La Argentina (danseuse)Antonia Mercé y Luque
Sépulture de La Argentina au cimetière ancien (div. 3) de Neuilly-sur-Seine. Antonia Mercé y Luque, plus connue sous son nom de scène la Argentina, est une danseuse et chorégraphe espagnole née à Buenos Aires le et morte à Bayonne le . Elle est considérée par beaucoup comme une des plus grandes novatrices de la danse espagnole du XXe siècle. BiographieNée de parents danseurs originaires d'Espagne[1], elle entre au Théâtre royal de Madrid à neuf ans[2]. En 1910, elle est remarquée au Moulin-Rouge de Paris[3] dans une « espagnolade », qui lui ouvrira plus tard les portes de l'Opéra de Paris. Connue pour être une grande féministe progressiste, elle hérite de Serge de Diaghilev la direction des Ballets espagnols à Paris [réf. souhaitée]. Tout au long de sa carrière, elle sera amenée à collaborer avec des artistes de l'avant-garde espagnole tels que Manuel de Falla, Enrique Granados, Isaac Albéniz, José Padilla Sánchez ou Federico García Lorca. Elle meurt le , jour du soulèvement d'une partie de l'armée (au Maroc espagnol et dans les gouvernements militaires de la métropole) contre le gouvernement et la présidence de la République espagnole[4]. Les journaux du monde entier font part de la perte de celle qu'ils considéraient comme la Pavlova du Flamenco.[réf. souhaitée] Les grandes dates de sa vie publique1890 — Le , naissance d'Antonia Mercé à Buenos Aires. 1899 — Elle entre au conservatoire de Madrid où elle suivra, de sa 9e à sa 14e année, les classes de solfège, de musique générale, chant et danse. Bien qu'intéressée par la musique et douée d'une belle voix juste de contralto, elle s'applique à chanter faux et à rater ses examens : ce n'est pas chanteuse, mais danseuse, qu'elle veut être ! À 11 ans, passant brillamment tous les concours de danse, elle est engagée comme première danseuse au Théâtre Royal. Les succès qu'elle remporte et l'intérêt que l'on témoigne à "antonita la delgada " (la mince) commencent à ébranler l'opinion de sa mère. À la maison, son père étant âgé et paralysé, elle aide sa mère en donnant elle aussi des cours ; elle fait preuve de tant de connaissances et de personnalité que ses parents se déclarent vaincus. Ils ne s'opposeront plus à sa vocation. 1903 — Son père meurt, après une longue paralysie. Elle a 13 ans à peine. Il faut faire face aux exigences de la vie. Elle doit travailler.
À 14 ans, Antonia Mercé a donc quitté le Théâtre Royal et, par goût et volonté personnels, portée aussi par la tendance du moment, elle s'est évadée de la technique académique qui lui servira toujours, néanmoins, dans la réalisation de son idéal : faire monter la danse folklorique de son pays sur scène, stylisée, mais toujours authentique, l'élever à la plus haute valeur artistique. Et ce seront de très dures années de travail et de lutte pour arriver, à force de ténacité, à s'affirmer et à imposer au public sa propre conception de la danse espagnole. À la fin du XIXe siècle, ce sont les Italiens qui règnent en maîtres à l’opéra de Madrid. En réaction à cette hégémonie, le public espagnol montre alors beaucoup d'engouement pour ces petites pièces en un acte qui tiennent de la revue musicale et de l'opérette, ayant toujours l'Espagne pour toile de fond, et qui se succèdent à un rythme très soutenu sur les scènes madrilènes : les zarzuelas. La famille royale encourage cette forme d'expression par des prix. Bien qu'il s'agisse là d'un genre mineur, il faut sans doute y voir le point de départ de ce renouveau d'intérêt pour les racines de l'art espagnol. Elle gravit lentement les premiers échelons du succès. 1906 — Première tournée au Portugal. Débuts à Paris, qui l'a toujours attirée, au Jardin de Paris. 1910 — On la remarque au Moulin rouge, dans une opérette de MM. Halévy, Joullot et Mareil, musique de Joaquin Valverde, L’Amour en Espagne[5],[6]. De 1910 à 1914, elle se produit au Jardin de Paris, au Concert Mayol, au Moulin Rouge, à l'Olympia, aux Ambassadeurs... et sa renommée ne tarde pas à se répandre en Europe. Sa Corrida, créée dans L’Amour en Espagne, deviendra la danse finale de ses récitals, plus tard et jusqu'à la fin de sa vie. 1912 — Le sculpteur Sebastián Miranda offre un banquet en son honneur à Madrid. Le peintre Angel Nieto lui offre son portrait au pastel signé de tous les intellectuels les plus en vogue. 1914 — C'est une jeune fille qui n'a pas encore la beauté de sa maturité, mais le journaliste Néstor Lujàn la décrit ainsi : « C'est la danseuse la plus douce et attendrissante qu’ait connue la danse espagnole. » Anatole France écrit à la même époque : « La Argentina est unique », puis, dans un article suivant : « ses attitudes ont tant de rythme et de grâce que ce sont de la musique pour les yeux ». Elle danse en France, en Angleterre, en Allemagne. La déclaration de guerre la surprend en Russie, où elle est très appréciée. 1915 — On lui offre la médaille des Beaux-Arts de Madrid. L’Athénée, cercle madrilène très fermé d'intellectuels, la reçoit et lui rend hommage. Des poèmes sont lus en son honneur. Certains d'entre ceux qui l'ont vue ont senti qu'une personnalité puissante, qu'une âme exceptionnelle animaient cette jeune fille, si différente de ses compagnes. Et, voulant soumettre son art au jugement d'une élite, ils la conduisirent un jour à l'Athénée de Madrid. El Ateneo est une académie, une sorte de cercle, mais absolument fermé, où se rencontrent des intellectuels et des artistes, des écrivains et des poètes, des peintres et des musiciens. C'était la première fois qu'une danseuse était introduite dans ce temple de l'Art. Ce fut la seule. Entourée d'un public de choix, sentant que l'idéal qu'elle portait trouvait là un terrain propice et une compréhension totale, la jeune fille s'abandonna toute au dieu qui l'habitait. Elle dansa, et ceux qui la virent comprirent que la Danse, qui compte tant d'appelés et si peu d'élus, possédait désormais une prêtresse, dont les gestes et les pas comportaient une telle somme de beauté qu'ils conféraient à la danseuse quelque chose de sacré. L'enthousiasme qui les souleva fut immense. Le lendemain, toute l'Espagne des penseurs et des artistes commentait cette danse étonnante et y découvrait un peu de ce qu'Antonia Mercé s'efforçait d'y mettre. Tous avaient reçu une impression de beauté si absolue et si intense que celle-là même qui la leur avait dispensée en fut bouleversée. Ce jour-là, elle prit une conscience totale et définitive de sa mission. 1916 — Granados l'emmène à New York créer la Danse des Yeux verts (elle avait d'admirables yeux d'un vert velouté) sur la musique qu'il a composée pour elle et qui sera sa dernière œuvre. À New-York, à une exposition du Prince Troubetzkoï, le Musée Hispanique de New-York acquiert une statuette représentant Argentina. Ce même sculpteur fera d'elle, plus tard, une autre statuette, dans sa danse Cordoba. 1917 — Les ouvriers de Mexico lui offrent une médaille d'or ainsi gravée : « Les Ouvriers de Mexico, à la gentille Argentina ». 1919 — Aussitôt la guerre finie, elle revient danser en Espagne et en France, à la Réserve de Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz. Ciboure fut une étape importante de sa carrière, car tous les Parisiens réfugiés sur la côte basque pendant la guerre y étaient encore ; beaucoup d'entre eux la virent là pour la première fois et lui firent une ovation, en attendant de la revoir à Paris. Pierre Laffitte et Robert Ochs, alors directeur de la revue Femina, de retour à Paris, annoncèrent rapidement la nouvelle de la réapparition de la danseuse sur les scènes françaises, réapparition qui fit partout sensation. Elle s'installe à Paris, au 36 de la rue Singer, dans le 16e arrondissement[7]. 1921 — A Marid, "Montecristo", un célèbre journaliste, donne une soirée en son honneur et invite les aristocrates espagnols et le corps diplomatique à apprécier la haute qualité de sa danse. 1922 — Elle collabore, pour ses spectacles, avec le poète Garcia Lorca, le peintre Sert, le musicien Femandez-Arbos. 1923 — Le grand historien et critique de danse André Levinson la choisit pour illustrer ses conférences à Paris. 1924 — Le public parisien la découvre à l'Olympia, où elle se produit en seconde partie, entre Antonin Berval qui fait lui-même ses propres débuts sur scène parisienne et Gina Palerme, artiste de music-hall alors consacrée[8]. Elle reviendra à l'Olympia en 1926, en artiste principale. 1925 — Elle rencontre Amold Meckel, manager russe, qui sera son impresario pour toute la suite de sa carrière, la suivant dans son travail avec une compétence et un dévouement remarquables. Et surtout, elle monte au Trianon Lyrique, à Paris, grâce à Mme Bériza, L'Amour sorcier de Manuel de Falla[1]. Alors que la critique est prête à affirmer que la danse n'apportera rien à l'œuvre de De Falla, tant la musique est suggestive, Argentina obtient un triomphe. Le Tout-Paris se réunit pour elle dans les salons de la revue Fémina. Elle quitte le 16e pour le 17e arrondissement : 15, rue Saint-Senoch. Premiers concerts, en tournée européenne, avec le compositeur Joaquin Nin qui lui a dédié sa Danse ibérienne et la cantatrice Alicita Felici. 1926 — A l'Olympia : "Un siècle de danse espagnole". Le , Salle Gaveau à Paris, premier récital, toujours partagé avec Joaquin Nin et Alicita Felici, et comportant le même programme. Elle danse à la Comédie-Française à une soirée d'adieu de Georges Berr, de la Comédie française. Le , Salle Gaveau, Argentina participe à un hommage à Manuel de Falla par l'Université des Annales. À partir de la fin de cette année, elle se produit seule, simplement accompagnée d'un pianiste, parfois d'un guitariste, dans toute l'Europe. Elle fait de nombreux voyages dans les provinces espagnoles pour retourner aux sources de son art. Le roi Alphonse XIII d'Espagne lui offre, en gage d'admiration, un superbe poudrier d'or gravé de sa signature. Le célèbre peintre allemand Max Slevogt fait son portrait dans le Tango Andalou. 1928 — Elle s'entoure d'une troupe et crée les "Ballets Espagnols" qui connaissent un immense succès. Elle poursuit ses tournées de récitals dans le monde entier : New-York, Chicago, Brooklyn, Boston, Worcester, Providence, New Haven, Montréal, Mexico, Cuba, Buenos-Aires, Los Angeles, San Francisco, Honolulu, Manille, Tokyo, Shangaï, Saïgon, Calcutta, Bombay, Le Caire, Tunis... 1929 — Au cours d'une tournée aux États-Unis, qui la reverront six années de suite, elle est appelée à danser devant la célèbre Helen Keller, sourde, muette et aveugle, qui, à son contact, éprouva une telle émotion qu'elle lui écrivit cette dédicace : « À la Argentina, dont les pieds et les mains font la musique, et dont l'âme est un reliquaire immortel de beauté. » L'Institut des Espagnes, à New-York, lui rend un grand hommage où interviennent le poète Garcia Lorca, le philosophe Federico de Onis, le peintre Garil Maroto, le critique d'art Angel del Rio. Une brochure est éditée. Elle continue de créer, offre son concours bénévole à de nombreux galas de bienfaisance, donne des récitals dans le monde entier. Elle se fixe définitivement à Neuilly-sur-Seine, 12 boulevard des Sablons, gardant le rez-de-chaussée de la rue Saint-Senoch comme studio de travail. 1931 — De retour de ses tournées habituelles en Europe et en Amérique, Argentina donne un premier récital à l'Opéra de Paris, qui continuera de l'accueillir jusqu'à ses derniers concerts. 1933 — Elle illustre, à Paris, à l'Université des Annales, les conférences de Guy de Pourtalès. 1934 — Le , elle danse au Palais Royal pour le corps diplomatique de la Présidence de la République. En avril, elle a enfin la joie de monter L'Amour Sorcier à Madrid, dans son propre pays. Toute la presse espagnole, unanime, salue son succès. À la suite de la création de sa Suite Argentine, la Presse Latine, à Paris, lui offre un Laurier d'Or. 1935 — Le , elle danse à la Maison-Blanche. Dernière apparition à Madrid au Théâtre Espagnol, au profit d'un vieux chanteur espagnol, Femando de Riana, pour l'aider à publier son livre Arte y Artistos flamencos. Le , elle danse à l'Academy of Music de New York dans un programme des All Star Concert Series. 1936 — Après celles d'André Levinson et de Guy de Pourtalès, ce sont les conférences de Paul Valéry qu'elle vient illustrer à l'Université des Annales, le . En , elle rencontre le danseur indien Uday Shankar[9]. Les 19, 22, 24 et , dernières apparitions à l'Opéra de Paris dans L'Amour Sorcier[10]. Sur scène, sans que le public s'en aperçoive, on lui fait passer ses pilules pour le cœur pour qu'elle puisse terminer le spectacle, car elle se sent mal. Le lendemain , elle-même prend la parole, en français, faisant une conférence sur le langage des lignes. Le , elle assiste, à Saint-Sébastien (Pays basque espagnol), à une fête folklorique donnée en son honneur par le R. P. Donostia. Le Père Donostia était un savant musicien, compositeur lui-même et célèbre du Pays basque. Argentina l'avait appelé à Bayonne pour qu'il l'instruisît des vieux chants du folklore basque sur lesquels elle voulait danser. « Passez, madame, lui dit le douanier, la reconnaissant à la frontière, vous êtes une des gloires de l'Espagne ! » C'est au retour, dans sa villa de Bayonne où elle était venue pour un repos inhabituel de quelques jours, qu'une crise cardiaque figea son beau, son merveilleux sourire. Elle avait quarante-cinq ans[11]. Distinctions
Principales créations de La ArgentinaToutes ces créations sont d'inspiration ibérique. Danses de concert
Ballets
Discographie
RéceptionAndré Levinson, célèbre critique de danse, écrit à propos du flamenco et de La Argentina :
— André Levinson, La Danse d'aujourd'hui, 1928.
— André Levinson, La Argentina, Paris, Éd. des Chroniques du Jour, 1928. À la fin d'une conférence prononcée à l'Université des Annales en 1936, Paul Valéry salue l'art de La Argentina, à qui il va céder la place sur scène :
Son charisme, devenu légendaire, inspire en 1977 à Kazuo Ōno un vibrant Hommage à Argentina qui reçut au Japon un prix prestigieux décerné par le "Dance Critics' Circle Award"[13]. Notes et références
Voir aussiBibliographie
Liens externes
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