L'écofascisme (aussi appelé écototalitarisme ou écoautoritarisme) est un régime autoritaire d'inspiration fasciste mis en place pour préserver l'environnement ou dans lequel la protection de l'environnement justifie l'emploi de méthodes autoritaires.
Cette désignation relève pour lors du domaine d'une conjecturethéorique, puisqu'un tel régime n'a encore jamais vu le jour, et n'a jamais constitué un programme politique officiel. Si certains activistes d'extrême droite ont pu s'approprier des discours écologistes, le terme demeure essentiellement utilisé comme insulte, aucun parti politique ni intellectuel significatif ne se réclamant de cette idéologie.
Usages
Cette expression peut avoir plusieurs usages très différents[1] :
pour désigner les quelques lois environnementales promulguées par l'Allemagne nazie dans les années 1930 et les théories qui les inspiraient ;
comme insulte politique diffamatoire, à destination des figures représentatives de l'écologie ; cette insulte utilisée pour disqualifier la personne visée, en sous-entendant que l'écologie serait un nouveau visage du fascisme ;
Des théories écofascistes, d’après l’historien Peter Staudenmaier, ont vu le jour durant la première moitié du XIXe siècle en Allemagne, dans la foulée de la lebensreform hygiéniste et du mouvement völkisch, réactionnaire et ruraliste[2]. Inspirées notamment par l'interprétation sociopolitique du darwinisme issue d'Ernst Haeckel, de nombreuses théories pseudo-biologiques tentent ainsi de « naturaliser » le nationalisme allemand et de le justifier par la science. Plusieurs intellectuels influents de l'époque, sans être militants nazis, ont ainsi tenté de faire des ponts entre une idéologie raciste et une mystique du sol, tel Rudolf Steiner, fondateur de l'anthroposophie[3]. Ces théories furent particulièrement développées par deux intellectuels de l'époque : Ernst Moritz Arndt et Wilhelm Heinrich Riehl[4], qui ont eu une influence importante sur les débuts du nazisme (« l’aile verte » du parti nazi, composée principalement de Walther Darré, Fritz Todt, Alwin Seifert et Rudolf Hess).
Un important mouvement culturel associant écologie et racisme sera le « Blut und Boden » (« le sang et le sol »), théorisé en 1922 dans Le Déclin de l'Occident d'Oswald Spengler, puis très largement repris et favorisé par le nazisme, avec le livre La Race - Nouvelle noblesse du sang et du sol de Walther Darré (futur pilote du Reichsnährstand, mais aussi chef du bureau de la race et du peuplement de 1931 à 1938 puis ministre de l'Alimentation et de l'Agriculture du Troisième Reich de 1933 à 1942).
Savitri Devi.
L'Allemagne hitlérienne a cependant rapidement délaissé sa doctrine écologiste à la fin des années 1930 pour se tourner vers le productivisme et l'industrie lourde.
L'idéologie ruraliste du régime de Vichy, incarnée par des théoriciens comme Gustave Thibon, a également pu avoir une influence sur certains écologistes décroissants comme Pierre Rabhi, mais sans aucune trace d'un quelconque projet politique autoritaire[5].
Peur ou apologie de l'autoritarisme par manque de choix
L'écofascisme est défini de manière plus abstraite et « en négatif », sur le mode de la dystopie, par plusieurs penseurs de l'écologie face à l'évidence de l'inaptitude des gouvernements libéraux à mettre en place une politique écologique à la hauteur des enjeux, et des risques d'une radicalisation de certains militants, voire d'une nécessité de prise en mains autoritaire du problème[6].
Selon ceux qui décrivent un tel régime, les menaces que les activités humaines font peser sur la planète Terre seraient telles que les élites pourraient être amenés à n'avoir plus d'autre choix que de suivre des dictateurs promettant de préserver leur mode de vie en échange de leur liberté, au prix de l’aggravation des injustices planétaires et de la liquidation d’une part notable d'êtres humains[7]. Ce danger de l'écofascisme ou de la dictature écologique est mis en évidence par le philosophe allemand Hans Jonas.
Le philosophe Dominique Bourg relativise cependant l'existence d'une telle tendance :
« Depuis les années 70, il est de mise de parler d’un courant « écoautoritaire » parmi les tenants de l’écologie politique. En effet, chaque auteur qui veut donner une vue d’ensemble sur les rapports entre l’écologie et la démocratie se sent obligé d’évoquer les mêmes noms – Robert Heilbroner, William Ophuls, Hans Jonas – pour expliquer la logique qui pourrait justifier le recours à un gouvernement hiérarchique et centralisé pour répondre à la crise écologique. Tous ces penseurs-là ont écrit dans le sillage du rapport au Club de Rome sur Les Limites à la croissance, et tous suivent à peu près la même logique. Il faut comprendre cette logique – et il faut la relativiser. Il faut la relativiser, car ce groupe de prétendus autoritaires n’en est pas un. Ce n’est pas une école. Aucun mouvement politique ne se réclame de leurs théories. »
Ces trois auteurs cités ne sont pour autant pas des fascistes, mais s'inspirent plutôt de Thomas Hobbes ou du Platon de La République, considérant que le laisser-faire libéral ne peut mener qu'à la ruine commune, et que la transition écologique nécessite un gouvernement plus technocratique et dont les pouvoirs sont fondés par l'état d'urgence sur la base de l'intérêt commun. Chez Jonas c'est une « tyrannie bienveillante et bien informée », et Ophuls décrit une « société stationnaire », (« plus autoritaire et moins démocratique que les sociétés industrielles d’aujourd’hui… mais aussi plus oligarchique ; seuls ceux détenant des compétences écologiques nécessaires à une prise de décision prudente auront l’autorisation de participer pleinement aux processus politiques »[8]).
« L’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints d’agir pour gérer des ressources et un espace qui se raréfient. Déjà commence à se tisser ce filet de règlements assortis d’amendes et de prison qui protégera la nature contre son exploitation incontrôlée. Que faire d’autre ? Ce qui nous attend, comme pendant la seconde guerre totale, c’est probablement un mélange d’organisation technocratique et de retour à l’âge de pierre.
[...]
Si la crise énergétique se développe, la pénurie peut paradoxalement pousser au développement. Le pétrole manque ? Il faut multiplier les forages. La terre s’épuise ? Colonisons les mers. L’auto n’a plus d’avenir ? Misons sur l’électronique qui fera faire au peuple des voyages imaginaires. Mais on ne peut reculer indéfiniment pour mieux sauter. Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint d'adopter une façon de faire plus radicale. Une prospective sans illusion peut mener à penser que le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra plus faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir. »
« Il se pourrait que nous réalisions, dans quelques années, comme nous l'avons fait en 1939, qu'il faille temporairement suspendre la démocratie et accepter un régime discipliné tel que l'a connu alors la Grande-Bretagne et qui fit d'elle un havre pour la civilisation. La survie requiert un degré exceptionnel de compréhension et de leadership. Elle peut également nécessiter, comme en temps de guerre, la suspension d'un gouvernement démocratique pour un temps rendu nécessaire par l'urgence vitale. »
— James Lovelock, The Revenge of Gaia, Basic Books, 2006, trad. Virginie Maris[9].
L'écofascisme ainsi considéré n'est aucunement lié au fascisme historique et n'en partage pas non plus les ambitions idéologiques. Sont considérées bien plus ici comme « fascistes » les théories politiques de l'ordre par le « haut » qui ne respectent ni la vie humaine ni les formes démocratiques, une sorte d'autoritarisme écologique.
Des militants « écofascistes » souhaiteraient ainsi atteindre leurs buts au moyen d'une dictature qui permettrait de réduire la population terrestre par la coercition, tandis que ses habitants restant assureraient la continuité de l'humanité avec des moyens techniques archaïques (agriculture simple, chasse, artisanat). Seraient prévus également des modes malthusiens de contrôle des naissances afin de ne pas menacer l'environnement par une surpopulation. Les plus extrêmes se positionnent en faveur d'une amélioration génétique de la population humaine que servirait l'eugénisme. En France, l'intellectuel se rapprochant le plus de cette idéologie est l'essayiste d'extrême-droite Alain de Benoist[2].
Cette tendance autoritaire n'a jamais eu d'ampleur significative dans le courant écologiste ni inspiré le moindre mouvement politique ni associatif, mais des auteurs isolés la ressuscitent de temps à autre depuis les années 1970, notamment aux États-Unis, comme récemment Laura Westra, David Shearman et Joseph Smith - dont aucun ne peut être taxé de « fasciste »[8].
Dans certains textes, le philosophe norvégien Arne Næss chef de file du mouvement de la « Deep ecology », oppose écologisme et humanisme, proclamant même, à l'imitation d'une formule célèbre du Marquis de Sade, « Écologistes, encore un effort pour devenir anti-humanistes ! »[10]. La phrase est provocatrice et a beaucoup été utilisée contre Næss et son mouvement, toutefois Næss s'inscrit ici dans une filiation philosophique heideggerienne qui ne prône pas une quelconque haine de l'humain mais plutôt une critique de l'anthropocentrisme court-termiste, appelant à un élargissement de la communauté morale et pas au dénigrement des humains[11]. Il s'en est d'ailleurs défendu dans le même texte et ailleurs, affirmant qu'il était en opposition avec toute forme de « culte illimité de la vie » : « En tant qu'écosophes, nous devons éviter de faire croire aux gens que nous disons "oui !" à tout ce qui vient de la nature »[10].
Luc Ferry, dans son livre anti-écologiste Le Nouvel Ordre écologique paru en 1992, a particulièrement incriminé la deep ecology comme étant un anti-humanisme confinant au nazisme. Toutefois, cette lecture apparaît superficielle au philosophe de l'écologie Fabrice Flipo, qui, en 2014, pose la question suivante : « La deep ecology de Naess est-elle cet intégrisme menaçant à propos duquel Ferry nous mettait en garde, voici près de 20 ans ? » Il montre que Luc Ferry s'est exprimé sur l'écologie profonde par a priori et préjugé, sans en connaître la teneur. Sa conclusion est que les risques d’intégrisme écologique pointés par Ferry peuvent exister mais qu’ils ne sont portés ni par Naess, ni par la deep ecology[12].
Quelques militants radicaux du droit animal ont pu tenir des propos confinant à l'anti-humanisme, sans que ce type de ligne politique soit réellement assumé par aucune association majeure.
En 1991, un certain « Screaming Wolf » publie aux Etats-Unis un texte d'une rare violence intitulé A Declaration of War; Killing People to Save Animals and the Environment (« Déclaration de guerre : tuer des gens pour sauver les animaux et l'environnement »)[13], procédant à des appels au meurtre et recommandant notamment d'éventrer les bouchers ou d'expérimenter sur des scientifiques, dans un retournement total jusqu'à l'absurde des pratiques animales. Toutefois selon la philosophe Anne Dalsuet, « Il n'est pas exclu que ce texte ait été commandité par les lobbies industriels pour discréditer les mouvements de défense de la cause animale », l'auteur étant totalement inconnu et lié à aucune organisation identifiée[11].
Mouvance néo-nazie contemporaine
Selon le politologue finlandais Jeja-Pekka Roos(fi), l'idéologie écofasciste de certains militants radicaux prône l'abandon complet des technologies dans nos sociétés ainsi qu'une réduction de la population humaine afin de sauver la planète des dangers qui la menacent : surpeuplement et pollution. Il s'agirait donc d'une variante radicale de l'« écologie profonde » avec des aspects primitivistes et survivalistes[14] — ce qui les éloigne du fascisme historique, futuriste et productiviste. Selon l'essayiste Pierre Madelin, dans ce sens, « par éco-fascisme, il faudrait alors entendre une politique désireuse de préserver les conditions de la vie sur Terre, mais au profit exclusif d’une minorité[7]. »
En France, sous l'influence d'Alain de Benoist, certains militants d'extrême droite radicale mobilisent parfois des thèmes écologistes, essentiellement pour naturaliser leurs théories politiques : c'est le cas de Guillaume Faye, Renaud Camus, Hervé Juvin, ou encore du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (Grece)[14]. Il s'agit en général d'une écologie essentiellement ruraliste, raciste (« ethno-différentialiste », liant intrinsèquement le sang à la terre, « Blut und Boden »), souvent survivaliste ou collapsologiste et parfois anticapitaliste[14]. Un exemple en est le groupe d'extrême droite « Tenesoun », groupe identitaire et ruraliste ouvertement xénophobe mais adoptant certaines pratiques et valeurs issues des mouvances alternatives et du zadisme[15].
Ainsi, certains militants survivalistes s'identifient comme « écofascistes », tel Piero San Giorgio (proche d'Alain Soral) ou un certain nombre d'auteurs écrivant dans les revues Éléments, Terre et peuple ou Réfléchir et agir ou soutenus par la maison d’édition « Culture & Racines » et le think-tank« Institut Iliade ». Certains proposent sur le modèle des ZAD de créer des « ZID » : « zones identitaires à défendre »[14].
La revue néo-conservatrice Limite, « revue d'écologie intégrale » proche de La Manif pour tous, peut aussi en être rapprochée même si elle ne développe pas de programme autoritaire[16].
Certains terroristes néo-nazis ont également réclamé ce genre d'appartenance, comme Brenton Tarrant, Patrick Crusius ou Anders Behring Breivik[14]. En France, plusieurs groupuscules néo-nazis à coloration écofasciste, armés et préparant des attentats, ont été démantelés, comme « Recolonisons la France » ou l'« OAS » de Logan Alexandre Nisin[14].
L'accusation d'« écofascisme » est aussi — et peut-être avant tout — une insulte renvoyée aux politiciens écologistes en France et ailleurs depuis les années 1990[7]. On la retrouve essentiellement dans la bouche de militants ultralibéraux, conservateurs ou d'extrême droite : ce procédé est théorisé en France par le livre de Luc FerryLe Nouvel Ordre écologique publié en 1992, qui ramène le discours écologiste au nazisme à plusieurs reprises[11],[12].
Depuis, les concurrents politiques des partis écologistes accueillent souvent leurs avancées par des alertes à « l’écologie punitive », à « l’autoritarisme vert », fustigeant des « Khmers verts » aux portes du pouvoir, « ayatollahs de la décroissance », « idéologues », « marchands de peurs », « obscurantistes », « partisans du retour à la bougie » et bien sûr « éco-nazis »[17]. La notion d'« écoterrorisme », elle aussi dépourvue de tout substrat concret, est utilisée de manière similaire[18].
D'autres concurrents politiques préfèrent accuser les écologistes d'être des communistes déguisés : en 1989, Jean-Marie Le Pen s'était présenté à la télévision muni d'une pastèque représentant selon lui le parti écologiste, car « vert à l'extérieur, mais rouge à l'intérieur » ; l'expression a fait florès et était encore reprise en 2022 par le ministre Olivier Véran[19].
D'autres encore, comme Éric Zemmour, accusent les écologistes d'« islamogauchisme », affirmant que « le vert des Verts correspond, comme par hasard, au vert de l’islam »[17].
Dans un rapport paru en février 2024, le rapporteur spécial des Nations unies Michel Forst, au titre de la convention d’Aarhus (le texte onusien protégeant les défenseurs de l’environnement), sonne l'alarme contre la banalisation de l'accusation en éco-fascisme ou éco-terrorisme dans les discours politiques dès qu'il est question de contestation environnementale : « Dans un certain nombre de pays (dont l’Autriche, la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni), des personnalités publiques, en particulier des représentants de partis politiques, des membres du Parlement et même des ministres, ont décrit des mouvements environnementaux comme une “dictature” et une “menace pour la démocratie” » ou « ont qualifié des organisations et militants environnementaux d’écoterroristes et les ont comparés à des organisations criminelles », autorisant du même coup une réponse armée complètement disproportionnée. C'est au contraire selon lui cette criminalisation des défenseurs de l’environnement qui constitue aujourd'hui une « menace majeure pour la démocratie »[20].
↑Jean-Baptiste Malet, « L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme : Éducation, santé, agriculture, banques : les bonnes affaires des disciples de Rudolf Steiner », Le Monde diplomatique, no 772, , p. 16-17 (lire en ligne).
(en) Franz-Josef Bruggemeier, How Green Were the Nazis? : Nature, Environment, and Nation in the Third Reich (Ecology & History)
(es) José Ardillo, El salario del gigante, Pepitas de calabaza, 2011
(en) Janet Biehl et Peter Staudenmaier, Ecofascism, lessons from the german experience, AK Press,
Marie-Geneviève Pinsart, Hans Jonas et la liberté : dimensions théologiques, ontologiques, éthiques et politiques, Paris, Vrin, , 334 p. (ISBN2-7116-1570-7 et 9782711615704, lire en ligne)
Antoine Dubiau, Écofascismes, Grevis, 13 mai 2022, 224 p. (ISBN2492665046)
Fabrice Flipo, Nature et politique. Contribution à une anthropologie de la modernité et de la globalisation, Amsterdam,
Dominique Bourg et Kerry Whiteside, « Écologies politiques : essai de typologie », La Pensée écologique, no 1, (lire en ligne).
Stéphane François, Vert-Bruns. L’écologie de l’extrême droite française, Le Bord de l’eau, (ISBN9782356878359)
Pierre Madelin, La tentation écofasciste : Écologie et extrême-droite, Écosociétés, .
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