C'est dans le Sud de l'Alsace, dans le Sundgau, plus près de la Suisse, que l'incorporation de force rencontra l'opposition la plus violente. Fuir par les Vosges était risqué, puisqu'au-delà on se retrouvait en territoire occupé où les Allemands pouvaient encore agir, alors qu'une fois la frontière suisse franchie, on était à l'abri. Dès le , avant l'annonce de sa décision, le GauleiterWagner avait déjà pris une ordonnance contre ce qu'il appelait « l'émigration illégale hors d'Alsace ». « Les biens des évadés », annonçait-on, « seront confisqués et leurs parents et ceux qui vivent avec eux seront transplantés en Allemagne ! ». La famille des fugitifs était en effet elle-même susceptible d'être lourdement sanctionnée au titre de la Sippenhaft. Mais cela n'empêcha pas des fuites, puisque le il institua le long de la frontière suisse une zone interdite (Sperrbezirk) de trois kilomètres, élargie encore le suivant.
Description
Après la bataille de Stalingrad et l'incorporation de nouvelles classes le , le mouvement d'évasion s'intensifie, le , ce sont cent quatre-vingt-deux réfractaires qui passent en Suisse. Le lendemain quatre-vingt-six autres les suivent. Mais ces désertions exaspèrent les Allemands qui redoublent de vigilance et, dans la nuit du 12 au 13, un groupe de dix-huit jeunes gens âgés de 17 à 32 ans, partis pour la plupart de Ballersdorf, sont surpris par deux gardes-frontières entre Bisel et Seppois-le-Bas, des coups de feu sont échangés au cours desquels un policier allemand est mortellement blessé. Aimé Burgy[1] est tué dans l'engagement, Charles Wiest est blessé et son frère Ernest-Alphonse[2] qui tente de lui porter secours sont alors faits prisonniers et immédiatement abattus par un garde-frontières[3]. Les autres s'enfuient, mais sont arrêtés chez eux dès le lendemain. Treize d'entre eux sont fusillés le à la sablière du camp de concentration de Natzweiler-Struthof, après un jugement sommaire. Un autre les suit le 24 février, sans avoir été jugé[4]. Il n'y a en définitive qu'un seul survivant, René Grienenberger, qui réussit à se cacher, puis à passer en Suisse[3]. Dès le , toutes les familles des fusillés sont incarcérées au camp de Vorbruck-Schirmeck, puis, plus tard, déportées en Allemagne comme travailleurs forcés.
On lit dans Ma ville à l’heure nazie, journal clandestin tenu par Marie-Joseph Bopp de 1940 à 1945[5] les lignes suivantes datées du :
Une institutrice, détenue elle aussi, résolut de communiquer la triste nouvelle [de l’exécution] aux familles. Elle les réunit le soir dans la salle commune et, avec de grands ménagements, elle leur apprit que leurs enfants étaient morts. Pleurs et cris de désespoir ! Mais un vieillard se lève et dit d’une voix terriblement calme : « Eh bien, nos fils sont morts, ils sont morts pour la France. Vive la France ! » La personne qui me racontait ce fait dit qu’elle avait éprouvé une émotion indicible.
On trouve dans les Strassburger Neueste Nachrichten du [6] un article en allemand qui fait le gros titre de la première page et intitulé : « Wer seinem Volk in den Rücken fällt, ist des Todes (Pour qui agresse son peuple dans le dos, c’est la mort) ». On reproche aux Alsaciens fugitifs d’avoir fui lâchement le travail et le service armé ; un autre article de la même première page fait savoir que « Die Langmut ist erschöpft. Der Verrat wird ausgerottet (Notre patience est à bout : la trahison sera extirpée) » et un troisième essaie de faire comprendre « die Pflicht zu europäischen Selbstbehauptung (le devoir de s’affirmer comme européen) ». Le CRDP de Strasbourg en donne un résumé.
Liste des victimes fusillées au camp de Natzweiler-Struthof
Le 17 février 1943, sont fusillés :
Abt Camille, cultivateur, domicilié et né le à Ballersdorf[7] ;
Boll Aloyse, cultivateur, domicilié et né le à Ballersdorf[8] ;
Boloronus Charles, cultivateur, domicilié et né le à Ballersdorf[9] ;
Brungard Justin, cultivateur, domicilié et né le à Ballersdorf, non majeur pénalement au moment des faits mais considéré comme majeur pénalement en raison de son « développement psychique et mental »[10];
Cheray Eugène, cultivateur, domicilié et né le à Ballersdorf[11] ;
Dietemann Paul, Manœuvre, domicilié et né le à Retzwiller[12] ;
Fulleringer Aimé, étudiant, domicilié et né le à Retzwiller[13] ;
Gentzbittel Robert, Manœuvre, domicilié et né le à Retzwiller[14] ;
Miehé Henri, étudiant, né le à Danjoutin, domicilié à Ballersdorf[16] ;
Peter Paul, cultivateur, domicilié et né le à Elbach[17] ;
Wiest Charles, cultivateur, domicilié et né le à Ballersdorf[18] ;
Wiest Maurice, garçon boulanger à Mulhouse, né le à Ballersdorf[19] ;
Le 24 février 1943 est fusillé le dernier réfractaire de Ballersdorf :
Charles Muller, né le à Ballersdorf, reconnu comme étant faible d'esprit par un médecin psychiatre et dont le jugement a été repoussé, le temps de procéder à une expertise médicale pour savoir s'il est ou non responsable de ses actes. Il est exécuté sans jugement bien qu'il ne soit pas majeur pénalement[20].
Sont exécutés avec lui :
Jaeglé Joseph Henri, né le à Ammerschwihr[21], domicilié à Kaysersberg, fusillé sans jugement pour résistance à l’incorporation de force de son fils[22],[23],[24] ;
Munier Paul, né le à Orbey, condamné à mort pour « résistance au recensement et à l’inspection d’incorporation »[25].
Souvenirs et perceptions
Le massacre de Ballersdorf constitue la trame d’un roman de Hansjörg Schneider « Hunkeler und der Fall Livius »[26] et d’un film policier « Hunkeler et l’affaire Livius » de Stefan Jäger qui se base sur le roman de Hansjörg Schneider.
Le , soixante-dix ans après le drame, a eu lieu à Ballersdorf une cérémonie d'hommage et de réconciliation à laquelle assistait Mme Karin Schäfer, Burgermeisterin (maire) de Rohrenfels-Ballersdorf-Wagenhofen. « Je ne peux pas me représenter ce que cela a dû être, a-t-elle déclaré, c’est difficile à dire. Mais aujourd’hui est un grand jour, un pas en avant. C’était important pour nous d’être là. La paix est fragile, nous devons la savourer et nous obstiner à la construire en renforçant nos liens d’amitié. »[27].
À Mulhouse, une rue de Ballersdorf commémore la mémoire des jeunes fusillés. À Ballersdorf, la rue du 17 février rappel le massacre[28].
« A la mémoire des résistants de toute nationalité et de 17 jeunes patriotes de Ballersdorf et environs (Haut-Rhin) exécutés ici par les Nazis de 1941 à 1944 »
↑Cet ouvrage a été publié par Nicolas Stoskopf et Marie-Claire Vitoux, maitres de conférences à l’Université de Haute-Alsace, aux Éditions de la Nuée bleue en 2004.
Eugène Riedweg, Les "malgré nous" : histoire de l'incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l'armée allemande, Nuée Bleue, , 303 p. (OCLC681499893)
(en) Philip Charles Farwell Bankowitz, Alsatian autonomist leaders, 1919-1947, Lawrence, Regents Press of Kansas, , 203 p. (ISBN978-0-7006-0160-8)
Frédéric Stroh, Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA) (ill. Christophe Clavel), « Le drame de Ballersdorf (Haut-Rhin) », dans Eric Le Normand, La résistance des Alsaciens, Fondation de la Résistance, département AERI, (ISBN978-2-915742-32-9) DVD pédagogique