Le navire sera torpillé six mois après cet épisode, en mer du Nord, par les Allemands.
Contexte historique
En , à la fin de la guerre d'Espagne, un très grand nombre de familles républicaines rejoignent Alicante dans l'espoir de s'exiler par la mer. Or, le blocus maritime, l'aviation nazie et le renfort des militaires italiens de la division Littorio interdisent à tout bateau humanitaire d'accoster : le port d'Alicante devient un piège pour des milliers de républicains. Ils sont arrêtés sur les quais et conduits par les soldats italiens de la division Littorio, unité militaire venue en renfort des troupes franquistes, au camp de concentration de Los Almendros, puis à celui d'Albatera, où ils sont internés.
Le Stanbrook fut visé plusieurs fois par l'aviation nationaliste. Il fut touché par une bombe lors d’un raid aérien sur Barcelone le 30 avril 1938[2]. Il fut ensuite coulé après avoir été touché par des bombes larguées par des hydravionsSavoia de l'aviation Italienne, le , au port de Vallcarca, près de Barcelone. Le navire sera réhabilité pour naviguer à nouveau[3],[4]. Le , le navire subira à nouveau de lourds dommage causés par l'aviation franquiste dans le port de Valence[5].
D'autres navires sont également partis du port d'Alicante, au mois de avant le Stanbrook. Le Ronwyn, le , avec 637 passagers[6], et l'African Trader, le , avec 859 personnes[7]. Enfin, le Maritime est parti le , avec seulement 32 personnes à bord qui étaient des responsables Républicains importants[8],[9]. Le Lézardrieux partira également le 29 mars du port de Valence à destination d'Oran.
De plus petites embarcations ont également rejoint l'Algérie ou le Maroc, comme notamment le chalutierLa Guapa, parti de Santa Pola et arrivé à Ténès le 31 mars, avec 94 personnes[10],[11].
Sauvetage des réfugiés
Le 17 Février 1939, revenant de Valence, le Stanbrook s'amarre à Marseille, avec à son bord 6 réfugiés espagnols[12],[13]. Le navire restera à quai dans le port de Marseille un mois. Le 17 Mars 1939, le capitaine Gallois Archibald Dickson reçoit l'ordre de partir pour Alicante. Le navire, après avoir évité un destroyer nationaliste, y arrivera le 19 Mars 1939[14],[15].
Le , quatre jours avant la fin de la guerre, le Stanbrook est à quai, attendant des cargaisons de tabac, d'oranges et de safran. Des milliers de réfugiés se massent sur le quai, au bureau des douanes. Les réfugiés sont composés de soldats et gradés de l'armée républicaine, de brigadistes internationaux, de fonctionnaires, de politiques, de militants[16]...
Selon une lettre écrite par Archibald Dickson datée du et envoyée au journal Britannique The Sunday Dispatch, les responsables du port lui demandent d'embarquer ces passagers et de les déposer à Oran. Il décide alors de les faire embarquer, à l'encontre des ordres de son armateur[17],[18]. L'écrivain, journaliste et ex -vice-président du SPD du sous-district de Munich, Rolf Reventlow[19], mentionne également le gouverneur civil de l'époque, Manuel Rodríguez Martínez, qui aurait réussi à convaincre le capitaine[20].
Le Stanbrook quitte le port le au soir, aux alentours de 22 h 30, avec environ 3000 personnes à son bord. Le capitaine força le blocus nationaliste en naviguant sans lumières. Le Stanbrook fait alors route vers Oran. 10 à 15 minutes plus tard, l'aviation nationaliste bombardera le port[21],[22],[23].
Après 22 h de trajet, le Stanbrook atteint le port de Mers el-Kébir, près d'Oran[24],[25]. Le 30 mars, le navire sera ensuite amarré au quai du ravin-blanc, dans le port d'Oran[26].
Une liste des passagers sera dressée par la préfecture de police. Cette dernière est consultable aux Archives nationales d'Outre-Mer à Aix-en-Provence[27]. Cependant, certains passagers ne sont pas présents sur la liste officielle, probablement descendus grâce à un contact important[28],[29] ou tout simplement non comptabilisés, à la suite des débarquements successifs.
La liste dressée par les autorités françaises, comptabilise 2638 personnes (avec des doublons sur certains noms). De son côté, la Federación Socialista de Alicante fait état de 3016 personnes[30],[31]. Le politicien espagnol Rodolfo Llopis, dans un article du 11 juin 1953 du journal El Socialista, mentionne le nombre de 3028 passagers[32].
Les malades, les blessés, les femmes et les enfants seront débarqués les premiers[33]. Le reste des milliers d'exilés ne sera totalement débarqué que le [34],[35], après avoir passé pour certains près d'un mois sur le navire, dans la promiscuité et l'insalubrité. C'est surtout le risque de départ d'épidémie qui motiva les autorités françaises à débarquer totalement les exilés[36].
Le 8 avril, le Stanbrook, l'African Trader et le Lézardrieux seront saisis sur ordre du préfet d'Oran[41]. Le Stanbrook repartira quant à lui le du port d'Oran, à destination de Casablanca[42],[43],[44].
Les journaux locaux d'Oran de l'époque couvriront assez précisément le déroulement des événements. Le quotidien L'Écho d'Oran sera ouvertement hostile aux réfugiés, tandis que l'Oran républicain, organe de presse créé par des républicains de gauche, appelait à la solidarité des Oranais envers les réfugiés, et fustigeait les conditions de détention des exilés. Du côté d'Alger, où se trouvaient plusieurs camps d'accueil, le quotidien Alger républicain a couvert les événements liés aux camps et a relayé les demandes des réfugiés.
Personnalités notables à bord du Stanbrook
Passager no 753: Antonio Gassó Fuentes, dit Gaskin, pilote au service de la République durant la guerre civile. Il fut formé en URSS, d'où il a tiré son surnom. Sa fille Laura Gassó, a publié son journal, sous le titre Diario de Gaskin: Un piloto de la República en los campos de concentración norteafricanos[45].
Passager no 1244: José Muñoz Congost, journaliste, militant anarchosyndicaliste et co-responsable du journal alicantin Liberación, organe de la CNT-FAI-FIJL, et écrivain du livre Por tierras de moros, œuvre fondamentale sur la documentation de la réalité des camps algériens[46].
Passager no 1560: Germinal Ros i Martí, journaliste, écrivain et militant au Parti Socialiste Unifié de Catalogne[47].
Passager no 1950: Antonio Mas Serna, syndicaliste, maire de Crevillent, localité proche d'Alicante et délégué au PSOE[48],[49].
Passager no 1957: Manuel Menargues Vicens, premier maire républicain de Crevillent, élu à la suite des élections municipales du . Il sera arrêté par la Gestapo à Tanger, puis rapatrié en Espagne où il sera incarcéré. Il sera condamné à mort par un tribunal de guerre franquiste et fusillé le [50].
Passager no 2058: José Escudero Bernícola, avocat et gouverneur civil successivement de Salamanque, Zamora puis Grenade. Son petit-fils Francisco Escudero Galante rend hommage à sa mémoire dans le livre El pasajero 2058. La odisea del Stranbrook[51].
Passagers ne se trouvant pas dans la liste officielle
Julio Mangada Rosenörn, militaire professionnel fidèle à la république, qui a participé à de nombreuses batailles. Il finira promu colonel[54].
Epilogue
La majeure partie des réfugiés du Stanbrook ayant combattu a été par la suite notamment conduite par les autorités françaises à Camp Morand, à Boghari, au Sahara, où son exil continuera dans des conditions effroyables, les camps d'accueil étant en réalité des camps de travail forcé[55]. D'autres réfugiés ont également été conduits au camp de Relizane.
Les civils ont, eux, logé pour la plupart dans des centres d'hébergement à Oran et ses environs[56].
Six mois après le sauvetage héroïque d'Alicante, le Stanbrook est torpillé le à 2h13 en Mer du Nord, sur la route entre Anvers et Blyth, par le sous-marin allemand U-57. L'ensemble des 20 membres d'équipage périra, dont le capitaine Archibald Dickson[57],[58],[59]. Selon le journaliste et militant communiste catalan Germinal Ros, une minute de silence sera observée dans les camps d'Algérie lorsque les exilés l'apprendront[7].
Un monolithe a été inauguré le à Oran, à l'esplanade Sidi M’HAMED, en hommage aux passagers du navire et au peuple algérien pour l'accueil fait aux réfugiés. L'hommage est écrit en français, espagnol, catalan et arabe[61].
Un buste commémoratif du capitaine Archibald Dickson a été inauguré en 2014 au port d'Alicante[62].
La ville d'Alicante a dédié une rue en souvenir du navire.
La ville de Cardiff a prévu de mettre en place un mémorial sur l'action héroïque du capitaine Archibald Dickson[63].
Culture populaire
De nombreuses références au Stanbrook existent dans la culture populaire, notamment:
Un groupe d'Heavy Métal d'Alicante porte le nom du navire, en hommage à ce dernier et à l'équipage[64]
Un film documentaire, Aurore, sorti en 2007 de Christian Caroz[66]
La bande dessinée La Nueve: les républicains espagnols qui ont libéré Paris, par Paco Roca, consacre un passage au navire, au travers du personnage fictif de Miguel Ruiz, passager du Stanbrook.
Begoña Lobo, Vicente Ferrer Azcoiti et José María Azkárraga, La guerra ha terminado: Alicante 1939, 2019 (ISBN978-84-947764-5-8)
Andrée Bachoud et Bernard Sicot, Sables d’exil. Les républicains espagnols dans les camps d’internement au Maghreb (1939-1945), 2009 (ISBN978-2-908476-72-9)
Paul Preston, Last Days of the Spanish Republic, 2017 (ISBN978-0008163419)
Isabel Beltrán Alcaraz, Helia González Beltrán, Stanbrook. Vivencias de un exilio, 2016 (ISBN978-8415180487)
Gassó García Laura, Coronado Verdeguer David, Maria Pilar Bonet Rosado et Rafael Vicent Arnal Torres, Operación Stanbrook: Homenaje a la memoria republicana, 2016 (ISBN978-8415180548)
José Muñoz Congost, Por tierras de moros: el exilio Español en el Magreb, 1989 (ISBN978-8487169069)
Robert Llopis i Sendra, José Miguel et Santacreu Soler, Una Presó amb vistes al mar: el drama del port d'Alacant, març 1939, 2008 (ISBN9788475028002)
Références
↑(ca) Germinal Ros i Marti, Els meus primers 90 anys, APAC Edicions, , 166 p., p. 39
↑(es) « Del último raid de la aviación rebelde sobre Barcelona », Justicia social : Órgano de la Federación
Socialista Menorquina y de la Federación
Obrera de Menorca, , p. 2 (lire en ligne)
↑« More British steamers bombed off Spanish coast », Londonderry Sentinel, , p. 4 (lire en ligne)
↑(en) « British ship bombed and sunk », Belfast News-Letter, , p. 7 (lire en ligne)
↑(en) « Devon port cruiser at Minorca », Western Morning News, no 24683, (lire en ligne)
↑Léo PALACIO, « Les 637 réfugiés qui étaient avant-hier à Oran sont arrivés à Ténès », Oran Républicain, , p. 4 (lire en ligne)
↑ a et b(es) Juan Martínez Leal, « El Stanbrook: un barco mítico en la memoria de los exiliados republicanos », Pasado y Memoria. Revista de Historia Contemporánea, no 4, , p. 65-81 (lire en ligne)
↑(es) Ricardo Montes Bernárdez, José Antonio Sánchez Hernández et Enrique Serna Rodríguez, Ricardo Serna Alba y "El Liberal" : exilio en Orán, Colegio Oficial de Periodistas de la Región de Murcia, (ISBN978-84-608-3332-1 et 84-608-3332-1, OCLC1077604720, lire en ligne), p. 39
↑« A Oran, trois navires chargés de réfugiés espagnols sont saisis pour permettre la récupération des frais d'hébergement », La Dépêche Algérienne, , p. 5 (lire en ligne)
↑« Courrier Maritime », Oran Républicain, , p. 7 (lire en ligne)
↑(en) « Foreing sailings », The journal of commerce and shipping telegraph, no 34719, , p. 6 (lire en ligne)
↑P., « A Oran la saisie du "Stanbrook" est levée et le navire a quitté le port », La Dépêche algérienne : journal politique quotidien, , p. 3 (lire en ligne)