Le TatouéLe Tatoué
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution. Le Tatoué est un film comique franco-italien réalisé par Denys de La Patellière, sorti en 1968. Confrontant Jean Gabin et Louis de Funès dans un duo comique jusqu'alors inédit, le film est conçu comme un « coup » commercial par le producteur Maurice Jacquin, qui mise sur l'énorme popularité des deux acteurs pour s'assurer un triomphe certain au box-office. L'écriture du scénario est confiée à l'écrivain Alphonse Boudard qui finit par abandonner le projet, faute d'aboutir à un scénario convenable. Le dialoguiste Pascal Jardin intervient pour tenter de terminer le scénario à temps. Finalement, le réalisateur Denys de La Patellière se voit obligé de commencer le tournage sans véritable scénario. Tout est tourné dans l'ordre chronologique de l'histoire, pour suivre le travail d'écriture de Pascal Jardin, qui écrit les scènes au jour le jour. Le tournage se déroule du à , notamment au château de Paluel, en Dordogne. Une certaine mésentente règne durant ce tournage entre Jean Gabin et Louis de Funès. Le film raconte les mésaventures de Félicien Mezeray (Louis de Funès), un marchand d'art qui veut à tout prix racheter un tatouage réalisé par Modigliani que porte dans son dos un ancien légionnaire nommé Legrain (Jean Gabin), et lui propose en échange de faire retaper sa maison de campagne, sans savoir que celle-ci est un château du XIIe siècle en ruines, car Legrain se trouve être en réalité un comte et châtelain désargenté. Malgré des critiques plutôt négatives, Le Tatoué est le succès de la rentrée 1968 avec plus de 3,2 millions d'entrées, et se classera à la huitième place du box-office des films sortis cette année-là. Ce score au box-office, convenable pour Jean Gabin, est toutefois inférieur aux résultats habituels des films de Louis de Funès de l'époque. Résumé détailléLors d'une visite chez Dubois, modeste peintre en art naïf, chez qui il achète de grandes quantités de toiles de petite valeur, le marchand d'art Félicien Mézeray fait la rencontre de Legrain, un ancien légionnaire venu se faire portraiturer, qui porte sur le dos un tatouage réalisé par le célèbre peintre Amedeo Modigliani. Mézeray fait aussitôt d'extravagantes propositions pour acheter son tatouage à Legrain, qui refuse net, et va même jusqu'à le suivre chez lui, dans son petit pavillon de Saint-Ouen[note 1]. Le vieil homme continuant de l'éconduire, Mézeray laisse sa carte de visite et lui propose une offre de 20 millions de francs. De retour chez lui, Félicien Mézeray, persuadé qu'il arrivera à ses fins, aborde déjà la vente de l'œuvre avec deux acheteurs américains, Smith et Larsen, sans avoir encore convaincu le récalcitrant légionnaire. Avant même de parler du prix de vente du tatouage, il parvient à leur vendre pour 180 millions un lot de peintures sans intérêt dont il veut se débarrasser, en menaçant de céder le Modigliani à un de leurs concurrents. Ils se rendent ensuite chez le légionnaire, qui les accueille avec fracas, mais consent à leur montrer son tatouage un instant, et leur en raconte l'origine : le soir du « Défilé de la Victoire », premier défilé du 14 juillet d'après la Grande Guerre, « il était deux heures du matin, je suis entré au café du Dôme à Montparnasse, il régnait comme une démence. Alors y'a un type qui s'est approché de moi et qui m'a dit « je veux te tatouer une femme dans le dos », et je me suis couché sur le billard. Et ça n'est que vingt ans plus tard que j'ai appris que c'était Modigliani et que j'étais devenu un chef-d'œuvre ! » ; la valeur de l'œuvre n'avait néanmoins aucune importance pour lui et il continua à servir la Légion. Bien qu'il n'ait toujours pas l'accord de Legrain, Mézeray revoit plus tard chez lui Smith et Larsen pour négocier la vente de l'œuvre, en présence de son exubérante épouse. Il explique que le tatoué devra subir une opération d'exérèse de sa peau pour prélever le Modigliani. Le prix du tatouage est fixé à 500 millions, Mézeray devant présenter aux Américains la signature écrite de Legrain pour le lendemain à vingt heures, sous peine de devoir rendre les 180 millions déjà donnés pour les tableaux invendables. Le soir, l'épouse de Mézeray s'inquiète de cette affaire qui a été négociée sans même que le vieil homme n'ait donné son aval, mais Mézeray n'en a que faire, et pense plutôt à sa future richesse et son élévation sociale. Le jour suivant, dans le pavillon de Legrain, Mézeray fait face à l'intraitable légionnaire, qui refuse des propositions allant jusqu'à cinquante millions pour son tatouage. Legrain lui dit ne pas être intéressé par l'argent, ne subsistant convenablement qu'avec sa retraite de légionnaire, et lui explique avoir même une propriété à la campagne. Apprenant cela, Mézeray lui propose de la rénover à ses frais en échange de son accord au sujet du Modigliani. Legrain accepte, mais déclare qu'il ne signera cet accord que lorsque les travaux seront commencés. Enthousiaste et pressé d'avoir la signature, le marchand d'art réclame d'aller voir immédiatement la maison de campagne. Tous deux partent donc aussitôt dans la voiture d'avant-guerre du légionnaire, entamant un long périple, au rythme très lent. Étonné par la longueur du voyage, lui qui croyait avoir affaire à une petite maison dans la proche banlieue parisienne, Mézeray apprend finalement de Legrain que sa propriété se situe dans le Périgord noir, et qu'il doivent encore passer une nuit sous la tente avant d'arriver. Le lendemain, Legrain et Mézeray arrivent aux abords d'un château médiéval en ruines. Au départ ravi d'avoir fait le détour pour voir ces vestiges, et pressé d'enfin arriver à la maison de campagne de Legrain, le marchand d'art déchante rapidement lorsque Legrain lui déclare que cette ruine est la propriété en question. Alors qu'il pensait pouvoir acquérir le Modigliani pour une bouchée de pain en échange de la remise en état d'une petite maison de banlieue, Mézeray se retrouve face à un château en ruines, dans lequel Legrain veut installer tous les équipements modernes et qu'il désire voir rebâti selon les méthodes anciennes des bâtisseurs de cathédrales, ce qui coûtera des millions. Il apprend que le légionnaire Legrain est en réalité un comte désargenté, dernier de la lignée des Montignac, dont ce château est la demeure ancestrale depuis le XIe siècle. Acculé, ayant signé pour la rénovation de la « maison de campagne » et devant impérativement signer le contrat pour le tatouage, Mézeray se précipite au village de Montignac pour trouver un entrepreneur qui lancera sur le champ les travaux. Moyennant une belle avance, l'entrepreneur Pellot accepte de venir visiter le château : il ne peut commencer immédiatement les travaux mais s'engage à les commencer dès le lendemain matin. Ne pouvant avoir la signature de Legrain avant le début du chantier, Mézeray est donc contraint de passer la nuit au château, en compagnie du légionnaire. Au cours de cette soirée, Mézeray en apprend plus sur ce curieux personnage. Né en 1896, Enguerrand de Montignac s'est engagé dans la légion étrangère en 1914, sous le nom de légionnaire de « Legrain », du nom de la bonne qu'avait épousée son père, exprès pour agacer ce dernier. La faillite de son père le décida de ne plus jamais dépendre de l'argent et de rejoindre l'armée. Son pavillon de Saint-Ouen lui a par ailleurs été légué par cette bonne. Vivant en misanthrope, Legrain ne semble avoir pour seul ami que « son » rat, Platon, qui traîne dans le château. Dans la nuit, alors qu'ils dorment ensemble dans le seul lit du château, Mézeray et Legrain sont réveillés par les bruits de pilleurs, qui visitent régulièrement le château. Possédant des armes et des explosifs, le comte confie à Mézeray une mitraillette et tous deux poursuivent les trois pilleurs en leur tirant dessus, une équipée que Mézeray trouve très amusante. Montignac fait exploser la voiture des voleurs à la grenade. Les pillards sont repoussés dans les oubliettes du château, dans le bassin du cul-de-basse-fosse plein d'eau croupie. Au petit matin, Mézeray est réveillé au son du clairon par Montignac, et effectue tant bien que mal le rituel matinal du lever de drapeau. Exaspéré par le manque d'aptitudes militaires de Mézeray, l'ancien légionnaire le contraint à faire des mouvements et autres exercices, alors que celui-ci ne demande qu'à déjeuner. Legrain finit par mettre Mézeray en tenue de campagne pour lui enseigner le maniement des armes et le combat. Pellot et ses ouvriers arrivent au château et rencontrent un Mézeray en uniforme excédé par les ordres du légionnaire. Il pousse les ouvriers à rapidement commencer leur œuvre, les menaçant de son fusil. Les travaux étant enfin considérés comme commencés, le comte accepte de signer la vente du tatouage. Deux gendarmes de Montignac arrivent alors, enquêtant sur les bruits de fusillades entendus près du château dans la nuit. Après que le comte a tenté de leur cacher ses agissements nocturnes, les brigadiers libèrent les pillards emprisonnés dans le cul-de-basse-fosse et les embarquent. Mézeray et le comte signent finalement leur accord mais, n'ayant pas été informé que le tatouage devra être prélevé de son vivant par une opération chirurgicale, il croit que l'œuvre sera récupérée à sa mort et prévient qu'il faudrait attendre encore beaucoup de temps, ayant notamment eu deux grand-pères centenaires. Pressé d'obtenir la signature après toute cette attente, le marchand d'art omet volontairement ce point crucial et, l'accord signé, se précipite au village. Le ton évasif de Mézeray à propos du prélèvement du tatouage intrigue Legrain. Persuadé qu'il trame quelque chose dans son dos, le comte suit son périple en vélo au loin depuis les remparts avec ses jumelles, et le surprend dans une discussion avec Pellot, à qui il passe une liasse de billets. Quand, un moment après, il esquive de peu une chute de pierres du plafond causée par un ouvrier, le comte imagine que Mézeray a payé l'entrepreneur pour organiser un accident criminel, afin de s'emparer tout de suite du Modigliani. Furieux, le comte s'arme d'un pistolet et s'empresse de rattraper Mézeray à bord de son tacot. Confus, celui-ci est ramené au château et les deux « complices » sont sommés de s'expliquer : Pellot avoue que Mézeray l'a seulement payé pour bâcler les travaux. Bien que Mézeray n'ait pas voulu le tuer, le comte est remonté par cette révélation et se venge en lançant une grenade qui détruit un pan de mur, pour ajouter aux frais de reconstruction. Mézeray s'en fiche et repart en volant la camionnette de Pellot pour rallier au plus vite Paris. En route, Mézeray aperçoit un hélicoptère d'épandage en vol et l'interpelle pour le faire descendre, puis soudoie le pilote pour qu'il l'amène à Paris. Enfin de retour chez lui, il accueille Smith et Larsen et leur présente l'accord signé d'Enguerrand Louis Marie de Montignac, en expliquant avec difficulté qu'il s'agit du nom véritable de Legrain. Larsen remarque que l'accord ne stipule nullement que Legrain accepte l'opération de prélèvement, et accuse Mézeray de vouloir les rouler. Pour vérifier que l’accord présenté par Mézeray n'est pas un faux, Smith et Larsen font appel à des détectives qui partent dans le Périgord pour rencontrer le comte. Au château de Montignac, où les travaux vont bon train, Legrain scrute l'arrivée de ces hommes suspects et, les voyant se munir d'armes, les prend pour des tueurs envoyés par Mézeray pour tenter une fois de plus de l'abattre. Les deux détectives se faisant passer pour des émissaires du ministère des Affaires culturelles venant visiter le château en raison de sa restauration, le comte leur propose de commencer la visite guidée par le souterrain, et les conduit dans son cul-de-basse-fosse, puis décide de partir pour Paris pour s'expliquer avec Mézeray. Alors qu'il s'apprête à partir, un réalisateur de télévision se présente à lui en expliquant que son émission Chefs-d'œuvre en péril, liée au ministère des Affaires culturelles, veut faire un reportage sur le château ; Montignac le prend pour un autre tueur à gage, recommence son numéro de guide et le jette lui aussi dans ses oubliettes. Après avoir prévenu la gendarmerie de sa nouvelle prise, le comte part pour la capitale, bien décidé à pourfendre le traître marchand d'art. Il fait une entrée tonitruante chez Mézeray, alors que ses enfants donnaient une surprise-partie, et, son sabre à la main, menace de se venger de sa tentative d'assassinat. Mézeray lui explique qu'il n'a pas besoin de le tuer puisqu'il suffit d'une opération chirurgicale pour prélever son tatouage, mais l'ancien légionnaire s'oppose catégoriquement à cela. Un temps après, ayant reçu l'autorisation du musée de Boston d'acheter le tatouage pour deux millions de dollars, Larsen et Smith réactivent l'affaire en proposant à Legrain de traiter directement avec eux, arguant que leur proposition vaut le triple de la somme avancée par Mézeray. Affirmant ne pas être vénal, Legrain refuse cette offre faramineuse, qu'il juge offensante, de même que de négliger Mézeray, lui ayant donné sa parole d'honneur et sa signature. Face à son insistance et pour ne pas perdre les 180 millions qu'ils ont déjà investis par avance dans les croûtes invendables de Mézeray, les acheteurs américains concrétisent donc l'affaire avec le marchand d'art. Il est finalement conclu que le tatouage sera donc vendu en viager, prélevé à la mort du comte-légionnaire. Une visite médicale étant au préalable nécessaire afin de se prémunir contre toute détérioration de l'œuvre, le comte de Montignac passe un examen chez un éminent dermatologue, qui évalue que sa peau est en parfait état. Toutefois, face à un excès de cellulite qui pourrait déformer le tatouage, le dermatologue préconise de faire un régime, ce à quoi le comte s'oppose farouchement, ou bien du sport. Alors que Mézeray juge le vieil homme incapable de faire du sport, celui-ci se défend et lance même le défi au marchand d'art d'en faire avec lui. Tous deux se lancent donc dans des activités physiques, pratiquant le judo, la boxe, puis le patinage, ce qui les rapproche. Cependant, le soir, ils dînent copieusement dans un restaurant, suivant les goûts de bon vivant du comte. Là, Mézeray, d'habitude homme pressé et uniquement occupé par l'argent, prend goût à la bonne chère et la vie libre prônée par le truculent légionnaire. Ce dernier le met même au défi de le rejoindre au château pour trois semaines, le pensant incapable d'abandonner ses affaires et son épouse. Le lendemain, à l'aéroport d'Orly, Mézeray fait croire à son épouse qu'il part pour un prétendu voyage d'affaires à New York mais, en réalité, il ne prend pas le vol, même s'il a laissé ses bagages dans l'avion. Le comte l'attend dans son tacot devant Orly, et tous deux partent pour la Dordogne, où Mézeray compte bien profiter d'une nouvelle vie, loin de son entreprise et son envahissante épouse. Il espère bien s'amuser, par exemple en emprisonnant quelques pilleurs de châteaux. Quelque temps plus tard, alors que les travaux du château de Montignac se poursuivent, supervisés par le comte et Mézeray, devenus de grands amis, ils reçoivent la visite d'une imposante délégation comprenant le ministre des Affaires culturelles et le préfet. Sous l'œil amusé de son ami, qu'il présente comme l'honorable mécène de cette restauration, le comte de Montignac s'engage à leur présenter son château, commençant inévitablement par la visite des « fondations qui sont romanes et du plus grand intérêt sur le plan archéologique »… Fiche techniqueSauf indication contraire ou complémentaire, les informations mentionnées dans cette section peuvent être confirmées par le site IMDb.
Distribution
Non crédités
Coupés au montage
Production et réalisationGenèse et développementLa volonté commerciale d'un producteurEn 1967, le producteur Maurice Jacquin tient à la fois sous contrat Jean Gabin et Louis de Funès, puisque sa maison de production Les Films Copernic avait produit Le Tonnerre de Dieu, Du rififi à Paname et Le Soleil des voyous avec le premier, et venait de tourner Les Grandes Vacances et Le Petit Baigneur avec le second[a]. Profitant de cette occasion, Maurice Jacquin envisage de réunir les deux vedettes dans un film, ce qui constituerait assurément un « coup » commercial énorme, au vu de la popularité des deux acteurs[a]. En effet, Jean Gabin est considéré comme l'un des plus grands acteurs français vivant, même s'il n'est pas le plus « bankable », tandis que Louis de Funès enchaîne alors des succès d'ampleur, dominant sans conteste le box-office français depuis Le Gendarme de Saint-Tropez en 1964[a]. Auparavant, les noms de Jean Gabin et Louis de Funès n'étaient apparus que sur trois génériques de mêmes films, le second loin derrière le nom prestigieux du premier[b]. En 1955, dans le Napoléon de Sacha Guitry, Gabin incarnait le maréchal Lannes dans une courte scène, tandis que de Funès n'était qu'une silhouette dans le rôle d'un soldat[b]. L'année d'après, une scène culte les réunit dans La Traversée de Paris, où Gabin est l'imposant Grandgil et de Funès l'épicier Jambier alimentant le marché noir, l'un de ses premiers seconds rôles marquants[b],[note 3]. Devenu un acteur de second rôle demandé, un an avant Pouic-Pouic, Louis de Funès partageait en 1962 dans Le Gentleman d'Epsom des scènes importantes avec la vedette Gabin, autour duquel le film était construit, étant l'heureuse victime de l'arnaque au cheval perdant qu'il monte[b]. Le producteur parvient à convaincre les deux acteurs de former un duo comique le temps d'un film[a]. Le projet doit être réalisé par Denys de La Patellière, fort du succès de Du rififi à Paname, et qui avait déjà côtoyé de Funès en 1952 sur le tournage de Boniface somnambule où il était assistant réalisateur[a]. Jacquin arrête des dates pour le tournage, prévu à partir de février 1968[a]. L'écriture du scénario est confiée à l'automne 1967 à l'écrivain Alphonse Boudard[a], auteur de trois films interprétés par Gabin — Du rififi à Paname, Le Jardinier d'Argenteuil et Le Soleil des voyous — à la suite de sa brouille avec son scénariste-dialoguiste attitré Michel Audiard après Mélodie en sous-sol[c],[d],[e]. L'écrivain ancien délinquant se voit pour la première fois confier une comédie familiale, registre très différent des films de voyous sur lesquels il a jusqu'alors travaillé[f]. Boudard entreprend d'adapter une nouvelle dont il est l'auteur intitulée Gégène le tatoué, écrite en 1965[g], qui raconte l'histoire d'un marchand de tableaux essayant d'acheter le tatouage que porte dans son dos un marginal, et qui serait l'œuvre de Modigliani[a]. La rémunération des deux vedettes diffère : Jean Gabin a un cachet de 100 millions d'anciens francs, contre 150 millions pour Louis de Funès[h]. La Patellière explique que « Gabin avait pour principe de ne pas exiger trop d'argent. Il disait que si on mettait tout l'argent sur la vedette, il ne reste plus rien pour tourner le film »[h]. À l'époque, l'acteur est depuis huit ans salarié de ses producteurs, pour lesquels il doit deux films par an, payés environ un million de francs chacun, un système qui lui permet de couvrir au mieux les dépenses de son domaine agricole de La Pichonnière en Normandie[3]. Louis de Funès, lui, a un cachet plus élevé puisqu'il a un potentiel d'au minimum un million de spectateurs du fait de ses précédents triomphes commerciaux. Le réalisateur commente qu'« il n'était pas non plus très souple dans ce genre de négociation, pour ce que j'en ai su. Il demandait — et obtenait — beaucoup, mais était connu pour ne pas être très favorable à un intéressement aux recettes, alors que ça aurait pu lui rapporter beaucoup plus »[h]. Tous les deux s'immiscent dans tous les aspects de la création du film, même ceux qui ne les concernent pas directement, de l'ensemble du scénario jusqu'au choix des techniciens[i]. Élaboration difficile du scénarioAlphonse Boudard écrit les premières versions de l'adaptation de sa nouvelle en prenant compte des observations des deux vedettes émises lorsque le sujet leur a été proposé[j]. Le film s'intitule d'abord Comme en '14[k]. La trame est encore très différente de celle du film achevé, surtout dans l'évolution des rapports entre Legrain et Mézeray au cours de l'histoire[j]. Dans les premières versions du scénario, les deux personnages se tutoient dès leur arrivée au château de Montignac, avant de finalement se tourner le dos à la fin du film[j]. Certaines séquences diffèrent ou disparaissent du scénario final. Alors qu'il n'est contraint qu'à quelques ordres et exercices militaires dans le film final, Mézeray doit carrément subir ici un véritable entraînement de légionnaire, notamment de maniement des armes[j]. Lorsqu'ils repoussent les pillards, ils utilisent entre autres des pains de plastic, ce qui provoque l'effondrement d'une aile du château[j]. Aussi, Legrain, débarquant à l'improviste chez le marchand d'art, est converti à la mouvance flower power hippie par les enfants de Mézeray, deux personnages quasi absents du film final[j]. Surtout, le film doit alors se terminer sur la « défaite » du personnage de Legrain face à Mézeray[j]. À la fin, le marchand d'art part le rejoindre dans son château, lassé de la vie parisienne, et parle de ne plus jamais retourner à Paris. Il déclare vouloir désormais s'astreindre à un mode de vie rustique mais Legrain l'avertit : « Tu ne seras pas installé depuis une heure que tu auras envie de téléphoner. Demain, tu feras venir une secrétaire… deux secrétaires… trois secrétaires… »[j]. Par la suite, sa prédiction se confirme puisque Mézeray finit par construire une gigantesque usine à côté du château pour fabriquer à la chaîne le « Pâté du Légionnaire », d'après une délicieuse recette de pâté de lapin — mentionnée plusieurs fois tout au long du scénario — transmise dans la famille de Montignac. Cette première version du scénario s'achève sur le comte, dégoûté, qui fuit à bord de son tacot[j] :
— Dernière scène du scénario refusé d'Alphonse Boudard[j]. Cette version du scénario est refusée à la fois par Jean Gabin et Louis de Funès[j]. Le premier n'apprécie pas l'écriture de son personnage, trop proche d'un clochard (le film fini étoffe le caractère du personnage à travers sa misanthropie et son attachement au passé)[j]. Le second demande de diminuer son dialogue au profit de son comique de gestes et désapprouve le caractère et l'évolution incohérents de son personnage : arrogant et cupide, Mézeray se laisse dominer par Legrain, finit déprimé et tient le mauvais rôle à la fin en gâchant la vie du comte-légionnaire par le resurgissement de son implacable goût des affaires[l]. Au fur et à mesure des modifications, Alphonse Boudard ne parvient toujours pas à satisfaire les deux comédiens[j]. Alors qu'il s'efforce d'équilibrer les rôles, chacun juge que le scénario fait la part belle à l'autre : en téléphonant à Gabin pour connaître son avis, celui-ci le fécilite ironiquement « Ah, dis-donc, tu as bien travaillé pour Louis ! », tandis que De Funès se plaint « Mais alors, tout est pour Gabin. Moi je suis un clown blanc, je suis rien ?! »[4],[f]. Le scénariste comprend qu'il est en fait difficile de faire « cohabiter » ces deux vedettes, désormais à statures égales, alors qu'il avait apprécié leurs scènes communes dans La Traversée de Paris et Le Gentleman d'Epsom à l'époque où l'un n'était que second rôle[4]. Toute la profession et la presse sait que l'écriture s'embourbe à cause des exigences contradictoires des deux acteurs[l]. Le , Le Film français résume l'avancement du projet ainsi : « Un découpage approuvé par de Funès, un autre approuvé par Gabin pour Le Tatoué. »[l]. Le producteur réclame à Alphonse Boudard de réécrire entièrement son scénario[l]. Lassé par les desiderata des deux vedettes, le scénariste refuse et décide de quitter le projet[l],[4]. Il perçoit quand même son cachet prévu de 125 000 francs, dont 12 500 pour son agent[e]. A posteriori, Boudard déclare qu'il n'a jamais autant perçu le poids du pouvoir que dans le milieu cinématographique, entre autres dans cette affaire, lui qui a pourtant vécu la délinquance et la prison[4],[f]. Déçu par son incursion dans le cinéma, en particulier par cet épisode, Boudard reconnaît aussi qu'il considérait comme purement alimentaire et impersonnel son travail de scénariste[m]. Attribution des rôlesLouis de Funès partage l'affiche du film alors qu'il est au faîte de sa gloire, dans son rôle classique des années 1960 d'entrepreneur mesquin, râleur et antipathique[5]. Il est depuis quatre ans le champion du box-office, avec deux aventures du Gendarme, deux Fantomas, Oscar et Les Grandes Vacances[6],[b]. Jouissant d'une autorité nouvelle de par sa puissance commerciale, il a pratiquement mis en scène Le Grand Restaurant (1966)[7]. En , à la sortie du troisième Fantomas en plein triomphe de La Grande Vadrouille, Georges Charensol commente dans Les Nouvelles littéraires : « Après avoir végété pendant vingt ans, il a succédé en quelques mois à Jean Gabin, Brigitte Bardot ou Jean-Paul Belmondo dans le rôle de locomotive du cinéma français »[n]. Avec quarante ans de carrière, Jean Gabin est, lui, déjà un mythe du cinéma français, toujours populaire, quoique boudé par les cinéastes de la Nouvelle Vague et contesté dans son jeu et ses choix[b]. Son contrat avec Maurice Jacquin et Les Films Copernic lui a fait tourner Maigret voit rouge (1963), Monsieur (1964), Du rififi à Paname (1965), Le Tonnerre de Dieu (1965), Le Jardinier d'Argenteuil (1966) et Le Soleil des voyous (1967)[6],[o]. Apparu dans Du rififi à Paname (1966), le comédien américain Jo Warfield, travaillant en France, figure l'un des acheteurs du tatouage[8]. L'emploi de l'excentrique Suzanne Mézeray est confié à Dominique Davray, second rôle prolifique du cinéma français, étonnante en épouse d'un personnage funésien[5],[9]. C'est pourtant l'époque où Claude Gensac devient la femme attitrée de Louis de Funès à l'écran, dans Les Grandes Vacances, Oscar et bientôt Le Gendarme se marie[p]. Déjà apparue en bistrotière dans Grandes Vacances (1967), Davray revient auprès de l'acteur comique dans Le Gendarme se marie (1968), Le Gendarme en balade (1970) et L'Aile ou la Cuisse (1976)[9]. Le valet noir des Mézeray au rire tonitruant est interprété par Ibrahim Seck, premier comédien afro-européen à avoir intégré le Conservatoire, ensuite revu aux côtés de Louis de Funès dans L'Homme orchestre (1970) et La Zizanie (1977)[5],[10]. Le rôle d'un des deux détectives est attribué à Patrick Préjean, repéré par Louis de Funès dans Brigade antigangs (1966)[11],[q]. Le rôle du jeune réalisateur de Chefs-d'œuvre en péril est donné à Michel Tureau, engagé selon lui sur conseil de Louis de Funès, dont il jouait le fils dans Faites sauter la banque (1964)[5],[12]. Pierre Tornade, partenaire de Louis de Funès du temps des Branquignols, tient le rôle du gendarme du village de Montignac[13]. Yves Barsacq, familier des films funésiens, interprète le postier de Montignac[5]. Le facteur est quant à lui joué par Jean-Pierre Darras, vieille connaissance de Louis de Funès et croisé par Jean Gabin dans Monsieur (1964)[14],[r]. Dans un rôle de paysan, Pierre Repp incarne son personnage habituel de bègue, qu'il interprète régulièrement au music-hall, dans les cabarets parisiens et à la télévision[5]. TournageUn tournage contraint et sans scénario
— Denys de La Patellière, 2012[15]. À quelques semaines des dates de tournage prévues, Le Tatoué n'a pas de scénario abouti et approuvé par ses acteurs principaux[j]. Le scénario passe un temps entre les mains de Pierre Lévy-Corti, aidé du réalisateur[s]. Les deux acteurs, étant liés par contrat à la société Les Films Copernic, sont donc obligés de tourner un film[l]. Denys de La Patellière envisage une solution : tourner deux films séparément avec chaque acteur en reportant le projet les réunissant[l]. Il propose à Jean Gabin d'adapter un roman d'Honoré de Balzac et à Louis de Funès d'adapter L'Avare, pièce que l'acteur désirait jouer depuis longtemps[l],[note 4]. Tous deux sont favorables à l'idée du réalisateur[l]. Ces deux projets séparés n’empêcherait pas de les réunir plus tard pour un nouveau film[l]. Maurice Jacquin tient néanmoins à ce que le projet en commun soit tourné. Étant distributeur de ses productions, il rencontre beaucoup exploitants de salles qui lui enjoignent de ne pas renoncer à cette affiche prometteuse[l]. De plus, les emplois du temps des deux acteurs sont pris pour d'autres engagements après les dates réservées pour Le Tatoué, rendant la possibilité d'un report de tournage très lointaine[l]. La Patellière raconte : « Sachant que ni Gabin ni de Funès ne voulait faire ce film, je lui ai répondu : « Et tourner quoi ? ». Jacquin n'est pas revenu sur sa décision, nous avons dû faire un film »[15]. Au matin du jeudi , Jean Gabin et Louis de Funès arrivent au studio G des studios de Boulogne, respectant leur contrat[h]. Le tournage du Tatoué commence comme prévu à cette date, sans véritable scénario[h]. Au bout de trois jours, l'efficace scénariste Pascal Jardin est appelé en renfort, sur recommandation de Gabin[t]. Il était déjà l'auteur de quatre films de La Patellière (Tempo di Roma, Le Tonnerre de Dieu, Le Voyage du père et Soleil noir) et plusieurs autres avec Gabin dont Monsieur et L'Âge ingrat[t],[l]. Satisfait de son travail sur Le Tonnerre de Dieu, Gabin apprécie sa capacité à livrer des dialogues à la manière d'Audiard[t]. Jardin doit reprendre les cinq à six cents pages de dialogues laissées par Boudard[t]. L'intrigue générale est arrêtée jusqu'au moment où Mézeray et Legrain arrivent au château[l]. Il reste à réécrire la fin et fixer certaines péripéties[h]. Le premier scénario avait pour problèmes principaux de séparer trop longtemps les deux vedettes, alors que l'intérêt du projet repose dans leur confrontation, et de se terminer sur la défaite morale de l'un ou l'autre personnage[h]. L'enjeu de Jardin est ainsi de réunir véritablement le duo tant réclamé, de résoudre le problème de la fin et de contenter les deux comédiens[h]. Il doit faire en sorte que les rôles soient à égalité et que chacun puisse exprimer au mieux son jeu comique[t]. Pour l'intrigue, le scénariste explore plusieurs pistes au cours de l'écriture, l'une d'entre elles impliquant une jeune femme aux côtés de Gabin et de Funès, d'où une annonce de la production dans la presse pour trouver une ingénue d'environ dix-sept ans[h]. Quant à ces modifications, Alphonse Boudard déclarera bien plus tard : « il n'y a pas une ligne de moi dans le résultat ! »[4]. La réécriture et l'achèvement du scénario ont ainsi lieu en même temps que le tournage[l]. Denys de La Patellière explique : « Nous avons donc commencé à tourner sans trop savoir où nous allions. (…) Au commencement du tournage, nous n'avions que trois scènes écrites. Jardin m'apportait chaque scène à l'avant-veille du tournage, juste à temps pour que le premier assistant s'organise pour les détails de décor et d'accessoire, et nous préparions le plateau la veille ! Ce fut donc très compliqué… »[16],[l]. Afin de suivre le travail de Pascal Jardin, le tournage va donc se dérouler dans l'ordre chronologique de l'histoire, d'abord aux studios, puis en Dordogne, et à nouveau à Boulogne[l]. La crainte d'obtenir un film raté pèse sur le réalisateur : « c'était tellement fou, on ne savait absolument pas où on allait »[15]. Le Tatoué est filmé avec des caméras américaines Mitchell BNC 88 (la version insonorisée) pour les prises de vues en studios et des caméras françaises Caméflex pour les tournages en extérieurs ainsi qu'une ou plusieurs dolly de marques Moviola[17]. La totalité des plans du film est tournée sous la direction de Denys de La Patellière, assisté de Marco Pico et Bernard Stora, sans seconde équipe[15]. La voiture appartenant au comte de Montignac est une Chenard et Walcker de 1925[18]. Dans le Périgord, le tournage se déroule au château de Paluel à Saint-Vincent-le-Paluel, près de Sarlat[19],[20],[21],[u],[v],[note 5]. La bâtisse médiévale en ruine depuis la Seconde Guerre mondiale sert de décor au château de Montignac (le comte de Montignac explique d'ailleurs qu'« il a brûlé quatre fois, la dernière en '44 », ce qui peut faire écho au véritable incendie du château de Paluel déclenché par l'occupant allemand en )[v],[u]. Les équipes de décoration posent de fausses fenêtres et portes dans les ouvertures vides de la façade pour donner l'illusion que le château n'est pas totalement en ruine, alors qu'il ne reste quasiment plus rien derrière cette façade[v],[u]. L'envahissante végétation est nettoyée pour l'occasion[v]. L'intérieur du château et son souterrain sont construits en studios[22],[v],[note 6]. Seul un intérieur du véritable château apparaît dans le film, une grande salle voûtée au toit éventré, avec cheminée monumentale, baies gothiques et portes sculptées ; Legrain et Mézeray y évaluent les travaux à réaliser avec l'entrepreneur Pellot, puis Legrain manque d'être tué par une chute de pierres du plafond[25]. Les scènes dans le village de Montignac sont tournées aux environs du château. Le village fortifié de Domme sert pour les décors de la place où se trouve la maison de Pellot et la Poste, de l'église lors du mariage de la fille Pellot, et de la gendarmerie[19],[20],[26]. Dans sa course à vélo, Mézeray traverse la Porte del Bos, une entrée des fortifications de Domme[26]. Le trajet de Legrain en tacot pour rattraper Mézeray, qu'il accuse vouloir l'assassiner, passe la Porte des Tours, une autre entrée de Domme[19],[26], puis devant une grange de Carsac-Aillac[20]. L'échange virulent avec Mezeray est filmé aux abords de l'église et du cimetière de Saint-Vincent-le-Paluel[19],[20],[27].
Le tournage extérieur prend également place à Paris et ses environs. Les scènes du pavillon de Legrain ont lieu près de La Défense, dans les premiers journées de tournage[u]. Le plan du tacot de Legrain quittant Paris pour rejoindre sa « maison de campagne » est filmé à Suresnes, au pied du belvédère dominé par la forteresse du Mont-Valérien, pour capturer la vue sur la capitale et la tour Eiffel, bien que ce ne soit pas la direction de la Dordogne[28],[19]. Le périple jusqu'en Dordogne montre des plans de villages ou de campagne, notamment pris à Rochefort-en-Yvelines, Longvilliers et Guyancourt (la route au-dessus de l'étang du Moulin à Renard, lorsque le tacot double le camion Purodor)[19]. L'hélicoptère réquisitionné par Mezeray pour retourner à Paris atterrit dans le jardin du château de la Cour Senlisse, à Senlisse[19],[29]. Des plans d'expositions et l'arrière-plan des transparences de la scène de patinage sont filmés au bassin d'hiver (converti en patinoire) de la piscine Molitor[19]. Le faux départ de Mezeray pour les États-Unis est tourné à l'aéroport d'Orly-Sud ; le plan de l'avion qu'il aurait dû prendre montre le décollage d'un Boeing 707 d'Air India[19],[30]. Le tournage du Tatoué est achevé en [31]. Rapports entre Jean Gabin et Louis de FunèsAlors que Jean Gabin est une tête d'affiche depuis l'entre-deux-guerres, Louis de Funès (qui obtient un plus gros cachet pour ce film) ne l'est que depuis quelques années, mais avec un succès plus considérable que son aîné. Malgré leur amitié, respect mutuel et leur bonne entente lors de leurs précédentes rencontres (dans La Traversée de Paris et Le Gentleman d'Epsom), les deux acteurs restent quelque peu distants l'un de l'autre durant le tournage. Ils ont par ailleurs eu un point de désaccord lorsque De Funès demanda (ce qu'il obtint) à ce que les lumières soient assez puissantes pour mettre en valeur ses yeux alors que Gabin souhaitait l'inverse pour ne pas faire ressortir sa couperose (que l'on peut voir dans certaines scènes). De Funès éprouve quant à lui une anxiété dévorante face à son partenaire, véritable « monstre sacré » du cinéma, et devient démesurément exigeant envers son propre jeu, ce qui le place, comme il finit par le reconnaître, dans une situation inconfortable et épuisante. Vient s'ajouter à cela la difficulté de coopérer avec une équipe différente (celle de Gabin), au sein de laquelle l'acteur vedette se sent dépaysé[32]. Les critiques spécialisés ne manqueront pas de souligner ce malaise de l'acteur. Bande originaleGeorges Garvarentz compose la bande originale du Tatoué[33]. Il est un collaborateur régulier de Denys de La Patellière, depuis Un taxi pour Tobrouk (1961), film pour lequel il avait été engagé grâce à la présence au générique de son beau-frère Charles Aznavour[15],[34]. Sur la séquence de Mézeray et Legrain pourchassant des pilleurs de châteaux jusque dans les souterrains, Garvarentz livre un morceau intitulé Modigliani blues, un pastiche de The Pink Panther Theme d'Henry Mancini (le thème de La Panthère rose)[34]. Aucune publication de la bande originale du film ne semble avoir lieu à l'époque de la sortie en salles[note 7]. La musique n'est rendue disponible que plus tard. Trois morceaux, Générique, Modigliani blues et Slow du Légionnaire font partie de la compilation en CD Georges Garvarentz : Musiques de films parue en 1997[33],[37]. Générique, Modigliani blues et Mézeray et Legrain sont présents dans la compilation en CD Louis de Funès, bandes originales des films, vol. 2, publiée en 1998 et ré-éditée en 2007[33],[38],[39]. Ces seules quatre pistes de bande originale sont intégrées à la vaste compilation Louis de Funès, musiques de films, 1963-1982 de la collection Écoutez le cinéma !, publiée en 2014[33],[40].
MontageLe montage du film se déroule alors que les événements de mai 68 ont lieu à travers toute la France[41]. La production de la quasi-totalité des films en cours de réalisation à ce moment-là en France — qu'ils soient français ou étrangers — est interrompue, tous les tournages étant paralysés par les grèves et les pénuries d'essences. Le réalisateur Denys de La Patellière, étant le président du syndicat CGT du cinéma, participe aux manifestations[41]. Le montage du Tatoué n'est néanmoins pas perturbé par l'actualité car les monteurs Claude Durand et Myriam Baum, du même côté que le réalisateur, poursuivent leur travail[41]. En juin 1968, La Patellière retrouve d'ailleurs de Funès à Saint-Tropez lorsqu'il tente, en tant que président du syndicat CGT cinéma, de faire poursuivre la grève bloquant alors Le Gendarme se marie[w]. Le tirage des copies d'exploitation est ensuite réalisé au laboratoire Franay LTC à Saint-Cloud[17]. Exploitation et accueilSortie en salles et box-officeLa première du Tatoué a lieu au cinéma Gaumont Ambassade, à Paris[x]. Jean Gabin ne s'y rend pas, contrairement à Louis de Funès, qui refuse cependant de s'exprimer aux journalistes sur la lamentable affaire qu'est le film[x]. Le Tatoué sort en salles à la rentrée, le [y],[6]. D'abord présent dans seulement cinq cinémas parisiens en exclusivité (en), le film s'installe dès sa sortie en tête du box-office hebdomadaire parisien, détrônant Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages de Michel Audiard en place depuis deux semaines[y]. Forts de ce succès, les producteurs s'offrent une page de publicité dans Le Film français proclamant « tous les records battus » : « en première semaine, Les Grandes Vacances (production Jacquin) avait réussi 71 594 entrées en , Le Petit Baigneur (production Dorfmann-Jacquin) 79 415 entrées en , Le Tatoué (production Jacquin-Dorfmann) 80 040 entrées en »[y]. Un tel démarrage est désormais habituel pour Louis de Funès et correspond aux attentes d'une affiche Gabin / de Funès[6]. Le film s'impose aisément comme le succès de la rentrée[6]. Pierre Billard de L'Express proclame : « Autrefois, la courbe des recettes subissait des variations saisonnières. Aujourd'hui, Louis de Funès a remplacé le soleil, la pluie et les jours fériés. Il suffit qu'il paraisse, et c'est Noël au box-office »[z]. Le Tatoué ne demeure cependant au sommet du classement parisien que trois semaines, avant d'être dépassé par la sortie de Ho ! avec Jean-Paul Belmondo[aa]. Dans sa cinquième semaine d'exploitation, Le Tatoué, projeté dans davantage de salles, décolle en France et atteint la première place du box-office hebdomadaire national, remplaçant là aussi le premier film réalisé par Michel Audiard[42]. Il reste au sommet les cinq semaines suivantes, avant d'être relégué à la troisième place par La Prisonnière d'Henri-Georges Clouzot et La Grande Lessive (!) avec Bourvil ; il cumule alors 1,7 million d'entrées depuis sa sortie[43]. Au , en à peine quatre mois d'exploitation, Le Tatoué s'établit comme le neuvième film le plus vu dans les cinémas français au cours de l'année 1968, avec deux millions d'entrées[44]. Le Tatoué se maintient dans les trente meilleurs résultats hebdomadaires nationaux jusqu'en . À la fin de l'année, le film frôle les trois millions de spectateurs[45].
Au terme de son exploitation en salles sur plusieurs années, Le Tatoué enregistre 771 586 entrées sur Paris et sa périphérie, et 3 211 778 entrées dans la France entière[6],[46]. Le triomphe commercial espéré pour un tel duo d'acteurs n'a pas eu lieu mais le résultat est néanmoins enviable[aa]. Denys de La Patellière déclare que « les producteurs sont rentrés dans leurs frais, et même un peu mieux. Mais ils en attendaient sûrement mieux »[aa]. Avec le recul, Le Tatoué est à la huitième place du box-office des films sortis en France en 1968, quelques places derrière deux autres films de Louis de Funès, Le Gendarme se marie (en deuxième position du classement) et Le Petit Baigneur (quatrième), tandis que Le Pacha avec Jean Gabin est à la dix-huitième place[47]. Il s'agit du cinquième meilleur box-office de son réalisateur[48] et de l'un des plus grands succès du scénariste Pascal Jardin[t]. C'est le premier film de Louis de Funès depuis Le Corniaud (1965) à ne pas connaître le grand succès public attendu[ab]. Véritable « empereur du box-office français » à cette période, il enchaîne en tant que nouvelle vedette des succès colossaux d'au minimum quatre à cinq millions d'entrées[49]. Jusqu'alors, les 3,5 millions de Fantomas contre Scotland Yard (1967) constituaient son box-office le plus bas[49]. Dans son palmarès personnel, Le Tatoué est donc une déception[ab]. Le Gendarme se marie, à partir d', le fait renouer avec des résultats bien plus glorieux[6]. Ces chiffres sont, à l'inverse, notables pour le box-office de Jean Gabin. Sans rencontrer les francs succès qu'il avait connu auparavant, Gabin aligne tout au long des années 1960 d'honorables scores d'environ deux millions d'entrées par film (à l'exception des quatre millions du Tonnerre de Dieu en 1965)[50]. Il avait essuyé en 1966 le revers du Jardinier d'Argenteuil (moins de 900 000 spectateurs) mais avait su retrouver sa côte avec Le Soleil des voyous l'année suivante et Le Pacha à partir de [6],[51],[52]. Le Tatoué lui offre un nouveau succès d'ampleur, certes peut-être imputable à la popularité de Louis de Funès[6]. À la fin de la décennie, Gabin connaît un vrai triomphe, lui aussi explicable par sa réunion de vedettes : Le Clan des Siciliens, tourné avec Alain Delon et Lino Ventura, engrangeant près de cinq millions d'entrées[53]. Accueil critiqueLe Tatoué reçoit des critiques mitigées[aa],[ac]. Quelques journaux livrant toujours de très bonnes critiques sur les films de Louis de Funès sont favorables[aa]. Robert Chazal, soutien indéfectible de l'acteur dans France-Soir, titre sa critique : « Un match Gabin-de Funès où le rire est vainqueur »[aa]. Le Parisien libéré souligne un « un rythme léger, enlevé, élégant, sans la moindre pointe de vulgarité (…) La rencontre Jean Gabin / Louis de Funès fait des étincelles et met le feu à la poudre. Ce tandem est assuré d'une célébrité aussi vaste que celle de l'autre tandem, Bourvil / de Funès »[aa]. Le Film français parle d'un « film distrayant étayé par un scénario adroitement équilibré » mais, étant axé sur l'aspect économique du cinéma français, ce magazine garde une certaine neutralité de principe dans ses critiques[aa], d'autant plus que les producteurs du Tatoué lui ont réservé une page entière de publicité en cas de succès[ac]. Outre ces exceptions, la presse est déçue et parfois agressive[aa]. Le Figaro fustige un « divertissement qui louvoie sans grâce et sans légèreté »[aa]. Elle qualifie la verve d'Alphonse Boudard de « mince », sans savoir que plus aucun dialogue n'est de lui dans le film fini[e]. Georges Charensol déplore dans Les Nouvelles littéraires que « le malheureux metteur en scène louvoie entre cent Charybde et mille Scylla. Résultat, un film lourd, lourd, lourd, et où les deux vedettes ne sont pas tellement à leur aise. Gabin s'en tire en décidant d'être, d'un bout à l'autre, furibond. Mais de Funès a du mal à nuancer le personnage de salaud que les circonstances contraignent à se montrer bon prince, qu'il a imposé dans ses films précédents », un analyse assez pertinente de ce qu'il s'est passé lors du tournage[aa]. À l'international, la critique n'est guère plus enthousiaste. La Libre Belgique juge que « tous les (rares) gags sont téléphonés ; le récit avance à cloche-pied au rythme d'une caméra paresseuse époussetant les paysages ; les acteurs, sans texte ni direction, s'efforcent en vain d'être drôles (…) Si vous ne craignez pas de fausser l'éducation artistique de vos enfants, ils peuvent voir ce film en toute sécurité morale »[aa]. Le magazine américain Variety considère que « si certains passages s'avèrent drôles, grâce au talent du duo, la réalisation est molle, et les péripéties banales et répétitives. Le culte français pour les valeurs du passé s'opposant à celles de la modernité et du profit est un peu trop manichéen pour s'attirer les sympathies d'un public international »[cit. 1]. Sorties à l'étrangerLe Tatoué sort dès le en Italie, pays de coproduction, sous les titres Nemici… per la pelle ou Il tatuato[54]. Le film sort aussi en Allemagne de l'Ouest le , nommé Ein Giftzwerg macht Rabatz ou Balduin, das Nachtgespenst et même Oskar läßt das Sausen nicht d'après Oscar (dans la lignée des déroutantes habitudes des distributeurs allemands), en Espagne le (à Madrid) et le (à Barcelone) titré El tatuado, en Suède le sous le titre Den tatuerade legionären, au Danemark, le nommé Av - min ryg!, en Turquie en titré Damgali adam, en Allemagne de l'Est le , et en Argentine le aussi nommé El tatuado[54]. Le film réunit 966 753 entrées en Espagne[50]. Le film connaît également des sorties au Canada (sous son titre français), en Bulgarie (Татуираният ou Броненосецът), en Finlande (Tatuoitu legioonalainen), en Grèce (Dyo trelloi trelloi kombinadoroi), en Hongrie (Nicsak, ki tetovál?, au Japon (刺青の男), en Norvège sous-titré (Unnskyld, får jeg flå Dem?), en Pologne (Człowiek z tatuażem), au Portugal (Com a Fortuna às Costas), en Roumanie (Tatuajul), en Tchécoslovaquie (nommé Tetovaný en tchèque), en Yougoslavie (titré Tetoviran en serbe), en Ukraine (Татуйований) et en Union soviétique (Татуированный)[54]. Le titre anglophone international, notamment pour l'exploitation au Royaume-Uni et aux États-Unis, est The Tattoo[54]. PostéritéLe Tatoué contribue à la notoriété du château de Paluel, encore cinquante ans après sa sortie sur les écrans[55],[56],[57]. Après plusieurs changements de propriétaires, une restauration est entamée à la fin des années 2010 et le château ouvre pour la première fois à la visite à partir de l'été 2022[58]. Procès liés au filmEn 1970, Alphonse Boudard remporte en appel une procédure judiciaire pour ne plus être crédité au générique du film[g], affirmant que son « scénario initial ayant été totalement modifié par un nommé Pascal Jardin[ad] ». Après son abandon de l'écriture du scénario, il avait été convenu que l'adaptation de sa nouvelle se ferait sans lui, mais qu'il serait mentionné « selon une idée originale d'Alphonse Boudard », sauf s'il décidait de retirer son nom du générique en ayant vu le film fini[g]. Le problème est que le film a été présenté au public sans avoir été soumis au préalable à Boudard, qui assigna donc Les Films Copernic à l'enlever du générique et à lui reverser des dommages-intérêts[g]. La société de production conteste la décision, affirmant que la nouvelle Gégène le tatoué de Boudard et le scénario qu'il en a tiré sont une contrefaçon d'une nouvelle de Roald Dahl, Peau, parue en France en 1962, mais son pourvoi en cassation est rejeté[g]. Au départ, la cour a reconnu le travail de Boudard comme une contrefaçon de l'histoire de Dahl mais l'appel avait invalidé cette décision au motif que « l'existence de cette contrefaçon ne pouvait être appréciée en l'absence de Dahl, auteur de l'œuvre dite contrefaite »[g],[s]. En 1971, Roald Dahl intente un procès pour contrefaçon et concurrence déloyale à Alphonse Boudard et la société de production[s]. Sa nouvelle Peau a un sujet proche du film : un vieil homme, Drioli, a sur la peau du dos un portrait de sa femme tatoué un soir de beuverie par le peintre Chaïm Soutine, trente ans auparavant, alors que l'artiste était inconnu ; l'œuvre vaut désormais une fortune et la peau du pauvre vieillard est convoitée par les marchands d'art, qui multiplient les offres pour en disposer après sa mort ou la faire découper par un chirurgien[s]. Si de grandes similarités entre les intrigues sont reconnues, la cour estime que le traitement et le ton des deux histoires sont trop différents, et surtout que l'idée d'un tatouage réalisé par un grand artiste est loin d'être originale, citant par exemple un récit de Pierre Mac Orlan dans la Gazette du bon ton en 1925[s]. L'écrivain britannique perd ce procès[s]. Dans la réalitéLe scénario du Tatoué repose sur un acte illégal en France, car contraire au principe de non-patrimonialité du corps humain[59],[ae]. À la même époque, un fait divers rappelle l'intrigue du film : une jeune fille de dix-sept avait accepté de se faire tatouer, pour le film-documentaire Paris-secret (1965), une Tour Eiffel et une rose sur la fesse, et d'apparaître posant nue au cours de la séance de tatouage ; le dessin devait ensuite être prélevé quinze jours après par exérèse (là aussi filmée) et devenir la propriété du producteur, qui comptait ensuite le vendre aux enchères[59],[60],[ae]. L'opération lui laissant de douloureuses et visibles séquelles, l'ex-tatouée lance un procès à la production : la justice annule ce contrat illicite (d'après le principe d'indisponibilité du corps humain), immoral (filmer une mineure nue, la tatouer puis prélever sa peau pour la vendre, le tout rémunéré seulement 500 francs), et contraire à l'ordre public (car la scène du film est « susceptible de nuire aux bonnes mœurs ») ; les producteurs sont condamnées à supprimer la scène du film, à indemniser la plaignante et à lui restituer le lambeau de peau[59],[60],[61],[ae]. En 2008, un cas similaire au film se produit : le collectionneur Rik Reinking (de) achète pour 150 000 euros un tatouage réalisé sur un homme par l'artiste belge Wim Delvoye, également connu pour des expositions controversées de porcs tatoués naturalisés[62],[63],[64],[ae]. Delvoye avait passé quarante heures à tatouer Tim Steiner, ancien militaire suisse né en 1976, et donna à l'œuvre le nom Tim, 2006[63]. La somme de 150 000 euros est partagée à parts égales entre une galerie, l'artiste et le porteur[63],[64],[62]. D'après la galerie, il s'agit de la première transaction de ce type dans le monde[62]. La loi suisse permet ce genre de vente, contrairement à la loi française[64]. Le contrat de vente contraint Steiner à exposer plusieurs fois par an l'œuvre dans des galeries et musées[64], et autorise l'acquéreur à la revendre ou la léguer comme n'importe quel autre bien[62],[ae]. Le tatouage sera prélevée à sa mort, tanné puis encadré[64],[62],[ae]. Tim Steiner a notamment exposé son tatouage au musée du Louvre en 2012[64]. Cette histoire inspire le drame franco-tunisien L'Homme qui a vendu sa peau (2021) ; quelques critiques rapprochent ainsi l'intrigue de celle du Tatoué[65],[66]. Aux États-Unis, la NAPSA, association nationale pour la préservation de l'art de peau, mène un projet à un but non lucratif pour permettre aux porteurs de tatouages de le préserver après leur mort, en le prélevant et le traitant pour le conserver[67]. Exploitations ultérieuresDiffusions à la télévision françaiseÀ l'instar des autres films de Jean Gabin ou de Louis de Funès, Le Tatoué est régulièrement programmé à la télévision française et remporte de bonnes audiences. Les plus anciennes traces de diffusions datent de 1974, 1976, 1980 et 1982[68],[69]. La diffusion en a lieu en hommage à Jean Gabin, peu après sa mort : à cette occasion, l'édition française du journal chinois Le Quotidien du peuple qualifie le film de « cabotinage sur fond de philosophie réactionnaire »[af]. La première diffusion recensée par l'Inathèque remonte au mardi sur France 2 à 20 h 50[70]. La treizième diffusion, le sur France 3 à 20 h 35 (suivi de La Traversée de Paris), constitue la cinquième meilleure audience cinématographique de l'année pour la chaîne, avec 4,2 millions de téléspectateurs et 14,7 % de part d’audience[71]. En programmant Le Tatoué le , la chaîne D8 de la TNT, alors récemment créée, réalise sa deuxième meilleure audience historique en attirant 1,46 million de téléspectateurs[72]. Selon un rapport arrêté en 2014, le film a alors été diffusé au total seize fois sur les chaînes nationales gratuites françaises[73]. Éditions en vidéoEn vidéo, Le Tatoué sort d'abord en VHS, avec notamment des éditions en 1991 (en tant que no 4 de la collection « De Funès »)[74] et en 1992 (dans une collection « Gabin ») chez TF1 vidéo[75], puis en 1998 chez Canal+ vidéo[76] (ensuite inclus dans un coffret duo « Gabin » avec Monsieur[77] et dans la collection des éditions Atlas qui lui est consacrée[78]). Par la suite, le film est présent dans plusieurs intégrales de VHS, en 2002 dans un coffret intitulé L'essentiel de Louis de Funès : 20e anniversaire incluant huit autres films[79], ainsi qu'en 2004 dans un coffret titré Louis de Funès : l'indispensable contenant au total douze films[80]. Le film sort en DVD en 2002 chez Canal+ vidéo[81], repris en 2004 en duo avec Monsieur[82], en numéro de la collection « Acteurs, actrices de légende — Jean Gabin »[83],[84], et en tant que no 7 de la collection « Comiques de légende »[85]. Il est inclus dans une collection Gabin en 2006[86]. En 2009, le film est présent dans un coffret avec La Zizanie et L'Avare[87] et dans une intégrale de huit films titrée L'essentiel de Louis de Funès[88]. En 2016, Le Tatoué sort en Blu-ray, par Studio Canal, dans une version restaurée[84]. L'édition ne contient aucun bonus[84]. Cependant, le menu en allemand comprend une bande-annonce en anglais où le film est nommé The Million dollar tattoo[84]. Celle-ci inclut également des scènes ratées où Jean Gabin et Louis de Funès rient entre eux[84]. Le Tatoué fait ensuite partie de plusieurs intégrales DVD de films de Louis de Funès[88],[89]. AnalyseAnalyse critique
— Denys de La Patellière, années 2000[ag]. Cette rencontre prometteuse de Jean Gabin et Louis de Funès en tête d'affiche est jugée décevante par plusieurs auteurs. Dans le Guide des films de Jean Tulard, le critique Claude Bouniq-Mercier parle d'« un film sinistre où les bonnes intentions ne suffisent pas. Gabin cabotine… de Funès grimace… »[90]. Dans les années 1960, Jean Gabin voit son jeu d'acteur et ses choix de scénarios contestés[3],[91],[b]. Le critique Pierre Marcabru estime qu'il fait toujours le même numéro, qu'il « gabinise »[3]. Le vénérable acteur s'enferme en effet dans une certaine routine en imposant les seconds rôles, les mêmes réalisateurs, équipes techniques et auteurs de ses films, ainsi qu'en s'attachant aux producteurs pour une plus grande sécurité financière[3]. Dans cette dernière partie de sa carrière, selon le critique Jacques Siclier, « Jean Gabin, à de rares exceptions près, n'a pas cessé d'être un personnage monolithique. [Quel que soit le scénariste], Gabin est resté « Monsieur Gabin », une sorte de patriarche à l'air buté ou sûr de lui, tout d'une pièce, tout d'un bloc, exprimant, souvent, une sorte de bon sens râleur qui convient au Français moyen de la France contemporaine. La diversité des rôles, chez Gabin, compte moins que la permanence d'un caractère, d'un archétype. Gabin est toujours prévisible. Son métier, son professionnalisme étant l'évidence même, il est, solide comme un roc, un acteur populaire que le public continue à suivre »[ah]. Selon Jean-Marc Loubier, biographe de Louis de Funès, Jean Gabin n'est pas à son avantage dans Le Tatoué : « force est de constater que le film dessert un Jean Gabin qui, à 64 ans, se cherche. Il n'a plus, loin de là, le physique de La Bandera ou de Quai des brumes. Il a été ridicule dans Archimède le clochard, déplacé dans Les Vieux de la vieille. Gabin est en dessous de tout, comme s’il se sentait traqué et poussé au rancart. Il apparaît, sous de mauvais éclairages, aviné, rougeaud, et terriblement cabotin. Il ressemble à ces acteurs des années trente en fin de carrière, qui se démènent comme de beaux diables pour faire croire qu’ils existent encore. Dans Le Tatoué, Gabin est indigne de son talent. Louis de Funès s'en sort un peu mieux parce qu'il n'en fait pas trop. Il joue sobrement et emporte la décision »[k]. Sa fille Florence Moncorgé-Gabin le classe comme le film de son père pour lequel elle « éprouve le plus d'aversion »[92] : « Je n'aime pas ce film où mon père frise le ridicule. Face à un de Funès très à l'aise dans son personnage, on trouve un Gabin en décalage avec ses rôles habituels, et qui en fait des tonnes pour exister face à un génie de la comédie. La face rubiconde non maquillée, ayant énormément grossi, caricatural à l'extrême, il y est très proche des personnages de Molière qui n'ont jamais figuré à son répertoire. »[ai]. Louis de Funès paraît davantage dans son élément, malgré la difficulté du tournage et bien que son personnage soit étrangement construit[91],[ai],[y]. Dans son étude de la filmographie funésienne, Claude Raybaud estime que « le film tout entier est une suite presque ininterrompues du « personnage de Funès ». Un modèle du genre, dès la première scène ! »[aj]. Toutefois, le scénario est déséquilibré et emploie Louis de Funès dans un usage inhabituel par rapport à ses précédents personnages[y]. L'attaché de presse Eugène Moineau reconnaît a posteriori : « ce que personne n’a vraiment remarqué sur le moment [lors du tournage], c'est que de Funès finissait par être la victime »[y]. Adhérant à ce point de vue, Bertrand Dicale, autre biographe funésien, relève que « le scénario inverse progressivement la posture du marchand de tableaux qui, de dictatorial, brutal et antipathique — le personnage typique de de Funès —, finit par être ballotté, brutalisé, soumis. Les scènes ultimes, en montrant les deux héros complices dans l'épicurisme puis dans la défense du château, consacrent même la défaite du personnage de de Funès. Le problème n'est pas qu'« il perd à la fin », comme disent les enfants (justement, il ne « perd » pas) mais qu'à la fin du film son personnage n'a plus de raison d'être, tant il s’est adouci. Comme si le gendarme se dépouillait de l'uniforme pour chaparder des pommes à l'étalage avec Guignol… »[y]. Claude Raybaud remarque ainsi qu'« à la fin, et contrairement aux habitudes, de Funès ne courtise pas le ministre venu visiter le château restauré, mais le précipite dans le cul de basse-fosse. La fin est burlesque et étonnante, comparable à celle d'Hibernatus lorsque de Funès va se faire congeler »[aj]. Le critique américain James Travers conclut : « toute tentative de rationaliser l'intrigue ou d'analyser la relation entre les deux personnages principaux est vouée à l'échec. Le meilleur chose à faire est de s'asseoir et simplement profiter du film pour ce qu'il est : une comédie française pétillante et très théâtrale de ces années 1960 pleines de couleurs »[91],[note 8]. Reflet de l'époqueLe Tatoué incarne la mutation de la société française en cette fin des années 1960[ak]. Le critique Pierre Billard analyse un pertinent reflet de l'époque dans le film[z]. Dans son article « La France vote pour de Funès », plusieurs mois après les élections législatives post-mai 68, il voit en l'acteur l'incarnation du Français, tout en ciblant une catégorie particulière[z]. Le personnage bien défini de Louis de Funès permet de mettre en scène la bourgeoisie française du temps, à la fois attachée aux habitus et conventions de cette classe et s'accommodant aux valeurs modernes de la quête effrénée du bénéfice et de la société de consommation[z]. Ses rôles de patrons dans Oscar (1967) et Le Petit Baigneur (1968) incarnaient déjà ce modèle[z]. Variation, Mézeray reflète plus précisément ici le « nouveau riche, empêtré des usages et des rites du milieu auquel il accède : il se complaît dans un luxe ostentatoire et tente en vain de se faire voussoyer par sa femme »[z]. Son goût pour l'argent est dans ce film particulièrement exacerbé : « Rien ne compte pour lui que l'argent, la réussite, faire des affaires vite et bien. Les sentiments, l'érotisme, l'amitié, la curiosité intellectuelle, le travail désintéressé, le loisir culturel n'ont aucune place dans cette vie entièrement tournée vers l'efficacité matérielle immédiate »[z]. D'un autre côté, alors que le public français s'identifie facilement à Louis de Funès, son personnage tient aussi, de film en film, d'un aspect « typiquement français en ceci qu'il manque de moyens : l'astuce, la roublardise, le système D suppléeront à ses insuffisances »[z]. Le rôle du marginal comte-légionnaire offre un contrepoint à cette vie tournée vers le profit, à l'instar des personnages de Bourvil dans La Grande Vadrouille (1966) — « simple, naïf, fraternel et désintéressé » — ou de Robert Dhéry dans Le Petit Baigneur — « paisible et comblé, amoureux de pêche à la ligne et de cassoulet »[z]. Le personnage de Jean Gabin donne à voir une autre facette de la bourgeoisie française, tournée vers la tradition, avec cet « héritier de grandes traditions coloniales, ancien légionnaire, aristocrate ruiné, et grand maître de l'art de vivre », qui parvient à convertir Mézeray à un bonheur simple[z]. Le critique Robert Chazal, dans sa biographie de Louis de Funès, relève que « chaque fois qu'il le peut, Denys de La Patellière file un couplet nostalgique sur le thème de l'aristocratie déchue et incomprise. Ce n'est plus très méchant, cela prête à sourire. Dans le cas du Tatoué, c'est ce que [Montignac] tient de la roture qui lui donne quelque pittoresque et non pas ses gueulantes de seigneur dans la dèche »[al].
— Pierre Billard, « La France vote pour de Funès », L'Express, [z]. De plus, Le Tatoué met en avant la bonne chère, élément emblématique de la culture nationale, souvent présente dans le cinéma français, particulièrement dans les films de Jean Gabin, grand bon vivant, mais aussi ceux de Louis de Funès[am],[an]. Les Trente Glorieuses sont une époque de prospérité économique où une partie des Français s'offre de copieux repas, comme pour combler les manques de la Seconde Guerre mondiale[an]. Legrain dévore divers plats tout au long du film et initie Mézeray aux plaisirs de la table[am],[an]. D'autres films funésiens expriment cette tendance, de l'entrecôte cuisinée par l'adjudant Gerber pour contrecarrer le mal du pays dans Le Gendarme à New York (1965), en passant par les mets échappant aux privations de l'Occupation dans La Grande Vadrouille (1966), la haute gastronomie du Grand Restaurant (1966), jusqu'à la cuisine paysanne du Glaude dans La Soupe aux choux (1981)[an]. Les Grandes Vacances (1967) la célèbre en creux en raillant les incongruités de la cuisine britannique[an]. Notes et référencesNotes
Citations
Références bibliographiques
Autres références
AnnexesArticles connexesBibliographie
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