L'Algérie, dans les années soixante, a également participé à des coproductions de grande valeur : La Bataille d'Alger (1966), L'Étranger (1967), Z (1969), Remparts d'Argile (1970). L'Algérie, malgré son indépendance tardive, est le seul pays arabe et africain à avoir reçu une Palme d'or au festival de Cannes et l'un des trois pays africains à avoir gagné l'oscar du meilleur film étranger, avec l'Afrique du Sud et la Côte d'Ivoire. La qualité du film algérien est souvent mise en exergue par les nominations aux oscars et autres prix internationaux[1].
Cinéma colonial en Algérie
L'arrivée du cinéma en Algérie se fait sous la domination française. Le cinéma colonial sert à justifier les politiques établies[2], et à gagner la sympathie des Algériens. La première apparition du cinéma en Algérie remonte à l'époque du colonialisme français (1830-1962). Les Frères Lumière ont chargé leurs photographes de tourner des documentaires sur les villes, la nature et les habitants de l'Algérie. Le gouvernement colonial français utilisait également le cinéma et les films comme moyen de propagande pour blanchir la réputation de son colonialisme et renforcer les stéréotypes sur les Algériens. Les films de cette période portaient des titres tels que Le drôle de musulman (1897), Ali boit de l'huile (1907) et d'autres titres décrivant le peuple algérien de manière caricaturale. Les personnages arabes sont sans profondeur, interchangeables et intemporels, et toujours joués par des acteurs français. Le film Le Désir (1928) d'Albert Durec, qui aborde le sujet de la polygamie, est un exemple de l'approche superficielle du cinéma colonial. Les décors exotiques sont tout aussi caricaturaux : palmiers, chameaux, femmes lascives…[3],[4]
Le colonisateur empêche le développement de l'industrie algérienne au profit de la production française et fait obstacle à l'édification d'une industrie nationale de production de films. Une quinzaine de films sont tournés par année, en territoire algérien, mais sans aucune industrie sur place. Et toute la postproduction s'effectue en France[4]. L'Algérie est en fait, le décor d’un certain cinéma français[5].
Quelques films muets tournés au moins partiellement en Algérie :
Les films sont projetés dans des établissements avec aménagement en salle de projection. En 1914, Alger compte sept "théâtres cinéma" pour la seule projection cinématographique, 12 salles en 1902, 40 en 1939. L'Algérie dispose de 188 salles de projection en 1939 (dont 40 à Alger, et 22 à Oran). Entre les deux guerres, les caravanes cinématographiques, projections itinérantes, ne se détachent pas de la propagande coloniale, elles diffusent le message colonial[6].
Le rassemblement de population étant propice à la discussion et à la contestation, un travail de censure est assez rapidement mis en place par les autorités de manière à éviter de diffuser du matériel suspect de dangerosité culturelle, sociale ou politique.
Parmi les films parlants au moins partiellement tournés en Algérie avant 1960 :
Le cinéma documentaire (en Algérie, comme dans tous les territoires coloniaux), avant 1960, mériterait une étude spécifique.
Naissance du cinéma algérien
Comme beaucoup de choses liées à l'identité algérienne, le cinéma algérien est né de la Guerre d'indépendance dAlgérie. Dans les années 50, un anticolonialiste français, René Vautier, a suggéré aux dirigeants du Front de Libération Nationale (FLN) de produire un film décrivant les horreurs infligées par les forces françaises pendant la guerre de libération et de faire connaître au monde la cause algérienne. L'idée plaît aux dirigeants du FLN et, en 1957, Djamel Chanderli, Mohammed Lakhdar-Hamina et Ahmed Rachedi créent une cellule de production cinématographique afin de documenter l'expérience algérienne pendant la guerre de libération. L'Algérie en flammes, produit par René Vautier en 1958, est le premier film produit à cette époque, après quoi des films tels que Les fusils de la liberté (1961), La voix du peuple (1961) et Notre Algérie (1961) ont été produits[3].
Dans la Wilaya I Zone V : un petit groupe de quatre ou cinq combattants de l'A.L.N., ayant appris quelques rudiments du métier, se constitue en équipe de tournage cinématographique. Cette équipe réalise pour la télévision quatre émissions dont l'audience internationale s'élargit par le relais des télévisions des pays socialistes. L'une de ces émissions présente « la cellule cinématographique de l'A.L.N », les autres documents concernent le rôle des infirmières de l'A.L.N., une attaque des moudjahidine (maquisards) contre les mines de l'Ouenza, symbole de la colonisation.
Le cinéma algérien s'organise par la constitution d'un comité de cinéma (lié au GPRA) puis par la création d'un Service du cinéma du G.P.R.A., enfin par la mise sur pied d'un Service du cinéma de l'A.L.N. Les négatifs des films tournés dans les maquis, sont mis en sécurité en Yougoslavie, pays solidaire de la cause de l'indépendance algérienne. Ainsi se créent les premières archives du Cinéma Algérien en pleine Guerre d'Algérie.
Après l'indépendance en 1962, et en raison de nombreux facteurs politiques et sociaux, le nouvel État algérien indépendant a adopté des politiques socialistes pour gérer les affaires du pays. Le gouvernement a été le principal bailleur de fonds de la plupart des productions cinématographiques locales depuis l'indépendance. Dans les premières décennies qui ont suivi l'indépendance, en particulier pendant la présidence de Houari Boumédiène, on a assisté à un élan général de la production cinématographique et à un intérêt populaire pour le cinéma. Le président Boumediene était connu pour son intérêt pour les visuels culturels en général, et le cinéma en particulier. La présidence de Boumédiène, associée à la récence de l'indépendance, a créé une atmosphère générale dans tous les domaines pleine de sentiment patriotique, ce qui a été appelé à l'époque "la continuation de la voie révolutionnaire". Cette atmosphère générale a formé l'identité du cinéma algérien de l'époque[7].
Après la décennie noire, entre 1992 et 2003, depuis le retour à la paix, l’État algérien se ressaisit du cinéma, qu’il avait délaissé à partir de la crise économique des années 1980, pour en faire un instrument de raoman national. Il réinvestit ainsi l’histoire du pays en remettant à l’honneur la résistance au colonialisme. Afin de recouvrir la mémoire douloureuse de la guerre civile par une séquence du récit national tout aussi douloureuse mais glorieuse, le ministère de la Culture et le ministère des Moudjahidine consacrent une part importante de son budget à la production cinématographique[8]. Les perosnnages clefs de la lutte d'indépendance sont évoqués sous formes de biopics, alors qu'avant les personnages étaient fictifs. En outre, le rôle des femmes dans l’histoire de la résistance algérienne est désormais évoqué. Fadhma N’Soumer (Belkacem Hadjadj, 2013) célèbre une figure féminine de la résistance. Dans Le Puits (Lotfi Bouchouchi, 2016), les martyrs de la révolution qui occupent les premiers rôles sont des femmes qui se sacrifient pour apporter de l’eau à la communauté assiégée par l’armée française.[1]
Au début des années 2020, après le mouvement du Hirak et avec l'émergeance des plateformes de streaming, les co-productions internationales réinvestissent l'Algérie, comme la série franco-allemande de Arte Alger Confidentiel (2022), Miskina, la pauvre (2022) de Melha Bedia, le film franco-algérien Omar la fraise (2023) de Élias Belkeddar, La Dernière Reine de Damien Ounouri et Adila Bendimerad (2022)...
Galerie
Chronique des Années de Braise de Mohammed Lakhdar-Hamina (1975)
Les Réfugiés, court métrage 16 mm réalisé par Cécile Decugis (tourné en Tunisie). Sa participation au Réseau Jeanson valut à la réalisatrice deux années de détention dans les prisons françaises.
1957
Courts métrages tournés par les élèves de l'École de formation du cinéma.
L'École de Formation de Cinéma
Les Infirmières de l'A.L.N.
L'Attaque des mines de l'Ouenza
1957-1958
L'Algérie en flammes, court métrage 16 mm couleurs réalisé par René Vautier, produit par René Vautier et la D.E.F.A. (R.D.A.).
1958
Sakiet Sidi Youssef, court métrage réalisé par Pierre Clément.
Les Réfugiés, court métrage produit et réalisé par Pierre Clément.
1960-1961
Djazairouna, long métrage basé sur des images de Une nation, l'Algérie réalisé par René Vautier en 1955 et des images de Djamel Chanderli prises au maquis. Réalisation : Docteur Chaulet, Djamel Chanderli, Mohammed Lakhdar-Hamina. Producteur : Service Cinéma G.P.R.A.
Yasmina, court métrage réalisé par Djamel Chanderli et Mohammed Lakhdar-Hamina. Producteur : Service Cinéma G.P.R.A.
La Voix du peuple, réalisé par: Mohammed Lakhdar-Hamina. Djamel Chanderli. Producteur : Service Cinéma G.P.R.A.
Les Fusils de la liberté, réalisé par: Djamel Chanderli et Mohammed Lakhdar-Hamina. sur un scénario de Serge Michel. Producteur : Service cinéma G.P.R.A.
1960-1961
Cinq hommes et un peuple, réalisation : René Vautier.
Structures du cinéma algérien depuis l'indépendance
1962 : Création de C.A.S.B.A.H.-Films. Société privée de production et de distribution cinématographiques. Constitution d'un centre audiovisuel sous l'impulsion du Ministère de la Jeunesse et des Sports.
1963 : Création du « Centre de Diffusion Populaire » (C.D.P). Décret N.°63-15, du . Création de « L'Office des Actualités Algériennes » (O.A.A). Décret N.°63-15, du .
1964 : Création du « Centre National du Cinéma Algérien » (C.N.C). Décret N.°64-164, du . (modifié et complété par Décret N.°64-261, du ).
Nationalisation de l'exploitation cinématographique
Décret N.°64-241, du . Création de « L'Institut National du Cinéma » (I.N.C.), place sous l'autorité du C.N.C
Création de la « Cinémathèque Nationale Algérienne ». Décret N.°64-164, du .
1967 : Dissolution du C.N.C. et de l'I.N.C. Ordonnance N.°67-49, du .
L'Office National pour le Commerce et l'Industrie Cinématographique (ONCIC), est créé en 1967. Réglementation de l'art et de l'industrie cinématographique Ordonnance N.°67-52, du , modifiée et complétée par ordonnance N.°68-612, du , modifiée par ordonnance N.° 69-34, du (monopole de l'importation et de la distribution confiés exclusivement à l'O.N.C.I.C.). Arrêté du fixant la date d'entrée en vigueur () du monopole attribué à l'O.N.C.I.C. dans le domaine de la coproduction.
1968 : Création de "Centre de Diffusion Cinématographique" (C.D.C). Décret N.° 68-623, du (modifié par décret N.°69-95, du .
1974 : Intégration de l'O.A.A à l'O.N.C.I.C. Ordonnance N.°74-47, du 31-1-1974 L'O.N.C.I.C. est chargé de la production de la Presse Filmée. Restructuration du secteur audiovisuel.
Liberté de création
La loi 17 février 2011 « relative à la cinématographie », précise en son article 5 que « sont interdits le financement, la production et l'exploitation de toute production cinématographique portant atteinte aux religions ou à la guerre de libération nationale, ses symboles et son histoire ou glorifiant le colonialisme ou portant atteinte à l'ordre public ou l'unité nationale ou incitant à la haine, à la violence et au racisme. ». Les films traitant de la guerre d'indépendance deviennent soumis à autorisation. En 2024, un projet de loi introduit pour la première fois des peines de prison pour les professionnels du cinéma ne se conformant pas aux règles prévues[9],[10].
C'est dans ce contexte que le film Larbi Ben M'hidi, sorti en 2018, n'est autorisé pour une exploitation en salle qu'en 2024.
↑Chauvin, Stéphanie, « Le cinéma colonial et l'Afrique, 1895-1962 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 43, no 1, , p. 143–144 (DOI10.3406/xxs.1994.3086, lire en ligne, consulté le ).
↑ a et bJean-Claude Seguin, « Aux origines du cinéma en Algérie : Alexandre Promio », dans Le documentaire dans l’Algérie coloniale, Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, coll. « Les Cahiers de l’Iremam », , 6–11 p. (ISBN978-2-8218-3020-2, lire en ligne)
↑Salima Tenfiche, « Passé glorieux contre mémoire interdite : deux cinémas algériens antagonistes », Écrire l'histoire. Histoire, Littérature, Esthétique, no 19, , p. 213–219 (ISSN1967-7499, DOI10.4000/elh.2024, lire en ligne, consulté le )