors du 150e anniversaire de l'orchestre Philharmonique de New York en 1992, la presse citait le nom de Mitropoulos uniquement – et rarement – en tant que mentor de Bernstein. En 1996, le centenaire de sa naissance fut totalement oublié[2]. En Europe en revanche, la parution régulière de disques a entretenu sa mémoire, à l'instar d'autres chefs de la même période. TechniqueQuand il était adolescent, Dimitri fait pèlerinages et retraites au Mont Athos avec les moines et parle avec eux intensément de sujets spirituels. Une partie de sa future conception de la vie est marquée de ces expériences d'isolement. Choisissant la carrière musicale, Mitropoulos ne renonce cependant pas à la conception sacrificielle de la vie de l'homme vouée à l'Église. Sa vision personnelle de Dieu transparaît dans sa relation avec le monde extérieur, sa direction et sa vie matérielle quasi monastique. Il considérait son activité musicale et chaque concert comme un acte porté par une nécessité spirituelle, comme un rite, un sacre[2]. Le compositeur et critique Virgil Thomson le décrivait comme un chef « hypersensible, démesuré, brutal, très intelligent, peu confiant et totalement sans compromis... Son excitation était à la limite de l'hystérie et il modelait passionnément et nerveusement la musique[81],[9] ». Les journalistes qualifiaient sa direction « d'étrange » ou de « non-orthodoxe » et ajoutaient que c'était un « individu inquiétant ». Il expliquait lui-même qu'« il est plus facile pour le public de comprendre la signification de la musique si le chef est un peu un acteur[82]. » Dimitri Mitropoulos était donc un chef charismatique et se donnait à la musique et à son travail entièrement. Son style de direction était à la mesure de son engagement total, physique et plein de mouvements intenses. Il conduisait de tout son corps, de la tête aux pieds, spontanément, comme un miroir de la partition. Toute la dynamique interne des informations données par la partition prenait entièrement et irrésistiblement possession de lui, chaque geste étant une analogie du texte, auquel l'orchestre donnait vie. De multiples témoignages d'auditeurs rapportent sa gestuelle particulière :
— John K. Sherman (1952) Charismatique, mais sans l'autorité de bien des chefs de l'époque (Toscanini ou Rodzinski). C'est d'ailleurs une des raisons qu'il donne de l'absence de bâton, comme disent les anglo-saxons pour désigner la baguette. Mitropoulos était très proche des musiciens et voulait un travail partagé, n'être qu'une aide dans le processus de création musicale. La mémoireMitropoulos dirigeait sans partition. Lorsqu'on l'interrogeait sur ce point, il faisait la réponse suivante : « Vous n'attendez pas qu'un acteur sur scène joue Hamlet avec son script à la main[84],[2] », ou plus ironique encore :
Bien qu'il ne soit pas le seul à en disposer, Dimitri Mitropoulos était connu pour sa mémoire photographique (Toscanini avait ce don), ce qui lui a permis de diriger la quasi-totalité de son répertoire par cœur et ce même en répétitions[85]. Ainsi, pour une œuvre nouvelle, à défaut de conducteur d'orchestre, il était capable de visualiser intérieurement la partition (musique) en étalant au sol la totalité des parties séparées d'orchestre pour les mémoriser. Certains musiciens de l'orchestre racontent aussi ses pratiques :
Mais Mitropoulos lui-même conteste cette définition de « photographique » et explique les mécanismes de son assimilation étonnante :
— Dimitri Mitropoulos[87] Répertoire et créationsDimitri Mitropoulos est un chef qui a surtout excellé dans le champ du dernier romantisme et la musique du XXe siècle. Il a défendu précocement les symphonies de Gustav Mahler, notamment par le disque (la première de Minneapolis), mais aussi la sixième[88] qu'il a donné en création à New York en décembre 1947, ainsi que les premier et troisième mouvements de la dixième[89]. Pour son travail de promotion de la musique du compositeur il a reçu la Médaille d'Honneur Mahler américaine en 1950[9]. À New York, Mitropoulos a créé près de cinquante œuvres contemporaines[44]. On peut citer les créations américaines de la Dixième Symphonie (1954) et du premier Concerto pour violon (1956) de Chostakovitch (avec Oistrakh), d'œuvres de Malipiero[90] et Roussel[91] ; et les premières mondiales de Vanessa de Barber (), la Quatrième Symphonie (1947) et Concertos pour piano d'Ernst Křenek avant d'en réaliser un enregistrement. Il a également défendu les contemporains américains tels Eliot Carter[92] Roger Sessions, Peter Mennin, Stefan Wolpe, Morton Gould[93] ou Philip Bezanson. Créations d'œuvres par Mitropoulos
Répertoire lyriqueDimitri Mitropoulos était aussi un homme habité par « le démon du théâtre[94] », il a dirigé de nombreux opéras, d'abord en Italie, puis au Metropolitan Opera de New York de 1954 à sa mort, en 1960. Ses interprétations des opéras de Giacomo Puccini, Giuseppe Verdi et Richard Strauss restent dans les mémoires. Son enregistrement, en concert le , consacré au Wozzeck d'Alban Berg avec Friedrich Jagel, David Lloyd et Edwina Eustis, le premier de l'œuvre, est considéré comme une référence[95]. Le disque nous a également légué une interprétation du Don Giovanni de Mozart qui constitue aussi une référence (Salzbourg, 1956, l'année du bicentenaire de Mozart). Concours MitropoulosUn concours Mitropoulos a été créé à New York dans les années 1960[97]. D’abord consacré au piano en 1961, remporté par Agustin Anievas, il est devenu un concours de direction d’orchestre en 1963. De jeunes chefs de plusieurs pays y ont gagné un premier prix et la médaille d'or[98], tels Claudio Abbado, Pedro Ignacio Calderón et Zdeněk Košler en 1963, James DePreist, Jacques Houtmann et Edo de Waart en 1964, Alain Lombard en 1966, Boris Brott et Gaetano Delogu en 1968, Philippe Bender en 1970 et Jacques Delacôte en 1971 ; puis le belge François Huybrechts. Ce concours s'est ensuite tenu à Athènes (Dimitri Mitropoulos International Competition), couronnant de jeunes chefs mais aussi des compositeurs. CompositeurMitropoulos a écrit 48 pièces, notablement influencées par son maître Busoni et la Seconde école de Vienne. Œuvres pour piano, avec ou sans accompagnement orchestral, œuvres symphoniques, œuvres vocales et un opéra de jeunesse, Sœur Bérénice (sur un livret de Maurice Maeterlinck). À l'exception des musiques de scènes, fruits de commandes, Mitropoulos arrête de composer après 1930, se consacrant uniquement à la direction. Cependant, parmi les 48 numéros de son catalogue, il a réalisé ensuite quelques transcriptions d'œuvres de Bach de Beethoven (Grande fugue, enregistrée plus tard par Bernstein), de Franck et de Grieg. Ainsi que des arrangements d'opus contemporains de Prokofiev ou d'Howard Swanson enregistrés en 1950. Piano
Musique de chambre
Orchestre
Musique de scène
Vocale
Transcriptions
Discographie de référenceMitropoulos, comparativement à la plupart de ses collègues chefs d'orchestre de son époque (Ormandy, Stokowski, Monteux, Walter…) a peu enregistré en studio. C'est donc souvent par les enregistrements en concert que l'on trouve telle ou telle œuvre. Le legs de Mitropoulos au disque est grossièrement divisé en trois. Il a enregistré avec l'Orchestre de Minneapolis à l'époque 78 tours pour Columbia (1), et lorsqu'il était à New York (2). L'essentiel ayant été republié par Sony et divers éditeurs dès que les enregistrements tombaient dans le domaine public. Et en outre, on trouve une grande quantité de bandes radios de concerts (3) publiées par le label Orfeo pour Vienne ou Salzbourg, et d'autres à Cologne, Amsterdam et avec le Philharmonique de New York et le Metropolitan Opera. Voici une large sélection, avec des dates précises, selon un découpage de formes : symphonies, concertos et opéras. Symphonique
L'accompagnateur
Opéra
Discographie des œuvres de Mitropoulos
Notes et références
Voir aussiBibliographie
Filmographie
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Articles connexes
Liens externes
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