À l'encontre d'une naissance à Abbeville en 1744 la plus fréquemment proposée, depuis Michael Huber et Carl Christian Heinrich Rost(de)[1] jusqu'au Dictionnaire Bénézit[2], Philippe Tillier établit à partir des archives de la manufacture de draps Van Robais que Victor-Marie Picot naît en 1745 du mariage de Jacques-François et Élisabeth Picot à Monthières, hameau rattaché à Bouttencourt où, avec son frère aîné André Picot, Jacques-François dirige le « moulin à foulon » spécialisé dans le feutrage du drap. Le décret de fermeture de celui-ci, obtenu par la puissante famille Van Robais de l'Inspection des manufactures d'Amiens, contraindra la famille à la cessation de l'activité et à un retour à Abbeville en 1746, après le baptême de Victor-Marie en l'abbaye Notre-Dame de Séry de Bouttencourt[3].
Enfance à Abbeville
Son enfance se déroule dans le quartier Saint-Paul d'Abbeville et, vers 1758, en compagnie de ses exacts contemporains abbevillois François Dequevauviller (1745-1817), Jean-Marie Delattre (1745-1840), François-Rolland Elluin (1745 - vers 1810) et François Hubert (1744-1809), il reçoit ses premières leçons de dessin et de gravure de Philippe-Augustin Lefebvre (1713-?) : « c'est à ce dernier, explique Philippe Tillier, que la bourgeoisie marchande abbevilloise s'adresse de préférence lorsqu'un de ses enfants manifeste une aptitude particulière pour le dessin et la peinture ». Si l'œuvre peint et gravé de l'artiste a aujourd'hui totalement disparu, ajoute l'historien, on retient son mérite « d'avoir initié à la gravure en taille-douce bon nombre d'enfants et d'adolescents, constituant ainsi le premier maillon d'une chaîne d'apprentissage qui a formé quelques-uns des bons graveurs du XVIIIe siècle ». On connaît les « maillons parisiens » - tous d'origine abbevilloise - de cette chaîne, les noms de Dequevauviller et Delattre étant associés à Jean Daullé (1705-1763), ceux d'Elluin et d'Hubert à Jacques Firmin Beauvarlet (1731-1797)[4].
Si l'on ignore pour sa part quel y aurait été son maître, on estime de la sorte probable que Picot ait effectué un apprentissage de graveur à Paris entre 1760 et 1766[2], année où il part pour Londres - les encouragements en ce sens de Robert Strange, ancien élève de Jacques-Philippe Le Bas, sont l'hypothèse d'Émile Delignières(pcd)[5] - où il est accueilli par Simon François Ravenet, lequel a pour collaboratrice sa fille Marie-Angélique[6]. Dès 1768, pour le prestigieux recueil A collection of prints, engraved after the most capital paintings in England qui sera édité par John Boydell avec dédicace au roi George III l'année suivante[7], il grave « entièrement au burin et au pointillé, avec une maîtrise étonnante pour un artiste de vingt-trois ans », Nourrice et nourrisson d'après une Vierge à l'enfant de Bartolomeo Schedoni[1],[3].
Victor-Marie se fiance à Marie-Angélique Ravenet le 17 janvier 1768 pour l'épouser le 17 janvier 1769 en la St Pancras Old Church et pour s'installer avec elle dans un atelier-boutique de St Martin's Lane(en). En la même année 1769, le cercle de Simon François Ravenet s'élargit à un autre graveur abbevillois déjà nommé, Jean-Marie Delattre[8], ancien condisciple et ami de Victor-Marie. En 1771, les deux abbevillois gravent ensemble sur cuivre d'après Hubert-François Gravelot, proche ami de William Hogarth, les planches hors texte et les vignettes de deux volumes signés Bebescourt, Les mystères du christianisme approfondis radicalement et reconnus physiquement vrais, « stupéfiant ouvrage dont Moet, le traducteur d'Emanuel Swedenborg, était le seul à connaître l'auteur, très rare autrefois, aujourd'hui introuvable, entièrement basé sur la Cabale »[9]. En 1772, deux estampes, La Piscine de Bethesda (la guérison miraculeuse du paralytique) co-gravée par Simon François Ravenet et Victor-Marie Picot, et, lui faisant pendant, Le Bon Samaritain co-gravée par Simon François Ravenet et Jean-Marie Delattre, toutes deux d'après William Hogarth et éditées par John Boydell, confirment une étroite collaboration[10] à laquelle toutefois le mariage de Delattre en 1773 semble mettre un terme[3].
Les interprétations de William Hogarth éditées par John Boydell
C'est plus exactement 1772 que Philippe Tillier perçoit comme une « année de transition » puisqu'y apparaissent « de nouveaux partenaires avec lesquels Victor-Marie Picot confirme sa progression technique, le florentin Francesco Bartolozzi en étant le principal élément ». Une gravure de 1773 mêlant l'eau-forte et le burin, Nymphes au bain où les figures sont gravées par Bartolozzi d'après Giovanni Battista Cipriani et les paysages par Picot (qui devient alors également éditeur) d'après John James Barralet, est la marque notable de cette collaboration[3].
En 1779, c'est un autre ancien ami abbevillois, le graveur Charles-Eugène Duponchel (1748-1796), filleul d'Eugène-Honoré Picot, oncle probable de Victor-Marie, qui est à son tour accueilli par lui à Londres, sans toutefois intégrer le cercle Ravenet[3].
Le British Museum restitue de 1771 à 1788 plusieurs adresses au nom de Victor-Marie Picot à Londres, entre St Martin's Lane, The Strand et Greek Street(en)[11], dans « une série de six ou sept déménagements avant son retour en France »[3]. Son second mariage vers 1782 avec Rosalie Dufétel, qui aurait donné naissance en 1783 à un fils prénommé Louis-Victor et qui nous est révélé par Émile Delignières(pcd)[12], ne laisse aucune trace dans les archives du British Museum qui retient seulement à propos de Marie-Angélique, première épouse : « Picot revient en France en 1790. Elle ne l'accompagne pas et il la laisse sans ressources. La Royal Academy la gratifie de quatre guinées en 1794 et 1795, six guinées en 1796 et 1797 »[13].
Au revers des contributions prestigieuses aux recueils de John Boydell et de Francis Grose[14], les multiples déménagements et la séparation suivie d'un second mariage amènent Philippe Tillier au constat que Victor-Marie Picot, dans « un parcours atypique », s'est moins bien adapté à la vie londonienne que ses concitoyens d'Abbeville François-Germain Aliamet (1733-1790) et Jean-Marie Delattre. On le retrouve réinstallé à Abbeville dans la rue Saint-Jean-des-Prés, puis l’Allégorie relative à Buonaparte, généralissime des armées françaises, dans son expédition contre l'Angleterre, gravure de 1797 d'après Pierre-Paul Prud'hon dont le musée Carnavalet de Paris conserve un exemplaire, énonce son installation au 25, rue des Postes à Paris. Il est de retour à Abbeville au soir de sa vie et meurt à Amiens en 1802[3].
Expositions
Exposition provinciale de la Société des antiquaires de Picardie, hôtel de ville d'Amiens, mai-juin 1860[15].
Musée Carnavalet, Paris, Allégorie relative à Buonaparte, généralissime des armées françaises, dans son expédition contre l'Angleterre, gravure d'après Pierre-Paul Prud'hon, 48,5x63cm, 1797-1798[34].
Allégorie relative à Buonaparte, généralissime des armées françaises, dans son expédition contre l'Angleterre, gravure d'après Pierre-Paul Prud'hon, 1797[42].
Université de Leeds, Tha Assault or fencing match which took place beetxeen Madame la Chevalière d'Éon and Monsieur de Saint-George on the 9th of april 1787 at Carlton House, gravure d'après Alexandre-Auguste Robineau, 1789.
British Library, Londres, A view of O'Sullival Cascade, which falls beetween the mountains of Giena and Toomish into the Lake of Killarney, gravure d'après Jonathan Fisher(en), 1770[46].
↑ a et b Michael Huber et Carl Christian Heinrich Rost, Manuel des curieux et des amateurs de l'art contenant une notice abrégée des principaux graveurs et un catalogue raisonné de leurs meilleurs ouvrages depuis le commencement de la gravure jusqu'à nos jours, chez Orell, Fusli et Compagnie, Zurich, 1804, pp. 280-281.
↑ a et bDictionnaire Bénézit, Gründ, 1999, vol.1à, p. 892.
↑ abcdefgh et i Philippe Tillier, « Victor-Marie Picot », Les graveurs d'Abbeville, Société d'émulation d'Abbeville : F. Paillart, éditeur, 2022, pp. 305-314.
↑ Philippe Tillier, « Philippe-Augustin Lefebvre », « François Hubert », « François-Rolland Elluin » et « François Dequevauviller », Les graveurs d'Abbeville, op.cit., pp. 207-208, 295, 305 et 325.
↑ Èmile Delignières, Recherches sur les graveurs d'Abbeville, Typographie de E. Plon, Nourrit et Cie, Paris, 1886, p. 31.
↑ Émile Delignières, Un graveur de 95 ans - Delattre (Jean-Marie) d'Abbeville, Plon-Nourrit, Paris, 1902.
↑ Caillet, n°893 : Bebescourt, Les mystères du christianisme approfondis radicalement et reconnus physiquement vrais, imprimé par J. G. Galadin et G. Baker, se vend chez P. Elmsly, 2 volumes, 2 planches hors texte et 2 vignettes par Picot et Delattre d'après Gravelot, Londres, 1771. Notice reprise sous n°108 dans : Piasa, Livres anciens et modernes - Ouvrages provenant de la bibliothèque de Stanislas de Gaita, Paris, 7 novembre 2014.
↑Henry Angelo(en), Reminiscences of Henry Angelo with memories of his late father and friends, 2 volumes, Londres, 1828-1830 : intéressante évocation de Victor-Marie Picot et Jean-Marie Delattre, vol.2, p. 327.
↑ Georg Friedrich Brandes et Michael Huber, Catalogue Raisonné du cabinet d'estampes de feu Mr. Brandes, secrétaire de la Chancellerie royale de Hanovre, Rost, Leipzig, 1794.
↑ Jean-Jacques-Henri Czikann, Catalogue raisonné de la précieuse collection d'estampes, recueils, cabinets, galeries et livres sur les arts de feu Mr. Jean-Pierre Cerroni, Secrétaire du Gouvernement de la Moraire et de la Silésie à Brunn, Imprimerie de Joseph noble de Schmidbauer, 1827, n°3247, p. 240.
↑ Charles de Bremmaker, Catalogue raisonné de la précieuse collection de dessins et d'estampes au nombre de près de 30.000 formant le cabinet de M. Charles Val Hultem, Imprimerie d'Adrien Van der Meersch, Gand, 1846, n°4668, p. 762.
↑ E. Geoffrey Hancock, Nick Pearce et Mungo Campbell, William Hunter's World - The Art and Science of eighteenth-century collecting, Routledge, 2015.
↑ Jean Gottlob Stimmel, Catalogue raisonné du cabinet d'estampes de feu Monsieur Winkler, banquier et membre du Sénat à Leipzig, contenant une collection de pièces anciennes et modernes de toutes les Écoles, dans une suite d'artistes depuis l'origine de l'art de graver jusqu'à nos jours, tome quatrième contenant l'École française, Leipzig, 1810, n°482, p. 69.
Annexes
Bibliographie
Michael Huber et Carl Christian Heinrich Rost(de), Manuel des curieux et des amateurs de l'art contenant une notice abrégée des principaux graveurs et un catalogue raisonné de leurs meilleurs ouvrages, depuis le commencement de la gravure jusqu'à nos jours, vol.8, chez Orell, Fusli et Compagnie, Zurich, 1804 (consulter en ligne).
Georg Kaspar Nagler, Neues Allgemeines Künstler Lexikon, Verlag von E. A. Fleischmann, Munich, 1835-1852.
Alfred Bonnardot, Histoire artistique et archéologique de la gravure en France, Librairie ancienne de Deflorenne Neveu, Paris, 1849.
Michael Bryan, Biographical and critical dictionary of painters and engravers, from the revival of the art under Cimabue, and the alleged discovery of engraving by Finiguerra, to the present time, H. G. Bohn, Londres, 1853 (consulter en ligne).
Catalogue du musée d'Abbeville et du Ponthieu, Typographie Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1902.
Algernon Graves, The Society of artists of Great Britain, 1760-1791 - The free Society of artists, 1761-1783, a complete dictionary of contributions and their work from the foundation of the Societies to 1791, George Bell and Sons, Londres, Cambridge, New York, 1907 (consulter en ligne).
Arthur Mayger Hind, A short history of engraving and etching for the use of collectors ans students, with full bibliography, classified list and index of engravers, A. Constable & Company Ltd., 1908.
Arthur Mayger Hind, Bartolozzi ans other stipple engravers working in England at the end of the eighteenth century, Heinemann, Londres, 1912.
Alexandre De Vesme et Augusto Calabi, Francesco Bartolozzi, catalogue des estampes et notice biographique d'après les manuscrits d'A. De Vesme entièrement réformés et complétés d'une étude critique par A. Calabi, éditions Guido Modiano, Milan, 1928.