Poire (caricature)

animation des 4 images de la planche des Poires.
Transformation de Louis-Philippe en poire d'après les « croquades »[N 1] de Charles Philipon, republiées sous une forme modifiée en 1834.

La caricature de Louis-Philippe Ier en poire, créée par Charles Philipon en 1831 et publiée dans La Caricature sous le titre La Poire la même année, a connu un immense succès sous la monarchie de Juillet et reste associée à ce roi.

Cette vogue est paradoxale puisqu'elle ne s'explique ni par un sens argotique ni par une valeur iconique préexistants de la poire. Il s'agit au contraire d'une création graphique souvent attribuée, à tort, à Honoré Daumier, alors qu'elle a été revendiquée par Charles Philipon et exploitée pour la première fois en novembre 1831, lors d'un procès ayant pour enjeu l'exercice de la liberté de la presse, que le gouvernement avait reconnue au terme des Trois Glorieuses mais qu'il rechignait à respecter.

La Poire est ainsi devenue en même temps le symbole de la « guerre de Philipon contre Philippe », de la lutte d'une poignée d'artistes de la presse satirique pour défendre les valeurs républicaines, et l'emblème qu'ils ont attribué à Louis-Philippe et à son régime, en l'enrichissant de différents niveaux de significations superposés. Le succès de cet emblème s'est traduit par la prolifération du signe dans toute la France et a contribué au rétablissement, en 1835, d'une censure de la presse.

Disparu un temps, l'emblème de la Poire est réapparu lors de la révolution de 1848, puis à nouveau en 1871 et perdure, détaché de la personne de Louis-Philippe, comme le symbole d'un pouvoir ridicule ou comme le signal de l'inflexion bourgeoise d'une politique.

Contextualisation de la Poire

gravure sur bois
Publicité de 1834 dans La Caricature.

La Poire, considérée en tant « qu'emblème »[4],[5] et non que fruit, est étroitement liée au roi Louis-Philippe[6]. C'est en outre « l'image mentale qui vient immédiatement à l'esprit à l'évocation de la monarchie de Juillet »[5]. Paradoxalement, cette inséparabilité[7] entre le roi et son emblème donne lieu à deux erreurs : d'une part, on croit généralement que le terme de « poire » désignait à l'époque de Louis-Philippe un imbécile et que ce sens argotique a justifié le choix de cet emblème ; d'autre part, la création de cet emblème est souvent attribuée à Honoré Daumier, alors que Charles Philipon l'a revendiquée pour lui-même[8].

Sens métaphorique de la poire avant Philipon

Plusieurs auteurs prennent pour acquis que la poire désignait sous la monarchie de Juillet un imbécile et que ce sens argotique justifie le choix de ce fruit pour représenter le roi. Ainsi, pour Ernst Kris et Ernst Gombrich, la poire était déjà porteuse, avant que Philipon ne s'en empare, d'un sens péjoratif dans « l'argot parisien » et désignait un idiot (fathead)[9]. Edwin DeTurck Bechtel élargit cette dénotation : selon lui, une poire représentait « une tête ou un visage, un imbécile ou un idiot »[10]. Nicola Cotton considère dans le même sens que les caricatures de Philipon sont venues « renforcer une connexion préexistante » et que leur succès ne saurait s'expliquer si cette connexion n'avait pas été immédiatement comprise[11].

Mais les ouvrages de référence justifiant un tel sens argotique du terme « poire » sont postérieurs à la monarchie de Juillet, par exemple celui d'Henri Bauche[12], utilisé à titre de preuve par Gabriel Weisberg[13]. Cet anachronisme conduit James Cuno à estimer que la dénotation d'imbécilité n'est pas étayée par l'examen des dictionnaires d'argot de l'époque et que ce sens est postérieur aux caricatures de Philipon[14]. En revanche, cet auteur considère qu'il y a bien des connotations préexistantes à l'usage de l'emblème de la Poire par Philipon, mais que celles-ci sont plutôt sexuelles, voire que « l'histoire de la poire en tant qu'emblème érotique reste à écrire »[15],[N 2].

James Cuno propose en effet, pour comprendre les connotations attachées par le public de Philipon à la Poire, de prendre en considération deux paronymes ayant un sens argotique : d'une part le poivre et ses dérivés (poivrade, poivrer et poivrière), qui évoquent la syphilis et la transmission des maladies vénériennes[18],[19] et d'autre part le poireau, qui désigne le pénis[20],[21]. Selon Cuno, on ne peut, sans ce contexte, comprendre la plaisanterie de Balzac dans Le Père Goriot où, quand Vautrin, lui-même décrit comme homosexuel, se moquant de l'attirance du père Poiret pour Mademoiselle Michonneau, souligne que Poiret « dérive de poire », Bianchon lui rétorque : « [Poire] molle ! […] Vous seriez alors entre la poire et le fromage »[22]. Cuno estime que cette plaisanterie joue sur le fait que « la poire a des connotations phalliques, qu'elle évoque le spectre de l'homosexualité » et qu'elle « ne pouvait être drôle à moins qu'[elle] ne comporte des connotations phalliques qui puissent être retournées contre l'homosexualité de Vautrin »[15].

Deux lithographies de Traviès exploitent des sous-entendus grivois, proches des paronymies de la poire. La première représente une grisette achetant de l'onguent gris et prétendant que ce n'est pas elle la « poivrière » sans convaincre Mayeux, tandis que la seconde, plus explicite, montre ce dernier vanter un saucisson dont le sens est proche de celui du poireau[23].

De son côté, Fabrice Erre, tout en jugeant comme Cuno que le sens d'imbécilité est postérieur, considère, à l'examen des dictionnaires de l'époque[N 3], qu'il n'y avait pas non plus de connotations sexuelles, ni dans le langage soutenu, ni dans le langage populaire[24], et que la poire n'était, avant Philipon, « chargée d'aucun sens particulier »[25].

L'absence d'un sens argotique quelconque au mot « poire » dans les dictionnaires avant son utilisation en 1831 par Philipon n'est toutefois pas jugée décisive par le Dictionnaire historique de la langue française, pour lequel la mise en équivalence d'une tête et d'un fruit est « banale », qu'il s'agisse d'une poire, d'une pomme, d'un citron ou d'une fraise[26].

Sur le plan graphique, il existe quelques exemples d'utilisation de la forme de poire dans la caricature au début du XIXe siècle, qui ne sont toutefois associés ni à l'imbécilité, ni à un sous-entendu sexuel. Ségolène Le Men estime toutefois que la comparaison entre l'usage de la forme de la poire dans de telles caricatures et celui de la Poire en tant qu'emblème de Louis-Philippe permet de « reconnaître deux sèmes dominants et contradictoires, le vide et le plein », la poire étant « pleine de vide »[27].

Divers emplois de la forme de la poire attestent d'un usage dans la caricature au début du XIXe siècle, visant à tirer parti d'analogies formelles sans particulièrement dénoter l'imbécilité, notamment chez George Cruikshank, qui a pu inspirer la Poire[28],[29], et Jean-Baptiste Isabey[30].

Nonobstant, hormis ces antécédents caricaturaux isolés, l'usage iconographique de la poire sur une longue période ne semble la prédestiner ni à un usage caricatural, ni a fortiori au prodigieux succès de celui-ci à partir de 1831[31]. Au contraire, la poire est un attribut récurrent de la Madone dans l'imagerie chrétienne, souvent associé à la thématique de la Vierge du lait, qui suggère la douceur de la vertu[32],[33] ou permet une variation par rapport au symbolisme de la pomme[34]: figurant la rédemption du péché originel, la poire est ainsi préférée à la pomme, cette dernière étant interprétée dès le haut Moyen Âge comme un « fruit fatal »[35],[36] en raison de l'homonymie entre les mots latins mālum (pommier, avec un a long) et mălum (mal, avec un a court)[37]. Peytel fait écho à cette tradition dans sa Physiologie de la poire (1832), où il consacre un chapitre entier à « la Poire considérée sous son point de vue aphrodisiaque », y soutenant sur le mode humoristique que c'est avec une poire et non une pomme que le serpent a tenté Ève[38].

Dans la Vierge à la poire d'Albrecht Dürer ou dans celle contemporaine de Joos van Cleve, la Madone, en tant que « nouvelle Ève », montre à l'enfant Jésus une poire, en lieu et place d'une pomme, comme l'explication de son rôle et de ses grandeurs. Mayeux fait allusion sur le mode ironique à cette interprétation en proclamant, à propos du soutien apporté en juillet 1830 par La Fayette à Louis-Philippe : « Adam nous a perdu par la pomme et La Fayette par la poire ».

Fabrice Erre tire toutefois de ce sens iconographique préalable la conséquence que non seulement il n'a « aucune utilité pour Philipon », mais, se référant aux analyses de James Cuno, qu'il interdit en outre « d'imaginer que la Poire puisse être, en ce début de XIXe siècle, un motif universellement admis comme pornographique »[31].

Sur le plan politique, la métaphore de la poire mûre est commune en France depuis la fin du XVIIIe siècle[39]. Jacques-René Hébert l'emploie dans Le Père Duchesne en 1792, affirmant dans différents contextes que « la poire est mûre, il faut qu'elle tombe »[40],[41]. « La poire est mûre » est ensuite une des expressions favorites de Napoléon[42],[43], qu'Hippolyte Taine reformule en maxime personnelle : « Attendre que la poire soit mûre, mais ne pas souffrir que, dans l’intervalle, un autre la cueille »[44]. Elle est aussi employée par Saint-Simon s'adressant sur son lit de mort à ses disciples : « La poire est mûre, vous devez la cueillir »[45],[46].

Le proverbe, retourné contre l'empereur dans une caricature de 1815 où son profil est découpé dans une feuille[47], est réutilisé dans une caricature publiée en 1834 par Le Charivari où la houppe, les favoris, les yeux et la bouche sont figurés par des insectes.

Philipon avant la Poire

Charles Philipon naît à Lyon en 1800 ; il est le fils d'un marchand de papiers peints. À 23 ans, il décide de se consacrer à une carrière artistique et parisienne[48]. Pour subvenir à ses besoins, il travaille dans un premier temps « chez les imagiers de la rue Saint-Jacques [et] chez les fabricants d'étiquettes et de rébus », illustrant un grand nombre d'histoires à deux sous[49]. À partir de 1824, il s'initie à la lithographie[50], tout en se spécialisant dans le dessin d’œuvres vendues à la planche[51], produisant pour les principaux marchands de Paris des estampes « assez mal dessinées [et] inégalement lithographiées » sur des sujets divers au goût du jour : séries de modes, caricatures sur les mœurs, annonces comiques, « rien qui se distingue du tout venant »[52].

Occupations d'une femme, au voyeurisme naïf et stéréotypé, ou Le Chauffe-lit, dont la légende semble, selon Cuno, s'appliquer au personnage féminin, sont des exemples des lithographies de Philipon d'avant son engagement politique, caractérisées par un style conventionnel, fréquemment égrillard, sans connotation politique mais conforme aux goûts de la clientèle[53],[54].

En octobre 1829, Philipon participe à la création du journal La Silhouette, le premier périodique français à exploiter les possibilités nouvelles de la lithographie en publiant régulièrement des illustrations[55]. Il y joue un rôle qualifié par James Cuno de « central »[56] mais considéré par David Kerr comme « difficile à déterminer »[55] et peut-être limité à la seule organisation de la partie lithographique[57]. Deux mois plus tard, en décembre 1829, son beau-frère, Gabriel Aubert, s'étant trouvé ruiné par des spéculations malheureuses[52], Philipon s'associe à lui pour fonder la Maison Aubert, un « magasin de caricatures »[56] qu'il se propose d'alimenter avec ses propres créations et celles de son réseau de relations professionnelles[52].

Gravure sur bois.
Un jésuite. Philipon, avril 1830[N 4].

En avril 1830, La Silhouette publie Un jésuite, une vignette de Philipon représentant Charles X « en soutane et en surplis, les mains jointes, les lèvres pendantes, le regard ahuri, le tout de la plus insolente ressemblance »[59]. Cette caricature exprime graphiquement l'opposition des libéraux aux ultras, le jésuitisme évoquant la manifestation la plus obscure de l'ultracisme[60]. Elle est insérée subrepticement dans le texte pour échapper à la censure[61]. Ce numéro de La Silhouette est saisi. Au procès, le procureur soutient, selon le compte-rendu que Philipon ne se prive pas d'en donner, qu'il est « impossible de dire que ce n’est pas le portrait du Roi qu’on a voulu faire : c’est frappant. Ce qui prouve encore qu’on a voulu représenter le monarque d’une manière grotesque et insultante, c’est qu’on a mis dessous Un jésuite »[62],[63]. Le directeur-adjoint de la publication, Benjamin-Louis Bellet, est condamné à mille francs d'amende et six mois de prison, mais Philipon, qui prudemment n'avait pas signé sa caricature, échappe à toute condamnation[64]. En revanche, grâce à cette publication, il acquiert une réputation de caricaturiste politique[64], se découvre un talent en la matière et prend conscience des avantages qu'il peut tirer de l'agitation politique[65],[N 5].

En juillet 1830, au terme des Trois Glorieuses, Louis-Philippe accède au pouvoir. C'est le début de la monarchie de Juillet, qui s'engage à respecter la Charte constitutionnelle du 14 août 1830, dont l'article 7 affirme : « Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois. La censure ne pourra jamais être rétablie. » En août 1830, dans le contexte d'une « activité frénétique » de production d'estampes moquant le roi Charles X déchu[67], aiguillonné par la nécessité d'alimenter le fonds de la nouvelle Maison Aubert, Philipon produit dans un délai de douze jours une série de neuf caricatures de Charles X[66]. James Cuno relève que les caricatures de Charles X que Philipon publie entre avril et août 1830 sont d'un style très différent de ses lithographies antérieures, révélant un « sens puissant de la composition » allié à une « hardiesse d'exécution »[68], tout en estimant Philipon comme « un artiste qui, s'il manque d'un talent artistique original, fait preuve d'ambitions entrepreneuriales et se montre désireux et capable d'exploiter le marché prometteur des images lithographiques »[69].

Pour représenter la niaiserie du roi déchu, Philipon joue sur les mêmes doubles sens des mots « dindon » et « cruche » que Jacques-Louis David quand il caricaturait en 1794 le roi George III mené à la guerre contre la France par William Pitt[70].
Lithographie coloriée.
Promenade bourgeoise. Philipon, novembre 1830.

En novembre 1830, Charles Philipon crée son propre hebdomadaire satirique, La Caricature, auquel il apporte ses connaissances en matière d'artistes, d'imprimeurs et de distributeurs, apprises durant sa collaboration à La Silhouette, mais aussi une partie du lectorat de celle-ci, dont la publication cesse en janvier 1831[56]. Comme l'observe Gabriel Weisberg, ses premières représentations de Louis-Philippe, telle Promenade bourgeoise en novembre 1830, ne sont pas hostiles, tout en relevant avec perspicacité l'affectation de bonhomie bourgeoise du roi-citoyen[71].

En février 1831, Philipon publie une lithographie sans titre, figurant Louis-Philippe qui souffle des bulles d'un savon nommé « mousse de juillet », des promesses telles que « liberté de la presse » ou « la Charte sera une vérité ». La planche n'est pas insérée dans La Caricature et publiée séparément, au prétexte d'une qualité insuffisante, mais plus vraisemblablement pour limiter les conséquences prévisibles[72]. Ségolène Le Men et Nathalie Preiss soulignent que cette caricature porte en germe l'idée qui sera développée à travers la figure de la Poire d'une « boursouflure » et d'une « enflure creuse »[27],[73]. La planche est saisie chez l'éditeur, ainsi que la pierre chez l'imprimeur[74]. C'est la première caricature à subir un tel sort sous la monarchie de Juillet, qui s'était pourtant constitutionnellement engagée à respecter la liberté de presse[75]. Philipon est accusé d'outrage à la personne du roi. Son avocat fait valoir que la caricature ne représente pas celui-ci, mais « le pouvoir personnifié », le dessinateur n'ayant que « respect et vénération » pour la personne royale[76]. Cet épisode pousse Philipon à donner à La Caricature une « marche politique »[52].

Le , La Caricature publie une caricature anonyme représentant Louis-Philippe en maçon replâtrant un mur pour effacer les traces des Trois Glorieuses. En tant que directeur de la publication, Philipon est de nouveau poursuivi pour offense à la personne du roi.

Dans sa première correspondance de Paris pour la Gazette d'Augsbourg, en décembre 1831, Heinrich Heine exprime l'« horreur » que lui inspire l'expression de paisible insouciance du visage du roi dans ces caricatures, qui contraste avec le caractère frauduleux (schwindelnde) de la position politique du roi-citoyen, mais suppose que sa nature (Gemüt) n'est pas aussi insouciante que son visage[77].

Création de la Poire

Naissance argumentative

Au procès du Replâtrage devant la cour d'assises, le , l'avocat de Philipon plaide à nouveau que l'exercice de la liberté de la presse, garantie par la Charte de 1830, implique la possibilité de représenter le pouvoir dans une caricature politique, ce pourquoi, affirme-t-il, il n'existe qu'un seul moyen : « prendre la ressemblance, et non la personne, de celui qui en est l'âme, le chef »[78]. Intervenant après lui, Philipon fait valoir que, si l'on voulait trouver à un quelconque portrait caricatural une ressemblance avec le visage du roi, on pourrait la trouver dès qu'on le voudrait, aussi différente de son sujet que soit la caricature, de sorte qu'en fin de compte personne ne serait à l'abri d'une accusation de lèse-majesté[77]. Il affirme que cette caricature n'attaque pas la personne du roi, qui n'est désignée ni par un nom, ni par un titre, ni par des insignes, mais « le pouvoir, [qu'il] représente par un signe, par une ressemblance qui peut appartenir aussi bien à un maçon qu'au roi, mais [qui] n'est pas le roi »[78]. Cette argumentation par prétérition[79] a été analysée par plusieurs auteurs selon la lecture par Ernst Kantorowicz du double corps du roi, physique et symbolique[80],[81],[82]. À l'appui de son plaidoyer, Philipon dessine quatre croquis où la tête de Louis-Philippe se transforme graduellement en poire :

« Ce croquis ressemble à Louis-Philippe, vous condamnerez donc ? Alors il faudra condamner celui-ci qui ressemble au premier. Puis condamner pour cet autre qui ressemble au second… Et enfin, si vous êtes conséquents, vous ne sauriez absoudre cette poire qui ressemble aux croquis précédents […] Avouez, Messieurs, que c'est là une singulière liberté de la presse[78] ! »

Dans une lettre de 1846, Philipon précise à quelle intention répondait cette démonstration :

« J'étais certain à l'avance d'être condamné, non parce que notre image était vraiment coupable, mais parce que le hasard aidé par le tirage légal des jurés m'avait composé un jury impitoyable […] Dans la prévision d'une condamnation certaine je voulus me venger de cette rigueur en vulgarisant par la publicité des débats […] une image plus vive que celle pour laquelle j'allais être condamné. Je préparais donc ma fameuse poire ; j'en fis le croquis et la description aux débats, et je publiai le lendemain de ma condamnation et mon croquis et son explication[83]. »

Aussi spirituel que Philipon ait été trouvé et en dépit de son précédent acquittement, il est condamné à six mois de prison et deux mille francs d'amende[78]. Fenimore Cooper et William Makepeace Thackeray, présentant le procès de Philipon à des lecteurs anglo-saxons, ajoutent toutefois quelques détails de leur cru, le premier affirmant que le caricaturiste avait sculpté une poire au couteau pour les jurés[84] et le second inversant la séquence de passage du fruit au visage du roi[85]. Ils donnent pour conséquence du caractère inspiré[86] de la démonstration de Philipon, qu'ils soulignent, un acquittement auquel il n'eut cependant pas droit. En France, Philibert Audebrand rapporte également qu'un « acquittement à l'unanimité » suivit la scène « drôlatique » des croquades[49].

Dans un supplément à la livraison du de La Caricature, où une souscription est lancée pour payer l'amende, Philipon publie ses « croquades »[N 1] faites au procès[87]. La planche lithographiée, tirée à part et vendue sous le titre de La Poire[77] pour contribuer au paiement de l'amende infligée à Philipon[88], est affichée aux vitres du magasin d'Aubert, situé dans le passage Véro-Dodat, où elle suscite des attroupements. En décembre 1831, la planche est saisie et Philipon proteste en arguant que ces croquis constituent un compte-rendu des débats de son procès[89] et obtient l'abandon de la procédure, comme l'annonce le numéro du 22 décembre de La Caricature[90]. Le , la planche des croquades est à nouveau jointe à la livraison de la Caricature, « pour faciliter l'intelligence [du] procès à ceux qui ne la connaissaient pas »[91].

Il existe trois versions de la série des quatre croquis : un feuillet à la plume et à l'encre, sans date ni signature, donné pour l'original des croquis ; un fac-similé lithographique autographié par Philipon, publié le , sous forme de supplément tiré à part, au verso d'un catalogue des publications d'Aubert, et joint à la livraison du jour de La Caricature ; une version gravée sur bois debout, non signée, publié dans Le Charivari, le puis le au motif de récolter des fonds destinés à payer les amendes du journal[92], également tirée à part et vendue deux sous[93].

Les trois portraits de la version manuscrite sont plus détaillés que dans la version publiée en 1831, tandis que le tracé de la poire est plus cursif, ce qui renforce le contraste. Il ne porte en outre aucun commentaire et l'annotation « Philipon » n'y est pas autographe[94]. On ignore s'il s'agit du feuillet composé pendant le procès, d'une copie, ou d'un feuillet préparatoire à la reproduction en fac-similé[94]. Dans la version publiée en 1834, les légendes des quatre images sont transcrites typographiquement. Ségolène Le Men relève que cette transcription atténue le caractère radical de la représentation en maintenant l'évocation des traits du visage dans la dernière image[95] et que cette transformation accompagne un changement de destination de ces images désormais devenues une marque de fabrique de la Maison Aubert : « L'idée n'était plus de faire entrer le spectateur, par le biais du manuscrit et du croquis, mais d'afficher un acte de provocation avec un titre en très gros caractères, « Les Poires », qui remplaçait le calembour sur les « croquades »[96]. ».

« Les Poires », la version gravée sur bois de 1834, accuse le durcissement du conflit entre Philipon et le gouvernement, qu'exprime celui des traits du roi[96]. Certains auteurs supposent que Daumier a redessiné la version de 1834[97],[92], Ségolène Le Men se bornant à relever une proximité entre le traitement graphique de Louis-Philippe dans cette dernière version et l'évolution de la représentation du roi par Daumier[96].

Œuvre collective

Comme l'admet Philipon en 1846, la série de croquis de novembre 1831 n'a pas été une improvisation à la barre. Selon John Grand-Carteret, Philipon aurait trouvé au préalable la Poire par hasard, « un jour, paraît-il, qu'il s'amusait à taillader en tous sens un fruit de cette espèce »[98]. Mais Champfleury, suivi par Pierre Larousse[99], s'interroge :

« Qui découvrit le premier que la figure du roi-citoyen, avec ses épais favoris et son fameux toupet, donnait au profil quelque analogie avec la forme d'une poire ? Si ce n'est Philipon, il fut le vulgarisateur de la découverte[100]. »

Selon Ségolène Le Men, « tout se passe comme si l'éditeur avait préparé une campagne publicitaire, en laissant ses dessinateurs introduire le motif, très discrètement, dans les planches dès le début du mois de septembre »[101], ce qui ferait de la poire un « projet artistique de groupe », selon l'expression employée par Elizabeth Menon à propos du développement graphique du personnage de Mayeux[102], sous l'égide « entrepreneuriale » de Philipon.

Le , dans une lithographie peut-être inspirée par le caprice 43 de Goya, Grandville montre le roi, assis, qui se bouche les oreilles devant l'orchestre charivarique : « la forme de la poire se dessine nettement dans son visage, se cache dans le bras du fauteuil en rotin, […] dans la grosse cloche qu'actionnent deux diablotins […], dans le visage aux joues rebondies d'un gnome siffleur et dans le soufflet qu'actionne un autre diablotin »[101]. Dans Basse Cour politique, publié le , le signe de la Poire apparaît sous forme de graffiti sur une porte et de même, à nouveau sur un mur, le , dans une autre lithographie, Vois-tu, Chapolard, quand y disent citoyens de Louis-Henri de Rudder.

En outre, bien que le développement ultérieur de la Poire soit devenu le symbole et la manifestation de la guerre de « Philipon contre Philippe », selon une formule de Paul Ginisty[103] fréquemment reprise depuis[104],[105], il n'en est pas moins le produit d'une création collective. James Cuno estime que Philipon développait certaines idées graphiques et les donnait ensuite aux artistes qu'il faisait travailler[106]. Selon Jules Brisson et Félix Ribeyre, « Philipon était l'âme de l'entreprise. C'était lui qui donnait presque tous les thèmes de dessins, tous les sujets de caricatures ou de charges politiques »[107],[108]. David Kerr ajoute que le brassage d'idées était monnaie courante entre les collaborateurs de La Caricature, dans le cadre de ce que Philipon appelait une « émulation […] qui fait naître la faveur du public »[109],[110]. Le thème de la poire ne serait ainsi, selon Kerr, que « le plus connu des emblèmes que les collaborateurs des journaux de Philipon lui ont emprunté ou s'empruntaient entre eux », les artistes de La Caricature et du Charivari ayant « la conscience aigüe de participer à une entreprise commune : ils travaillaient en équipe, s'empruntant constamment des thèmes et des motifs »[111].

À quelle sauce la voulez-vous ? montre « le grand cuisinier en chef, Philipon » préparant la Poire dans « la cuisine de la Caricature » avec l'aide de ses « joyeux confrères, les caricaturistes, Grandville, Forest, Traviès, Daumier, Benjamin, l'enfant Jean-Paul et Bouquet, l'auteur de ce dessin »[112], tandis que derrière eux une nouvelle génération d'artistes s'initie à « l'art de la composition piriforme »[113] en dessinant des poires à tête humaine. Dans Grand Conquérant d'Auguste Desperet, le fou personnifiant La Caricature, originairement dessiné par Grandville, est assimilé à l'allégorie de la renommée. Il tient à la main quatre trompettes aux noms de Bouquet, Philipon, Forest et Desperet, tout en soufflant dans une cinquième trompette au nom de Grandville, à laquelle est accroché un étendard représentant la Poire[114],[115].

Significations de la Poire

Comme l'observe Gabriel Weisberg, la lecture des lithographies produites durant la monarchie de Juillet est aujourd'hui malaisée, tant parce que les artistes multipliaient les niveaux de sens en cherchant à atteindre divers types de public que parce qu'ils se référaient à des circonstances transitoires, tout en visant une certaine forme d'universalité[116]. La Poire est ainsi une métaphore complexe. D'une part, en tant qu'emblème du roi, elle est en même temps une métaphore de son visage et de son corps, comportant plusieurs niveaux de significations, notamment scatologiques et sexuelles[117]. Mais c'est aussi une métaphore qui exprime la « convergence graphique des trois éléments constituant la monarchie de Juillet » : son souverain, sa base sociale, la bourgeoisie et son idéologie, celle du juste-milieu[118]. Elle pointe enfin le point commun caractéristique de cette convergence, la dimension de blague politique.

Un signe arbitraire ?

Dans un essai sur la caricature, Charles Baudelaire commente le succès de ce qu'il appelle la « pyramidale et olympienne Poire de processive mémoire »[119]. Il juge que « le symbole [de la Poire] avait été trouvé par une analogie complaisante. Le symbole dès lors suffisait. Avec cette espèce d’argot plastique, on était le maître de dire et de faire comprendre au peuple tout ce qu’on voulait[119]. »

Plusieurs auteurs ont commenté cette analyse, notamment pour relever que la notion « d'argot plastique » recouvre un processus de « condensation jusqu’à l’ablation, [d]’exagération jusqu’à la difformité, [d]e déplacement jusqu’à l’inversion »[120] qui sert à Baudelaire de modèle pour théoriser le travail poétique[121],[122]. En ce sens, quand bien même la ressemblance entre le visage de Louis-Philippe et une poire ne signifierait rien, la Poire et le roi sont devenus rapidement des équivalents visuels[123].

Le melon représentant Charles X ou la citrouille, Louis-Philippe (quand bien même détachée par prudence de la tête) ne sont pas des ressemblances mais des mises en équivalence, destinées à suggérer la bêtise. Comme l'analyse Ernst Gombrich, le spectateur, tout en restant conscient de la différence entre les caractéristiques particulières de la personne représentée et de son équivalent végétal, est frappé par une similitude de l'ensemble ; il perçoit « non pas [des] similarités, mais [des] équivalences qui [lui] permettent de voir la réalité comme s’il s’agissait d’une image, et une image comme une réalité »[124]. Le processus mis en œuvre est similaire à celui analysé pour l'argot par plusieurs linguistes pour lesquels il existe une sorte de « matrice métaphorique », à l’œuvre dans le développement des termes argotiques, qui met en équivalence la tête et un fruit rond[125],[126].

Sandy Petrey juge que l'analyse de Baudelaire est une reconnaissance du caractère strictement symbolique de la Poire. Il s'oppose à tous les auteurs qui estiment que le choix d'une poire se fonde sur une ressemblance, tel par exemple Sergueï Eisenstein pour qui « la houppe du front et les favoris du roi, quand ils étaient combinés, faisaient penser à la silhouette d’une poire ; c’est ainsi que fut engendré ce signe convenu de raillerie, découvert par Philipon »[127]. Petrey prend à la lettre l'argument de Philipon selon lequel la Poire est un signe arbitraire[N 6] qui aurait pu être remplacée par « une brioche [ou] toutes les têtes bizarres dans lesquelles le hasard ou la malice aura placé cette triste ressemblance »[78],[129].

« Ce que Philipon a dit [aux juges] de son dessin est parfaitement vrai : ce n'est pas le roi, « c'est une poire ». La séquence temporelle fut association → ressemblance et non ressemblance → association ; la ressemblance à une poire de Louis-Philippe fut le résultat et non la cause de l'identification [faite par Philipon][130]. »

Petrey estime que l'association de Louis-Philippe et de la poire est en même temps « injustifiée et indissoluble, arbitraire et faisant autorité » et qu'elle ne procède pas « de la nature du monde, mais d'une opération de sémiose »[131] dont il souligne trois traits caractéristiques :

  • L'origine du lien sémiotique est précisément situé dans le temps ; il s'agit dès cette origine d'un acte sociopolitique et sémantique.
  • Ce lien procède de la négation de son existence même. La poire et le roi sont devenus indistinguables à partir d'une insistance à les distinguer.
  • En dépit d'une origine dénégative, ce signe a suscité un effort particulièrement intense pour « nier la négation » et donner à la poire une réalité physique, l'artificiel étant constamment présenté comme naturel[132].

James Cuno conteste cette analyse en estimant que la Poire n'est pas qu'un signe arbitraire, mais que, pour rencontrer un tel succès, elle devait être pour les contemporains de Philipon quelque chose de plus : « Elle devait nécessairement être perçue par sa cible, le roi, comme [un signe] très personnel, comme une attaque contre lui et non contre sa seule fonction ». Pour cet auteur, la puissance de la Poire résulte d'une part de son économie de moyens et de sa facilité d'exécution, qui étaient telles que même des enfants illettrés pouvaient la reproduire, et d'autre part de sa capacité à engendrer des significations toujours renouvelées et toujours plus insultantes[15].

Le visage du roi

Au procès de novembre 1831, c'est d'une mise en équivalence du visage du roi et d'une poire qu'il est question. Cet aspect est souligné par Hippolyte Castille :

« Ce singulier rapprochement prenait des proportions symboliques qui en firent un véritable trait de génie. Le côté pointu de la poire était le front ; or Louis-Philippe a toujours eu horreur de l'héroïsme et de la gloire. L'autre extrémité représentait la mâchoire, c'est-à-dire les appétits matériels. D'un trait de plume le règne était jugé[133]. »

Qué drôles de têtes exploite la différence entre la forme arrondie du visage de Louis-Philippe et celle allongée de celui de son fils, Ferdinand-Philippe d'Orléans, plus semblable à une cucurbitacée qu'à une poire, tout en assimilant le roi à un « homme-légume »[134] afin de suggérer sa bêtise[135]. Les Favoris de la poire joue sur le double sens du mot « favoris » qui désigne aussi bien les côtelettes royales que deux de ses ministres, d'Argout et Barthe, dont la posture peut indiquer qu'ils cajolent le roi ou qu'ils recherchent sa protection[136].

Dans son essai sur la caricature, Charles Baudelaire note que la mise en équivalence du visage du roi et d'une poire ne pouvait manquer à l'époque d'évoquer un passage célèbre de la physiognomonie de Lavater[137] où il dessine la métamorphose du profil de l'Apollon du Belvédère en celui d'une grenouille pour illustrer la théorie de l'angle facial de Camper[138] : « on a fait des expériences analogues sur la tête de Jésus et sur celle de l’Apollon, et je crois qu’on est parvenu à ramener l’une des deux à la ressemblance d’un crapaud »[119]. La théorie physiognomonique de la connaissance du caractère à partir des caractéristiques physiques est très en vogue au début du XIXe siècle, notamment chez les caricaturistes qui, tout comme les physiognomonistes, fixent « leur attention sur les traits physiques des êtres humains afin de repérer et de souligner en quoi ils dérogent aux normes corporelles établies »[139].

Au demeurant, comme le rappelle Robert Patten, certaines formes de visage proches de celui de Louis-Philippe font l'objet d'analyses de Lavater, selon lequel :

« Des grands corps massifs, de petits yeux, des joues rondes, remplies et pendantes, des lèvres bouffies, un nez en forme de boudin, un menton en forme de sac, c'est le signalement d'une classe d'hommes qui [sont] toujours occupés de leur lourd individu […] Ce sont dans le fond des hommes d'un caractère vain, quoique insignifiant, ambitieux, quoique sans énergie, assez dociles avec la prétention de tout savoir, peu sûrs, légers, voluptueux, difficiles d'ailleurs à manier, avides de tout et ne jouissant de rien[140]. »

La théorie physiognomonique offre donc un prétendu support scientifique à la formation de la Poire qui suggère une végétalisation de la personne[141].

Les collaborateurs de La Caricature sont familiers des thèses de Lavater, notamment Grandville, Traviès et Daumier[142],[143], mais aussi Philipon qui illustre en 1829 une édition populaire de Charles Le Brun[144], produit la même année une série de lithographies intitulée Le Lavater des dames qui illustre les émotions d'une femme « typique »[145] et publiera en 1840 dans Le Charivari une série d'articles sur « le dedans jugé par le dehors »[146].

Le corps du roi

D'autres caricatures montrent une extension de la fonction emblématique de la Poire au corps tout entier[147], par une sorte de redoublement de la métaphore, une poire représentant le visage étant posée sur un corps en forme de poire. Elles ne sont pas dénuées de rapport avec une analyse physiognomonique, puisque, comme le souligne Martial Guédron, cette dernière s'intéresse aux signes tirés de tout le corps, en particulier du ventre[148],[N 7]. Mais elles visent avant tout, à travers une ridiculisation du corps réel du roi, la mise en cause de son corps symbolique, c'est-à-dire du fondement de sa légitimité[150].

Mauvaise Charge, publié en 1832 montre un redoublement de la métaphore de la Poire, articulant la tête et le corps pondéreux qui pèse sur les épaules du peuple[151]. L'explication de la planche, souligne que dans le titre le mot « charge » signifie le fardeau que porte le peuple et la caricature en tant que telle[152]. Dans Statue antique, dont les formes « élégantes et suaves »[153] sont une antithèse parodique des gravures classiques de l'Hercule Farnèse, la tête inclinée fait office de tige feuillue, tandis que le ventre et les hanches suggérent la base du fruit[154].

Selon James Cuno, les deux métaphores visuelles, poire/visage et poire/corps ne sont pas indépendantes l'une de l'autre : « elles n'existent pas l'une à côté de l'autre comme des métaphores indépendantes et interchangeables, mais leurs sens sont lus comme un ensemble »[155] : la Poire met en rapport « la caractéristique faciale proéminente du roi, ses larges mâchoires, avec son ventre et ses hanches épais ou, plus spécifiquement, son visage avec ses fesses »[156].

Les caricatures sur le corps du roi mettant en équivalence sa personne et son ventre ou ses fesses le montrent souvent de dos, pour réduire les risques de poursuite pour atteinte à la personne du roi[157], tout en donnant des indications suffisantes à l'identification du sujet. Monsieur Budget et Mademoiselle Cassette se promenant aux Tuileries, où la forme de la Poire est discrètement évoquée[158],[159], met en relation l'obésité du roi et celle de son budget, voire de sa liste civile[160]. Dans Je vous porte tous dans mon cœur, où le roi s'adresse à son peuple depuis son balcon, la Poire, figurée sur ses fesses[161] et dans l’entrebâillement des rideaux[162], vient contredire son propos.

Connotations scatologiques

L'identification du visage aux fesses, à travers la métaphore de la poire, permet d'exploiter des connotations scatologiques qui renvoient à de nombreux précédents dans la caricature du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle[70],[155],[163].

La dimension scurrile de la Poire est présente, de manière plus directe, dans deux caricatures anonymes publiées en 1834 dans Le Charivari, Le Bœuf Gras de 1834[164], et Ménagerie royale, où les crottes de l'éléphant ont une forme de poire[165].

Ces connotations scatologiques sont exploitées par Daumier dans plusieurs caricatures publiées par Aubert en décembre 1831.

Départ pour Lyon, qui fait référence à la révolte des canuts et à l'envoi du fils de Louis-Philippe à Lyon pour négocier avec eux, montre un roi à tête piriforme qui tend à son fils une tartine recouverte d'une substance brune, tirée d'un pot étiqueté « beurre », mais dont la forme de pot de chambre suggère qu'il ne contient pas un produit destiné à graisser les rouages des négociations[166].

Le premier état de la planche ayant été saisi[167], Daumier en produit une deuxième version, soumise au dépôt légal le , où le pot de « beurre » a disparu.

Dans Gargantua, une lithographie évoquant la distribution de légions d'honneur, soumise par Aubert au dépôt légal le [168],[N 8], un mois après les croquades de Philipon, et également saisie[167], Daumier représente le roi assis sur un trône-pot de chambre, ingurgitant sur la place de la Concorde[N 9], des paniers d'argent dont la défécation produit des médailles[158].

Comme le note Elizabeth Childs, « la forme indéniablement pyramidale de la tête de Gargantua, définie par ses amples favoris et sa coiffure en pointe, rappelle emphatiquement la poire […] et la forme de pyramide arrondie de son corps tout entier fait écho à la forme bulbeuse du fruit »[171]. De son côté, Ségolène Le Men estime que, dans cette caricature, Daumier « n'attaque pas seulement le roi dans sa personne, de la configuration du visage à la corpulence du corps tout entier, mais aussi le régime de la monarchie bourgeoise » en l'interprétant selon la « métaphore physiologique de l'appareil digestif »[172].

Bien que la taille et le titrage du premier état[N 10] de cette lithographie donnent à penser que sa publication était initialement prévue dans la Caricature, elle fut en fait publiée séparément et brièvement exposée aux vitres du magasin d'Aubert[174] où elle « réjouissa fort les amateurs »[175]. Philipon justifie ce choix par « la faiblesse d'exécution de la planche »[175], il s'agit plus vraisemblablement d'une mesure de précaution au regard des suites judiciaires prévisibles[168]. Nonobstant, Philipon feint de ne pas comprendre le motif de la saisie :

« J'avais donc raison de crier aux jurés : Ils finiront pas vous faire voir cette ressemblance là où elle ne sera pas ! Car Gargantua ne ressemble pas à Louis-Philippe : il a bien la tête étroite du haut et large du bas, il a bien le nez bourbonien, il a bien de gros favoris ; mais loin de présenter cet air de franchise, de libéralité et de noblesse qui distingue si éminemment Louis-Philippe de tous les autres rois vivants […] M. Gargantua a une face repoussante et un air de voracité qui fait tressaillir les écus dans la poche[175]. »

Au procès, tenu en février 1832[176], Daumier soutient qu'il n'a pas voulu représenter la personne du roi mais, de manière symbolique, le budget gonflé du gouvernement. Il en donne pour argument le fait que les petits personnages regroupés autour du personnage principal ont le même vêtement, la même silhouette et la même physionomie que lui, mais il est condamné à une amende de 500 francs et à six mois de prison[177],[N 11].

Bien que les artistes de La Caricature aient principalement revendiqué l'influence de leurs prédécesseurs anglais, la référence rabelaisienne et la composition même de l'image semblent attester d'une influence d'une caricature révolutionnaire de Louis XVI en Gargantua (1791)[179],[180],[80], où les ogres royaux se repaissent du sang de leurs sujets, et qui atteste de l'utilisation graphique de Gargantua à l'époque révolutionnaire pour représenter les excès de la monarchie[181]. La représentation de la défécation, notamment exploitée durant la Révolution par Jacques-Louis David[70], est utilisée dans Le Règne de vingt ans, une caricature de Louis XVIII, en conjonction avec le thème de la gloutonnerie et dans Origine de l'ordre du lys, une caricature de Charles X, avec la production de médailles[182].

La dimension scatologique de la Poire est également exploitée par Traviès dans deux caricatures de 1832 [183]. Traviès y assimile la Poire à une tinette, tout en jouant sur le sens de l'expression pour suggérer en même temps la gloutonnerie symbolique de Louis-Philippe et le fait qu'il est « dans la merde », par manque de soutien [184],[185]. Afin d'échapper à la censure, l'accent est mis, tant dans le titre de la caricature que dans son commentaire, sur une prétendue dépersonnalisation de son sujet, censé être la politique du juste-milieu et non la personne du roi.

Ni le roi, ni la tinette ne sont nommés dans aucune de ces deux caricatures. Le commentaire de Le Juste Milieu se crotte précise que les deux paillasses portent « une masse informe comme une vessie, une brioche, une poire, ou tout autre objet de pyramidale apparence », dont le public, « ayant remarqué la boue qui le couvrait, […] pensa que ce devait être le Juste-Milieu »[186]. Celui de Le Pot de mélasse, portrait du Juste-Milieu invite les épiciers, censés être le soutien par excellence du régime, à se prosterner devant ce « pot de mélasse »[187].

Connotations sexuelles

Cette assimilation aux fesses n'épuise ni les « connotations anatomiques, [ni les] allusions grivoises ou obscènes »[188]. Dans des analyses souvent citées[189],[190], James Cuno souligne la dimension phallique de la métaphore de la poire et en analyse les significations et l'évolution[191],[192]. Il choisit, pour les qualifier, le terme de pornographie, qu'il justifie en considération des « connotations violentes et sexuelles » que comporte la métaphore graphique de la poire, telle qu'employée par les collaborateurs de La Caricature et qui, estime-t-il, « dérive de deux impulsions fondamentales et fondamentalement liées — sexuelle et agressive, obscène et tendancieuse »[193]. Alain Vaillant, en revanche, préfère parler, à propos de cette période, d'obscénité pour caractériser « la représentation ouvertement provocatrice, à des fins artistiques, agressives ou contestataires, de la sexualité », réservant le terme de pornographie à « l’exploitation commerciale de la sexualité, sous d’autres formes que la prostitution elle-même »[194]. Dans son intervention du à la chambre des députés pour justifier le rétablissement de la censure, Jean-Charles Persil évoque la prolifération de « gravures obscènes, d'images qui font la honte des dessinateurs »[195],[196].

Selon Cuno, l'usage graphique obscène de la métaphore de la poire s'analyse principalement comme le rapprochement de la poire et d'un phallus, avec pour sens immédiat que Louis-Philippe se trouve assimilé à un imbécile, à une « tête de nœud »[197],[N 12]. Il rapproche en outre ces connotations de la poire de la présence du clystère dans de nombreuses caricatures.

Le clystère était fréquemment porteur, dans les gravures du XVIIIe siècle, d'un sens érotique[198], notamment attesté chez Fragonard et exploité par Philipon dans une lithographie de 1829 intitulée Apothicaire : servez la bavaroise. Il prend ensuite un sens politique, par exemple dans La Chute du ministre Linotte (1792), et plus particulièrement de sodomisation du peuple dans The Political Clyster de Hogarth[199],[200].

Après qu'en mai 1831, Lobau, commandant de la Garde nationale, a fait disperser avec des lances à incendie une manifestation de bonapartistes célébrant, place Vendôme, le dixième anniversaire de la mort de l'empereur[201], les caricaturistes confèrent à Lobeau, puis par extension au gouvernement, l'attribut visuel du clystère, qui se trouve bientôt associé à la Poire, notamment par Daumier.

En juin 1831, Philipon publie Un cauchemar, une lithographie de Daumier d'après Le Cauchemar de Füssli[N 13]. La caricature représente un jeune bonapartiste hanté par la perspective d'une loi martiale figurée par le clystère[206],[207]. Dans une seconde version, intitulée Le Cauchemar et publiée le dans La Caricature, le jeune homme est remplacé par La Fayette et le clystère, par la poire, dont la forme et le placement suggèrent, selon Cuno, une signification phallique et, par conséquent, le transfert des connotations scatologiques et érotiques associées au clystère. Cette seconde lithographie fait référence au propos apocryphe[208] de La Fayette en 1830 sur la « meilleure des républiques »[209], rappelé par l'estampe au mur et le programme de Juillet au pied du lit[210],[207] : en termes érotiques et politiques, La Fayette s'est fait « avoir »[197],[N 14].

La poire se trouve associée au clystère dans de nombreuses autres caricatures, ce qui conforte, selon Cuno, son interprétation en tant que symbole phallique[197]. David Kerr remarque que le processus d'agglutination des significations conférées au clystère est caractéristique du travail collaboratif des dessinateurs de La Caricature : Aux connotations scatologique et érotique traditionnelles vient d'abord s'ajouter l'évocation de Lobeau, puis, par extension, le clystère en vient à désigner, tout comme la Poire, le régime politique de la monarchie de Juillet[211].

Ah ! docteur, ce maudit siège m’a fait bien du mal, publiée le dans La Caricature, peu après l'insurrection républicaine à Paris en juin 1832 ayant conduit le gouvernement à décréter l'état de siège, montre un roi affaibli et constipé, qu'un clystère ne suffit pas à soulager[212]. Ce dernier instrument, qui avait été l'arme du gouvernement y est ainsi retourné contre le roi[213]. Dans Machine législatifère de la monarchie représentative, ornée de ses trois pièces principales et de tous ses menus accessoires, qui reprend sous la signature de Daumier la représentation du roi en tant que poire dans le bois gravé Les Poires, le clystère est également associé à la figure de la Poire pour symboliser le régime tout entier.

Les connotations phalliques associées à la poire apparaissent dans d'autres caricatures où elles sont associées à des sous-entendus agressifs de castration ou de sodomie.

Une caricature sans titre de Daumier publiée le dans La Caricature où elle est décrite comme ayant un « langage baroque, trivial, et pourtant clair et expressif »[152], montre la pendaison d'une poire qui a, selon Cuno, une « qualité phallique » évidente[197]. Ecce homo, inspirée d'une eau-forte homonyme de Rembrandt, est aussi une parodie de l'accolade supposée de l'hôtel de ville, où La Fayette est remplacé par le fou de La Caricature et les panses des balustres du balcon par des poires. Cette lithographie évoque pour Cuno une privation de masculinité et suggère une situation de sodomie[214].

Au total, affirme Cuno, l'association du roi et de la poire met tantôt l'accent sur une dimension masculine et tantôt sur une émasculation[215], sans qu'il y ait là pour autant une contradiction : c'est précisément le comportement agressif et « phallique » du roi (la répression des mouvements populaires, les tentatives de censure) qui, selon ce qu'espèrent Philipon et les dessinateurs de La Caricature, vont se retourner contre lui et entraîner sa perte de pouvoir, sa « castration »[216].

Représentation graphique du juste-milieu

Selon plusieurs auteurs, la Poire est une représentation graphique du juste-milieu, assortie de « connotations aussi douteuses que le conservatisme, la médiocrité, l'étroitesse d'esprit et le manque de fermeté ou de principe »[5]. L'expression de « juste-milieu » définit la ligne politique de la monarchie de Juillet, telle que formulée par Louis-Philippe en janvier 1831 :

« Sans doute la révolution de Juillet doit porter ses fruits ; mais cette expression n'est que trop souvent employée dans un sens qui ne correspond ni à l'esprit national, ni aux besoins du siècle, ni au maintien de l'ordre public […] Nous chercherons à nous tenir dans un juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal[217],[218]. »

Cette politique, censée se traduire par un pacifisme pragmatique à l'international et une modération prudente à l'intérieur[219] et visant à réaliser « une monarchie sans royalisme, une oligarchie sans aristocratie, un état progressiste sans libéralisme »[220], mécontente aussi bien le parti du mouvement que le parti de la résistance[221].

La forme de la Poire dérive, selon Albert Boime, d'une caricature du juste-milieu, elle-même inspirée par celle du bourgeois. Celui-ci est représenté par Henry Monnier — qui crée la même année Monsieur Prudhomme — dans la première lithographie du premier numéro de La Caricature, comme Une victime de l'ancien système. Ce soutien du régime dirigé par Louis Philippe[118], est formé graphiquement par « la synthèse d'un épicier étroit de la tête et d'un ventru gras du bas », il se dessine « tout naturellement selon une silhouette piriforme »[222]. La Victime de l'ancien système (et profiteuse du nouveau) que représente cette lithographie évoque tant une chanson célèbre de Béranger, Le Ventru (1818)[223], que la caractérisation de la royauté bourgeoise comme « système pansu » par Chateaubriand[224].

Boime estime que la planche lithographiée intitulée Le Juste Milieu, publiée sous la signature de Philipon vers 1830, est déjà une représentation graphique du caractère « oxymorique » de la notion de roi citoyen ou de roi bourgeois, le costume hybride du personnage représenté « suggérant une adhésion superficielle aux principes républicains tout en trahissant de lourdes prétentions royales, soulignées par le drapeau blanc des Bourbons, placé sous son gilet là où devrait être son cou »[225]. Le Men note que le personnage représenté, « bardé de croix et de rubans, [y] devient un objet sans visage portant une cravate qui s'effile en poireau »[226]. Selon Fabrice Erre, il y a une « convergence graphique des trois éléments constituant la monarchie de Juillet : sa base sociale, son idéologie et son souverain »[227], cette convergence facilitant une « dégradation piriforme »[228]. Selon Boime, la Poire incarne parfaitement le juste-milieu : « elle est arrondie à une extrémité, allongée et plus étroite à l'autre, d'une forme à mi-chemin entre la sphère et l'ellipse. Elle est par conséquent indéfinie, dans un état constant de transition entre deux extrêmes »[225].

Plusieurs auteurs font du Juste Milieu de Philipon le prototype de la Poire et rapprochent cette caricature de celle de la Victime de l'ancien système par Henry Monnier. Albert Boime, de son côté, rapproche Le Juste Milieu du portrait de Louis-François Bertin par Ingres, qu'il considère comme la « contrepartie dans la vie réelle » de cette caricature[229],[230].

Le lien privilégié entre Louis-Philippe et son électorat bourgeois est symbolisé par le bonnet de coton en forme de poire que porte le roi dans Naissance du juste milieu de Grandville et Eugène Forest, ce bonnet étant par ailleurs fréquemment associé à la figure de l'épicier.

La caricature de Grandville et Forest parodie la Naissance d'Henri IV exposée au salon de 1827 par Eugène Devéria. Le recouvrement des murs du fond par un drapeau tricolore donne à penser que le juste-milieu n'est qu'un déguisement de la continuation des vieilles valeurs monarchiques[231], tandis que le clystère tenu par le maréchal Lobau et le geste menaçant du nain Adolphe Thiers à l'égard du coq gaulois suggèrent des menaces pour la liberté[232].

Le sens de la Poire s'élargit ensuite graduellement pour représenter non seulement l'idéologie du système de la monarchie de Juillet, mais ce système lui-même.

La Poire et ses pépins de Bouquet en 1833 montre le corps royal tout entier, pris dans sa dimension symbolique, pour représenter un système dont profitent les pépins[155]. Bien que la planche soit présentée comme « assez claire pour qu'il soit inutile de l'expliquer »[233], on ne sait si les pépins y évoquent « la famille royale blottie autour d’un trésor là où auraient dû se trouver les pépins »[234] ou les membres du gouvernement, considérés comme des profiteurs[235]. Pot de vin, arrestations arbitraires, mitraillades, transnoninades, elle couvre tout de son manteau représente, selon Elise Kenney et John Merriman, un des développements les plus articulés du thème de la Poire : elle est charnue, molle, trop mûre ; le toupet est résumé à un pédoncule ; les hanches généreuses, soulignées par des traits concentriques, donnent à imaginer un derrière imposant ; les souliers royaux donnent une touche d'incongruité ; son ample cape abrite tous les ministres[236].

La Poire en tant que blague

Les possibilités satiriques de la poire sont exploitées dès avant les croquades de Philipon. Un article du Figaro du affirme ainsi : « Entre la poire et le fromage le peuple demande pour juste milieu la liberté »[237],[238]. Après la popularisation de la Poire, la satire trouve dans cette comparaison un « réservoir inépuisable de bons mots »[239], exploré, selon Fabrice Erre, « avec frénésie sur un temps très court, ce qui lui a permis de s'imposer comme un motif efficace, donc légitime »[240]. Ainsi, dans le seul Figaro de janvier 1832, le lecteur subit presque quotidiennement une « indigestion de poire »[241].

Ces plaisanteries renouvelées sont en partie dues aux effets inattendus que permet la métaphore fruitière et qui sont également exploitées sur le plan graphique.

Mr Montaugibet en pâtissier gâte-sauce montre le ministre Camille de Montalivet en mauvais cuisinier, au visage piriforme, portant un bonnet piriforme et une chemise ornée de poires, qui sert une poire sur laquelle est écrit « état de siège » par référence aux émeutes de juin 1832, garnie d'une sauce aux pruneaux (par référence à Victor Prunelle, maire de Lyon) et au persil (par référence à Jean-Charles Persil, procureur général). L'image se prête aussi à d'autres lectures : une invitation à dévorer le fruit, une assimilation de l'offre de fruits à celle de faveurs sexuelles ou un parallèle avec Philipon en tant que maître de l'art d'accommoder la Poire[254]. Dans le même registre, Du pain! Garçon! Une poire pour 221 se réfère au ministre Charles Dupin et aux 221 députés de la Chambre, assis à l'arrière-plan, auprès desquels le roi se tient debout.

La plaisanterie graphique est appuyée et soulignée par la légende des caricatures ou par leur commentaire, publié en même temps dans le périodique, qu'il s'agisse de La Caricature ou du Charivari, l'invention langagière y répondant à l'invention graphique. Ainsi le projet d'un monument « expia-poire » de Philipon en 1832, destiné à être érigé sur la place de la Concorde[N 9], qui vaut à son auteur un nouveau procès pour provocation au meurtre, une accusation dont il se défend à l'audience en rétorquant qu'il s'agit tout au plus d'une « provocation à la marmelade »[255]. De même, l'Élévation de la poire de Grandville en 1833 donne prétexte à des commentaires sur le culte « adoripoire ».

Le projet de monument « expia-poire » est décrit par Philipon comme celui d'une « statue au Juste-Milieu » : « Une poire colossale sur un piédestal bien simple, bien bourgeois ; et sur ce piédestal l'addition suivante gravée en lettres de sang 27 [+] 28 [+] 29 [(soit les Trois Glorieuses)] [=] 00 […] Ce monument sera érigé sur la place de la Révolution, non pour établir le moindre rapprochement, mais pour rappeler à tout le monde que les journées populaires ont quelquefois un autre résultat que zéro, et qu'il y aurait de l'imprudence à recommencer un calcul comme celui du piédestal »[256]. Quant au culte « adoripoire », son commentaire précise qu'il « remonte à l'an 1830 de l'ère chrétienne, il prit naissance sous le règne de Louis-Philippe, premier et dernier du nom, dit le Presque-Téméraire, et fils de Philippe-Égalité le régicide […] Son dieu fut un veau d'or représenté par une poire d'argent […] Le pape officie, il est assisté de deux ministres de sa religion, nommés Thi… et Guiz… ; l'autel est orné de chandelles hydrauliques, propres à rappeler un des miracles du dogme, la transformation d'un maréchal d'armée en apothicaire ; la messe est servie par les notabilités adoripoires »[257].

La Physiologie de la poire[258], publiée en 1832 par Sébastien-Benoît Peytel sous le pseudonyme de « Louis Benoît jardinier », sur 270 pages et « dans un médiocre format in-trente-deux »[259], est une « énorme blague »[260], un texte excentrique en même temps que politique et séditieux[261], où l'auteur tisse « une toile de commentaires mordants sur Louis-Philippe, son entourage familial et le régime politique de la monarchie de Juillet »[260] et qui représente, selon Fabrice Erre, « l'exercice le plus complet » d'exploitation des possibilités satiriques offertes par la Poire[240]. Dans la préface, Peytel rend hommage au travail de La Caricature, comparé pour sa portée et sa rigueur scientifique aux publications scientifiques les plus sérieuses[262] :

« Les rédacteurs de cet important recueil sont évidemment de grands naturalistes. Ils se sont occupés bien avant nous de la culture du Poirier et de l´histoire physiologique de la Poire. Ils ont constamment accompagné leur texte de planches noires ou coloriées, toutes démonstratives, expressives, explicatives[263]. »

Peytel substitue la poire au roi pour tenir un discours apparemment détaché de toute référence politique[264], où « la poire devient le réel de référence et la royauté une simple copie dont le texte s’évertue à démontrer la fidélité au modèle »[265]. Il pousse à ses limites, sur le mode humoristique, la démarche physiognomonique alors très en vogue, tout en déplorant de n'avoir « pu réussir à trouver la physionomie de la poire dans le grand ouvrage de Lavater, lequel, à la vérité, n'a pas eu la prévoyance de s'occuper de celle-là »[266], en suggérant que « la tête est une sorte de condensé du corps tout entier », qui « signale le ventre » de même que « le ventre signale la tête »[267].

La page de titre et la dernière page de la Physiologie de la poire sont ornées de vignettes dessinées par Grandville et gravées sur bois par Cherrier. La seconde reprend dans un format réduit Réception par les deux poirivores, une lithographie de Grandville et Forest publiée à peu près en même temps, en novembre 1832, dans La Caricature dont le commentaire dit : « Cette réception, c'est un rêve, un cauchemar poiréiforme […] Figurez-vous la poire suprême recevant toutes les variétés de l'espèce. À sa droite, je vois […] la poire à gober se dandiner gauchement à côté du gros martin sec. À la gauche du fruit principal, je vois […] la poire de Naples. Autrefois je voyais la poire d'amour, elle n'y est plus[268]. »

Comme le relève Nathalie Preiss, « l'énorme blague » de la Poire n'est pas seulement constituée de plaisanteries sur Louis-Philippe, mais aussi de la reconnaissance, voire du démasquage, de celui-ci en tant que blagueur[80],[269].

Dans Oh c'te tête, la vérité sort de la bouche des enfants qui reconnaissent la Poire sous un masque qui pourrait être celui d'un des ministres caricaturés par Daumier dans Masques de 1831. Dans Ah je te connais Paillasse, le roi-poire est représenté en Paillasse, un personnage associé à la farce[270], par Philipon, lui-même déguisé en fou, tandis que Louis Desnoyers trace dans son dos le signe de reconnaissance de la Poire[271].

Mais la blague au XIXe siècle est, selon Preiss, avant tout une tromperie : « Le blagueur désigne le vantard, le hâbleur […] Tout l'enjeu de la blague réside dans le déplacement du couple attendu « mensonge - vérité » vers le couple « plein - vide ». La blague cache moins une présence qu'elle n'exhibe une absence »[80]. En ce sens, ajoute-t-elle, le blagueur politique est « moins l'hypocrite qui cache une présence que le bateleur qui exhibe une absence, si bien incarnée par la fameuse poire-blague Louis-philipparde pleine de vide »[80].

À travers les figures de la prestidigitation et de l'escamotage, les caricatures représentent ce que Jean-Eugène Robert-Houdin théorisera quelques années plus tard en tant qu'illusionnisme, « l'égarement de l'esprit » et « le détournement de l'attention »[272].

Ségolène Le Men suggère que l'articulation du plein et du vide dans la figure « approximativement sphérique » de la poire est le développement d'une idée déjà présente dans la caricature des Bulles de savon, celle d'une « boursouflure », d'une « enflure creuse »[27]. Nathalie Preiss, se référant à la même gravure des Bulles de savon, estime que ce qu'exprime la Poire, c'est « le déplacement du couple faux-vrai vers le couple plein-vide »[80], et par suite « l'inanité d'un pouvoir qui ne repose sur rien »[273]. Selon elle, dans l'identification de Louis-Philippe en tant que blagueur, « il s'agit de dénoncer […] l'inanité même du discours et du projet politiques »[73].

Bien que produites dans le contexte particulier des allégations gouvernementales de complot républicain en 1834, les caricatures de Daumier et Traviès renvoient aux Bulles de savon de Philipon de 1831[274] et par conséquent à la nature de blague de la monarchie de Juillet, comparé à l'Ancien Régime et à l'Empire dans la caricature de Gavarni[80],[275].

Au total, la monarchie de Juillet ne serait ainsi qu'une blague, une « enflure du vide »[276] et la Poire, son emblème[277], qui non seulement anéantit la distinction entre le corps symbolique du roi et son corps physique, lui faisant ainsi perdre le « fondement sacré » de son pouvoir[150], mais « représente le rien », le jeu entre illusion et réalité ayant « laissé la place au simulacre, qui s'en joue »[80].

Développement de la Poire

Prolifération

La Poire est principalement publiée dans La Caricature et Le Charivari, deux périodiques au lectorat relativement limité : le premier est distribué à moins de mille et la seconde à moins de trois mille abonnés, qui sont pour la plupart des collectionneurs relativement fortunés[278],[279],[280]. Elle passe ensuite de la « sphère publique bourgeoise » à la « sphère publique plébéienne »[281] par le truchement des mentions dans la « petite littérature » (articles de journaux, pièces éphémères, etc.)[282] et surtout des planches lithographiées tirées à part, affichées aux vitrines de la Maison Aubert, devant lesquelles le public doit « se bousculer, presque s'étouffer »[283].

Faut avouer que l’gouvernement à une bein drôle de tête, une lithographie de Traviès en décembre 1831, au demeurant saisie[167], montre un attroupement de badauds devant une caricature de poire à la vitrine de la Maison Aubert. Cette image est réutilisée en 1834 dans une version modifiée où le roi, dans un « rapport spéculaire »[80], est son propre spectateur. Le commentaire de cette dernière précise : « La Caricature a […] son exposition de peinture […] qui fait stationner […] une si grande foule de curieux devant le magasin d'Aubert […] Ce ne sont pourtant que des rochers, des volcans, des sacs de blé, des armoiries, des buffets, des maisons, des brioches, des raisins, des poires, des tonneaux, etc.[284]. »

Ces planches sont également vendues dans les rues par des crieurs[278]. Des rapins et des étudiants, familiers de la Caricature, gribouillent ensuite la Poire sur les murs[287]. Frances Trollope, décrivant en 1835 la prolifération sur les murs de Paris de poires « de toutes les grandeurs et de toutes les formes », y voit « l'emblème du mépris des jeunes étudiants pour le monarque régnant »[288]. Les murs du quartier latin, en particulier, sont ornés d'un « luxe de poires » charbonnées, dont un bon nombre sont suspendues à des potences[289]. Elle est ensuite reprise par les gamins de Paris. Fenimore Cooper dénombre « quelques milliers de poires [qui] sont dessinées à la craie, au charbon, ou d'autres substances, sur les murs de la capitale »[84] et Alexandre Dumas se souvient que « tous les murs de Paris étaient couverts de cette ressemblance grotesque »[290]. De même, La Caricature fait état à plusieurs reprises de la prolifération des graffitis de poire sur les murs de Paris[291], qui procure à Philipon un « légitime sentiment de vanité paternelle »[292].

Les Poires tracées sur les murs par des gamins, que représentent les caricatures de Bouquet et Traviès, donnent lieu à une anecdote rapportée par Hugo dans Les Misérables : « Un soir d’été, Louis-Philippe, rentrant à pied, en vit un, tout petit, haut comme cela, qui suait et se haussait pour charbonner une poire gigantesque sur un des piliers de la grille de Neuilly ; le roi, avec cette bonhomie qui lui venait de Henri IV, aida le gamin, acheva la poire, et donna un louis à l’enfant en lui disant : La poire est aussi là-dessus[293]. »

Elle se répand ensuite dans toute la France[294],[295]. Un journaliste note :

« La poire symbolique a fait éruption hors des barrières de la capitale ; elle voyage, elle parcourt la France ; on la retrouve à tous les relais des grandes routes, à tous les carrefours des chemins. Le voyageur étranger qui aborde nos frontières reconnaît, à la présence de ce fruit allégorique, crayonné sur les murs, qu’il touche la terre de France[296]. »

Gustave Flaubert la retrouve même sur la pyramide de Khéphren[297].

Le griffonnage de la Poire est à l'époque une pratique si familière que Flaubert lui-même s'y livre dans ses manuscrits, tout comme Hugo et Stendhal[298].

Extinction

Certaines caricatures de la Poire sont perçues comme un « appel au meurtre »[299] par la presse gouvernementale qui y réagit fortement.

Ah ! scélérate de poire pourquoi n’es tu pas une vérité ! de Traviès, publiée le dans La Caricature et qui fait référence au propos de Louis-Philippe en 1830, « La Charte sera désormais une vérité », montre un Mayeux « poiricide »[300]. La poire y a une forme « priapique » qui donne à la caricature le sens d'une castration[214],[301]. Le sujet de Ah ! scélérate de poire pourquoi n’es tu pas une vérité ! est ainsi repris en 1832 dans une caricature de Michel Delaporte publiée par La Charge, un journal satirique pro-gouvernemental se voulant l'antithèse de la Caricature[302], sous le même titre de Poiricide. Elle s'analyse comme une dénonciation des outrances de Traviès : elle représente Mayeux poignardant le roi par derrière. Le chapeau à terre, dont émerge une feuille de papier sur laquelle un bonnet phrygien est dessiné, suggère l'attribution du régicide à venir aux républicains, tandis que de l'autre côté, un chien urine sur une affiche représentant un homme poignardant une poire[302],[303].

Par ailleurs, en 1833 et 1834, plusieurs cortèges satiriques utilisent la Poire dans un contexte politiquement tendu[304]. En 1833, à Paris, « une énorme Poire », haute de douze pieds et large de huit, défile « majestueusement », saluée par le « fou rire » du public. Mais lorsque la police la somme de se retirer, la plaisanterie dégénère, la Poire est brûlée publiquement et l'incident donne lieu à plusieurs arrestations, la police voulant, selon les journaux qui rapportent l'évènement, y « voir à toute force une allégorie »[305],[306],[307]. Un incident similaire a lieu l'année suivante à Marseille, à l'occasion de la « promenade d'une Poire monstrueuse » et le « désordre » fait des victimes[308],[309].

De son côté, le gouvernement cherche par tous les moyens à faire échec à la Poire. Comme le rappelle Philipon en 1846, « je ne compte plus les saisies, les mandats d'arrêt, les procès, les duels, les injures, les attaques et les taquineries de tous genres »[83]. En janvier 1834, le préfet de police de Paris demande l'acquittement d'un droit de timbre sur les caricatures vendues à la planche par des crieurs publics[310]. En février 1834, cette mesure est confirmée par une loi qui instaure également une autorisation préalable[311]. Le « hideux cachet »[312] a notamment pour effet de contraindre Philipon à suspendre en septembre 1834 la publication des planches de l'Association mensuelle lithographique qu'il vendait sur abonnement à des collectionneurs[310],[313]. L'attentat de Fieschi, en juillet 1835, offre finalement un prétexte pour faire voter une loi sur la presse soumettant la publication de caricature à autorisation préalable. Le rapporteur du projet évoque notamment des « gravures obscènes », des « images qui font la honte des dessinateurs » en « profanant l'art du dessin » et un « danger pour les mœurs des familles »[314]. La loi s'appuie sur le motif « quasi magique »[315] que « la Charte n'avait interdit la censure qu'à l'égard des écrits et pour la manifestation des opinions »[316], alors que la caricature n'est pas la manifestation d'une opinion mais « un fait, une mise en action, une vie »[317],[318].

Cette loi contraint Philipon à cesser la publication de La Caricature, comme il l'annonce au lecteur dans le dernier numéro du périodique, le  :

« Il a fallu pour briser nos crayons une loi faite exprès pour nous, une loi qui rendît matériellement impossible l’œuvre que nous avions continuée malgré les saisies sans nombre, les arrestations sans motif, les amendes écrasantes, et malgré de longues captivités[319]. »

Le dernier numéro de La Caricature reproduit les articles de la loi qui la musèle sous forme de calligrammes, un procédé typographique déjà employé dans Le Charivari en février 1834, pour reproduire le texte d'un arrêt condamnant le journal, et en mai 1835 pour un numéro spécial consacré à la saint-Philippe, fête du roi et de Philipon. Comme l'observe Ségolène Le Men, la poire a dans ces calligrammes tantôt le statut d'un emblème et tantôt, d'un portrait qui, « semblable à un acte manqué de l'ouvrier typographique » n'existe « que dans l'inconscient typographique », cette « fonction conative » laissant au spectateur la charge de se représenter la physionomie royale, exonérant de toute responsabilité l'imprimeur et le rédacteur et parcourant en sens inverse le cheminement des croquades[320],[313].

Postérité

« La poire est mûre » est un mot d'ordre de la révolution de février 1848, comme l'atteste un billet reçu par Frédéric Moreau, le héros de L'Éducation sentimentale[321],[322]. La Poire est de nouveau mobilisée contre le roi fuyard, « jouant sur les sobriquets et les graffitis bien connus de la population »[323] malgré treize ans d'absence, et de nombreuses planches lithographiques exploitent ce thème[324].

La légende de la première caricature précise : « Le soleil de Juillet qui l'avait trop mûrie et dorée, en avait fait une Poire grasse, l'orage de Février la fit Poire molle, ce qui prouve qu'elle n'était pas de conserve. » La seconde montre Louis-Philippe en Poire tapée (par référence humoristique à une expression désignant une technique de conservation des poires par séchage) qui fuit une foule en colère tandis que des pièces d'or s'échappent de son sac.

La Poire est réutilisée une dernière fois en relation directe avec son sens original, en 1871, contre Adolphe Thiers pour souligner ses anciennes sympathies orléanistes[325].

Ces caricatures, publiées dans le contexte des élections de 1871 rappellent le rôle joué par Adolphe Thiers durant la monarchie de Juillet dont elles exploitent l'emblème. Dans la première, Thiers propose au spectateur la Poire tandis que les héritiers de Louis-Philippe, représentés par cinq autres poires, sont présentes à l'arrière-plan[326]. Dans la seconde, Thiers est présenté comme un faux républicain, cherchant à « servir » aux électeurs une Poire monarchique[327].

La Poire réapparaît enfin sous les traits du Père Ubu, créé par Alfred Jarry en 1896, non plus dans un but proprement caricatural mais « comme le symbole d'un roi sans aura et comme le rappel intertextuel d'une image subversive »[328] dont les grimaces évoquent, pour le critique Henry Bauër qui soutient la pièce lors de ses premières représentations, « les béatitutes du père La Poire et de la dynastie de Juillet »[329].

Elizabeth Menon souligne que tant l'aspect piriforme que la dimension scatologique du Père Ubu renvoient aux versions de la Poire données par Traviès et Daumier[330]. Elle en veut pour preuve l'épigraphe rabelaisienne[331] d'Ubu roi, qui évoque le branlement de la Poire dans La Tête branlante, une lithographie de Daumier  : « Adonc le Père Ubu hoſcha la poire, dont fut depuis nommé par les Anglois Shakeſpeare, et avez de lui sous ce nom maintes belles tragœdies par eſcript[332]. »

Le motif de la poire se diffuse ensuite autour de Jarry. Erik Satie intitule une de ses compositions Trois morceaux en forme de poire et Man Ray représente cette dernière dans un tableau[333], une lithographie[334] et un ready-made[335] où la poire « trône, immobile et insolite »[329]. Un autre proche de Jarry, Guillaume Apollinaire, est identifié à la poire : Paul Léautaud note dans son journal s'être moqué « du style Louis-Philippe [du poète], à cause de son visage joufflu, en poire »[336] et Pablo Picasso le caricature en poire[337],[338]. En outre, comme l'observe Ségolène Le Men, le remploi par Jarry du signe de la Poire, détaché du portrait de Louis-Philippe, préfigure à son tour son utilisation par les peintres du XXe siècle, notamment Victor Brauner[339],[340], Vassily Kandinsky[341], Joan Miró, pour lesquels ce signe détient « une forte présence plastique, associée aux graffitis obscènes et aux dessins d'enfants, de même qu'à la stylisation expressive de la silhouette et du visage »[342] et René Magritte qui, entre 1947 et 1952 introduit à plusieurs reprises le signe de la Poire dans ses oeuvres, en particulier Le Lyrisme[343]et Alice au pays des merveilles[344].

À la fin du XXe siècle, le motif de la poire est exploité à plusieurs reprises par des caricaturistes pour représenter des personnalités politiques: dans les années 1970, Philip Guston l'utilise contre Richard Nixon[345] ; dans les années 1980, Hans Traxler contre Helmut Kohl[346] ; dans les années 1990, Wiaz contre Édouard Balladur[347] ; et au début du XXIe siècle elle est à nouveau utilisée pour moquer François Hollande[348]. Fabrice Erre en tire la conclusion que la Poire est un signe graphique destiné à souligner l'inflexion bourgeoise d'une politique, parvenu à maturation durant la monarchie de Juillet, mais qui n'a rien perdu depuis de son efficacité[349].

Notes et références

Notes

  1. a et b Tout comme le terme plus ancien et démotivé de croquis, croquade désigne le fait de croquer, de dessiner rapidement sur le vif, à l'instar du dessin de Marie-Antoinette conduite à l'échafaud par Jacques-Louis David[1]. Sous la monarchie de Juillet, le terme a le sens de « croquis fait à moins de frais encore qu'un croquis »[2], avant de prendre à la fin du XIXe siècle celui de « croquis spirituel librement, vivement enlevé »[3]. .
  2. L'historien Massimo Montanari estime que, du Moyen Âge au XVIIe siècle, la poire est associée « à l'urbanité civile, à l'aristocratie : sa fragilité, sa délicatesse, sa courte période de maturité de consommation […] nourrissant Ia culture aristocratique de la collection »[16]. Selon cet auteur, des connotations érotiques se sont ajoutées à l'image raffinée et socialement élevée de la poire, notamment avec le motif de l'échange de fruits entre amants, par exemple dans le sonnet de Tommaso Campanella intitulé « Sur un cadeau de poires envoyées à l'auteur par sa maîtresse et qui avaient été mordues de ses dents »[17].
  3. « Poire » ne figure pas dans le Dictionnaire grammatical du mauvais langage ou Recueil des expressions et des phrases vicieuses usitées en France et notamment à Lyon d'Étienne Platt (1805) ; le Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux de L. Platt (1835) ; et le Dictionnaire érotique moderne d'Alfred Delvau (1853)[24]. Il en va de même du Dictionnaire du bas-langage ou des Manières de parler usitées parmi le peuple (1809) ; du Dictionnaire d'argot, ou Guide des gens du monde (1827) ; et du Nouveau dictionnaire d’argot de Bras-de-fer (1829). En revanche, des dictionnaires d'argot de la fin du XIXe siècle donnent à « poire » le sens de « tête ». Tel est le cas du Dictionnaire d'argot moderne de Lucien Rigaud (1881) ; du Dictionnaire d'argot fin-de-siècle de Charles Virmaître (1894) ; ou du Dictionnaire d'argot de Gustave-Armand Rossignol (1901).
  4. La vignette est republiée en planche lithographiée en août 1830, avec le sous-titre « Portrait déclaré ressemblant à Charles X par jugement du tribunal de police correctionnelle », puis dans le dernier numéro de La Silhouette, en janvier 1831[58].
  5. Ayez pitié d'un pauvre aveugle de Philipon, la première lithographie politique commercialisée par la Maison Aubert, en août 1830, se vend à plusieurs milliers d'exemplaires[52] et fait l'objet de quatre tirages[66].
  6. Sègolène Le Men, tout en estimant que l'argument du signe arbitraire est une « feinte » souligne qu'il s'inscrit dans le contexte des réflexions romantiques[128] sur la transformation du signe analogique en signe arbitraire[27].
  7. Lavater affirme qu'il est « sûr qu'un gros ventre n'est pas un signe positif de l'esprit ; il dénote plutôt une sensibilité toujours nuisible aux facultés intellectuelles »[149].
  8. Selon Loÿs Delteil, la date de dépôt légal est le [169].
  9. a et b Louis XVI avait été décapité sur la place de la Concorde, que Louis-Philippe avait fait réaménager en y plaçant l'obélisque[170].
  10. Le premier état de Gargantua porte, en haut, au-dessus du titre, « La Caricature » et en bas, à droite, « On s'abonne chez Aubert », alors que dans le deuxième état ces mentions ont disparu[169],[173].
  11. Dans un mémoire adressé au roi pour faire appel de sa condamnation, Daumier présente Gargantua comme un « dessin inoffensif » et se présente obséquieusement comme le « très humble, très fidèle et très obéissant sujet » de Louis-Philippe[178], alors qu'il vient de publier dans La Caricature, en février 1832, la planche intitulée Très humbles, très soumis, très obéissants ... et surtout très voraces Sujets.
  12. Cuno emploie le terme anglais prick.
  13. La représentation d'un cauchemar politique à la manière de Füssli était à l'époque un trope de la caricature anglaise[202],[203], ce dont témoignent The Night Mare de George Cruikshank (1816) ou John Bull's Night Mare de Robert Seymour (c. 1828). La version de Daumier fait au demeurant l'objet d'un remploi par Alexandre Casati dans Le Cauchemar de la poire (1833), qui joue sur les connotations phalliques du bonnet phrygien[204], précédemment exploitées dans une gravure de Piat Sauvage en 1793, le Le Cauchemar de l'aristocratie[205].
  14. Le terme employé par Cuno est screwed.

Références

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Annexes

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Articles connexes

Lien externe

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