Issu d'une famille assez modeste de la banlieue bruxelloise, Georges Remi se distingue très tôt de ses camarades par ses qualités de dessinateur. C'est dans une revue scoute qu'il signe pour la première fois en 1924 sous le pseudonyme « Hergé », formé à partir des initiales « R » de son nom et « G » de son prénom. Quelques mois plus tard, il entre au quotidien Le Vingtième Siècle, dont le directeur, l'abbé Norbert Wallez, le charge en 1928 de concevoir un supplément hebdomadaire destiné à la jeunesse, Le Petit Vingtième. C'est dans ce périodique que débutent les aventures de Tintin au pays des Soviets le , premier épisode de la série qui rencontre un grand succès et par laquelle Hergé devient rapidement l'homme providentiel de son journal. Il est l'un des premiers auteurs francophones à reprendre le style américain de la bande dessinée à phylactères.
Durant les années 1930, Hergé diversifie son activité artistique (illustrations de journaux, de romans, de cartes et de publicités), tout en poursuivant la bande dessinée. Il crée notamment Les Exploits de Quick et Flupke en 1930, diffusés sous la forme d'une planche de gag hebdomadaire dans Le Petit Vingtième, mais aussi Les Aventures de Jo, Zette et Jocko en 1935 pour le journal catholique français Cœurs vaillants. En 1934, le dessinateur rencontre Tchang Tchong-Jen, jeune étudiant chinois venu étudier à l'Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, dont les conseils et l'amitié bouleversent la pensée et le style d'Hergé. Dès lors, il commence à se documenter sérieusement pour la conception de ses albums, ce qu'il ne faisait pas jusque-là, et crée Le Lotus bleu, considéré comme un album essentiel dans la carrière de l'auteur. Au fil des récits, son style s'affine, jetant les bases de ce qui est plus tard nommé la « ligne claire », de sorte qu'il est souvent considéré comme « le père de la bande dessinée européenne ».
La publication du Petit Vingtième est arrêtée lors de l'invasion de la Belgique en 1940, mais Hergé continue de développer ses créations dans Le Soir, alors contrôlé par l'occupant allemand. Dans le même temps, à la demande de son éditeur Casterman, il procède au remaniement et à la mise en couleurs des albums parus avant-guerre, un travail mené avec plusieurs assistants comme Edgar P. Jacobs. En acceptant de travailler pour le plus grand quotidien du pays par le tirage, Hergé assure le succès et la popularité des Aventures de Tintin, mais cela lui vaut d'être accusé de collaboration et d'être temporairement interdit de publication en 1944, à la Libération.
En 1946, il contribue au lancement du journal Tintin avec un ancien résistant devenu éditeur, Raymond Leblanc. Directeur artistique de cet hebdomadaire, dont le grand succès contribue à celui de la bande dessinée franco-belge, Hergé y impose son style, exerçant un certain regard critique envers les travaux de ses collègues qui ne peuvent être diffusés dans le journal sans son accord. En 1950, il fonde les Studios Hergé, un atelier qui regroupe des artistes talentueux comme Bob de Moor, Jacques Martin et Roger Leloup, chargés de l'assister dans la réalisation de ses travaux. Pour autant, la décennie 1950 est marquée pour Hergé par une véritable crise personnelle, entamée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. En proie à de violentes dépressions, l'auteur interrompt plusieurs fois ses publications. En 1959, il quitte sa première femme Germaine pour s'installer avec sa jeune coloriste Fanny Vlamynck, et entame une nouvelle vie.
Si le rythme de création des Aventures de Tintin ralentit dans les années 1960 et 1970, sa renommée est croissante et le héros devient une véritable icône internationale. Tout en se détachant peu à peu de son personnage, Hergé assouvit certaines de ses passions, notamment pour l'art contemporain et les philosophies orientales. Il meurt d'une grave maladie du sang en 1983, après avoir affirmé sa volonté que ses héros ne lui survivent pas. Depuis sa mort, le succès de Tintin ne se dément pas : le héros et son créateur font l'objet de nombreuses adaptations, publications ou rétrospectives, et certains dessins originaux d'Hergé atteignent des sommes records lors de ventes aux enchères, cependant que ses ayant droits surveillent étroitement son héritage. Le musée Hergé, qui lui est entièrement consacré, est inauguré en 2009 à Louvain-la-Neuve.
Alors responsable du Petit Vingtième, le supplément jeunesse du journal belge Le Vingtième Siècle, Hergé reçoit de son rédacteur en chef l'abbé Norbert Wallez commande d'une bande dessinée dont le héros ferait un reportage en URSS. L'abbé fournit à Hergé le pamphlet Moscou sans voiles, dont l'auteur s'inspire très fortement, ce qui fait de cette aventure une critique particulièrement virulente du régime communiste.
Hergé considère cette œuvre comme une « erreur de jeunesse ». Bien qu'il fasse preuve d'inconstance dans le caractère des personnages et dans le ton anticommuniste, Hergé y introduit l'usage exclusif du dessin et des phylactères dans la bande dessinée européenne, comme Alain Saint-Ogan avant lui, et fait preuve d'un réel talent pour représenter le mouvement et le son. Outre la première apparition des célèbres personnages Tintin et Milou, plusieurs moments de l'album sont passés à la postérité, par exemple la scène de la manipulation des élections.
L’histoire est prépubliée dans Le Petit Vingtième du 10 janvier 1929 au 8 mai 1930, puis paraît en album en septembre 1930. Elle est également publiée dans le magazine français Cœurs vaillants à partir d'octobre 1930. Rapidement introuvable en librairie et victime de la contrefaçon sur le marché noir, l'album n'est réédité par les éditions Casterman qu'en 1973, au sein des Archives Hergé. Cette histoire n'a jamais été redessinée par les Studios Hergé : c'est la seule de l'ensemble des Aventures de Tintin à être restée dans son format original, en noir et blanc.
Depuis 1928, Hergé est rédacteur en chef du Petit Vingtième, le supplément jeunesse du journal belge Le Vingtième Siècle, dans lequel il publie Tintin au pays des Soviets et Quick et Flupke et connaît un grand succès. Son patron et mentor l'abbé Norbert Wallez lui demande alors de dessiner une nouvelle aventure de Tintin qui se déroulera cette fois-ci au Congo, colonie belge depuis 1908. L'histoire est prépubliée en noir et blanc de jusqu'en dans les pages du Petit Vingtième. Le succès est à nouveau au rendez-vous. En 1946, dans le cadre de la colorisation des Aventures de Tintin, Hergé s'adjoint les services d'Edgar P. Jacobs et ils réécrivent ensemble l'album dans un format plus court et en couleurs.
Après la Seconde Guerre mondiale, Tintin s'internationalise mais l'auteur est la cible d'attaques qui l'accusent de véhiculer des préjugés racistes, ce qui amène les éditions Casterman à ne pas rééditer Tintin au Congo, rendant de fait l'album introuvable en librairie dans les années 1960. Sur pression d'Hergé, son éditeur réimprime finalement l'aventure au début des années 1970. La polémique ne refait surface qu'au début du XXIe siècle, au moment de l'annonce de la production d'une série de films par Steven Spielberg dans l'univers de Tintin. Plusieurs librairies anglo-saxonnes déplacent l'album dans le rayon pour adultes, et une plainte est déposée en Belgique pour interdire sa vente - sans réussite toutefois.
Le récit fait aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques par des auteurs qui déplorent l'inconsistance du scénario, mais qui remarquent néanmoins l'amélioration du style d'Hergé. La version en couleurs de 1946 est également critiquée pour son manque de réalisme. Cela n'empêche pas Tintin au Congo d'être l'une des aventures de Tintin les plus populaires auprès des jeunes lecteurs, avec plus de dix millions d'exemplaires vendus dans le monde.
Le jeu met en scène les personnages issus de la célèbre série de bandes dessinées Les Aventures de Tintin d'Hergé, en particulier Tintin et son chien Milou se lançant tous les deux dans de nombreuses aventures. Endormi par la soporifique invention du professeur Tournesol, Milou se remémore les aventures qu'il a vécues avec son maître.
Une première partie de l'histoire est prépubliée sous son titre définitif du au en noir et blanc dans les pages du quotidien Le Soir. Après une interruption de deux ans, la seconde partie paraît en couleurs dans les pages du journal Tintin à partir du 26 septembre 1946, fusionnée avec l'histoire suivante sous le titre Le Temple du Soleil. Enfin, Les Sept Boules de cristal paraît en 1948 sous forme d'un album en couleurs de soixante-deux planches.
La prépublication du récit démarre donc durant l'occupation allemande de la Belgique, et ce, au sein d'un journal, Le Soir, pour lequel Hergé travaille depuis et qui est passé sous la direction de collaborateurs à l'Allemagne nazie. Elle est d'abord interrompue à cause d'une dépression de son auteur, puis par la libération du pays et l'interdiction qui est temporairement faite à Hergé d'exercer son activité professionnelle.
Pour créer cette aventure, Hergé s'adjoint la collaboration de son complice de longue date, Jacques Van Melkebeke, qui apporte de nombreuses références culturelles propres à développer le projet. Il reçoit surtout l'aide d'Edgar P. Jacobs, qu'il embauche pour la mise en couleurs et la création des décors. Dépassant ce rôle au niveau graphique, ce dernier apporte certaines idées, puisqu'il est à l'origine de celle des boules de cristal ainsi que du titre mystérieux de l'œuvre.
Les Sept Boules de cristal apparaît dans son aspect graphique, son intrigue et sa narration comme une œuvre montrant une évolution notable de l’art d’Hergé, voire comme une œuvre de maturité. S'observent ainsi un souci nouveau du détail et un meilleur rendu des décors. Quant au récit, les passages entre les différents formats de prépublication puis de publication imposent des contraintes qui obligent Hergé à plus de concision et d'efficacité.
Enfin, Hergé déploie des thèmes qui lui sont chers. Il convoque d'abord les civilisations anciennes que sont l'Égypte antique et la civilisation inca, ce qui permet d'inscrire l'histoire dans une lignée formée par Les Cigares du pharaon et L'Oreille cassée. Mais surtout, le fantastique, qui constitue un centre d'intérêt majeur pour l'auteur, fait le cœur du récit plus que dans toute autre aventure de Tintin et ce, sous l'influence certaine de Jacobs.
Comme il l'avait fait pour L'Oreille cassée, Hergé crée un pays imaginaire pour en faire le théâtre de son intrigue : la Syldavie, petite monarchie de la péninsule balkanique, est menacée d'annexion par la Bordurie voisine, elle aussi fictive. Découvrant le complot qui se trame, Tintin cherche à en avertir le roi, avant de partir à la recherche de son sceptre qui a été volé et sans lequel il ne peut régner.
Le contexte géopolitique européen de la fin des années 1930 influence fortement la création du Sceptre d'Ottokar, considéré comme l'album le plus politique de la collection. Le récit, dont les premières planches paraissent quelques mois seulement après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie, dénonce la montée des totalitarismes en Europe, mais il est également présenté comme une défense de la monarchie constitutionnelle belge, elle aussi menacée au tournant de la Seconde Guerre mondiale. Outre son inscription dans l'Histoire, l'album développe un certain nombre de thèmes philosophiques, comme la question de la légitimité et de la permanence du pouvoir, le dilemme moral ou encore la problématique de l'identité.
L'album marque la première apparition dans la série de la cantatriceBianca Castafiore, tandis que les détectives Dupond et Dupont occupent une place plus importante que dans les précédentes aventures, faisant le plus souvent rire le lecteur à leurs dépens.
Le Sceptre d'Ottokar est salué pour la qualité de ses dessins, qui s'appuient sur une documentation très riche et détaillée. Hergé utilise de nombreuses références historiques, géographiques et culturelles des pays balkaniques et d'Europe centrale, mais aussi des monarchies belge et britannique, pour apporter à la Syldavie et à son récit un réalisme sans pareil. Dans les années 2010, plusieurs planches originales de l'album alimentent le marché des enchères, établissant notamment des records de vente pour ce type de pièces.
Album déroutant, Les Bijoux de la Castafiore est une œuvre à part dans l'univers de Tintin. Trois ans après Tintin au Tibet, considéré comme son album le plus personnel, Hergé poursuit sa remise en question des codes de la bande dessinée. Conçue comme une « vague intrigue policière », selon ses propres mots, cette anti-aventure se compose d'une série de trompe-l'œil et de faux indices. Les personnages de cette vaste comédie sont tour à tour suspectés d'un vol de bijoux qui, finalement, n'en est pas un. Dans cette histoire où l'action et l'aventure sont absentes, le lecteur est pourtant tenu en haleine par les nombreux rebondissements et chausse-trapes que glisse l'auteur.
C'est d'abord le langage qui figure au centre de cette « histoire de fous », comme la qualifie Pierre Assouline. Les quiproquos, lapsus et malentendus s'enchaînent et contribuent au brouillage de l'intrigue autant qu'ils la font avancer. L'humour est aussi omniprésent dans cet album considéré comme « le sommet insurpassable du comique hergéen » par Thierry Groensteen.
Tout au long de l'album, Hergé développe un certain nombre de thèmes, comme la peur de l'étranger à laquelle s'opposent Tintin et le capitaine Haddock en portant assistance à un groupe de Tziganes envers et contre tous les préjugés, ou encore le concept de bonne distance entre les individus développé un siècle auparavant par le philosophe Arthur Schopenhauer. L'histoire renferme également de nombreux messages érotiques cachés qui renforcent l'ambiguïté des relations entre le capitaine et la Castafiore.
L'album signe également l'entrée de Tintin dans l'ère médiatique et témoigne du regard critique que porte l'auteur sur cet univers. Tandis que Moulinsart accueille le tournage d'une émission de télévision, les essais d'un modèle de téléviseur en couleurs mis au point par le professeur Tournesol s'avèrent infructueux et le dessinateur, à travers les reportages de la presse people, dénonce une forme de journalisme donnant la priorité au scoop plutôt qu'à la vérité. L'abondance des médias et leur place grandissante dans la société sont donc transposées dans un album qui interroge le lecteur sur sa perception du réel, tout autant qu'il révèle un certain désenchantement de l'auteur par rapport à son personnage et au monde qui l'entoure.
Selon Benoît Peeters, Les Bijoux de la Castafiore est pour Hergé son chant du cygne et son dernier chef-d'œuvre. Succès critique plus que populaire, il n'en demeure pas moins l'album le plus traduit de la série, notamment en langues régionales. Il a en outre fait l'objet de nombreuses adaptations, que ce soit à la radio, au théâtre ou à l'opéra.
Elle fait d'abord l'objet d'une prépublication dans le journal Tintin du au , avec pour restriction que les premières pages publiées correspondent à la fin de l'album des Sept Boules de cristal, même si elles le sont sous le titre « Le Temple du Soleil ». De fait, l'histoire proprement dite du Temple du Soleil débute le . Il s'agit de la toute première aventure de Tintin à être pré-publiée dans le journal Tintin tout nouvellement créé. Comme pour Les Sept Boules de cristal, sa prépublication connait des interruptions qui sont liées ici à des épisodes de dépression d'Hergé. Enfin, la publication sous forme d'album en couleurs se fait seulement en 1949 afin de suivre celle des Sept Boules de cristal.
La création du Temple du Soleil se fait dans un contexte de post-libération de la Belgique. Pour avoir travaillé dans un journal sous direction de collaborateurs à l'Allemagne nazie, Hergé se retrouve au sortir de la Seconde Guerre mondiale sous le coup d'une interdiction de publier. Ceci le conduit à ne pouvoir faire paraître son récit que plus de deux ans après sa première partie et cela a des conséquences sur la narration de l'histoire.
Par ailleurs, à cause notamment du départ de son complice, coloriste, décorateur et assistant scénariste Edgar P. Jacobs mais aussi du fait de l'emprisonnement de son ami scénariste Jacques Van Melkebeke, la création du Temple du Soleil est l'occasion de l'arrivée auprès d'Hergé de plusieurs intervenants pour l'assister sur les aspects aussi bien graphiques que scénaristiques de son projet. De fait, l'épisode porte en germe la création des Studios Hergé qui seront constitués moins de cinq ans plus tard, en 1950.
L'œuvre est une création marquée également par un grand souci de réalisme, ce qui a amené son auteur à effectuer de multiples recherches dans des documents s'intéressant à la civilisation inca. De fait, Le Temple du Soleil est considéré comme faisant preuve de véracité historique même si ces recherches n'empêchent pas Hergé de commettre quelques erreurs, approximations ou détournements qui lui seront parfois reprochés.
Dans cette nouvelle aventure aux allures de thriller, Hergé s'inspire librement du contexte de la guerre froide pour donner corps à une histoire d'espionnage haletante. Le récit s'ouvre au château de Moulinsart, frappé par une série de phénomènes étranges qui sont en réalité le fait d'une arme à ultrasons mise au point par le professeur Tournesol. La Syldavie et la Bordurie, deux États imaginaires et rivaux, créés par Hergé pour les besoins du Sceptre d'Ottokar, se livrent une course sans merci pour enlever le savant et s'emparer de son arme secrète. Craignant pour la sécurité de leur ami, Tintin et le capitaine Haddock suivent d'abord sa trace en Suisse puis en Bordurie, où ils parviennent finalement, avec l'aide de Bianca Castafiore, à délivrer le professeur.
Considéré par de nombreux tintinologues comme l'album le plus abouti de la série, L'Affaire Tournesol peut être vu comme une satire des totalitarismes de tous bords. La Bordurie emprunte de nombreuses caractéristiques de l'Union soviétique et de son chef Joseph Staline, mort quelques mois avant la publication de l'aventure, mais la trace de l'Allemagne nazie est elle aussi visible à travers les symboles du régime.
Salué pour sa qualité narrative, L'Affaire Tournesol l'est aussi par la précision et la richesse de ses dessins. Pour la première fois, Hergé se déplace sur les lieux de son action, en Suisse, pour effectuer une série de repérages et rendre l'image la plus fidèle qui soit des décors. Ainsi la gare de Genève, l'hôtel Cornavin et les bords du lac Léman, entre autres, sont soigneusement reproduits dans l'album. Malgré la tension permanente, le récit se double d'une succession de gags parmi les plus célèbres de la série, comme ceux du sparadrap du capitaine Haddock et de l'appel à la boucherie Sanzot. L'Affaire Tournesol marque également la première apparition de Séraphin Lampion, figure de l'éternel casse-pieds qui deviendra l'un des personnages récurrents des derniers albums.
Assureur de métier, père d'une famille nombreuse, c'est avant tout un bavard intarissable et un individu sans gêne qui entre à Moulinsart sans y être invité. Ses intrusions répétées suscitent l'exaspération des autres personnages, en particulier le capitaine Haddock. À ce titre, il incarne l'archétype de l'éternel casse-pieds, du gêneur insupportable qui n'entend rien des remarques que lui adressent ses interlocuteurs. Séraphin Lampion, qui ne semble connaître que la plaisanterie comme mode d'expression, fait aussi preuve d'une familiarité excessive avec ses interlocuteurs.
Il apparaît comme « l'antithèse de Tintin », un antihéros ancré dans le quotidien, « insignifiant » aux dires mêmes de son créateur. Quand les héros de la série portent à eux seuls la responsabilité de sauver le monde, Lampion apparaît comme le représentant de la classe moyenne et de la société de masse. Pour autant, certains spécialistes de l'œuvre d'Hergé, comme Albert Algoud, tendent à le réhabiliter, et préfèrent voir en lui un personnage « lumineux », ainsi qu'en atteste la référence biblique de son prénom.
L'histoire est d'abord publiée en noir et blanc et de façon quotidienne du au dans les pages du Soir. L'album en couleurs paraît le 5 octobre 1943. La publication du récit commence donc durant l'occupation allemande de la Belgique, mais aucun élément de l'intrigue n'évoque ce contexte de guerre. En amenant Tintin sur la piste d'un trésor caché, un thème très présent dans la littérature populaire, Hergé choisit l'évasion littéraire de son héros, comme pour fuir l'actualité oppressante de son époque.
L'écriture du scénario doit beaucoup à la participation de Jacques Van Melkebeke, ami et collaborateur d'Hergé, qui le place dans les traces des plus grandes références du genre, comme L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson, Les Enfants du capitaine Grant de Jules Verne ou encore Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Dans son aspect graphique, l'album se distingue par un souci de réalisme et un niveau de détail très élevé dans les décors. Pour ce faire, Hergé étudie de nombreux modèles réduits des vaisseaux de la flotte de Louis XIV, comme le Brillant, et fait également réaliser une maquette de La Licorne afin de la représenter sous différents angles dans son récit.
Salué comme l'une des plus grandes réussites narratives d'Hergé, Le Secret de la Licorne marque également la première apparition dans Les Aventures de Tintin du château de Moulinsart, qui deviendra ensuite un des lieux récurrents de la série, et de son majordome Nestor. Le personnage du capitaine Haddock, dont c'est la troisième apparition, y trouve une nouvelle dimension, dans la mesure où la recherche du trésor se double pour lui de la quête de son identité sur les traces de son aïeul, le chevalier François de Hadoque.
Il est généralement considéré comme l'album le plus personnel d'Hergé, qui, de son propre aveu, le jugeait comme son travail le plus réussi. S'il évoque l'Himalaya et ses dangers, les traditions tibétaines en matière de religion ou l'existence du yéti, Tintin au Tibet est avant tout marqué par une dimension philosophique et spirituelle inégalée dans la série. Album apolitique, il est aussi la première aventure de Tintin dans laquelle les armes à feu sont absentes. Habitué aux enquêtes policières, le héros est cette fois plongé dans une aventure désespérée qui prend des allures de quête du Bien. Alors que l'avion qui transporte son ami Tchangs'écrase dans le massif du Gosainthan, Tintin est le seul à le croire vivant en dépit des apparences, et se montre prêt à risquer sa propre vie pour sauver celle de son ami, entraînant avec lui le capitaine Haddock, d'abord réticent. L'appel de Tchang, que Tintin reçoit en rêve, est ressenti comme un irrépressible appel au devoir qui permet au héros de s'accomplir lui-même en faisant le bien.
Au moment de la naissance de cette nouvelle aventure, Hergé est plongé dans une profonde dépression doublée d'une crise morale qui affecte son travail et inhibe son énergie créatrice. L'achèvement du récit agit sur lui comme une thérapie et fait figure d'« instantané autobiographique du créateur au tournant de son existence », selon les mots de son biographe Pierre Assouline.
La présence de nombreux phénomènes paranormaux dans cet album témoigne de l'intérêt profond de l'auteur pour ce domaine. Développé de manière progressive tout au long du récit, le paranormal s'affirme à la fin de l'album à travers les épisodes de lévitation d'un moine tibétain, et plus encore par la rencontre du yéti. Cette insertion progressive confère à l'album les caractéristiques du récit initiatique : à l'image du capitaine Haddock, foncièrement rationnel et sceptique, mais qui finit par reconnaître l'existence de ces phénomènes, le lecteur est invité à ajuster sa conception de la réalité. Par son isolement et son inaccessibilité, le Tibet revêt l'apparence d'un lieu mystique, propre à l'initiation.
Tout en faisant de son album une œuvre teintée de spiritualité, Hergé ne lui conserve pas moins son caractère humoristique, essentiellement porté par le capitaine Haddock qui, par son impulsivité et sa propension à s'exposer au danger, est une source inépuisable d'effets comiques. L'album se démarque enfin par la figure du yéti, qu'Hergé s'attache à présenter comme un être sensible, suivant en cela les conseils de son ami cryptozoologueBernard Heuvelmans et s'inscrivant à contre-courant de la pensée de son époque.
Malgré l'absence d'allusion au contexte politique dans le récit, Tintin au Tibet devient un emblème de la cause tibétaine au tournant des années 1990, dans la mesure où il contribue à faire connaître ce territoire et ses traditions au grand public. À ce titre, le dalaï-lama décerne le prix Lumière de la vérité à la fondation Hergé en 2006.
Dans cette aventure, Tintin, Milou et le capitaine Haddock accompagnent une équipe de savants européens, rassemblés autour du professeur Calys, dans une expédition vers l'océan Arctique, où s'est écrasé un aérolithe contenant un métal inconnu. Un autre navire, soutenu par un puissant banquier originaire de l'État fictif du Sao Rico, se lance à son tour dans la course, n'hésitant pas à utiliser tous les moyens pour s'arroger la propriété de l'aérolithe.
Récit apocalyptique situé aux frontières du réel, L'Étoile mystérieuse marque l'irruption du fantastique dans la série. L'atmosphère oppressante est mise en place dès les premières pages de l'album, par la menace d'un cataclysme imminent, et se prolonge en toile de fond du récit dans l'image cauchemardesque d'une araignée géante que Tintin devra finalement affronter après l'avoir rêvée.
Salué pour la tension permanente du récit et la mise en scène de ces phénomènes étranges, l'album vaut cependant à Hergé de recevoir de vives critiques, notamment à la Libération. Il constitue selon Benoît Peeters une « pièce à charge majeure » contre le dessinateur quant à son attitude ambiguë sous l'Occupation, accusé d'anti-américanisme et surtout d'antisémitisme. Le banquier qui finance l'expédition concurrente de celle de Tintin, d'abord appelé « Blumenstein » dans l'édition originale avant d'être renommé « Bohlwinkel » à la suite d'une retouche en 1954, est en effet dessiné selon les codes des caricatures antisémites de l'époque. De même, une vignette caricaturant deux commerçants juifs est retirée avant même la première impression en album.
Dans la lignée de l'enquête policière que constituait Le Secret de La Licorne, cette aventure témoigne de la science du récit d'Hergé, qui développe son album à partir d'une intrigue plutôt mince, reposant uniquement sur le thème de la recherche d'un trésor. De nombreuses références à des œuvres majeures du genre apparaissent dans l'album, principalement L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson. Sur le plan graphique, Le Trésor de Rackham le Rouge est salué par la critique et Hergé y réalise notamment l'un de ses dessins favoris, lorsque les personnages principaux accostent sur l'île dont on suppose qu'elle renferme le trésor.
L'album marque néanmoins une étape importante dans les Aventures de Tintin dans la mesure où Hergé achève de mettre en place une « famille de papier » autour de son héros. L'album est en effet marqué par l'entrée du professeur Tournesol dans la série, tandis qu'après avoir découvert le trésor dans la crypte du château de Moulinsart, qui appartenait à son ancêtre, le capitaine Haddock décide de le racheter pour s'y installer.
Les Cigares du pharaon est un album de bande dessinée, le quatrième des Aventures de Tintin, créées par le dessinateurbelgeHergé. L'histoire est d'abord publiée en noir et blanc de façon hebdomadaire dans Le Petit Vingtième, sous le titre Les Aventures de Tintin en Orient, du au , pour un total de 124 planches. L'album, paru au mois de sous son titre actuel des Cigares du pharaon, est le premier de la série à paraître chez Casterman. L'aventure est entièrement remaniée et redessinée pour la colorisation de l'album en 1955.
Embarqué pour une croisière en mer Méditerranée, Tintin fait la connaissance de l'égyptologuePhilémon Siclone, qui le conduit en Égypte dans le tombeau du pharaon Kih-Oskh. Le héros se retrouve malgré lui sur la piste d'une société secrète de trafiquants d'armes et d'opium. Ses aventures le conduisent d'abord en Arabie, puis en Inde, dans le royaume fictif de Rawhajpoutalah.
Si l'intrigue est construite sans le moindre scénario préalable, ce qui donne lieu à quelques approximations, Les Cigares du pharaon marque une étape importante dans l'évolution de la série et le travail de son dessinateur, qui engage désormais son œuvre dans une voie plus littéraire. Décrite comme la « quintescence du feuilleton » par Benoît Peeters, cette aventure est considérée comme un album de transition, tandis que son prolongement, Le Lotus bleu, marque le véritable point de départ de la série pour de nombreux tintinologues.
Cet album se distingue également par l'entrée dans la série de nouveaux personnages qui deviendront des figures importantes de l'univers de Tintin, comme les policiers Dupond et Dupont, d'abord appelés X33 et X33bis, le commerçant portugais Oliveira da Figueira, mais surtout le principal méchant de la série, Roberto Rastapopoulos. Le contact avec l'art égyptien permet à Hergé d'affirmer son graphisme et de poser les bases de ce qui sera considéré comme la ligne claire.
Adulé par son père, qui le couvre d'éloges et de cadeaux, Abdallah est un enfant-roi insupportable et capable des pires bêtises. Personnage capricieux, il multiplie les farces et attrapes au détriment des autres, en premier lieu du capitaine Haddock, prêt à courir les dangers pour fuir sa présence. Le comportement d'Abdallah révèle l'impuissance de son père, incapable d'asseoir son autorité sur son fils comme sur son royaume.
Les nombreuses facéties d'Abdallah constituent l'un des principaux ressorts du comique hergéen dans les derniers albums de la série. Comme d'autres personnages secondaires, à l'image des Dupondt ou Séraphin Lampion, il rend immédiatement divertissantes les scènes auxquelles il participe, notamment à travers le couple comique qu'il forme avec le capitaine, tour à tour attendri ou excédé par le comportement du jeune garçon.
Abdallah se place enfin dans la longue tradition de personnages d'enfants qui peuplent la série, le sauvetage d'un enfant brusquement séparé de ses parents étant l'un des motifs narratifs les plus fréquemment utilisés par Hergé.
Capitaine au long cours, Haddock est l'archétype du marin, reconnaissable à son pull à col roulé bleu frappé d'une ancre au milieu de la poitrine, à sa casquette et à sa barbe foisonnante. Impulsif et colérique, il exprime sa mauvaise humeur à travers les nombreux jurons qui le caractérisent, mais c'est avant tout un homme au cœur tendre qui refuse l'injustice et se montre toujours prêt à aider ses amis.
Plus que ses colères, l'alcoolisme est son principal défaut. Grand amateur de whisky, il lui arrive d'en consommer jusqu'à ne plus obéir qu'à ses pulsions, ce qui peut le conduire à des crises de dépression ou de folie furieuse, qu'il regrette amèrement ensuite. Dans sa première aventure, il est en constant état d'ébriété et sous la domination de son propre équipage, mais il gagne en respectabilité au contact de Tintin, sans toutefois parvenir à se défaire de sa dépendance. L'alcool n'est pas sa seule addiction, puisque le capitaine fume également la pipe.
Haddock est l'un des rares personnages de la série qui soit doté d'un passé. Le diptyque formé par Le Secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge le mène sur les traces de son ancêtre, le chevalier François de Hadoque, et offre à la « famille de papier » qui se met en place autour de Tintin un nouveau lieu d'attache, le château de Moulinsart, ce qui confère au capitaine un double rôle de fédérateur et de catalyseur des Aventures. Par son visage expressif et tourmenté, Haddock apparaît comme le « négatif » du héros trop lisse incarné par Tintin. Il apporte une certaine humanité dans la série, à laquelle le lecteur s'identifie plus facilement : dans un sondage effectué en 1996 auprès des lecteurs de la série, le capitaine est désigné comme leur personnage préféré.
Sa maladresse et sa propension à s'exposer au danger font du capitaine une source inépuisable d'effets comiques, mais un comique involontaire qui fait d'abord rire à ses dépens. De chutes en collisions, il déclenche une série de catastrophes qui sont parfois un support au comique de répétition. Les relations qu'il noue avec les autres personnages au fil des aventures forment autant de duos comiques. Il cherche par exemple à fuir à tout prix l'assureur Séraphin Lampion, le jeune prince Abdallah ou la cantatrice Bianca Castafiore. Avec cette dernière, il entretient des rapports ambigus, mélange d'angoisse, d'attirance et de répulsion dans lequel certains spécialistes de l'œuvre d'Hergé analysent des symboles érotiques.
Les Arumbayas habitent dans la jungle de l'État, fictif lui aussi, du San Theodoros, le long du fleuve Badurayal. Réputés pour leur férocité, ils se montrent plutôt accueillants envers Tintin, notamment par l'intermédiaire de Ridgewell, un explorateur britannique retiré du monde pour vivre à leurs côtés.
Le vol du fétiche arumbaya, conservé au musée ethnographique de Bruxelles, est au cœur de l'intrigue de L'Oreille cassée, et permet à l'auteur de développer de nombreux thèmes, comme la perte de valeur d'une œuvre d'art à travers sa reproductibilité, tout en structurant le récit. À travers les Arumbayas, Hergé fait preuve d'humanisme en présentant les sociétés autochtones comme plus harmonieuses que celles des blancs dits civilisés, tout en dénonçant leur spoliation par les colons européens.
Parfois présentés comme membres de la Sûreté ou de la Police judiciaire, ces deux détectives sont indissociables. Physiquement semblables en tout point, ils partagent également les mêmes traits de caractères mais ne sont pas jumeaux comme le montre la différence d'orthographe de leur patronyme. Toujours vêtus d'un costume noir, d'une cravate et d'un chapeau melon de la même couleur, les Dupondt ne se déplacent pas sans leur canne et portent fièrement la moustache, qui est le seul moyen de les distinguer physiquement.
Apparus pour la première fois à la fin de l'année 1932 lors de la publication dans Le Petit Vingtième des Cigares du pharaon, ils sont pourtant présents dès la première vignette de Tintin au Congo après qu'Hergé les y intègre lors de la mise en couleur de cette aventure en 1946. Dans leur version originale en noir et blanc, les deux policiers sont d'abord appelés X33 et X33bis, et ce n'est qu'à partir du Sceptre d'Ottokar qu'ils prennent leur nom définitif.
Ces deux personnages sont l'un des principaux ressorts comiques de la série. Leur maladresse est légendaire et chacune de leur apparition est ponctuée de glissades, de chutes, de collisions ou autres accidents. Leurs chapeaux, auxquels ils vouent un certain fétichisme, subissent de nombreux désagréments. Dupond et Dupont cultivent l'art de se couvrir de ridicule, en revêtant notamment toute une série de costumes folkloriques par lesquels ils cherchent à respecter le principe de discrétion qu'exige leur fonction, mais n'obtiennent que l'effet inverse. Souvent effrayés d'un rien, et peu cultivés, les Dupondt s'en tiennent toujours aux apparences. Ils multiplient les fausses pistes et laissent courir les vrais coupables, comme dans les premières aventures où ils n'ont de cesse de poursuivre Tintin qu'ils accusent des pires forfaits. Par ailleurs, ils se distinguent des autres personnages de la série par un dérèglement prononcé du langage, multipliant les lapsus, les confusions ou les contrepèteries. Leur expression favorite, « Je dirais même plus… », est l'image de leur propre inutilité : en redisant ce qui est, rien n'est ajouté.
En plus de leur présence dans Les Aventures de Tintin, les Dupondt sont les héros d'un feuilleton écrit par Paul Kinnet et illustré par Hergé, publié en 1943 dans Le Soir sous le titre Dupont et Dupond, Détectives.
Étudiant de l'Académie royale des beaux-arts, Edgar P. Jacobs est également passionné d'opéra. Il tente une brève carrière de chanteur lyrique, d'abord comme choriste au music-hall puis en interprétant des rôles secondaires à l'Opéra de Lille, tout en gagnant sa vie en illustrant des catalogues publicitaires. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il publie plusieurs dessins dans l'hebdomadaire Bravo ! puis est chargé, dans ce même magazine, d'achever une aventure de Gordon l'Intrépide à la place de l'auteur Alex Raymond, dont les planches ne parviennent plus en Belgique. Il crée par ailleurs sa première bande dessinée, Le Rayon U, qui connaît un certain succès.
Son utilisation novatrice de la couleur séduit ses confrères. Edgar P. Jacobs devient le premier collaborateur d'Hergé et participe à la refonte des premiers albums des Aventures de Tintin, tout en l'aidant dans la conception de ses nouvelles aventures, en particulier Les Sept Boules de cristal et Le Temple du Soleil. Il intègre l'équipe du Journal de Tintin à sa création, et en devient rapidement l'un des auteurs-phares avec Le Secret de l'Espadon, première aventure de Blake et Mortimer. Il se consacre à cette série jusque dans les années 1970, pour un total de huit aventures, mais en raison d'une santé déclinante, il ne peut entreprendre la réalisation graphique du second tome de la dernière aventure, Les Trois Formules du professeur Satō, qui est achevé quelques années après sa mort par Bob de Moor.
Si Edgar P. Jacobs est considéré comme l'un des plus grands auteurs de la bande dessinée belge et européenne, il a longtemps souffert d'un manque de reconnaissance et a toujours considéré sa carrière de dessinateur comme une véritable « damnation », lui qui rêvait d'une carrière de baryton. Sa passion pour l'art lyrique, en particulier le Faust de Charles Gounod, détermine sa conception de la bande dessinée, qu'il perçoit comme un opéra de papier. Son œuvre, marquée par le fantastique et la science-fiction, puise dans de nombreuses références culturelles et littéraires, en particulier les romans de H. G. Wells et Jules Verne, de même que les chefs-d'œuvre du cinéma expressionniste allemand, des passions qu'il partage avec son ami de toujours, Jacques Van Melkebeke, qui l'aide à faire naître ses scénarios. De ces références naît une œuvre visionnaire et futuriste, empreinte de fantastique et d'ésotérisme, qui accorde une large place à la crainte du déclin occidental, aux progrès de la science comme aux petits mystères du quotidien.
Perfectionniste et méticuleux, Edgar P. Jacobs s'attache au réalisme et à l'authenticité de ses récits en images, qu'il appuie sur une abondante documentation, parfois établie par des déplacements sur les lieux de ses intrigues. Il préfère travailler seul et ne sollicite que rarement l'aide de ses confrères, principalement pour des tâches mineures comme l'encrage et la colorisation. Après sa mort, Les Aventures de Blake et Mortimer sont reprises par de nouveaux auteurs, de sorte que la série compte alors plus d'albums inventés par les successeurs de Jacobs que par le créateur de la série lui-même.
La série reprend au mois de septembre suivant dans Le Soir, un quotidien dont le tirage est près de vingt fois supérieur à celui du Petit Vingtième, et ce pour toute la durée de l'occupation allemande de la Belgique. Après la libération du pays, Hergé est un temps frappé d'une interdiction de publication, puis il reprend finalement ses activités dans un nouveau périodique, le magazine Tintin, créé par Raymond Leblanc et dont le premier numéro paraît en . Tous les récits du dessinateur, jusqu'à sa mort en 1983, paraissent dans ce périodique.
C'est également Le Vingtième Siècle qui se charge d'éditer en album les trois premières aventures, avant qu'Hergé signe un contrat d'exclusivité avec Casterman. D'abord en noir et blanc, les albums sont directement imprimés en couleurs à partir de 1942, ce qui entraîne un long travail de refonte des premières histoires pour les adapter au nouveau format standard de parution en 62 planches colorisées.
Les différentes aventures connaissent aussi des publications dans des journaux et des revues du monde entier. C'est d'abord en France, dans l'hebdomadaire Cœurs vaillants, que la série est reprise, puis en Suisse dans L'Écho illustré, tandis que le journal portugais O Papagaio, en 1936, offre à Tintin sa première traduction. En 1940, le héros d'Hergé fait son entrée dans la presse néerlandophone de Belgique, avant de connaître une large diffusion et un succès international à partir des années 1950. C'est à cette période que se développent également les premiers albums en langues étrangères, pour atteindre plus de 100 traductions dans les années 2010, dont de nombreux dialectes ou langues régionales.
En prenant place dans des périodiques du monde entier, les Aventures de Tintin subissent un certain nombre de modifications, que ce soit pour des raisons commerciales ou éditoriales. Les textes et les dessins originaux de l'auteur sont parfois adaptés sans son accord. De même, les éditeurs étrangers de la série poussent l'auteur à procéder à de nombreuses retouches, aussi bien pour apporter des corrections à son travail que pour se plier à la censure.
Dans cette aventure, Tintin enquête sur le vol d'un fétiche arumbaya au musée ethnographique de Bruxelles, ce qui le conduit au San Theodoros puis au Nuevo Rico, deux États imaginaires d'Amérique du Sud créés par le dessinateur pour les besoins du récit. Le héros y rencontre notamment le général Alcazar, un dictateur guidé par son ambition personnelle et manipulé par les marchands d'armes ou les compagnies pétrolières occidentales, qui devient l'un des personnages récurrents de la série.
Comme à son habitude, le dessinateur transpose l'actualité de son époque pour construire des éléments du récit. Il adapte par exemple la guerre du Chaco, un conflit extrêmement meurtrier qui oppose la Bolivie et le Paraguay de 1932 à 1935 et dont il suit le déroulement dans le périodique satirique français Le Crapouillot, mais s'inspire également de personnages réels comme le marchands d'armes Basil Zaharoff ou l'explorateur Percy Fawcett. Cette aventure est aussi un exemple de « merveilleux géographique » dans la mesure où Hergé crée chaque décor en s'inspirant de différents paysages d'Amérique latine et centrale.
L'Oreille cassée marque une évolution importante dans la série dans la mesure où c'est la première histoire qui repose sur une véritable idée de scénario. Malgré son apparence feuilletonesque, l'aventure est plus construite que les précédentes et son unité tient dans la présence du fétiche arumbaya qui agit comme un fil conducteur tout au long du récit. Hergé met en place de nouvelles structures narratives qui se retrouveront dans les albums suivants, en particulier la création de deux États imaginaires qui lui permettent de conserver une liberté totale sur les plans géographique, historique et géopolitique, mais aussi l'inscription du héros dans une certaine forme de quotidienneté en le montrant dans son appartement et en faisant s'attarder l'intrigue dans sa ville d'origine.
Dans son œuvre, le dessinateur joue sur l'image d'une Amérique latine secouée par les révolutions et porte un regard critique sur ses dirigeants qu'il présente comme des « dictateurs d'opérette ». L'Oreille cassée véhicule un certain nombre de stéréotypes méprisants qui prédominent alors en Europe à l'égard de l'Amérique du Sud, mais dépeint au contraire les tribus amazoniennes, à l'image des Arumbayas, comme de « bons sauvages », au point que certains critiques, comme l'essayiste Jean-Marie Apostolidès, y voient les « fondements d'une anthropologie tintinienne ». Par ailleurs, l'album intéresse plusieurs philosophes, notamment Clément Rosset qui s'appuie sur une lecture de l'album pour développer la question du réel et son double, ou Michel Serres, qui en fait un véritable traité sur le fétichisme. Le récit d'Hergé fait aussi écho à un essai du philosophe allemand Walter Benjamin, paru la même année, qui évoque la mutation radicale du statut de l'œuvre d'art engendrée par la reproduction mécanique.
L'Oreille cassée a également nourri l'imaginaire des lecteurs. Le réalisateur Philippe de Broca s'en inspire pour son film L'Homme de Rio, sorti en 1964.
Cette aventure marque l'entrée du capitaine Haddock dans la série. Commandant du cargo Karaboudjan, sans en être maître à bord, il est maintenu dans un état d'ivresse permanent par les membres de son équipage qui peuvent ainsi poursuivre leur trafic d'opium dissimulé dans des boîtes de crabe. Tintin, qui enquête sur les malfaiteurs, est retenu prisonnier à bord du navire, mais parvient à s'en échapper en compagnie du capitaine. L'aventure les mène jusqu'à Bagghar, un port fictif de la côte marocaine, où les deux hommes finiront par déjouer les plans des trafiquants.
À travers l'apparition du capitaine, l'auteur trouve un nouvel ingrédient narratif, mais il apporte également un surplus d'humanité dans ses Aventures. Doté d'un visage plus expressif et d'une vie intérieure plus tourmentée que Tintin, Haddock est un héros plus humain, auquel les lecteurs s'identifient plus facilement. Aux côtés de Tintin, le capitaine entre sur la voie de la rédemption. Bien qu'il peine à se libérer de ses pulsions destructrices et de sa dépendance à l'alcool, Haddock retrouve au fil du récit l'estime de lui-même et celle des autres.
Le Crabe aux pinces d'or marque une autre évolution sur le plan narratif. La modification du format de publication entre le début et la fin du récit contraint Hergé à proposer un nouveau découpage de l'aventure. L'improvisation que permettait une publication hebdomadaire n'étant plus possible, le dessinateur travaille sa technique pour maintenir l'attention de son lecteur au terme de chaque strip diffusé quotidiennement.
Par ailleurs, l'album propage un certain nombre de stéréotypes coloniaux et contribue à donner une vision d'un Orient fantasmé et merveilleux, comme auparavant Les Cigares du pharaon, ou après lui Tintin au pays de l'or noir et Coke en stock. D'autres thèmes déjà abordés dans de précédents albums sont aussi présents dans cette aventure, comme le trafic d'opium ou le faux-monnayage, tandis que l'essayiste Jean-Marie Apostolidès y découvre plusieurs allusions à la sexualité refoulée.
Dans cette aventure, qui prolonge celle des Cigares du pharaon, Tintin poursuit son enquête à Shanghai et découvre les mystères de la cité chinoise et de sa concession internationale. Il cherche à démanteler le réseau de trafiquants d'opium commandé par le milliardaire Roberto Rastapopoulos et son allié japonais, Mitsuhirato, qui tous deux lui apparaissent dans un premier temps comme infiniment respectables. Aidé par les membres d'une société secrète chinoise, les Fils du Dragon, et par Tchang, un jeune orphelin intrépide avec qui il se lie d'amitié, le héros parvient à déjouer les plans de ses ennemis.
Pour de nombreux tintinologues, Le Lotus bleu marque un tournant décisif dans l'œuvre d'Hergé. Désormais conscient des possibilités romanesques que lui offre la bande dessinée, l'auteur prépare soigneusement son nouveau récit et rassemble une abondante documentation pour livrer de la Chine une image fidèle et cohérente, éloignée des représentations occidentales trop stéréotypées à cette époque. Par l'intermédiaire de l'abbé Léon Gosset, Hergé rencontre plusieurs étudiants chinois, au premier rang desquels Tchang Tchong-jen dont la rencontre le bouleverse et modifie son approche du travail. De leurs séances de travail dominicales naît une profonde amitié qui pousse Hergé à dépasser ses propres représentations. Il intègre des références au contexte géopolitique et historique de l'époque, comme l'incident de Mukden qui sert de prétexte à l'invasion japonaise de la Mandchourie en 1931, le retrait des délégués japonais à la Société des Nations en 1933, les inondations du Yangtsé en 1931 ou encore les exactions commises lors de la révolte des Boxers à la fin du XIXe siècle.
Aux côtés de Tchang-Tchong-jen, Hergé soigne l'authenticité des détails de son récit, et s'imprègne de l'art chinois — de l'utilisation du pinceau au jeu des ombres, en passant par la calligraphie. Avec Le Lotus bleu, le dessinateur franchit un pas décisif vers la ligne claire, qui caractérise ensuite l'ensemble de son travail. L'album est ainsi reconnu par l'ensemble des spécialistes de l'œuvre d'Hergé comme l'un de ses plus aboutis.
Fidèle à sa recherche de réalisme et d'authenticité, Hergé, qui souhaite produire une œuvre exigeante et cohérente, fournit un riche travail préparatoire afin de représenter fidèlement ses navires. Il réunit ainsi une grande documentation iconographique, mais dessine également à partir de maquettes ou de croquis réalisés sur le terrain.
Dès la naissance de Tintin, la fiction et la réalité se mélangent tandis qu'un jeu avec les lecteurs se met en place. Le départ du héros pour le pays des Soviets est annoncé dans Le Petit Vingtième dans les jours qui précèdent le début de l'aventure ; puis des interviews fictives ou de fausses lettres des protagonistes sont diffusées. L'idée de mettre en scène le retour du héros et de son fidèle chien est proposée au directeur du Vingtième Siècle, Norbert Wallez, par l'un de ses collaborateurs, Charles Lesne. Le premier retour de Tintin, le , est un succès : une foule nombreuse réserve un accueil triomphal à un Tintin interprété par un jeune scout à la gare du Nord de Bruxelles.
La formule est répétée après Tintin au Congo, Tintin en Amérique et Le Lotus bleu, donnant lieu à des réceptions regroupant des milliers de lecteurs, attirés par les nombreuses animations proposées et à grand renfort de publicité. Ces évènements permettent non seulement d'ancrer le personnage dans le monde réel mais aussi de fidéliser les jeunes lecteurs en leur donnant le sentiment de participer à l'aventure. Les retours de Tintin et Milou répondent également à des motivations commerciales et apparaissent comme un moyen efficace de promouvoir les ventes d'albums de la série, comme celles du quotidien qui accueille les différents récits.
Muskar XII est un personnage de fiction des Aventures de Tintin, créé par Hergé. Il apparaît dans l'album Le Sceptre d'Ottokar, en 1939. Roi de Syldavie, il figure au centre d'un complot tramé par la Bordurie voisine pour le renverser et procéder à l'annexion du pays. Les conjurés prévoient de dérober son sceptre dans les jours qui précèdent la Saint-Wladimir, fête nationale, ce qui le contraindrait à abdiquer. Soucieux du bien-être de son peuple, il envisage de céder le pouvoir mais Tintin parvient à déjouer le complot et à restaurer son autorité.
De même que la Syldavie est inspirée des États balkaniques, le personnage de Muskar XII évoque un certain nombre de souverains européens du début du XXe siècle, à l'image de Zog Ier, qui règne sur l'Albanie de 1928 à 1939.
Comme d'autres souverains présentés dans la série, à l'image du maharadjah de Rawhajpoutalah, Muskar XII fait figure de monarque éclairé, proche de ses sujets et garant de la stabilité du royaume. En venant à son secours, Tintin se pose en défenseur d'une cause juste. L'essayiste Jean-Marie Apostolidès considère qu'à travers la perte du sceptre puis la restauration de son autorité royale, Muskar XII vit en quelque sorte la Passion puis la Résurrection de Jésus.