En musique, le hoquet, hoquetus en latin, est, comme le canon et le tuilage, une pratique rythmique devenue une technique de composition, principalement vocale mais aussi instrumentale, qui consiste à faire alterner une ligne mélodique par plusieurs voix, chacune tout au long de sa partie s'interrompant et reprenant à contretemps des autres. Si par exemple la mélodie est jouée par deux voix, la première fera entendre une note quand la seconde a un silence, et inversement. Ainsi chaque voix jouée seule paraîtrait hachée mais l'ensemble produit une sorte d'harmonie en désaccord. Nommé du substantifvulgaire de la myoclonie phrénoglottique, c'est le contraire du déploiement(en), qui fait entendre deux mélodies en une seule voix.
La forme musicale du hoquet produit un effet auquel le cerveau se montre sensible en n'écoutant alternativement que dans un des deux hémisphères une des deux notes qui alternent, du moins quand celles ci le font à l'octave[1].
C'est en effet dans un même mouvement créateur que commencent d'être distinguées les notes semibrèves des longues et des brèves. Le procédé consiste alors à décomposer les « maneries » en plusieurs voix, par exemple une voix pour les notes longues et une autre pour les brèves, puis à ajouter dans chacune les silences pour qu'elles alternent de manière responsoriale. La première voix chante une syllabe et s'interrompt, la seconde prenant le relais et ainsi de suite. C'est cette technique d'interpolation de silences, pour faire correspondre ce qui a été décomposé de ce qui n'était jusqu'alors qu'une monodie, qui est à l'origine du hoquet. Elle est appelée truncatio vocis[4]. En l'appliquant, le compositeur veille à l'équilibre des contrastes en conservant à la teneur un cantus firmus quand les voix organales fleurissent en un cantus truncatus[5].
Dès les premières années du XIVe siècle, Walter Odington, théorisant la tradition de Sarum, décrit dans la sixième et dernière partie de son De Speculatione Musices la menue comme un tiers de semibrèves, et non une moitié, et de là les formes musicales les plus complexes, dont le rondeau, qui est un canon circulaire, tel le célèbre Sumer Is Icumen In, le tuilage et le « hoquetus contraduplex », un agencement de hoquets joués par deux ensembles. L'ars nova va sophistiquer la technique et même élaborer des compositions comme un jeu formel entièrement basé sur le hoquet. Les hoquets sont classés avec ou sans teneur, avec ou sans texte et certains recopiés dans le Chansonnier de Montpellier[8] puis l'Hymnorum Liber de Bamberg. Au tronçonnement de la voix, les chanoines ajoutent le procédé de la transposition d'une mélodie depuis une manerie vers une autre. Les silences interpolés sont alors allongés ou raccourcis, accentuant l'impression de hoquettement. Par conséquent, les durées des notes initiales sont divisées en laissant des restes, comblés par des notes ou des silences de durées plus petites. Cette technique est appelée resecatio. Le résultat est appelé cantus abscissus[9] mais reste difficile à noter[10] voire à expliquer précisément[11]. La performance demandée aux chantres s'en trouve souvent au-delà de leurs capacités[12].
La mode du hoquet provoque très tôt le rejet des esprits conservateurs, tels Jacques de Liège. Presque deux siècles plus tôt, en 1142, c'est-à-dire à la mort d'Abélard et au début du triomphe du moralismegrégorien, le cistercienÆlred de Rievaulx, fustigeant l'utilisation croissante de la musique à des fins de divertissement, se moquait déjà des ornements et du « ridicule d'un certain silence à menacer de presque interrompre la voix »[17]. Dès 1320, la règlecistercienne« interdit les notes syncopées mais aussi les hoquets tout simplement parce que de telles choses tendent plus à la dissolution des mœurs qu'à la dévotion. »[18]. En 1324, dans sa décrétaleDocta Sanctorum, le pape Jean XXII condamne le procédé, ainsi que d'autres techniques musicales de l'Ars nova dénoncée comme une incitation à la lascivité[19] et les considère comme non conformes à la pratique liturgique[20] :
« Ils chantent les mélodies d’Église avec des semi-brèves et des minimes, et brisent ces mélodies par des notes courtes. Ils coupent ces mélodies par des hoquets, ils se répandent en déchant, et vont même jusqu’à y ajouter des triples et des motets en langue vulgaire, de sorte que, perdant de vue les fondements de l’antiphonaire et du graduel, ils ignorent ce sur quoi ils bâtissent[21]. »
Dans la musique andine des sikus, le hocquet permet aux flûtistes, asphyxiés par l'altitude, d'économiser leur souffle alternativement. Ennio Morricone rend hommage à cette tradition dans No Escape, qui illustre le film Outrages[32].
Le hoquet voco-instrumental alterne des notes chantées et des notes jouées avec un instrument, généralement un aérophone. Il peut être réalisé en solo ou par une formation comportant plusieurs instruments du même type. Ce type de hoquet est pratiqué par exemple par les pygmées Aka ou les Ouldémé[47].
William Dalglish, « The Use of Variation in Early Polyphony », in Musica Disciplina, n° 26, p. 37-51, American Institute of Musicology, Münster, 1972 (ISSN0077-2461).
↑Paolo Emilio Carapezza, « Fondamenti fisiologici dell' opposizione dei due principi costituzionali di construzione ediscorso nella musica medievale », in Musica popolare e musica d'arte nel tardo Medioevo, p. 247-252, Officina de Studi Medievali(it), Palerme, 1982.
↑Denis Harbison, « The Hocket Motets in the Old Corpus of the Montpellier Motet Manuscript », in Musica Disciplina, n° XXV, p. 99-112, American Institute of Musicology, Münster, 1971 (ISSN0077-2461).
↑Marco Gurrieri, La Partition notée et la relation forme/usage dans la musique médiévale, université Rennes-II, Villejean, 5 octobre 2017.
↑Jacobus de Montibus, « [...] si de hoketis loquimur duplicibus et contraduplicibus et aliis quibusdam mensuratis cantibus, brevis perfecta ita citam, secundum Antiquos, habet mensuram ut non bene vel leviter pro ea tres semibreves dici possunt. », cité in Roger Bragard, Jacobi Leodiensis Speculum musicae, vol. VII, p. 36, $ 5, American Institute of Musicology, Rome, 1973.
↑Cent Motets du XIIIe siècle, vol. I, p. 64-65, Paris, 1908.
↑A. de la Halle, « Quant il hoquetent / Plus tost clapetent / Que frestel / Li damoisel [...] / Et quant il font le moulin / Ensamble tout quatre / Et au plastre batre / En hoquetant. », cité in Pierre-Yves Badel, Œuvres complètes, p. 202-205, Librairie générale française, Paris, 1995.
↑An., « Tres dous compains », cité in PMFC, vol. XX, p. 228-231.
↑« Uchettus, hochettus », in S. Debenedetti(it), Il Sollazzo. Contributi alla storia della novella, della poesia musicale e del costume nel Trecento., p. 183-184, Fratelli Bocca, Turin, 1922.
↑Roger Wibberley, « Ave virgo mater dei: Towards a Reconstruction », in Plainsong & Medieval Music, vol. IX, p. 41-49, CUB, Oxford, mars 2000 (ISSN0961-1371).
↑J. de Lescurel, « Clos des murs, fermant a loquet, / En chantent .i. nouviau hoquet, / M'alai jouer. », cité in Nigel Wilkins, The Works of Jehan de Lescurel, p. 28, coll. CMM, vol. XXX, American Institute of Musicology, Rome, 1966.