Né d’un père ouvrier d’usine et d’une mère institutrice, René Vautier pratique le scoutisme laïque à Quimper au sein des Éclaireurs de France. Le groupe de jeunes dont il fait ainsi partie, appelé clan René Madec, réalise des actions de Résistance en Bretagne dès 1940, et de manière plus structurée à partir de 1943. Il est alors âgé de quinze ans. Sept jeunes du clan sont tués[5],[6]. René Vautier est décoré de la Croix de guerre à seize ans, et le groupe « jeunes » du clan René Madec est cité de manière collective à l’ordre de la Nation par le général Charles de Gaulle pour faits de Résistance (1944).
En 1949, il part pour l'Afrique, la Ligue française de l'enseignement lui ayant commandé un reportage sur les conditions de vie dans les villages de Côte d'Ivoire, de Haute-Volta, du Sénégal et du Soudan français, destiné à mettre en valeur la mission éducative de la France dans ses colonies pour montrer aux élèves des lycées et des collèges « comment vivent les villageois d'Afrique occidentale française ». Indigné par ce qu'il voit sur place, Vautier décide de filmer la réalité de l'Afrique colonisée. Mais la police saisit les négatifs du film et lui-même est cité à comparaître pour « avoir […] procédé à des prises de vues cinématographiques sans l'autorisation du gouverneur[8] ».
Il réussit cependant à sauver quelques bobines et, en 1950, réalise un film de quinze minutes, Afrique 50, qui est diffusé clandestinement. Interdit pendant plus de quarante ans, c'est le premier film anticolonialiste français, chef-d’œuvre du cinéma engagé, qui lui vaut treize inculpations et une condamnation à un an de prison[9]. Lui et Félix Houphouët-Boigny sont jugés pour avoir violé un décret de 1934 de Pierre Laval, alors ministre des Colonies. René Vautier est incarcéré à la prison militaire de Saint-Maixent-l'École, puis à Niederlahnstein en zone française d’occupation en Allemagne. Il en sort en . Afrique 50 reçoit la médaille d’or au festival de Varsovie.
L'Algérie (1956-1965)
Engagé en Afrique sur divers tournages, il rejoint clandestinement l'Algérie par les maquis dès 1956 et participe à la lutte révolutionnaire pour l'indépendance de l'Algérie du FLN. Il tourne dans les Aurès, les Némentchas, ainsi qu'à la frontière tunisienne, filmant les maquisards de l'ALN[10],[11].
Au printemps 1958, il se rend au Caire où se trouve la direction du FLN pour y montrer Algérie en flammes, son film sur la lutte de l'ALN. Sur place, il doit rencontrer Abane Ramdane, l'un des cinq membres du comité exécutif du FLN. Il ignore cependant que ce dernier a été assassiné au Maroc en 1957 sur ordre de Krim Belkacem[12]. Il essaie alors de vendre le film aux Égyptiens qui le donnent au FLN.
René Vautier est alors accusé d'avoir détourné des sommes qui auraient servi à payer les travaux de laboratoire en Allemagne de l'Est[10] et de tentative de « commercialisation de la Révolution »[13]. Il est convoyé vers la Tunisie via la Libye et emprisonné pendant vingt-cinq mois (1958-1960) dans une prison du FLN. D'abord détenu à Mornag dans les environs de Tunis, il parvient à s'échapper en retirant un barreau d'une fenêtre. Il ne souhaite pas s'évader, mais plutôt s'expliquer avec les dirigeants du FLN dont il pense qu'ils ignorent son incarcération. Mais au lieu de l'aider, ses contacts lui envoient les gardiens de Mornag qui le ramènent en prison. Il subit alors la torture pendant quatre jours, « littéralement épluché avec une garcette ». Transféré à Den Den, il est au bout du compte relâché, sans explication[10].
Ne gardant pas rancune de cet épisode aux indépendantistes algériens, il s'installe dès l'indépendance à Alger[14]. Il est nommé directeur du Centre audiovisuel d’Alger (1962-1965). Il y est aussi secrétaire général des Cinémas populaires[15]. Il filme les premiers jours de l'Indépendance algérienne et tente de créer un dialogue, grâce à la vidéo, entre les peuples français et algérien.
La France
De retour en France, il participe à l'aventure du groupe Medvedkine en Mai 1968 (collectifs cinéastes-ouvriers).
En 1972, il sollicite en tant que distributeur du film un visa d'exploitation pour le documentaire de Jacques Panijel, Octobre à Paris, consacré au massacre des Algériens à Paris le par les forces de police sous les ordres de Maurice Papon[16]. Le visa est refusé. Aussi, le , il commence une grève de la faim, exigeant « la suppression de la possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des critères politiques[17] ». Soutenu par Jacques Rivette, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Claude Sautet, Alain Resnais, Robert Enrico, il obtient une décision favorable du ministre de la culture Jacques Duhamel et met fin à sa grève de la faim au bout de trente-et-un jours.
En 1974, René Vautier joue son propre rôle de résistant dans Quatre journées d'un partisan d'Alain Aubert[18].
En 1984, il fonde une société de production indépendante : Images sans chaînes.
René Vautier déclare s'être toujours efforcé de mettre « l'image et le son à disposition de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent », pour montrer « ce que sont les gens et ce qu'ils souhaitent. » Comme Jean-Luc Godard, qu'il rencontre en 2002, René Vautier cherche à développer une théorie en acte de l’image[19].
Cité comme témoin au procès de Roger Garaudy — auquel il a consacré un court métrage en 1991, À contre nuit[20] —, le cinéaste a néanmoins assuré qu'il ne partageait pas ses thèses négationnistes et antisémites[21].
2012 : nommé Citoyen d’Honneur de la ville de Stains
Filmographie
Le capitalisme
Un homme est mortFilm sur la mort de l’ouvrier Édouard Mazé, lors des manifestations et des grèves de Brest (mars-avril 1950). Le titre de ce film est repris d'un poème de Paul Éluard tiré du recueil Au rendez-vous allemand (1944). L'histoire de ce film disparu est relatée dans la bande dessinée homonyme de Kris et Étienne Davodeau.Un film d'animation a été réalisé par Olivier Cossu en 2017[23],[24].
Les Anneaux d'or, avec Claudia Cardinale dans son premier rôle Une de ses rares œuvres de fiction, le film remporte l'Ours d'argent au festival de Berlin-Ouest en 1958.
Transmission d'expérience ouvrière, 1973 S’adressant à d’autres collectivités ouvrières, les ouvrières licenciés des usines des Forges d'Hennebont racontent la façon dont les promesses gouvernementales et patronales les ont floués.
Quand tu disais Valéry, 1975 Le film retrace la longue grève des ouvriers de l’usine de fabrication de caravanes Caravelair à Trignac, classé meilleur film français au festival de Rotterdam.
Le colonialisme et particulièrement la guerre d’Algérie
Afrique 50, 1950 Premier film réalisé par René Vautier, alors âgé de 21 ans, et premier film anticolonialiste français.
Une nation, l'Algérie, 1954 L’une des deux copies est détruite, la deuxième a disparu. Après la révolution du , le film relate en images la véritable histoire de la conquête de l’Algérie. René Vautier est poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État pour une phrase du film : « L’Algérie sera de toute façon indépendante ».
Peuple en marche, 1963 Film qui fait un bilan de la guerre d'Algérie en retraçant l'histoire de l'ALN et qui montre l'effort populaire de reconstruction du pays, après l'indépendance.
Le Cinéma des premiers pas, 1985 Réalisé en Algérie, le film porte sur sa participation à l'activité cinématographique dans l'Algérie indépendante.
Le racisme en France
Les Trois CousinsFiction tragique sur les conditions de vie de trois cousins algériens à la recherche d’un travail en France. Prix du meilleur film pour les Droits de l'Homme à Strasbourg en 1970.
Vous avez dit : français ?, 1986 Réflexion sur la notion de citoyenneté française et l’histoire de l’immigration en France.
L’apartheid en Afrique du Sud
Le Glas, réalisé sous le pseudonyme algérien de Férid Dendeni, en réaction à la pendaison de trois révolutionnaires de Rhodésie du Sud pourtant précédemment graciés par la reine d'Angleterre[27]. Le film est d’abord interdit en France, puis autorisé en 1965 parce qu’il était autorisé en Grande-Bretagne, 6 minutes, 1964.
Marée noire, colère rouge, 1978 Classé meilleur film document mondial 1978 au festival de Rotterdam.
Mission pacifique, 1988 Documentaire sur des témoins sur place qui analysent les prises de vues effectuées lors des explosions atomiques dans le Pacifique et du naufrage du Rainbow Warrior.
Hirochirac, 1995 Reportage tourné pendant le cinquantième anniversaire d’Hiroshima, au moment où Jacques Chirac reprend les essais nucléaires dans le Pacifique, et complété par des témoignages de victimes du nucléaire.
L’extrême droite française
À propos de… l'autre détail, 1984 Documentaire monté à partir de témoignages sur la torture de personnes ayant vécu la guerre, comme l'historien Pierre Vidal-Naquet, le militant de la non-violence Jacques Pâris de Bollardière, le préfet de police d'Alger Paul Teitgen, la déportée Germaine Tillion et l'Algérien Hadj Boukhalfa, qui aurait été torturé par l'officier parachutiste Jean-Marie Le Pen[28],[29]. Le document sera utilisé pour défendre Le Canard enchaîné lors du procès pour diffamation intenté par Jean-Marie Le Pen. Le film est projeté et certains témoins viennent également soutenir le journal. Mais la loi d’amnistie de 1963 protège l’homme politique, interdisant l’utilisation d’images pouvant nuire à des personnes ayant servi pendant la guerre d’Algérie[30].
Châteaubriand, mémoire vivante, 1985 Châteaubriand est un camp allemand où 27 résistants français, dont 21 militants communistes, ont été fusillés en 1941. On soutient d'ordinaire que les communistes ne sont entrés dans la Résistance qu’au moment où l’Allemagne a envahi l’URSS, or le film démontre le contraire : les 21 fusillés du camp sont des communistes résistants désignés aux Allemands par le gouvernement français. La télévision française refuse de soutenir le projet. Le film est fait avec Fernand Grenier, un responsable de l’Amicale des anciens de Châteaubriand. Des hommes et des femmes internés témoignent, et chaque année des milliers de personnes se souviennent en commun[30].
Vacances en Giscardie, 1980 Film qui regroupe deux reportages sur les vacances d'été des « Français moyens » : 1. Simplement vivre et 2. Une place au Soleil.
Histoires d'images, Images d'Histoire, documentaire, coréalisation avec Moïra Chappedelaine-Vautier, 2014
↑La Revue du cinéma, image et son, numéros 343 à 345, Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente, 1979, p. 235.
↑René Vautier avec Jean-Luc Godard, « Échange sur le cinéma politique », in Jean-Luc Godard. Documents, Centre Georges Pompidou, Paris, 2006 (ISBN978-2844262998).
↑Tiré du livre de Garaudy, Mon tour de siècle en solitaire, Robert Laffont, 1989.
Algérie, images d'un combat de Jérôme Laffont, 2009
Bibliographie
François Bovier et Cédric Fluckiger (dir.), René Vautier, Décadrages, no 29-30, printemps 2015, 250 p., en ligne
Alain Weber, « Un film que nous ne verrons plus jamais, Un homme est mort » dans Jeune, pure et dure !, une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental en France, La Cinémathèque française, 2001
« Afrique 50 » (commentaires sur le film), Les Cahiers de Paris Expérimental, no 3, 2001