Observateur intelligent de son époque[n 1], il a laissé deux volumes de souvenirs et de réflexions, Souvenirs de jadis et de naguère (1963) et Vues cavalières (1974), que Georges Foessel (1939-2020), archiviste de Strasbourg et historien, qualifie de « sources indispensables pour l'histoire du XXe siècle alsacien[2] ».
Biographie
Jeunesse et études
Robert Heitz est le fils d'Antoine Heitz, maître boucher, et de son épouse Marie née Rischmann[3]. Il fait ses études secondaires au collège de Saverne. Après le décès de son père en 1908, sa mère déménage à Strasbourg où il passe son baccalauréat. Elle l'inscrit au collège épiscopal Saint-Étienne. En 1913, il commence des études de droit à l'université de Strasbourg[3].
Première Guerre mondiale
Robert Heitz est incorporé dans l'armée allemande en 1915, mais une scarlatine providentielle quoique grave l'envoie au lazaret militaire de Strasbourg-Neudorf dirigé par le professeur Tabora. Celui-ci, grâce à des connaissances communes, le prend sous sa protection et, après sa guérison, le fait affecter au corps de santé puis se débrouille pour l'y garder, quitte à user de moyens peu orthodoxes quand un passage au conseil de révision se profile[4]. Il y servira donc pendant toute la durée de la guerre au lazaret militaire de Neudorf.
Le il est élu par ses camarades président de l’Arbeiter und Soldatenrat de l'hôpital, alors qu'il s'était déjà démobilisé de son propre chef et avait rendu ses effets militaires[5]. Du fait de ses sentiments français il ne joue aucun rôle « révolutionnaire » et n'assiste que deux ou trois fois aux séances du Soviet central qui se tenaient, dit-il lui-même, « dans une atmosphère empestée de mauvais tabac et d'alcool ». Il se préoccupe surtout de diriger la liquidation de l'hôpital : des malades infectieux menaçaient de s'enfuir car ils avaient peur d'être faits prisonniers. Robert Heitz réussit à les rapatrier en Allemagne[6].
Ce passage concerne la période très particulière du 9 au 22 novembre 1918 en Alsace, voir plus de détails dans l'article « Novembre 1918 en Alsace ».
Concernant ces événements de , voici ce qu'en dit un demi-siècle plus tard Robert Heitz, sous le titre « Une immense confusion »[5] :
« Les semaines qui ont précédé la libération du ont été marquées par une immense confusion de mouvements de foule, de cortèges, de manifestations, de pillages, de bagarres, de fusillades, mais aussi d'intrigues secrètes, de palabres, de faux-semblants et de double jeu, écheveau embrouillé dont il est difficile de dévider les fils. D'autant plus qu'aucun des principaux acteurs de la tragi-comédie locale qui faisait suite au grand massacre n'a laissé un récit complet des événements. »
Robert Heitz fonde ou participe à d'autres groupes assez éphémères (en 1924 le groupe des 4 qui devient le groupe des 5 en 1925) dont le groupe de La Barque[8], animé par Daniel Schoen, qui exposera à Paris à la galerie Bernheim-Jeune[9] en 1930[10].
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Sa position politique est aussi complexe que ne l'était la situation politique en Alsace entre les deux guerre. Elle est indiquée sous forme autobiographique romancée dans Mon ami Hans. Paul Dungler, dirigeant de l'Action Française du Haut-Rhin, sera le chef du réseau de Résistance dont fera partie Robert Heitz jusqu'à son arrestation. Ce roman est très proche des faits dans sa partie relative à la guerre 1939-1945, mais sa partie relative à l'entre-deux deux-guerres décrit de façon ambiguë et masquée sa position politiquement franco-patriotique et culturellement teintée de germanisme, qui l'avait fait considérer par certains comme « autonomiste ».
Sur le plan professionnel, à la fin de la Première Guerre mondiale, Robert Heitz est engagé comme stagiaire par l'administration judiciaire des finances. En 1920, il devient conseillé juridique au siège des Assurances sociales d'Alsace-Lorraine puis en devient le directeur adjoint[3].
Seconde Guerre mondiale
Pendant la drôle de guerre, Robert Heitz est directeur de l'Institut des assurances sociales qu'il replie au sanatorium de Saales[12].
En automne 1940, il constitue un groupe avec ses amis qui refusent, comme lui, la nazification et la germanisation de l'Alsace. Il a des contacts avec d'anciens militants de l'Action française comme Joseph Rey, Paul Armbruster et Jean Eschbach. Par l'intermédiaire de Joseph Rey, il entre en contact avec le juge Alfred Weninger à Colmar et le colonel Louis Andlauer, alias « Kellermann » des Services de renseignements (SR) de Vichy basé à Saint-Dié. L'industriel Jean-Paul Lacour de Sainte-Marie-aux-Mines assure la liaison avec ce dernier[12],[13]. Dans un premier temps, l'action de Robert Heitz se limite à l'aide aux prisonniers de guerre évadés et à la propagande en faveur des Alliés[12].
En 1941, par son ami l'avocat Pierre Schreckenberg il est invité aux réunions de l'organisation clandestine du docteur Bareiss, mais il préfère garder ses distances avec ce groupe qu'il ne trouve pas assez discret[12],[13]. Il est membre d'un autre groupe de résistants comptant dans ses rangs entre autres René Clément, ancien directeur de la Banque de France ; Henri Eschbach, conseiller d'État et ancien président du tribunal administratif ; Alfred Weninger, juge, et le libraire Octave Landwerlin. Ce groupe transmet ses renseignement à Vichy[12],[3].
En , Alfred Weninger lui demande de rédiger un rapport sur la situation de l'Alsace, annexée de fait pour le transmettre au gouvernement de Vichy. Ce document doit présenter le contexte alsacien (militaire, économique, administratif, scolaire, culturel, religieux et linguistique…) et préparer le retour du territoire dans le giron de la France[12]. Il doit aussi permettre de saisir la commission d'armistice sur l'imminence du danger de l'incorporation de force des Alsaciens dans l'armée allemande[13]. Lorsqu'il termine le Rapport d'Alsace, il le remet à son ami Joseph Fleurent, premier président de la cour d'appel de Colmar, qui le modifie et développe certains paragraphes[12]. Alfred Wininger et Joseph Rey effectuent les premières copies et Jean-Paul Lacour le transmet au colonel des SR Louis Andlauer à Saint-Dié. Il est aussi envoyé aux Alliés et aux services du général de Gaulle. Le , les Allemands découvrent un paquet contenant plusieurs lettres privées et un exemplaire du Rapport Alsace dans les toilettes du train Paris-Toulouse[12]. Les lettres permettent à la Gestapo de Strasbourg de remonter jusqu'à l'organisation du docteur Bareiss et de la détruire.
En , il participe à la diffusion du Rapport économique[n 2] que lui a remis Pierre schreckenberg[13],[12].
Le , Robert Heitz est arrêté et interrogé au siège de la Gestapo rue Sellénick à Strasbourg. Il est relâché car protégé par son statut de haut fonctionnaire « Regierungsrat »[13]. Le , il est une nouvelle fois arrêté dans le cadre de l'enquête sur le Rapport économique et interné à Kehl, puis transféré à Offenbourg le et enfin à Wolfach. Il est libéré le avec d'autres suspects sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux.
Robert Heitz est arrêté une troisième fois le et détenu à Strasbourg. Il est accusé d'avoir rédigé le Rapport d'Alsace. Le , il est transféré au de camp de sureté de Vorbruck-Schirmeck. Il est jugé du 4 au à Strasbourg par le Reichskriegsgericht (cour martiale du Reich). Il est accusé « d'être membre d'une organisation d'espionnage et d'avoir apporté une aide à l'ennemi[3] ». Il est condamné à mort et la sentence est confirmée le par l'amiral Max Bastian[3],[14],[12].
Il est interné à la prison de Bruchsal puis déplacé, le , à celle de Ludwigsburg, au nord de Stuttgart. L'armée française approchant, il est libéré le à la suite de l'intervention du docteur Strôlin, maire de Stuttgart[3],[17].
Robert Heitz dépeint « le conflit permanent entre le sentiment humain et le rôle volontairement assumé de chef conscient de ses écrasantes responsabilités » : « La règle voulait, lorsqu'un des nôtres tombait aux mains de l'ennemi, qu'il fût oublié de tous les autres en tant qu'être vivant. Toute inquiétude sur son sort nous eût induits en des tentations dangereuses pour la vie du réseau. Nous n'avions pas le droit d'essayer de le sauver. Nous avions le devoir strict de l'arracher, sinon de notre cœur où son image pantelante demeurait enfouie, au moins de nos pensées qui ne pouvaient se permettre d'être vagabondes[18] ».
Après guerre
En 1945, Robert Heitz est président de la section du Bas-Rhin de l’Association des internés et déportés politiques d’Alsace (AIDPA)[19]. Il est également président des Artistes indépendants d'Alsace (AIDA)[9] jusqu'en 1972 où il cède à la place à Jean-Jacques Hueber dont il fut le mentor et l'ami.
Au lendemain de la guerre, il commence à travailler au service des Assurances sociales d'Alsace-Lorraine, début d'une brillante carrière qui devait le mener jusqu'à la direction de la Caisse régionale d'assurance vieillesse, où il est en fonction de 1945 au . Ses fonctions, qu'il remplit avec conscience, lui permettent à ses yeux d'être son propre mécène et il peut se consacrer aux arts, particulièrement à la peinture et à la littérature, qui correspondent à sa vraie personnalité.
Robert Heitz est élu au conseil municipal de Strasbourg de 1959 à 1971, adjoint à la culture de Charles Frey[20] puis de Pierre Pflimlin
Son frère Fernand Heitz (1891-1963), avocat et bâtonnier au barreau de Colmar, décède en 1963[21],[22].
Le Peintre
Robert Heitz laisse une œuvre importante, commentée par lui-même dans "Hommages et pastiches" (1984), et étudiée par Paul Ahnne[23] et François Petry[24]. Son œuvre est bien représentée au MAMCS et des collections privées.
La peinture de Robert Heitz s'échelonne sur 70 ans à partir de 1914. À la différence de la majorité des peintres alsaciens de son temps, il a peint relativement peu de paysages et autres thèmes régionaux, il a fait le choix de la peinture à sujet.
Robert Heitz a lui-même affirmé: « À l'origine de ma passion pour la peinture se trouvait non pas l'envie de reproduire une chose vue dans la nature, paysage ou figure humaine, mais l'admiration que je porte aux chefs-d'œuvre du passé »[24]. Son intérêt pour la peinture ancienne a profondément marqué ses propres créations.
Formation
Dans ses premiers dessins et peintures, peu avant la Guerre de 1914-1918, Robert Heitz s'applique d'abord en autodidacte: premiers paysages (peinture du canal de Saverne, château du Griffon), dessins dans des carnets représentant des personnes familières. Après 1918, il suit avec Lucien Haffen; Armand Ingenbleek, Paul Iske, Alfred Pauli, les cours de Marguerite Jaeggi-Forrer (élève de Paul Sérusier et Maurice Denis); chez celle-ci, les sujets d'après nature et les études de nus sont multipliés. Le cézannisme est la ligne dominante. Robert Heitz fait aussi plusieurs stages à la Grande-Chaumière à Paris (1920-1925). En 1920 lors d'un voyage à Rome, dans une exposition, il reçoit « la révélation fulgurante » de Giorgio de Chirico[24]. Cette découverte sera déterminante pour lui.
Analyse de l’œuvre
Les auteurs distinguent plusieurs périodes dans l'évolution de Robert Heitz[23],[24].
les années 1920, marquées par la création de peintures réalistes (scènes parisiennes, scènes de port de mer, d'acrobates, de boxeurs), les couleurs sont claires et gaies.
les années 1931 à 1936, ou la peinture "à sujets" est dominante: homme de grande culture Robert Heitz s'est inspiré de thèmes bibliques, et davantage encore de la mythologie et de l'histoire antique (environ un quart des tableaux répertoriés sont en lien avec l'antiquité). De grands textes littéraires (les tragiques grecs, Shakespeare) sont également une de ses sources d'inspiration, ce qui lui vaut le qualificatif de peintre "littéraire", qu'il n'apprécie guère.
les années 1937 à 1942, polymorphe et surréaliste. En 1939, Robert Heitz expose simultanément sous son nom et, sous la signature de Adrien Meis avec une invitation préfacée par "Robert Heitz critique d'art reconnu" des œuvres oniriques violentes ou érotiques. De 1949 à 1942, ses toiles sont marquées par des ambiances tragiques aux ciels chargés.
les années 1950 à 1960, dans la plénitude de ses moyens, Robert Heitz crée des images fortes, bien mises en page de personnages en buste ou à mi-corps sur des paysages schématisés. Les couleurs sont sombres, brique, ou terres d'ombre.
Après 1970, Robert Heitz se tourne vers les maitres qu'il admire (A. de Messine, Le Greco, Velasquez, David, Ingres, Delacroix, Manet); la touche est estompée et lourde animée de contrastes de d'ombres. C'est la période des pastiches[24],[25].
Thèmes illustrés
L'œuvre de Robert Heitz comprend des autoportraits à tous les âges de sa vie d'artiste de 1915 à 1980. Les thèmes de l'antiquité servent de prétexte à des représentations oniriques voire surréalistes.Les motifs d'architecture antique rappellent Giorgio de Chirico.
Julien l'Apostat, dont le jeune Robert Heitz a possédé une monnaie trouvée à Saverne, est plusieurs fois représenté[24]. En 1939, il écrit un roman "Julien l'Apostat" et peint la toile éponyme[24]. En 1941, emprisonné, il réalise des dessins dont certains seront utilisés pour la toile "Julien l'Apostat à la bataille de Strasbourg"[26] conservée au MAMCS.
Et Leclerc prit Strasbourg, préface de Robert Heitz, Jacques Granier éd., 1970[70].
Vues cavalieres : réflexions et souvenirs, Éditions des Dernières nouvelles de Strasbourg, 1974, 263 p. (ISBN2716500002)[71].
L'Alsace de 1900 à nos jours, collectif, Éditions Privat, 1979, 398 p[72],[73].
Publications sur l'art
« Le Groupe de Mai : dixième anniversaire 1919-1929, Jacques Gachot, Balthasar Haug, Edouard Hirth, Martin Hubrecht, Lucien Hueber, Louis-Philippe Kamm, Lisa Krugell, Charles Schenckbecher, Simon-Lévy et Paul Welsch », La Vie en Alsace, 1929[74].
« Physionomie d'artiste : Paul Welsch », La Vie en Alsace, Strasbourg, 1931.
↑Georges Foessel, dans le NBDA, parle de l'« esprit incisif » de cet « esthète sceptique » qui a su donner « un portrait poignant de vérité de l'Alsacien éternel. »
↑Fin janvier 1942, le Reichmarschal Hermann Goering, chargé de l'économie du Reich, convoque à Berlin les principaux responsables régionaux des Services Économiques pour leur faire part des difficultés actuelles et à venir de l'Allemagne. Son exposé est particulièrement pessimiste. La résistance alsacienne en fait une synthèse appelée Rapport économique et largement diffusée.
↑Dictionnaire de biographie alsacienne, no 16, p. 1498.
↑ abcdef et gGerhards, Auguste, 1945-, Tribunal de guerre du IIIe Reich : des centaines de Français fusillés ou déportés : résistants et héros inconnus, 1940-1945, Paris, Cherche midi / Ministère de la défense, 799 p. (ISBN978-2-7491-2009-6 et 2-7491-2009-8, OCLC896816152).
↑Gabriel Braeuner, Joseph Rey : un maire pour Colmar, un Alsacien pour l'Europe, Colmar, Jérôme Do Bentzinger, , 300 p. (ISBN2-84629-029-6 et 9782846290296).
↑ abcdefghij et kAssociation pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens. et Clavel, Christophe., La Résistance des Alsaciens, Paris, Fondation de la Résistance, Département AERI, cop. 2016 (ISBN978-2-915742-32-9 et 2-915742-32-4, OCLC959964698).
↑ abcde et fBéné, Charles, 1917-…, L'Alsace dans les griffes nazies., Fetzer, (OCLC461706882).
↑ a et bPaul Ahnne, Robert Heitz romantique et surréaliste, Strasbourg, Willy Fischer, , 96 p.
↑ abcdef et gFrançois Petry, « Thèmes antiques dans l'oeuvre peint de Robert Heitz (1895-1984). », Cahiers alsaciens d'archéologie d'art et d'histoire, (lire en ligne)
↑Robert Heitz, Hommages et Pastiches, Strasbourg, La Nuée Bleue, , 132 p. (ISBN2716500746)
Eric Le Normand, Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA) (ill. Christophe Clavel), « Robert Heitz », dans La résistance des Alsaciens, Fondation de France, département AERI, (ISBN978-2-915742-32-9). DVD pédagogique.
Auguste Gerhards, Tribunal de guerre du IIIe Reich : des centaines de Français fusillés ou déportés : Résistants et héros inconnus 1939-1945, Le Cherche midi, (ISBN978-2-7491-2067-6, lire en ligne), « Heitz Robert ».
Charles Béné, L'Alsace dans les griffes nazies : L'Alsace dans la résistance, t. 3, Fetzer, (ISBN978-2-402-22645-5).
Eric Le Normand, « Le Rapport Alsace rédigé par Robert Heitz en octobre 1941 », dans Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA) et Christophe Clavel, La résistance des Alsaciens, Fondation de France, département AERI, (ISBN978-2-915742-32-9). DVD pédagogique.
Françoi Petry, « Thèmes antiques dans l'œuvre peint de Robert Heitz (1895-1984) », in: Cahiers alsaciens d'archéologie d'art et d'histoire, 1989