Carnaval de RomeLe Carnaval de Rome était jadis et jusque durant le XIXe siècle un des plus grands, spectaculaires, anciens et célèbres du monde. On le connait par des tableaux, gravures et descriptions. En 1581, Michel de Montaigne y a assisté et en parle dans son journal de voyage[3]. En 1787, Goethe en a fait une description. Sa chambre, via del Corso, se trouvait située sur le lieu central du Carnaval[4]. Les événements principaux du Carnaval de Rome étaient la promenade de masques[5] avec bataille de confetti[6] et bouquets, la course des chevaux libres, appelée course de Barberi, et la bataille de bougies. Le Carnaval de Rome s’éteint peu à peu à partir du milieu du XIXe siècle. Les traditions disparaissent, et même le Corso, course équestre finale, est suspendu à partir de 1882, mettant ainsi un terme à l’un des carnavals les plus colorés et joyeux d’Europe. Son importance passée, son déroulement sont aujourd'hui largement oubliés du grand public. Depuis le début du XXIe siècle, le Carnaval renaît et se déroule aux mêmes dates que le Carnaval de Venise, pendant presque 10 jours où Rome abrite divers spectacles et festivités. La première édition a eu lieu en 2010. Huit jours de fête via del CorsoUne des principales rues actuelles de Rome, très longue et droite, est à l'origine une antique voie romaine : la via Flaminia. Elle porta par la suite le nom de via Lata et enfin de via del Corso, qu'elle conserve aujourd'hui. Durant le Carnaval, les masques[5] se donnaient rendez-vous en masse sur la via del Corso[9]. Le , dans une lettre adressée depuis Rome à son père, Bernard-Claude Deshays jeune homme de Rouen écrit[10] :
Un prêtre français séjournant à Rome en 1861-1862 écrit toujours à propos de cette fête :
Le même témoin décrit un lanceur de confetti qui s'est abrité les yeux de la meurtrissure de ceux-ci avec un masque d'escrime. Un grand moment du Carnaval était la course de chevaux libres, Théodore Géricault avait projeté la réalisation d'un grand tableau sur le thème de la course des chevaux libres au Carnaval de Rome, à laquelle il avait assisté. Il ne réalisa finalement pas son projet, dont il nous reste cinq esquisses peintes préparatoires. À la fin du Carnaval se déroulait une bataille de bougies où les belligérants cherchaient joyeusement à éteindre les bougies des autres, protéger ou rallumer la leur :
Jules Michelet qui n'a pas assisté à la fête, ayant visité Rome au moment des fêtes de Pâques, note en 1830[17] :
À propos de la via del Corso durant le Carnaval, un peintre écrit en mars 1835[18] :
Il se pratiquait au Carnaval de Rome une amusante forme de galanterie carnavalesque, comme le rapporte la Comtesse Eugénie Dutheil de la Rochère dans une description datant de 1850 :
Ces offrandes se faisaient également au bout de longues perches. Vers 1860, un divertissement qui se pratiquait au Carnaval de Rome était la chasse au haut-de-forme :
La même chasse se pratiquait aussi au Carnaval de Nice, comme le rapporte un ouvrage datant de 1888 :
De même qu'il existait traditionnellement des personnages typiques du Carnaval de Paris, existaient jadis des personnages typiques du Carnaval de Rome, remarqués et revenant chaque année : Quacqueri, Polichinelles, travestis, etc. En 1850, les républicains romains cherchèrent à empêcher le Carnaval qui témoignait de la liesse populaire en dépit de la situation politique. Durant la fête, un attentat avec un bouquet piégé blessa grièvement un prince de Canino[22]. Les Juifs au Carnaval de RomeLe place occupée par la communauté juive de Rome est importante durant le Carnaval. Durant plusieurs siècles, une taxe importante lui est imposée pour financer cette fête où elle n'a pas le droit de s'amuser. Il lui est interdit de participer à la liesse générale : privée de l'autorisation de se masquer et du droit à la gazzara (toutes manifestations de rue et chahuts bacchanalesques)[23]. De plus, des brimades lui sont imposées au Carnaval de Rome : course publique de Juifs nus organisée durant le Carnaval. Et représentations de mascarades satiriques se moquant des Juifs : les giudiate. En 1581, Michel de Montaigne assistera à la course de Juifs nus au Carnaval de Rome et en parlera dans son journal de voyage[3]. En 1976, une étude détaillée sur la place des Juifs au Carnaval de Rome, rédigée par Martine Boiteux, a été publiée et est consultable en ligne sur Internet[24]. Le prestige du Carnaval de RomeDu temps de sa splendeur, le prestige du Carnaval de Rome est très grand. Ainsi, par exemple, parlant de cette fête en 1669, La Gazette de France écrit[25] :
La fin du Carnaval de RomeLa disparition du Carnaval de Rome, aujourd'hui effective, n'a pas été le fruit unique d'une simple désaffection. Son événement principal, la course des chevaux libres, a été supprimé par la municipalité de la ville en 1874. L'Univers illustré écrit à ce propos, le samedi 14 février de cette année, trois jours avant le mardi gras où cette course devait avoir lieu[2] :
Le clou du Carnaval de Rome, la course des Barberi, nommé ainsi car les chevaux de course qui y participaient venaient à l'origine de Barbarie, fut supprimée par une ordonnance du Conseil municipal. Elle avait été immortalisé par les plus grands peintres et aquarellistes de Rome et par le peintre vénitien Ippolito Caffi. Par la suite, le maire de Rome Pietro Venturi tenta de faire revivre le Carnaval en restaurant cette course. Mais, en 1884, elle finit par être interdite. Il fut organisé à sa place et jusqu'en 1890 inclut une cavalcade des artistes, durant la journée du mardi gras, de la Piazza del Popolo à la Piazza Venezia. À la fin du XIXe siècle, le Carnaval de Rome est en plein déclin. Nicolas Gogol dans ses Nouvelles de Pétersbourg, à propos du Carnaval de Rome fait dire à un de ses personnages : « C'est un carnaval pour les enfants. Je me souviens du vrai carnaval ou pendant toute sa durée il n'y avait même pas une voiture et toute la nuit les rues étaient remplies de musique... où il y avait combien d'amusement ! Mais maintenant, ce carnaval qu'est-ce que c'est ?... C'est une porcherie ! » En 1900, eut lieu à Rome le dernier carnaval d'une certaine importance, mais sans bal organisé à la cour, parce que c'était l'année du Jubilé et de la reine Margherita. Peut-être aussi parce que la Maison de Savoie s'était emparée cette année-là du palais du Quirinal, propriété des papes. En 1901, le Carnaval de Rome est passé presque inaperçu, jusqu'à l'inauguration de la Fontaine des Naïades, sur la place de l'Esedra. À cette occasion a été organisée une mascarade qui sera la dernière lueur du Carnaval romain. Le Carnaval de Rome va perdurer dans des fêtes privées, au moins encore une dizaine d'années. En , Le Petit Journal dans son supplément du dimanche rapporte un incident qui se serait produit dans un grand bal travesti romain très chic : une invitée, la princesse Radziwill, s'y est présentée sur un char attelé en compagnie de deux grands fauves apprivoisés[26]. Comme l'a été le Carnaval de Paris durant des dizaines d'années, le Carnaval de Rome est aujourd'hui largement oublié. La perte d'indépendance de la ville, en 1870, quand elle devint capitale du royaume d'Italie est sans doute pour une part au moins à l'origine de sa disparition. Cette fête à laquelle beaucoup d'artistes ont participé, en des temps où « le voyage en Italie » était une institution incontournable pour eux, leur a inspiré diverses créations artistiques telles que l'ouverture « Le Carnaval romain » d'Hector Berlioz. Le deuxième thème de cette œuvre, danse endiablée transtévérine, est un rapide saltarello à 6/8 qui évoque l'atmosphère joyeuse du Carnaval de Rome. Les artistes français au Carnaval de Rome en 1748[27]Ils avaient déjà fait en 1735 une Mascarade chinoise au Carnaval de Rome dont une estampe conserve le souvenir[29]. Au carnaval de l'année 1748, les peintres pensionnaires de l'Académie française à Rome, pour célébrer dignement le carnaval, ordinairement si joyeux dans cette ville, s'avisèrent d'une mascarade dont Vien (plus tard réformateur de l'École française) résolut de consacrer le souvenir. Il dessina et grava lui-même une suite de planches représentant les détails de la fête. Cette suite forme un petit volume in-folio, aujourd'hui assez rare, et porte le titre suivant :
Puis vient une dédicace que nous donnons ici, car elle renferme à peu près les seuls renseignements que nous possédions sur cette mascarade. Le style en est peu correct.
Les planches sont au nombre de trente, sans compter un frontispice où sont dessinés « les trompettes, pages, esclaves et vases que l'on portoit pour présent à Mahomet. » Voici les titres mis au bas de chacune d'elles, au moyen desquels on pourra se faire une idée du cortège : Aga des janissaires, chef des spahis, porte-enseigne, bacha à trois queues, le grand-visir, bacha d'Égypte, bacha de Caramanie, chef des indiens, prêtre de la loi, le moufti, himan de la grande mosquée, émir-bachi, garde du grand-seigneur, chef des huissiers, ambassadeur de la Chine, ambassadeur de Siam, le grand-seigneur, ambassadeur de Perse, ambassadeur du Mogol, chef des esclaves, esclave noir, esclave blanc, sultane de Transylvanie, deux sultanes blanches, sultane grecque, deux sultanes noires (de ces quatre dernières figures, deux sont assises, deux autres couchées), sultane reine, et enfin le char que nous donnons ici, et où nous avons placé le plus grand nombre possible de personnages. Ces planches sont coloriées et rehaussées d'or. On peut voir par la magnificence des costumes que rien n'avait été négligé pour rendre cette fête brillante et mériter les applaudissements du peuple romain. Une édition en couleurs et une autre en noir et blanc sont consultables sur Internet[31].
Les courses de chevaux libres au Carnaval en 1834[33]À Rome, des courses de chevaux libres ont lieu, chaque année, à la fin du carnaval ; c'est le spectacle le plus recherché et le plus populaire de ces jours de joie et de folie, dont le retour annuel est si impatiemment attendu. Le carnaval commence le lendemain des rois, le ; à une heure après-midi la cloche du Capitole donne le signal ; tout le monde peut alors sortir en masque des maisons pour se rendre dans l'ancienne Via Flaminia, qui divise Rome en deux parties égales et porte à présent le nom de Corso ; cette rue à près d'une demi-lieue de longueur ; elle est la promenade habituelle où les belles dames et leurs cavaliers, par manière de plaisir et d'exercice salutaire, se font mener en voiture sur les six heures du soir ; mais c'est surtout pendant le carnaval que la foule s'y presse ; on suspend à toutes les fenêtres des morceaux d'ancienne tapisserie de damas cramoisi, galonnées en or, et le public occupe en payant, des sièges préparés le long des maisons. Pendant la semaine qui précède les courses, on promène chaque jour les chevaux (barberi) le long du Corso pour les accoutumer à ce trajet, et on leur donne l'avoine à l'extrémité où la course doit finir. Tous les marchands étalent sur des mannequins une grande quantité de masques et d'habillemens fantastiques ; on expose aussi de grands paniers de dragées faites de puzzolana (terre volcanique), blanchie à la chaux ; les masques[5] s'amusent à les jeter par poignées, les rues en sont toutes blanches ; personne n'est epargné, et les voitures en sont accablées. Autrefois le Corso devenait pendant le carnaval une sorte d'olympe ambulant, où tous les dieux et toutes les déesses de l'ancienne mythologie étaient reproduits dans leurs costumes ; mais la mythologie a passé de mode, on ne voit plus que des mascarades de fantaisie, des polichinelles, des arlequins, des improvisateurs et des faiseurs de sonnets. Au bruit de deux coups de canon, dont le premier se fait entendre à quatre heures et le second quelques minutes après, les voitures s'éloignent immédiatement. Un détachement de dragons parcourt le Corso au galop, tandis qu'une double ligne d'infanterie maintient au milieu le passage libre. Bientôt s'élève une rumeur confuse qui est suivie d'un grand silence. Les chevaux choisis pour la course sont arrêtés, sur un seul rang, derrière une forte corde tendue au moyen de machines vers l'obélisque de la Porte du Peuple. Leurs fronts sont ornés de grandes plumes de paon et d'autres oiseaux, qui flottent et tourmentent leurs regards : leurs queues et leurs crinières brillent de paillettes d'or ; des plaques de cuivre, des balles de plomb garnies de pointes d'acier sont attachées sur leurs flancs, sur leurs croupes, et les aiguillonnent sans cesse : de légères feuilles d'étain brillant ou de papier gommé, fixées sur leur dos, se froissent et bruissent comme les excitations d'un cavalier. Ainsi décorés d'ornemens qui les blessent ou les effraient, on conçoit leur impatience ; ils se cabrent, ils piaffent, ils hennissent. Les palefreniers qui cherchent à les retenir luttent contre eux, et l'énergie physique qui se dessine dans les poses de ces hommes du peuple, sur leurs traits, quelquefois sur leur large poitrine et sur leurs bras nus, offre au peintre ou au sculpteur des modèles qui exciteraient leur enthousiasme si trop souvent un cheval, renversant son gardien, ne le foulait aux pieds et ne s'élançait à travers le peuple encore répandu dans le Corso. Mais le sénateur de Rome donne le dernier signal ; la trompette sonne, la corde tombe, et (si la comparaison n'est pas trop ambitieuse), comme des flèches s'élancent d'un arc, les chevaux seuls, sans cavalier, volent au but. Les pointes d'acier leur déchirent le flanc, les acclamations du peuple les poursuivent comme des claquements de fouet. Ordinairement, en deux minutes vingt-une secondes, ils parcourent 865 toises ; c'est 37 pieds par seconde. Quand un cheval peut atteindre celui qui le devance, souvent il le mord, le frappe, le pousse, et emploie toutes sortes de stratagèmes pour le retarder dans sa course. On est averti de leur arrivée par deux coups de canon ; pour les arrêter, il n'y a autre chose qu'une toile tendue au bout de la rue. Autrefois les premières familles de Rome, les Borghèse, les Colonna, les Barberini, les Santa-Croce, etc., envoyaient leurs chevaux à ces courses ; maintenant ce sont tout simplement les maquignons, qui cependant ont le soin d'obtenir pour chaque coursier la protection d'une noble famille. La dernière course de chevaux est le signal de la fin du carnaval ; le peuple romain se disperse en criant : È morto carnovale ! è morto carnovale[36]! Description du Carnaval de Rome en 1836[37]« On sait, ou du moins on doit savoir, que dans tous les pays de foi catholique, quelques semaines avant le Mardi-Gras, les gens se donnent tout leur soûl de divertissement, et achètent le repentir avant de se faire dévots. Quel que soit leur rang, grands ou petits, ils se prennent tous à jouer du violon, à banqueter, à danser, à boire, à se masquer. - Dès que la nuit couvre le ciel d'un sombre manteau (et le plus sombre et le meilleur), l'infatigable gaieté se balance sur la pointe du pied, jouant et riant avec tous les galants qui s'empressent autour d'elle, et alors, il y a des chansons, des refrains, des fredons, des clameurs, des guitares, des sons et des tapages de toute nature. Et il y a aussi de splendides et fantastiques costumes, des masques de tous les siècles et de tous les pays, grecs, romains, jankee-doodles (fats du genre commun), et hindous. » Cette fête est nommée le Carnaval, ce qui, bien expliqué, semble vouloir dire adieu à la chair ! Et ce nom convient parfaitement à la chose, car pendant le carême, on ne vit que de poissons frais et salés. Mais pourquoi se prépare-t-on au carême par tant de bombances ? C'est ce que je ne puis dire, quoique je croie deviner que ce doit être à peu près par les mêmes motifs que nous aimons vider un verre avec nos amis, lorsque nous les quittons, au moment d'entrer dans la diligence ou dans le paquebot. C'est donc ainsi qu'on dit adieu aux dîners où domine la viande, aux mets solides, aux ragoûts fortement épicés, pour vivre pendant quarante jours de poissons mal assaisonnés, attendu que l'on n'a pas de bonnes sauces dans ces pays. » Or, de tous les lieux de la terre où le Carnaval était jadis le plus amusant, et le plus célèbre pour ses danses et ses chants, par ses bals et ses sérénades, par ses mascarades, ses grimaces, et ses mystères, Venise était au premier rang. » C'est à peu près en ces termes que lord Byron commence Beppo, histoire vénitienne, l'un de ses chefs-d'œuvre. Mais Venise « cette fille de la mer » qu'il a tant aimée, n'a plus que de pauvres et tristes plaisirs. Pour décrire un carnaval italien dans toute sa gloire, nous devons quitter ici Byron, et chercher à Rome un autre guide. Et quel autre guide plus digne se présentera à nous que Goëthe, cet autre grand poète de notre siècle ? Il a écrit un charmant petit ouvrage qui n'a jamais été traduit en français, et qui a pour titre : le Carnaval romain (romanische Carnaval). C'est à ce texte allemand que nous empruntons les détails suivans, en y ajoutant çà et là quelques souvenirs plus nouveaux que plus d'un ami souffle à notre oreille. Carnaval de Rome. — Les mascarades du Corso et les courses de chevaux libres font la gloire et l'éclat du Carnaval de Rome. Pendant les huit jours qui précèdent le carême, le Corso offre le spectacle le plus divertissant et le plus animé que l'imagination puisse concevoir. Vers midi, une cloche donne le signal des mascarades. Les ouvriers qui étaient occupés à aplanir le sol de la rue et à le réparer avec des petites pierres de basalte, interrompent leurs travaux. Des gardes à cheval sont placés en sentinelle à l'entrée de chacune des rues adjacentes. Le peuple accourt en foule. La longueur du Corso, depuis la porta del Popolo jusqu'au palais Vénitien, peut être de 5,500 pas. Dans toute cette étendue, les balcons et les fenêtres sont de chaque côté ornés de riches tentures. Les trottoirs, larges de six à huit pieds, sont garnis d'échafaudages et de sièges : les loueurs crient incessamment : Luoghi ! Luoghi padroni ! Luoghi nobili ! Luoghi avanti ! Les dames, les cavaliers, ont bientôt envahi toutes les places. Les masques[5], les équipages[38], le peuple, se disputent l'espace de douze à quatorze pieds qui sépare les deux trottoirs. Le Corso n'est plus alors une rue, c'est une immense galerie, c'est une salle de fête. Les murailles tapissées, le nombre immense des chaises, la beauté des parures, la joie répandue sur les visages, tout permet cette illusion, et rarement le beau ciel qui éclaire cette scène magique rappelle que l'on est sans toit. Masques[5]. — Si nombreux que soient les originaux groupés et mêlés par l'artiste dans notre gravure, ils ne peuvent donner une idée suffisante de l'infinie variété des masques. Un avocat marche à pas rapides, plaide, gesticule, déclame, interpelle les dames aux fenêtres, menace les passans de procès, raconte des causes comiques, poursuit effrontement certains individus, et lit tout haut la liste de leurs dettes, ou révèle leurs aventures les plus secrètes ; sa volubilité de débit est incroyable ; mais s'il vient à rencontrer parmi les masques le costume d'un confrère, alors sa verve et sa folie sont au comble, et le pavé de Corso se change bientôt en un tribunal ridicule. Le personnage du Quacquero est l'un des plus communs : ce masque est habillé selon les modes françaises des quinzième et seizième siècles. Son pourpoint et ses culottes sont de soie ou de velours, son gilet est brodé d'or. Il est ventru, il est joufflu ; ses yeux sont si petits qu'on les voit à peine ; sa perruque est toute hérissée de petites queues et de boucles. C'est à peu près la figure du buffo caricato des opéras comiques : il est sot et fat ; on le voit sans cesse sauter légèrement sur le bout du pied ; il se sert de grands annéaux noirs sans verres en guise de lorgnon, et semble regarder avec une curiosité avide dans les voitures et aux balcons ; il fait de grandes révérences bien raides en poussant des cris inarticulés, très perçans, et liés entre eux par la consonance brrrr. - Hi brrrr ! Zi brrrr ! tel est le signal que plus de cent Quacqueri se donnent entre eux, et que l'on entend d'un bout du Corso à l'autre. Ils sont les plus bruyans de la fête après les enfans, qui soufflent tout à l'envi dans des cornes marines. Des troupes de jeunes gens, sous les habits de fêtes des femmes du peuple, égaient les passans de propos joyeux ou simulent des querelles. Les jeunes filles sont aussi en assez grand nombre parmi les masques. La plupart, à défaut d'argent pour louer des costumes, appellent à leur aide les inventions de la coquetterie et se travestissent fantastiquement à peu de frais. Par exemple, veulent-elles se déguiser en mendiantes, une belle chevelure, un masque blanc, un petit pot de terre attaché à un ruban de couleur, un bâton ou un chapeau de paille à la main, c'est assez pour leur rôle : elles se promènent humblement sous les fenêtres, d'où tombent, au lieu d'aumônes, des bonbons, des noix, et mille jolies babioles. D'autres se composent adroitement une toilette originale de leurs plus simples atours, et elles se promènent seules sans autres armes offensives et défensives, qu'un petit balai de fleur de roseau qu'elles passent méchamment sous le nez de ceux qui sont sans masques. Malheur à qui tombe au milieu de quatre ou cinq de ces jeunes filles ! Autant vaudrait être berné sur la couverture du pauvre Sancho ; car se défendre sérieusement contre leurs agaceries serait chose dangereuse ; les masques sont inviolables[39], et la garde a ordre de les soutenir. On retrouve les vêtements ordinaires de tous les états dans la foule des masques. Des palefreniers, avec de larges brosses en main, frottent le dos des passants ; des voiturins offrent leurs services avec l'empressement et le charlatanisme ordinaires. Les déguisements les plus agréables sont ceux de filles de la campagne, de villageoises de Frascati ; ceux de pêcheurs et de bateliers napolitains, de sbires et de Grecs. Les personnes du théâtre jouent aussi leurs rôles ; et l'on entend répéter les scènes connues de Brighella, de Tartaglia, du docteur, du pantalone, et du fameux capitan espagnol. Quelques individus apparaissent çà et là enveloppés dans de riches tapis ou dans de vastes draps blancs attachés au-dessus de leur tête, et ils sautent subitement à pieds joints ou semblent glisser rapidement comme des fantômes. Des magiciens ouvrent et feuillettent de grands livres de chiffres en flattant ironiquement la passion du peuple pour la loterie. — Un homme à double masque marche en tous sens, de sorte que l'on ignore toujours le côté véritable de son visage. De laids personnages traînant de longues redingotes, le front orné de plumes colossales, s'arrêtent un genou en terre, ou s'asseyent pour crayonner sur de vastes portefeuilles. Ce sont les caricatures des peintres qui abondent toute l'année dans les rues de Rome. Plus d'un masque satirique sans nom, sans tradition, né d'une saillie, frappe par l'étrangeté de son invention. Une espèce de géant, par exemple, porte sur sa tête, au lieu de chapeau, une cage dans laquelle des oiseaux habillés en dames et en abbés gazouillent en frappant les barreaux de leurs becs. Enfin, s'il est impossible de mentionner tous les acteurs de cette folle comédie, du moins ne serait-il pas permis d'oublier Polichinelle qui est aussi commun que le Quacquero. A un certain instant, on voit apparaître Polichinelle-roi, il agite un sceptre ; il fait retentir l'air d'un bredouillement de Jupiter. Aussitôt tous les polichinelles épars de bredouiller, d'accourir, de l'entourer et de le porter en triomphe sur une balançoire. Mais la véritable patrie de polichinelle est Naples, de même que Venise est celle d'Arlequin. Une année où l'on jouait à Naples, sur le théâtre populaire San Carlino, une farce intitulée le Novanta-nove disgrazie di Policinello (les quatre-vingt-dix-neuf infortunes de Polichinelle), une curieuse procession de polichinelles se fit remarquer pendant le carnaval : M. et madame Polichinelle, leurs fils et leurs filles, échelonnés en tailles décroissantes. Papa Polichinelle secouait la tête et s'écriait, dans son langage étrange : Ecco, ecco quà le vere Novanta-nove disgrazie di Policinello ! (voilà, voilà vraiment les quatre-vingt-dix-neuf infortunes de Polichinelle). Les équipages[38]. — Le Corso ne semble offrir déjà qu'un espace bien étroit pour la multitude des masques et des curieux : cependant les équipages en envahissent presque la moitié. Le long de chacun des deux trottoirs règne une file de voitures : la garde à cheval du pape va et vient en tous sens pour maintenir l'ordre ; et au milieu de la rue, entre les deux files, à travers le flanc de la foule des mascarades, le gouverneur, le sénateur et les ambassadeurs ont le privilège de se promener en carrosse, ainsi que leurs cortèges de nobles et de domestiques. Sous le ventre des chevaux, sous les voitures, entre les roues, partout se presse avec une insouciante témérité le peuple à chaque instant refoulé. Les cris, les rires, les disputes, le son des instruments barbares, les hennissements, se mêlent, se confondent à briser les oreilles. Vers la fin du carnaval, les équipages rivalisent de luxe : ils sont découverts. Les dames sont ordinairement placées au milieu sur des sièges élevés de manière à laisser admirer leur beauté et le goût élégant de leurs costumes ; les cavaliers occupent les coins un peu au-dessous d'elles. Derrière, les valets sont déguisés ; le cocher lui-même est ordinairement travesti en femme, et près de lui un petit chien barbet, orné de faveurs roses ou bleues, fait résonner son collier de grelots. Confetti. — Au-dessus de la foule, sur les voitures, sur les trottoirs, sur les balcons, on voit presque sans cesse une grêle de petites dragées que les masques[5] envoient aux spectateurs et que les spectateurs leur renvoient. Autrefois c'étaient des dragées fines et exquises. Mais l'usage de ces libéralités étant devenu trop général, et ces libéralités surtout étant devenues des perfidies, on ne se sert plus aujourd'hui que de petites boules de craie ou de plâtre[40], auxquelles on continue, seulement par extension, à donner le nom de confetti. Les dames, assises sur les trottoirs, ont près d'elles des corbeilles argentées et dorées, des sacs ornés ou des mouchoirs pleins de ces munitions. C'est devant le palais Ruspoli que se placent de préférence les plus jolies femmes ; aussi les équipages et la foule font en cet endroit de fréquentes stations : la guerre y est toujours vivement engagée ; les confetti volent de toutes parts ; mais plus d'un masque jaloux jette trop violemment une poignée de dragées contre un beau visage ; et plus d'une querelle sérieuse trouble la gaieté générale. Les abbés surtout ont lieu de redouter les confetti : sur leur habillement noir chaque balle marque un point blanc, et après quelques pas, ils sont ponctués des pieds à la tête : un peu plus loin, ils sont tout entiers d'une blancheur de neige. Les enfants sont continuellement occupés à ramasser à terre les confetti ; mais c'est en vain : la foule les écrase, et souvent le lendemain matin, toute la rue est couverte d'une longue couche de poussière blanche. La fureur de ces décharges de dragées de plâtre est encore plus grande à Naples. ''Corpo di Baccho ! disait le duc de.... en montrant la rue de Tolède toute pavée de blanc, c'é stato quest'oggi un consumo di confetti magnifico ! Questo nio si chiama carnevale ! (Par le corps de Bacchus ! Il y a eu aujourd'hui une magnifique consommation de confetti ! Voilà ce qu'on peut appeler un carnaval). Dans cette ville, le vieux roi Ferdinand se postait toujours à une fenêtre de l'hôtel de la princesse Partanna, et, puisant à pleines mains dans deux sacs gigantesques dressés à ses côtés, il jetait force confetti, qui étaient du reste d'excellente qualité. Il visait particulièrement ses vieux courtisans, ses généraux à perruque poudrée, il les assaillait avec impétuosité dans leurs voitures, jusqu'à les obliger à fuir au grand trot, et il s'écriait avec joie : O ! vi là, cè l'aggio dato ! L'aggio suonato ! Regardez, je lui en ai donné ! Je l'ai servi de la bonne manière ! Moccoli[41]. — Au soir du dernier jour, le Corso offre un spectacle féerique. Une petite lumière parait au loin, puis une seconde, une troisième; bientôt il y en a vingt, cent, mille : on dirait un incendie qui se propage dans la foule. Des lanternes de papier sont accrochées en festons aux fenêtres, aux voitures; chaque piéton a une bougie allumée : Sia ammazzato chi non porta moccolo ! (Mort à qui ne porte pas de bougie !) crie chacun en soufflant sur les bougies de ses voisins, en défendant la sienne ou en la rallumant. D'un balcon élevé, la rue est un foyer où il y a une guerre d'étincelles. Enfin un moment vient où tout s'éteint : la foule se retire ; ses bruits, ses murmures s'apaisent. Le carnaval est fini, le règne sévère du carême commence. Le Carnaval de Rome vers 1844 vu par Alexandre Dumas[42]Il est difficile de se faire l'idée d'une opposition plus complète que celle qui venait de s'opérer. Au lieu de ce spectacle de mort sombre et silencieux, la place del Popolo présentait l'aspect d'une folle et bruyante orgie. Une foule de masques sortaient, débordant de tous les côtés, s'échappant par les portes, descendant par les fenêtres ; les voitures débouchaient à tous les coins de rue, chargées de pierrots, d'arlequins, de chevaliers, de paysans : tout cela criant, gesticulant, lançant des œufs pleins de farine, des confetti, des bouquets ; attaquant de la parole et du projectile amis et étrangers, connus et inconnus, sans que personne ait le droit de s'en fâcher, sans que pas un fasse autre chose que d'en rire. ... Mais peu à peu l'ivresse générale les gagna : il leur sembla que leur raison chancelante allait les abandonner ; ils éprouvaient un besoin étrange de prendre leur part de ce bruit, de ce mouvement, de ce vertige. Une poignée de confetti qui arriva à Morcerf d'une voiture voisine, et qui, en le couvrant de poussière, ainsi que ses deux compagnons, piqua son cou et toute la portion du visage que ne garantissait pas le masque, comme si on lui eût jeté un cent d'épingles, acheva de le pousser à la lutte générale dans laquelle étaient déjà engagés tous les masques qu'ils rencontraient. Il se leva à son tour dans la voiture, il puisa à pleines mains dans les sacs, et, avec toute la vigueur et l'adresse dont il était capable, il envoya à son tour œufs et dragées à ses voisins. ... Plus la journée s'avançait, plus le tumulte devenait grand : il n'y avait pas sur tous ces pavés, dans toutes ces voitures, à toutes ces fenêtres, une bouche qui restât muette, un bras qui demeurât oisif ; c'était véritablement un orage humain composé d'un tonnerre de cris et d'une grêle de dragées, de bouquets, d'œufs, d'oranges, de fleurs. A trois heures, le bruit de boîtes[44] tirées à la fois sur la place du Peuple et au palais de Venise, perçant à grand-peine cet horrible tumulte, annonça que les courses allaient commencer. Les courses, comme les moccoli[41], sont un des épisodes particuliers des derniers jours du carnaval. Au bruit de ces boîtes, les voitures rompirent à l'instant même leurs rangs et se réfugièrent chacune dans la rue transversale la plus proche de l'endroit où elles se trouvaient. Toutes ces évolutions se font, au reste, avec une inconcevable adresse et une merveilleuse rapidité, et cela sans que la police se préoccupe le moins du monde d'assigner à chacun son poste ou de tracer à chacun sa route. Les piétons se collèrent contre les palais, puis on entendit un grand bruit de chevaux et de fourreaux de sabre. Une escouade de carabiniers sur quinze de front parcourait au galop et dans toute sa largeur la rue du Cours, qu'elle balayait pour faire place aux barberi. Lorsque l'escouade arriva au palais de Venise, le retentissement d'une autre batterie de boîtes annonça que la rue était libre. Presque aussitôt, au milieu d'une clameur immense, universelle, inouïe, on vit passer comme des ombres sept ou huit chevaux excités par les clameurs de trois cent mille personnes et par les châtaignes de fer qui leur bondissent sur le dos ; puis le canon du château Saint-Ange tira trois coups : c'était pour annoncer que le numéro trois avait gagné. Aussitôt sans autre signal que celui-là, les voitures se remirent en mouvement, refluant vers le Corso, débordant par toutes les rues comme des torrents un instant contenus qui se rejettent tous ensemble dans le lit du fleuve qu'ils alimentent, et le flot immense reprit, plus rapide que jamais, son cours entre les deux rives de granit. ... La nuit s'approchait rapidement ; et déjà, au cri de : Moccoli[41] ! répété par les voix stridentes d'un millier d'industriels, deux ou trois étoiles commencèrent à briller au-dessus de la foule. Ce fut comme un signal. Au bout de dix minutes, cinquante mille lumières scintillèrent descendant du palais de Venise à la place du Peuple, et remontant de la place du Peuple au palais de Venise. On eût dit la fête des feux follets. On ne peut se faire une idée de cet aspect si on ne l'a pas vu. Supposez toutes les étoiles se détachant du ciel et venant se mêler sur la terre à une danse insensée. Le tout accompagné de cris comme jamais oreille humaine n'en a entendu sur le reste de la surface du globe. C'est en ce moment surtout qu'il n'y a plus de distinction sociale. Le facchino[45] s'attache au prince, le prince au bourgeois, chacun soufflant, éteignant, rallumant. Si le vieil Eole apparaissait en ce moment, il serait proclamé roi des moccoli[41], et Aquilon héritier présomptif de la couronne. Cette course folle et flamboyante dura deux heures à peu près ; la rue du Cours était éclairée comme en plein jour, on distinguait les traits des spectateurs jusqu'au troisième et quatrième étage. ... Tout à coup le son de la cloche qui donne le signal de la clôture du carnaval retentit, et au même instant tous les moccoli s'éteignirent comme par enchantement. On eût dit qu'une seule et immense bouffée de vent avait tout anéanti. Franz se trouva dans l'obscurité la plus profonde. Du même coup tous les cris cessèrent, comme si le souffle puissant qui avait emporté les lumières emportait en même temps le bruit. On n'entendit plus que le roulement des carrosses qui ramenaient les masques chez eux ; on ne vit plus que les rares lumières qui brillaient derrière les fenêtres. Le carnaval est fini. Le Carnaval de Rome en 1857Le Corso est une voie étroite, à peu près comme la rue de Provence, longue de trois quarts de lieue. Elle commence place du Peuple et finit sur la place de Venise[46]. Desinit in piscem Elle est bordée de hautes maisons et d'immenses palais. Ces derniers, d'une architecture particulière à l'Italie, n'ont point de cours qui les précèdent, comme les cours de nos hôtels. Le palais s'élève sur la rue même ; la cour carrée, derrière le bâtiment, est souvent entourée d'arcades comme les cloîtres. Les boutiques sont enfoncées, peu apparentes. Les plus élégantes portent orgueilleusement : Ici on parle français, Gants de Paris, Modes de Paris. Le Corso est désert, comme toutes les rues de Rome. Le samedi, quelques voitures aristocratiques qui se rendent à la promenade du Pincio, viennent le réveiller un peu. Mais dans la semaine qui précède ce que nous appelons, en France, les jours gras, la décoration change. Du haut en bas des maisons, les fenêtres et les nombreux balcons se pavoisent de draperies rouges, blanches, à bandes d'or et à franges ; toutes les portes ont un écriteau qui annonce des places à louer. A deux heures, tous les jours, le canon annonce la fête. À partir de ce moment la rue se remplit d'une foule compacte, au milieu de laquelle circulent les voitures sur deux files. les fenêtres et les balcons se garnissent de curieux et surtout de curieuses. Celles-ci en costume de paysannes (contadine). Les gracieuses coiffures d'Albano, de Tivoli, émaillent la foule noire et relèvent agréablement ces couleurs banales que les peuples modernes ont adoptées. Les voitures sont toutes découvertes et remplies de dominos généralement blancs ou gris. Depuis que les Français sont à Rome, il est défendu de porter le masque de velours. Chacun porte alors un masque comme ceux dont on se sert pour faire des armes, et vous allez bientôt en voir l'utilité. Du haut de chaque balcon, de chaque fenêtre, tombe sur les voitures et sur les passants une grêle de petits pois enfarinés, des confetti. Quelquefois, aux dames, on adresse un bonbon ou un bouquet. Chaque voiture est chargée de paniers pleins de fleurs et de ces confetti en question, et le combat s'engage des balcons aux voitures, et des voitures aux piétons. C'est une poussière, ce sont des rires, des cris, des trépignements que vous imaginez d'ici. C'est un peu grossier ; nos Françaises ne riraient guère de se voir ainsi enfarinées. Les Anglais, qui peuplent Rome à ce moment, s'y amusent beaucoup ; et les graves Anglaises s'y soumettent parfaitement. Mais quatre heures sonnent. Autres coups de canon. La foule s'écarte et se range le long des trottoirs, contenue par une ligne de soldats. Les voitures disparaissent en un clin d'œil par les rues transversales. Puis, tout d'un coup, à un signal donné, des chevaux libres, sans selles, les barberi, partent de la place du Peuple et dévorent l'espace au milieu des cris de cette foule, qui les anime et les excite de la voix et des gestes. Arrivés sur la place de Venise, ils s'arrêtent devant une voile blanche tendue en travers de la rue, et le maître du cheval arrivé le premier empoche le prix de la course, tandis que le brave animal rentre à l'écurie ni plus ni moins fier qu'il en était sorti. Et tout est fini, pour recommencer le lendemain à deux heures. Et ainsi de suite toute la semaine, excepté le vendredi et le dimanche, où le Corso retombe dans sa solitude ordinaire, rendue plus frappante par les quelques jours de vie dont il a joui pendant cette semaine. Le lundi gras et surtout le mardi, comme chez nous, les masques sont plus nombreux, la foule plus compacte, l'animation plus grande. Puis, pour enterrer dignement le carnaval, le mardi gras, après la course habituelle, le Corso s'illumine à la lueur fantastique des moccoletti. En effet, cinq heures sont sonnées et la nuit est venue, nous sommes en hiver. Chacun prend en main un de ces petits cierges comme les bonnes femmes en allument devant les images de la Vierge, et, tout en cherchant à éteindre la lumière de son voisin, s'efforce d'empêcher qu'il arrive malheur à la sienne. Vous pouvez penser quel coup d'œil présente la rue ainsi éclairée, depuis le pavé jusqu'au sixième étage des maisons. Et toutes ces lumières qui s'agitent, qui s'éteignent, qui se raniment. D'un balcon à l'autre la guerre est déclarée ; les mouchoirs, emmanchés au bout d'un long bâton, tombent sournoisement sur le malheureux qui ne s'y attend pas et qui, occupé ailleurs, songeait plus à l'attaque qu'à la défense. Mais à six heures tout s'éteint, tout rentre dans l'ombre. La foule, tout à l'heure si animée, s'écoule silencieusement, et deux gendarmes suffisent pour faire, dans toute la longueur du Corso, disparaître les retardataires. À Rome il n'y a pas de concierges ; c'est une institution inconnue. Les portes des maisons restent ouvertes toute la nuit, et, en plein jour, elles font l'office de ces colonnes qui décorent nos boulevards[47] de distance en distance[48]. Ajoutez à cela les immondices au coin des rues, et qui pourrissent là, Dieu sait pendant combien de temps. Voilà qui affecte désagréablement et l'œil et l'odorat dans la ville éternelle. Le Carnaval de Rome dans les arts et la littératureLa mascarade de 1748Cette mascarade des artistes français eut un très grand succès. Et pour en conserver la mémoire Joseph-Marie Vien et Jean Barbault réalisèrent des portraits de leurs condisciples costumés. L'ensemble des œuvres n'est pas localisé, mais on en connaît un certain nombre. Les titres des personnages sont selon l'orthographe d'alors. Liste des personnages :
Autres gravures et peintures de Joseph-Marie Vien :
L'ensemble des planches gravées et mises en couleurs de Joseph-Marie Vien consacrées à la mascarade de 1748 est consultable sur Internet[31]. Autres œuvres artistiques ou littérairesListe non exhaustive, à compléter :
Notes et références
Bibliographie
|