Eugène Devéria est le fils de François-Marie Devéria, chef de bureau au ministère de la Marine et Désirée François-Chaumont, originaire de Saint-Domingue, dont la famille a été ruinée par la Révolution. La famille Devéria compte cinq enfants : Achille, Désirée, Octavie, Eugène et Laure.
Cette grande famille, mais aux revenus modestes, est rapidement prise en charge par Achille, dont les talents d’illustrateur et le travail acharné assurent des rentrées financières régulières. C'est une famille d’artistes avec, non seulement Achille et Eugène, mais aussi Laure, la benjamine, qui montre un réel talent de dessinatrice et expose avec succès au Salon. Elle meurt prématurément au mois de . Dans les années 1820-1830, le foyer parisien des Devéria attire artistes et musiciens : « Le romantisme était chez lui chez les Devéria comme on disait alors… », se souviendra des années plus tard le poète Théophile Gautier, grand ami d’Eugène.
Eugène Devéria montre des dispositions précoces pour le dessin ; son frère Achille, dont il fut l'élève, le fait d’abord entrer aux Beaux-Arts de Paris, où il étudie, sous la direction de Girodet-Trioson et de Guillaume Guillon Lethière. La seule Académie connue de l'artiste est conservée au Musée Bertrand à Châteauroux[1].
Les premiers envois d’Eugène Devéria au Salon datent de 1824, ils y sont peu remarqués. En 1827, en revanche, son tableau monumental La Naissance d'Henri IV connaîtra un triomphe. Son atelier était situé rue de l’Est no 7[2](voir : boulevard Saint-Michel no 115), dans la maison du statuaire Cartellier, où logeait également le sculpteur Louis Petitot; l’artiste occupait l'atelier du quatrième étage[3] qu'il partageait avec Louis Boulanger, celui-ci achevait son Mazeppa, pendant qu’Eugène travaillait à sa Naissance d'Henri IV[4]. Eugène qui fréquente assidûment Victor Hugo depuis 1824 avec son frère Achille, s’est inspiré, pour le sujet de son tableau, d’une nouvelle d’Abel Hugo, frère de Victor, parue dans Le Conservateur littéraire en 1820.
Eugène Devéria est, à cette époque, l'un des plus beaux espoirs du romantisme naissant. Nul début ne fut plus brillant ni ne fit de telles promesses. On put croire justement, quand fut exposée la Naissance d'Henri IV, que la France allait avoir son Paul Véronèse et qu’un grand coloriste était advenu. « L’artiste qui commençait par ce coup de maître avait vingt-deux ans à peine… », écrit Théophile Gautier en 1874 dans son Histoire du romantisme.
À la suite de ce succès, le jeune peintre reçoit de nombreuses commandes officielles : un tableau, destiné au plafond d'une salle du Louvre, intitulé Puget présentant son Milon de Crotone à Louis XIV[5] - il change d'atelier, de la rue de l'Est, il s'installe en 1833 rue Notre-Dame-des-Champs no 27, non loin de l'atelier de son frère Achille no 45[6] - des portraits de personnages historiques pour le musée de l’Histoire de France que Louis-Philippe veut créer à Versailles ; il participe au chantier de l’église Notre-Dame-de-Lorette à Paris et à celui de Fougères en Bretagne… Mais le triomphe de 1827 ne se renouvelant pas, il accepte, en 1838, la proposition de quitter la capitale pour Avignon, où on lui propose de refaire tout le décor peint de la cathédrale Notre-Dame-des-Doms. L’ampleur de la tâche, l’insalubrité des lieux et une dramatique inondation -- où il manque périr avec sa famille -- épuisent le peintre qui, malade et affaibli, quitte la ville papale pour se rétablir en Béarn. À Orthez, il crayonne le portrait de deux protestants localement notoires chez qui ils se rend plusieurs fois : le pasteur Jacques Reclus et son épouse Zéline. En 1849 il fera le portrait de leurs fils Élisée Reclus[7].
En 1841, guéri, il s’installe définitivement à Pau où il restera jusqu’à sa mort. Il y fera venir sa famille : son épouse Caroline-Aglaé Lavie du Rauzel (ou Durauzel, 1793-1863)[8], une créole qu’il connaît depuis de nombreuses années mais qu’il n’a épousée qu’en ; sa fille Marie (1831-1856)[9] et sa nièce Carry Chaumont, qu’il élèvera comme son propre enfant. En 1845, un autre de ses neveux, Théodule, vient rejoindre pour plusieurs années cette famille recomposée. Pour subvenir aux besoins de son foyer, Eugène Devéria donne des cours de dessin, réalise des portraits de riches hivernants à Pau ou, pendant l’été, se rend dans la station thermale des Eaux-Bonnes, proposant aux curistes portraits et petites scènes pittoresques. Il consacre beaucoup de ses œuvres aux Pyrénées, scènes de genre et portraits. Parallèlement, il poursuit de façon régulière ses envois de tableaux à Paris, où ils sont reçus dans une indifférence croissante. Son dernier envoi au Salon date de 1861 : La Réception de Christophe Colomb par Ferdinand et Isabelle.
La vie n’est pas facile pour le peintre et sa famille ; aussi Devéria n’hésite-t-il pas à chercher fortune à l’étranger, d'abord aux Pays-Bas (1849), puis, à trois reprises, en Angleterre et en Écosse (entre 1849 et 1853), dans l’espoir -- non suivi d’effets -- de séduire une riche clientèle aristocratique. Le peintre retournera aussi à Avignon (en 1856) pour poursuivre le chantier de Notre-Dame-des-Doms (laissé inachevé en 1841). Il y est accompagné de sa fille Marie, son élève ; mais la jeune fille meurt brutalement à son retour en Béarn le . Malgré un second séjour à Avignon (en 1857), Devéria ne pourra terminer ce qui devait être son grand œuvre.
Lorsque le peintre s’est installé en Béarn en 1841, il a recouvré une santé chancelante, mais il a aussi découvert la religion. C'est en effet à Pau qu'un ami lui conseille la lecture de la Bible. Il vient écouter, avec une grande attention, les prédications du pasteur Buscarlet et finit par se convertir au protestantisme en 1843[10]. La religion protestante devient alors, autant que la peinture, le pivot de son existence. Il participe activement à la vie de son Église, à Pau comme à l’étranger : il donne des cours d’École du dimanche aux enfants, visite les malades, parle au temple… Sur son acte d’enterrement, le pasteur Cadier écrit le : « C’était une des colonnes et la gloire de notre Église, le Chrétien modèle, l’ami des enfants, des pauvres, des malades… » Converti fervent et prosélyte, il tente d’amener son entourage à sa nouvelle foi, par la parole et les écrits, exaspérant sa famille, Achille le premier, ainsi que ses anciens amis dont il se coupera progressivement.
Eugène Devéria meurt brutalement à Pau le .
Hommage
Pour le bicentenaire de sa naissance, en 2005, les musées de Pau lui ont consacré diverses manifestations[11].
Les Peaux-Rouges[18],[19],[20],[21],[22]plume et encre noir sur papier, 1845. La Rochelle, musée du Nouveau Monde. Deveria aurait pris ses modèles présentés dans la galerie indienne de l'américain Georges Catlin, salle Valentino à Paris.
Odalisque, plume, encre brune, lavis brun, rehauts de blanc, H. 0,110 ; L. 0,160 m[23]. Paris, Beaux-Arts de Paris[24]. C'est une vision rêvée de la femme orientale. Comme Ingres, Devéria n'a jamais voyagé en Orient, il s'inspire entre autres des écrits de Byron. L'attitude désinvolte et la beauté lascive de son odalisque au centre d'un décor sophistiqué et saturé accentuent l'intimité de la scène.
Rosalie de Voulx (1840-1925) en costume de gitane, vers 1860, pierre noire sur papier vélin, 50 x 32,3 cm, Orléans, musée des Beaux-Arts[25].
Portrait de Mrs Elisabeth Copeland en tenue de deuil, vers 1850-1851, pastel sur papier marouflé sur toile, 51 x 44 cm, Orléans, musée des Beaux-Arts[26].
Notes et références
↑Un athlète (Kork), étude académique, vers 1820, huile sur toile, don de Just Veillat (1813-1866) au musée de Châteauroux en 1864.
↑M. Guyot de Fère, Annuaire des artistes Français, Paris, 1832, p. 67 (en ligne).
↑Henri-François Buffet, En relisant leurs lettres - souvenirs d'enfance (1909-1919) - Éditions Bahon-Rault, Rennes, 1964.
↑M. Guyot de Fère, Annuaire des artistes Français, Paris, 1833, p. 89 (en ligne).
↑Christophe Brun et Federico Ferretti, Elisée Reclus, une chronologie familiale : sa vie, ses voyages, ses écrits, ses ascendants, ses collatéraux, les descendants, leurs écrits, sa postérité, 1796-2015, , 440 p. (lire en ligne), p. 22
↑Isabelle julia, conservateur en chef du patrimoine, « Eugène Devéria », Célébrations nationales, ministère de la culture et de la communication., , p. 140-140
↑En 2017, la galerie La Nouvelle Athènes a fait don au Louvre de trois dessins préparatoires de Devéria pour le tableau, conservés désormais au département des arts graphiques.
↑(en) Alexandre Vassiliev Foundation, « Portrait of a woman », sur www.vassilievfoundation/digitalcatalog
↑D'après la base Joconde qui localise encore ce tableau à Bonn, ancienne capitale de la république fédérale d'Allemagne de l'ouest.
↑Éric Moinet, Le Temps des passions. Collections romantiques des musées d’Orléans, Orléans, musée des Beaux-Arts, (ISBN2-910173-07-0), n°204
↑Éric Moinet, Le Temps des passions. Collections romantiques des musées d’Orléans, Orléans, musée des Beaux-Arts, (ISBN2-910173-07-0), n°205
↑Sous la direction d’Emmanuelle Brugerolles, Le dessin romantique, de Géricault à Victor Hugo, Carnets d’études 50, Beaux-Arts de Paris les éditions, 2021, p 134-136, Cat. 28
↑Dominique Brême et Mehdi Korchane, Dessins français du musée des Beaux-Arts d’Orléans. Le Trait et l’Ombre, Orléans, musée des Beaux-Arts, (ISBN9 788836 651320), n°156
↑Dominique Brême et Mehdi Korchane, Dessins français du musée des Beaux-Arts d’Orléans. Le Trait et l’Ombre, Orléans, musée des Beaux-Arts, (ISBN9 788836 651320), n°157
Voir aussi
Bibliographie
Théophile Gautier, Histoire du romantisme, G. Charpentier et Cie, libraires-éditeurs, 1874
[Alone 1887] Alone (Hernán Díaz Arrieta, Peyre), Eugène Devéria d’après des documents originaux 1805-1865, Paris, Librairie Fischbacher, , 307 p. (lire en ligne)
Maximilien Gauthier, La Vie et l’Art romantiques. Achille et Eugène Devéria, Paris, Floury, 1925.
René Ancely, La Vie pyrénéenne d’Eugène Devéria, Pau, Lescher-Moutoué, 1940.
Dominique Morel, Achille Devéria, témoin du romantisme parisien, Maison Renan-Scheffer, Paris, 1985 (cat. exp.)
Hélène Saule-Sorbé, Pyrénées, voyage par les images, éditions de Faucompret, 1993
Suzanne Tucoo-Chala, « Eugène Devéria : un romantique transplanté en Béarn au milieu du XIXe siècle (1841-1865) », Bulletin de la Société des amis du château de Pau, 137, 1998-2, p. 9-32
Vincent David, Eugène Devéria : La peinture et l'histoire et Eugène Devéria : Variations sur les genres artistiques, Réunion des musées nationaux, Paris, 2005
Paul Mironneau et Guillaume Ambroise (dir.), Eugène Devéria 1805-1865, catalogue des expositions de Pau (-), Paris, Réunion des musées nationaux, 2005
Guillaume Ambroise (dir.), Peintures du XIXe siècle. Musée des Beaux-Arts de Pau, Bordeaux, éditions Le Festin, 2007, notices de quatre tableaux d’Eugène Devéria, p. 68-75