Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou 1995
Le FESPACO 1995 est la 14e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Il se déroule du 25 février au 4 mars 1995 à Ouagadougou au Burkina Faso. Le thème de cette édition est « Cinéma et histoire de l’Afrique »[1]. Le film Guimba de Cheick Oumar Sissoko décroche l'Étalon de Yennenga[2]. ContexteGaston Kaboré indique qu'il y a moins d'un siège de cinéma pour 100.000 habitants et que l'Afrique produit cinquante films par an, « qui ne sont même pas vus sur le continent africain »[2], mais complète qu'il y a une quinzaine de salles à Ouagadougou[3]. En février 1994, des cinéastes réunis à Ouagadougou sous l'égide de la FEPACI pour un atelier international organisé à l'occasion du 25e anniversaire du Fespaco lancent un appel à leurs homologues de tout le continent pour la conservation de la mémoire filmique en déposant leurs films à la cinémathèque panafricaine inaugurée à l'occasion de cette 14e édition[4]. Dans leur déclaration, les cinéastes, étant donné « le rôle historique des festivals, recommandent l'intensification de la concertation entre eux et demandent aux gouvernements d'oeuvrer toujours plus pour garantir les intérêts matériels et moraux de ces manifestations »[5]. Lors de cet atelier, les cinéastes décident aussi de marquer le centenaire du cinéma par différentes activités durant le Fespaco. Dans le catalogue, Ousmane Sembène indique que « si les films ethnographiques nous choquent, ce ne sont pas les images mais les commentaires qui les accompagnent ». Il ajoute : « Si nous n'avons pas à nous gêner de ce qui a été fait avant nous, nous avons à l'assumer, le digérer, le dépasser »[6]. Également décidé durant cet atelier, un ouvrage collectif L'Afrique et le centenaire du cinéma rend compte de « la pensée, les points de vue, les opinions et la vision propres des Africains sur le cinéma ». Il est publié avec le soutien de l’État du Burkina Faso, l'Union européenne, le PNUD-Ouagadougou, le CNC et le Centro Orientamento Educativo (it) de Milan. Ses articles sont gracieusement offerts par les auteurs ayant répondu à l'appel lancé par la FEPACI. Il est précédé d'une préface d'Ousmane Sembène où il écrit : « Une nouvelle génération de cinéastes s'exprimant avec beaucoup de volonté, maîtrisant superbement la technique, a vu le jour. Une relève. », et conclut : « En Afrique, enfin, nous sortons du temps du mégotage pour aborder le vrai cinéma africain »[7]. En 1994, la cinémathèque africaine est affiliée à la Fédération internationale des archives du film (FIAF), une marque de reconnaissance pour le Fespaco mais aussi pour Ouagadougou[8]. Déroulement et faits marquantsPour la première fois, le grand jury est divisé en jury longs métrages et jury courts métrages[9]. Le jury longs métrages de la 14e édition est présidé par Ousmane Sembène et comporte le cinéaste ivoirien Henri Duparc, l'acteur marocain Hassan Essakali, le professeur burkinabè Didier Ouedraogo, le musicien congolais Ray Lema, le producteur mozambicain Pedro Pimenta, la journaliste française Catherine Ruelle ainsi que Bijaye Coomar Mahdon, directeur du festival de Maurice. Le jury courts métrages et documentaires est présidé par la romancière burkinabè Monique Ilboudo et comporte la cinéaste sud-africaine Seipati Bulane-Hopa, l'enseignant de cinéma français Dominique Avron et le programmateur canadien Cameron Bailey (en). Dans son procès verbal de palmarès, ce jury « regrette que tous les films pré-sélectionnés ne soient pas parvenus à temps à Ouagadougou et que les copies de soient pas systématiquement disponibles en français et en anglais »[10]. Le jury de la compétition TV/Vidéo est constitué par Djibril Diallo, Nouhoun Nignan et Daniel Thévenot[11]. C'est la première fois que l'Afrique du Sud, nouvellement sortie de l'apartheid, participe au Fespaco, avec une puissante délégation de 75 représentants. Elle est représentée par le groupe musical Super Queens à l'ouverture[12]. Auparavant, l'ANC était représentée par le cinéaste Lionel Ngakane, d'ailleurs membre du jury en 1993. Le film d'ouverture est son film de 1966 sans dialogues de 29 minutes Jemima & Johnny (en), sur l'amitié entre deux enfants, l'un noir et l'autre blanc dans une rue de Londres où règne l'hostilité raciale[13]. Une polémique est déclenchée par le fait que Nelson Mandela aurait décliné l'invitation pour ne pas entériner le coup d’État de 1987 (Thomas Sankara avait envoyé symboliquement des armes à l'ANC) alors que la Vice-ministre des Arts et de la Culture de l'Afrique du Sud Winnie Mandela est présente, contre la volonté de son mari, et reçoit un accueil conséquent en tant qu'ambassadrice du pays[14]. Elle ne reste cependant pas longtemps[15]. L'inauguration de la cinémathèque africaine par le ministre de la Culture Nurukyor Claude Somda constitue un autre fait marquant du festival[16]. Quelque 150 films y sont déposés, notamment ceux d'Ousmane Sembène[17]. La présence pour l'inauguration du ministre français de la Culture Jacques Toubon témoigne de la forte présence de la France qui défend à cette époque l'exception culturelle face aux États-Unis[18]. Cela fait que Nwachukwu Frank Ukadike (en), parle d'un « Fespaco dominé par l'influence française »[19]. En outre, le critère d'ancienneté des films en sélection est ramené de trois à deux ans dans le règlement du Fespaco et la sélection est, selon le critique Clément Tapsoba, « désormais soumise à une sélection rigoureuse confiée à une commission établie »[20]. Un atelier est organisé le 28 février sous l'égide de l’Union panafricaine des femmes de l’image (UPAFI), créée en 1991, et de la FEPACI[21]. Il a pour thème Paroles et regards de femmes dans l'Afrique d'aujourd'hui[22]. L'atelier a encouragé les femmes africaines à s'investir dans le domaine audiovisuel avec une approche critique de leur rôle, « celui-ci devant consister à s'interroger sur les vertus réelles de nos traditions et à contribuer à créer une nouvelle société pour les générations à venir »[23]. Des projections sont consacrées à l'image de l'Afrique dans le cinéma colonial, en complément de deux expositions[24]. Youssef El Ftouh et Manuel Pinto montrent en effet L’Afrique au regard du cinéma colonial, basée sur une étude de plus de 350 films, qui avait été présentée à l’Institut du monde arabe en 1994[25]. Sélections officiellesSur la base du Catalogue de l'édition 1995 Longs métrages en compétitionVingt films de dix-sept pays sont en compétition pour l'Étalon de Yennenga. Quatre sont réalisés par des femmes. Courts métrages fiction en compétition
documentaires en compétition
Longs métrages de la diaspora en compétition
Courts métrages de la diaspora en compétition
Films sur l'Afrique du Sud
Longs métrages hors compétition
Courts métrages hors compétition
Compétition TV-VidéoFilms présentés au Marché international de la télévision et du cinéma africains (MICA)
PalmarèsSource : Fespaco News du dimanche 5 mars 1995
Prix spéciaux
BilanLors de sa conférence de presse, Filippe Savadogo, Secrétaire permanent du Fespaco, en donne les chiffres pour l'édition 1995 : 1500 invités, 130 films inscrits, 40 stands à la rue marchande, 80 guides hôtesses, 25 hôtels et centres d'accueil mobilisés. Le Film africain indique 400 000 entrées et 3 500 professionnels dont 253 journalistes[28]. Dans le catalogue du 7e Marché international de la télévision et du cinéma africains (MICA), son président Abel Nadié donne un millier de visionnements comme objectif. Sont ainsi disponibles 149 films : 12 d'Afrique du Sud, 4 de l'Algérie, 4 de Belgique, 33 du Burkina Faso, 16 du Cameroun, 1 du Congo, 15 de Côte d'Ivoire, 1 d’Éthiopie, 16 de France, 3 du Gabon, 5 du Ghana, 1 de Guinée, 1 de Guinée-Bissau, 1 d'Haïti, 1 de Jamaïque, 4 du Kenya, 9 du Mali, 1 de Mauritanie, 3 de Martinique, 4 du Niger, 2 du Nigeria, 5 du Sénégal, 1 du Tchad, 2 du Togo et 4 des États-Unis. L'apport du gouvernement burkinabè dans le budget du festival est de 165 millions de Francs CFA[29]. Le budget est complété par la France, la Suède, le Danemark et l'Union européenne qui couvre depuis 1989 25 % du budget[30]. Cheick Oumar Sissoko signale que l'Étalon de Yennenga remporté par son film Guimba, un tyran, une époque ne lui a pas permis une distribution panafricaine : « Je l’ai seulement sorti au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Congo Brazzaville. C’est le même problème que rencontrent tous les films Etalons »[31]. Lors d'une réunion lors du Southern African Film Festival d'Harare en octobre 1993, les cinéastes africains présents s'inquiétaient de « la prolifération des festivals de films africains à travers le monde qui pourrait conduire à la non-commercialisation des films africains » et « demandaient à la FEPACI de prendre des mesures pour endiguer ce flot de festivals à l'extérieur du continent »[5]. Dans son compte-rendu du Fespaco 95 dans Ecrans d'Afrique, le critique burkinabè Clément Tapsoba regrette lui aussi que « le cinéma africain ne continue d'exister qu'à travers le circuit non-commercial constitué par les festivals et autres manifestations culturelles qui essaiment l'Europe », ce qu'il lie aussi aux petits budgets des films. Il regrette en outre « le manque de rigueur dans la sélection des films pour la compétition »[22]. Dans son bilan contrasté du festival dans Le Monde, Jean-Michel Frodon indique que quatre longs métrages en compétition ont connu des problèmes d'acheminement, et que « bien peu parmi les autres répondaient aux critères requis ». Il relève « quelque mauvaise humeur du jury face à une sélection hétéroclite, où se trouvaient des films que leur durée, leur nature ou leur origine auraient dû faire figurer à un autre titre »[15]. Un reportage pour la série Faut pas rêver sur France 3 est réalisé par Régis Michel et Yvon Bodin : Les Cinéphiles de Ouagadougou. Pour Thérèse-Marie Deffontaines, qui remarque que la population a plébiscité les films africains, « il ne le montre pas mais le public burkinabé aime aussi passionnément son cinéma »[32]. Le Film africain estime que « la direction du festival a su gérer son succès grandissant, à savoir l'augmentation permanente du nombre de festivaliers » : logistique d'accueil à l'aéroport, attribution des chambres d'hôtel, transport, gestion informatique des fiches d'accréditation, badges et catalogues, centre de presse sous la férule de Mouny Etienne Kaboré, bulletin quotidien bien diffusé... Il signale cependant les défauts de projection et de micro pour la présentation des réalisateurs au Centre culturel français[24]. Ces défauts sont corroborés par le réalisateur Issa Serge Coelo qui signale que son film Un taxi pour Aouzou était attribué à un autre cinéaste et que sa copie est revenue inexploitable du fait de « rayures avancées », tandis que deux courts métrages en compétition officielle ont été déprogrammés « pour un alibi cousu de fil blanc »[33]. Dans le Black Film Bulletin, Gaylene Gould revient sur les débats suscités par la présence de Confessions of a Yeoville Rapist du Sud-Africain blanc Ian Kerkhof en compétition. Fallait-il le considérer comme un film africain ? Cela faisait « exploser peu à peu le concept de cinéma africain » ? Il n'empêche que pour elle, le long voyage vers le Fespaco reste comme « un pélerinage à La Mecque »[34]. Bibliographie
Notes et références
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