Société française pour l'abolition de l'esclavageSociété française pour l'abolition de l'esclavage
La Société française pour l'abolition de l'esclavage (SFAE) est une association française qui de 1834 à 1848 a milité et œuvré en faveur de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Réunion, Guyane française, Sénégal et Madagascar)[1]. D'abord favorable à une abolition progressive, la SFAE sera ensuite favorable à une abolition immédiate[2]. PrédécesseursDès la fin du XVIIIe siècle, des sociétés se sont formées en France en faveur de l’abolition de l’esclavage. C’est d’abord la Société des amis des Noirs fondée par Jacques Pierre Brissot et Étienne Clavière le qui fonctionna jusqu’en 1791. Cette première société fut suivie de la Société des Amis des Noirs et des Colonies qui se réunit de 1796 à 1799. L'esclavage est aboli par la Convention nationale le . Puis, après le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Ier en 1802, c’est la Société de la morale chrétienne, fondée en 1821, qui reprit le flambeau en constituant en 1822 un Comité pour l’abolition de la traite des Noirs[3], dont une partie des membres est constituée des futurs fondateurs la SFAE[4]. Après les améliorations obtenues dans les premières années du règne de Louis-Philippe Ier, en particulier en ce qui concerne la traite négrière, ce comité est dissous. En 1833, le Parlement britannique vote une loi décidant l’abolition progressive de l’esclavage dans ses colonies et prévoyant une abolition définitive fixée au avec une indemnisation financière des propriétaires d'esclaves évaluée à 20 millions de livres<[5]. . Les premiers résultats rassurants obtenus par les Britanniques et l'absence de projet gouvernemental d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, incitent des anti-esclavagistes français, de toutes tendances politiques, à fonder, en 1834, une société pour l’abolition de l’esclavage qui s’inspire du modèle abolitionniste anglais. Les membres fondateursLa première réunion des abolitionnistes français décidés à se regrouper en société a lieu le [6], les vingt-sept fondateurs[7] de la société sont :
Les statuts stipulent que "La Société se compose de vingt-sept membres fondateurs et d'un nombre illimité de membres associés." et que "Les membres fondateurs forment la Commission centrale". La Commission centrale choisit les membres qui feront partie des commissions chargées de diriger des travaux, on doit lui présenter les personnes qui souhaitent adhérer à la SFAE et elle rend compte de ses travaux dans des réunions générales et publiques. Les membres associésOutre, les vingt-sept membres fondateurs et le trésorier Amédée Thayer, les statuts stipulent que la société est composée d'un nombre illimité de membres associés[9]. Parmi ceux-ci, on note les adhésions d'Hippolyte Ganneron (1792-1847), Jean-Louis Dufau (1785-1859), Charles Lucas (1803-1889), Edouard-James Thayer (1802-1859), Maurice-Poivre Bureaux de Pusy (1799-1864), Alceste de Chapuys-Montlaville (1800-1868), Jean Théodore Durosier (1793-1855), François Jules Doublet de Boisthibault (1800-1862), Jean-Baptiste Teste (1780-1852), Antoine Jay (1770-1854), Adolphe Delespaul (1802-1849), François Adolphe Chambolle (1802-1883), Victor Lanjuinais (1802-1869), Auguste Billiard (1788-1858), Édouard Roger du Nord (1803-1881), Francisque de Corcelle (1802-1892), Gustave de Beaumont (1802-1866), Adolphe Ambroise Alexandre Gatine (1805-1864), Alexis de Tocqueville (1805-1859), Jules de Lasteyrie (1810-1883), Charles de Montalembert (1810-1870), Emmanuel de Las Cases (1766-1842), Arthur O'Connor (1763-1852), Antoine Cerclet (1797-1849), Charles Casimir Dugabé (1799-1874), André Leyraud (1786-1865), Benjamin Appert (1797-1873), Maurice Poivre Bureaux de Pusy (1799-1864), Louis Joseph Cordier (1775-1849), Armand Charles Guilleminot (1774-1840), Pascal Joseph Faure (1798-1864), Eugène d'Harcourt (1786-1865) et de Félix Martin Réal (1792-1864)[10]. La cotisation annuelle est de 25 francs. Ces membres ont le droit d'assister aux séances de la SFAE et ont voix consultative, ils peuvent aussi faire partie des commissions chargées de travaux particuliers. En 1847, le secrétariat est situé à Paris 12 rue Taranne. ObjetL'objet de la société est indiqué en son article 1er : « L’objet des travaux de la société est de réclamer l’application de toutes les mesures qui tendent à l’émancipation des esclaves dans nos colonies, et en même temps de rechercher les moyens les plus prompts et les plus efficaces d’améliorer le sort de la classe noire, d’éclairer son intelligence et de lui préparer une liberté qui soit utile et profitable à tous les habitants des colonies » ActionsDes réunionsLa première réunion de travail a lieu le , elle est consacrée à entendre les trois émissaires (Zachary Macaulay, John Scoble et James Cooper) de la "Universal Abolition Society" alors présents en France pour suivre le procès en appel de l'affaire de la révolte de Grande Anse[11]. La réunion suivante se tient le , il y est approuvé les statuts de la société. À la réunion du , il est examiné la question de l'émancipation pendant la Révolution française. À celle du Frédéric Gaëtan de La Rochefoucauld-Liancourt fait un long rapport sur la lutte contre l'esclavage au sein de la Société de la morale chrétienne. De janvier à , les membres se réunissent en moyenne trois fois par mois. L'année suivante, ils se réunissent une fois par mois. Ces premières réunions (1835-1836) ont principalement pour objet de connaître au mieux la situation de l'esclavage dans les colonies françaises en entendant diverses personnalités, telles que Gustave de Beaumont au sujet de la pratique de l'esclavage dans l'État du Maryland (États-Unis) (), Auguste Billiard, ancien préfet qui avait résidé sur l'île de Bourbon, sur l'attitude des habitants de cette île envers l'émancipation des esclaves (), Louis Fabien, Martiniquais, et Louis Africain Persegol, ancien président conseiller président de la Cour royale de la Guyane française (), Robert d'Escorches de Sainte-Croix, sur les conditions matérielles dans lesquelles vivent les esclaves de la Martinique ()[12]. L'année 1836 commence par une réunion le , puis une autre le où Hippolyte Passy annonce qu'il a préparé avec Victor Destutt de Tracy un plan d'émancipation en trois points pour le soumettre à la Chambre des députés[13]. . Lors de la séance du [14], il est notamment examiné la question du rachat des esclaves par leur propre pécule. Lors de la séance du , il est indiqué qu'une pétition des hommes de couleur de la Martinique a été déposée à la Chambre des députés par M. Isambert et à la Chambre des pairs par M. le duc de Broglie. Lors de la séance du , la question à l'ordre du jour est celle de savoir si une proposition formelle d'affranchissement pour les esclaves doit être faite cette année aux chambres. On est d'avis qu'au milieu des préoccupations actuelles des chambres, cette proposition aurait peu de chances de succès, et que le ministère, appréhendant de se créer un nouvel embarras, trouverait des prétextes d'ajournement, en disant qu'il veut attendre le résultat de l'expérience tentée dans les colonies anglaises. Lors des séances des et , on annonce que l'assemblée générale aura lieu, à l'Hôtel de ville, le jeudi . Le programme en est réglé ainsi qu'il suit : après le discours d'ouverture du président, M. le duc de Broglie, prendront successivement la parole, MM. Isambert, Passy, Odilon Barrot et Delaborde, sur les travaux de la société, sur l'état de l'esclavage, sur la nécessité et les conséquences morales, politiques et économiques de l'émancipation des nègres. Lors de la séance du , M. Isambert communique un relevé de la population des colonies françaises au . À la Martinique, les habitants libres s'élèvent au nombre de trente-sept mille neuf cent cinquante-cinq, les esclaves à celui de soixante-dix-huit mille soixante-seize. À la Guadeloupe, on compte quatre-vingt-seize mille trois cent vingt-deux esclaves pour trente-un mille deux cent cinquante-deux hommes libres. M. Isambert rapporte qu'ayant abordé M. François Guizot après les paroles prononcées par lui à la tribune, ce ministre lui dit qu'il ne pouvait fixer l'époque où les mesures annoncées par le gouvernement seraient promulguées, mais que certainement on ne les attendrait pas jusqu'à la session prochaine[15]. Lors de la séance du , informés que le chef du gouvernement Mathieu Molé n'a pas l'intention de présenter une proposition de loi relative à l'émancipation lors de la prochaine session parlementaire, les membres de la S.F.A.E décide qu'ils présenteront leur propre projet de loi[16]. Lors de la séance du , il est décidé de déposer des troncs dans les églises de Paris pour recevoir des fonds : "M. Ricard membre de la société rapporte qu'autorisé spécialement par S.S. le Pape il s'est présenté chez Monseigneur l'archevêque de Paris à l'effet de demander à ce prélat son agrément pour placer dans la cathédrale et dans les autres églises de Paris, des troncs à l'effet de recevoir les aumônes que la charité des fidèles pourrait destiner à l'œuvre de l'abolition de l'esclavage. Que Monseigneur l'archevêque a paru disposé à accueillir favorablement cette demande à la seule condition que la Société se chargera du dépôt et de l'emploi des deniers provenant des troncs." Un journalAfin de faire le lien entre ses membres et faire connaître ses actions et travaux, il est créé un journal qui paraît dès 1835 ayant pour titre "Société Française pour l'Abolition de l'Esclavage". Son premier numéro contient une longue tribune datée du 15 décembre 1834, dans laquelle les fondateurs de la société indique : "Le temps n'est plus où l'on discutait sérieusement la légitimité de l'esclavage. Ce n'est pas en vain que la civilisation a marché. A mesure que ses bienfaits se sont répandus, de nouvelles et plus vives lumières sont venues épurer et fortifier les notions de justice et de morale sur lesquelles se fondent les opinions humaines, et l'esclavage n'apparaît plus aujourd'hui, aux yeux des sociétés les plus éclairées de l'Europe, que comme une violation flagrante des préceptes de la charité chrétienne, et un attentat aux droits les moins contestables de l'humanité[17]". Après le rapport de la commission présidée par Victor de Broglie (1785-1870) celui-ci cesse de paraître en 1843, dans l'attente d'une proposition de loi abolitionniste par le gouvernement. Faute de proposition, le journal est relancé en avec pour titre L'Abolitioniste français[18]. Cette nouvelle revue se veut plus combative et virulente, ainsi elle dénonce, exemples à l'appui, les atrocités commises par les planteurs et mal réprimées par les tribunaux coloniaux. Le propriétaire-gérant est François-André Isambert jusqu'à la mi-1844, date à laquelle son fils Alfred lui succède[19]. Mais L'abolitioniste français est très peu lu, ainsi que le confie Henry Dutrône à Cyrille Bissette[20]. Un corpus juridique envoyé aux Cours royales et aux barreaux de FranceEn 1847, la Société française pour l'abolition de l'esclavage adresse à toutes les Cours royales de France la collection de ses publications, constituée des bulletins qu'elle publie depuis quatre ans et dans lesquels sont consignés les lois, les ordonnances, les discussions des Chambres, l'examen des actes émanant de l'autorité coloniale, ainsi que les arrêts rendus par la Cour de cassation et Cours métropolitaines dans les affaires concernant la liberté des esclaves. Ces cours royales étant appelées à juger des affaires liées à l'esclavage après que des arrêts des cours royales siégeant dans les colonies aient été cassés et annulés par la Cour de cassation. En décembre de la même année, ces collections sont envoyées à tous les barreaux de France et aux chambres des avoués[21]. Des interventions à la Chambre des députésIl y a aussi de nombreuses interventions à la Chambre des députés des membres de la société : En , alors que le président de la SFAE Victor de Broglie est devenu président du Conseil des ministres et que les membres de la société ont l'espoir que ce nouveau chef du gouvernement propose une loi d'abolition, une partie d'entre eux interviennent dans les Chambres pour y dénoncer l’esclavage : un « principe vicieux » selon Alexandre de Laborde, « une grande monstruosité collective dans le pays des Droits de l’Homme » déclare Alphonse de Lamartine, « une absurdité insoutenable » s’écrie Victor Destutt de Tracy et « un crime social » dénonce François-André Isambert[22]. L’abolition de l’esclavage n’étant pas inscrite à l’ordre du jour, aucun vote à son sujet n’a lieu. Le gouvernement tergiverse[23], le ministre de la Marine et des Colonies brandit le spectre d’une indemnisation des colons insupportable pour les finances de l’État et répond qu’on manque de recul et que toutes les conséquences d’une abolition même progressive n’ont pas été étudiées. Le , ne voyant aucun projet d'abolition poindre, Frédéric Gaëtan de La Rochefoucauld-Liancourt s'en indigne à la tribune de la Chambre des députés :
Le , Hippolyte Passy interpelle la Chambre des députés :
Suivi, le même jour, de celle de François-André Isambert :
Les interventions sont multiples, ainsi celle d'Agénor de Gasparin le :
Des actions auprès des Conseils générauxEn 1835, les membres de la Société demandent aux conseils généraux de se prononcer au sujet de l'esclavage ; seulement sept y répondent car la plupart considéraient cette question comme ne faisant pas partie de leur attribution[24]. Les conseils généraux qui émettent le vœu d’une abolition sont ceux de l’Aisne, de l’Allier, de l’Ariège, de la Creuse, du Loiret, de la Haute-Garonne et de l’Eure-et-Loir. La résolution votée par le Conseil général d'Eure-et-Loir où siège François-André Isambert, le secrétaire de la SFAE, en , est ainsi libellée :
En 1837, les conseils généraux sont relancés et cinq autres départements y répondent favorablement : le Cher, le Nord, la Saône-et-Loire, la Seine-et-Marne et la Vendée. En 1847, la SFAE relance une dernière fois les conseils généraux. Une lettre datée du , signée par Hippolyte Passy et Henry Dutrône, est adressée aux conseillers généraux : « Messieurs, la nécessité d'abolir l'esclavage n'est plus l'objet d'un doute pour les esprits éclairés, pour les consciences honnêtes. La Société qui prend à tâche de hâter l'heure de l'émancipation ne se propose donc point de vous entretenir du droit que les esclaves de nos colonies ont à la liberté : ce droit, vous le connaissez aussi bien qu'elle ; tout ce qu'elle réclame de votre justice et de vos sentiments d'humanité ne saurait être retardé sans péril et sans honte pour notre pays[25] ». Vingt-quatre conseils généraux sur quatre-vingt-six se prononcent en faveur de l'abolition de l'esclavage, mais souvent en émettant des réserves, notamment que les colons soient indemnisésJennings 2010, p. 269,[26]. Des propositions de lois abolissant l'esclavageÀ défaut d’initiative gouvernementale, les membres de la Société française pour l’Abolition de l’esclavage décident de proposer leur propre loi. En 1837, Hippolyte Passy fait inscrire au programme des débats de la Chambre des députés la question de l’abolition de l’esclavage. Le [27], il dépose une proposition de loi selon laquelle en son article 1er : « À dater de la promulgation de la présente loi, tout enfant qui naîtra dans les colonies françaises sera libre, quelle que soit la condition de ses père et mère » et prévoit en son article 2 une prise en charge par l'État du coût de l'entretien d'un enfant né d'une femme esclave, soit 50 francs par an qui seraient versés au maître de la mère. Ce projet prévoit également la possibilité pour tout esclave de racheter sa liberté d'après un tarif fixé par une autorité compétente[28]. Le , la Chambre des députés discute de ces propositions et malgré l'opposition au projet du ministre de la Marine et des Colonies Claude du Campe de Rosamel, elle nomme une commission chargée de l’examiner. François Guizot en est le président, François-André Isambert en est le secrétaire et en sont également membres Pierre-Antoine Berryer, Jean-François-Xavier Croissant, Charles de Rémusat (rapporteur), le baron Jacques François Roger (du Loiret), le comte Alexandre de Laborde, Joseph Henri Galos et Hippolyte Passy. La commission se réunit à neuf reprises du au et entend plusieurs personnes : le vice-amiral de Mackau, ancien gouverneur de la Martinique, le brigadier général Sainclair, ancien chef des magistrats spéciaux de Saint-Vincent, le baron Dupin et De Cools, délégués de la Martinique, de Jabrun, délégué de la Guadeloupe, Conil et Sully-Brunet, délégués de l'île Bourbon, Favart, délégué de la Guyane, Pélisson, ancien bâtonnier des avocats de la Martinique et Mallac, négociant à l'île Maurice. Charles de Rémusat présente le rapport de la commission[29] à la Chambre des députés le . Mais au lieu d'une abolition uniquement en faveur des enfants à naître, ce qui aboutirait à une abolition lente et amènerait « d'envieuses rivalités », la commission, après avoir rappelé qu'il y avait 258 956 esclaves dans les colonies françaises, indique qu'elle souhaite une émancipation de masse. Elle propose toutefois d'attendre 1840 pour juger pleinement l'expérience britannique et indique qu'en attendant il convenait de voter des mesures préparatoires à l'émancipation (pécule, rachat, éducation religieuse). Il s’ensuit de nombreux débats à la Chambre des députés, le Président du Conseil des Ministres demande l’ajournement de l’examen de la loi, puis le la Chambre des députés est dissoute par le roi Louis-Philippe. Ce dernier est hostile à l'abolition de l'esclavage, ainsi que le révèle une lettre adressée par Charles Dupin, président du conseil des délégués coloniaux à Paris, au général Jean-Jacques Ambert, président du conseil colonial de Guadeloupe :
La loi proposée par Hippolyte Passy n’ayant pas été votée et les propositions de la commission Guizot-Rémusat étant restées sans suite, c’est Victor Destutt de Tracy qui, le , la propose à nouveau à la Chambre des députés nouvellement élue. Entre-temps en effet un nouveau ministre de la Marine et des Colonies (Guy-Victor Duperré), réputé moins rétif que son prédécesseur, a été nommé et Hippolyte Passy, vice-président de la SFAE est devenu ministre des Finances. Il est une nouvelle fois décidé de nommer une commission chargée de l’étudier ; elle est composée de neuf membres dont six sont adhérents de la SFAE. Alexis de Tocqueville, qui en est le rapporteur, indique le à la Chambre des députés que selon la commission l’abolition est devenue une nécessité politique et que celle-ci se déclare favorable à une abolition pour tous les esclaves, plutôt que limitée à leurs enfants à naître comme l’avait proposé Hippolyte Passy. La commission propose qu'à la session législative de 1841 il soit voté une loi qui :
Le conseil des ministres, sur le rapport de l'amiral Duperré, déclare qu'il est prêt à adhérer aux bases du plan exposé par la commission[32]. Mais en le gouvernement du maréchal Jean-de-Dieu Soult, favorable à une prochaine abolition[33] et dans lequel se trouvait Hippolyte Passy tombe. Le nouveau chef du gouvernement, Adolphe Thiers, déclare que l'émancipation était une « mesure grave qui devait être prise avec prudence ». Son attitude est assez ambiguë, car il fait financer le voyage du journaliste Bernard-Adolphe Granier de Cassagnac (1806-1800) aux colonies, lequel dans ses écrits se fera un ardent défenseur du maintien de l'esclavage[34]. Mais le , il nomme une nouvelle commission « pour l'examen des questions relatives à l'esclavage et la constitution politique des colonies ». Composée de douze membres, elle est présidée par le duc Victor de Broglie (1785-1870), président de la SFAE. Un mois plus tard, la commission, dont cinq membres[35] sont adhérents de la SFAE, indique qu'elle doit faire des consultations sur les trois types d’émancipation possibles :
Puis, la commission entame des consultations qui durent presque deux ans. En , la commission de Broglie propose finalement au gouvernement deux projets. Le premier indique que l’abolition totale de l’esclavage devra se faire dans un délai de dix ans. L’indemnité à verser aux colons est fixée à 150 millions. Le second prévoit d’affranchir tous les enfants nés à partir du . Mais le gouvernement ne propose aucune loi d'abolition. Le , après plusieurs interpellation de députés adhérents de la SFAE, le ministre de la Marine et des Colonies, le baron Ange René Armand de Mackau, vice-amiral et ancien gouverneur aux Antilles, après avoir déclaré que « tout mode de libération immédiate et absolue étant écarté », se contente de soumettre à la chambre des Pairs un projet de loi visant à améliorer le sort des esclaves, à savoir : fixer des règles concernant la nourriture et l’entretien dus par les maîtres, le régime disciplinaire des ateliers, la fixation des heures de travail et de repos, le mariage des esclaves, leur instruction religieuse élémentaire, la possibilité pour les esclaves de constituer un pécule et, au moyen de cette épargne, d'acheter leur liberté. La Société française pour l’abolition de l’esclavage examine le projet de loi et, par l’intermédiaire de son secrétaire, François-André Isambert, fait part de sa déception :
et aux députés qui refusent de voter cette loi d'amélioration du sort de l'esclave au motif que ce n'est pas une loi d'abolition générale, il répond, pas dupe :
Les discussions sur les deux projets de lois « Mackau » commencent le et celles-ci sont votées en juin et . Des participations aux congrès abolitionnistesEn , la British and Foreign Anti-Slavery Society (Société britannique et étrangère pour l'abolition de l'esclavage) organise à Londres le premier congrès international en faveur de l‘abolition de l’esclavage. François-André Isambert, qui est désigné comme un des quatre vice-présidents, y participe en sa qualité de secrétaire de la Société pour l’abolition de l’esclavage. Lorsque Isambert entra dans la salle, accompagné de Dussailly et de Hauré, membres de la Société française, il vint prendre sa place à la droite du fauteuil réservé au président. La députation française fut accueillie par de grandes acclamations. Il en fut de même lors de l’entrée de l’ambassadeur de France, Guizot. À côté des députés français se trouvait placée Mme la duchesse de Sutherland, S.A.R. le duc de Sussex et M. O’Connel furent accueillis par des tonnerres d’applaudissements[37]. La British and Foreign Anti-Slavery Society accorde l'honneur à François-André Isambert de prendre la parole après le président Thomas Clarkson[38], celui-ci y prononce le un discours commençant ainsi :
La SFAE participa également au second congrès de Londres de 1843, y étant représentée par Amédée Thayer. Une tentative d'organisation d'une convention abolitionniste à Paris le 7 mars 1842Pour faire pression sur le gouvernement et éveiller l'opinion publique, la Société française pour l’Abolition de l’Esclavage a, sur une idée d'Odilon Barrot, son vice-président, le projet d’organiser à Paris en 1842 une réunion publique, à l’image de celle qui s’était tenue à Londres deux années auparavant. Celle-ci doit se tenir le lundi à l'Hôtel de ville de Paris. Lors de sa réunion du , la SFAE décide d'inviter des anti-esclavagistes de Genève, Bade, Barcelone, Madrid, Rotterdam, Hambourg, Keil et Stockholm[39]. Tout est prêt, des délégations de Grande-Bretagne (Joseph Sturge, Josiah Forster, G.W. Alexander, J.H. Hinton et John Scoble), des États-Unis et de nombreux pays d’Europe sont attendues. Mais l'accord du ministre de l'Intérieur Charles Marie Tanneguy Duchâtel, est nécessaire à l'organisation d'une réunion publique. Bien que celle-ci soit demandée en personne par Victor de Broglie qui rend visite au ministre, celui-ci lui indique par lettre en date du qu'il est souhaitable d'ajourner la réunion : « Mais d'après les rapports qui me sont parvenus, je crains que cette réunion dans les circonstances actuelles, ne puisse offrir quelques inconvénients, et amener peut-être des résultats contraires à ceux que les membres de la Société désirent obtenir. Vous penserez, je l'espère, avec moi, Monsieur le Duc, qu'il conviendrait d'ajourner la réunion projetée[40] ». Les membres de la SFAE comprennent qu'il faut l'annuler. Il n'y a qu'un banquet — lequel n'était pas soumis à autorisation — en l'honneur de la délégation britannique, le [41]. Le secrétaire de la SFAE, François-André Isambert le regrette amèrement : « Si le gouvernement n'avait pas empêché notre société de tenir des assemblées publiques : s'il n'avait pas réussi à nous renfermer dans le huis clos de nos séances. » Des pétitionsDès le , la société, par l'intermédiaire de sept de ses membres, adresse à la Chambre des députés une pétition[42] dont l'extrait ci-après montre qu'elle a pour modèle l'abolition britannique :
Le , c'est une pétition signée par Henri Lutteroth et dix-sept habitants de Paris qui est débattue à la Chambre des pairs[43]. Le , une pétition signée par neuf membres de la SFAE est déposée auprès des deux chambres, invoquant des raisons humanitaires (« Quoique nous entendions pas le cri de douleur de l'esclave, nous savons qu'il souffre et que l'instant où il cesse de gémir sur son sort est celui de sa dégradation absolue, et par conséquent de sa plus grande misère. »), morales (La France ne pouvait tolérer sur son territoire que 250 000 êtres humains fussent privés de « liberté »", de « droits définis », de « garanties légales », de « famille » et de « société ») et économiques, ils demandent d'« abolir l'esclavage encore existant dans nos colonies[44]. » Puis, conscients que seule la mobilisation du public avait permis aux abolitionnistes britanniques d'obtenir l'émancipation au début des années 1830, les membres de la SFAE, décident de recourir aux pétitions signées par un nombre important de personnes afin de faire pression sur le gouvernement et démontrer l’existence d’une volonté de la population française de voir abolir l’esclavage. Une pétition en faveur de l’abolition de l’esclavage est signée par les typographes parisien du journal ouvrier L'Union et publiée dans ce journal le . Cette pétition commence par ces termes :
La pétition est reprise par dix-sept autres quotidiens français dont le Journal des débats[46]. Au cours des quatre premiers mois de l'année 1844, onze pétitions sont diffusées par les ouvriers, puis déposées individuellement à la Chambre des députés par différents députés abolitionnistes : la première (1506 personnes) le [47] par le représentant de la Vendée, le député François-André Isambert[48]. Dans la quatrième pétition (476 personnes) on trouve les signatures d'Eugène Sue, d'Eugène Scribe, Jules Michelet et d'Edgar Quinet. Lorsque la dernière pétition fut déposée le , 8 832 signatures avaient été réunies[46]. Bien que non organisées par la SFAE mais signées par une partie de ses adhérents, d'autres pétitions furent signées en 1845, 1846 et en 1847, réclamant une abolition rapide ou immédiate et complète[49]. C’est au total plus de 16 000[50] signatures provenant de toute la France qui sont recueillies[51], dont 10 737 pour les pétitions de 1847, et l’on relève parmi les professions des signataires, outre de nombreux ouvriers de Paris et de Lyon, des députés, des maires, des militaires, des prêtres, des artistes. C'est aussi la première fois en France que furent présentées au Parlement des pétitions signées par des femmes[52]. La SFAE organise aussi sa pétition, rédigée par Victor Schœlcher[53]. ; elle est adressée aux membres de la Chambre des pairs et de la Chambre des députés le et commence par ces termes : « Messieurs, comme hommes, comme Français, nous venons vous demander l'abolition complète et immédiate de l'esclavage dans les colonies françaises[54]. » La création de comités abolitionnistes dans l'ensemble de la FranceEn 1847, face à l'inertie du pouvoir, la Société française pour l’abolition de l’esclavage décide de passer à l’offensive et réclame dorénavant une abolition complète et immédiate. Elle décide de créer des comités abolitionnistes dans l’ensemble du pays pour que ceux-ci relaient tant au niveau local qu’au niveau national la volonté de faire cesser l’esclavage[55]. Mais cela est difficile car des lois interdisent les réunions publiques. Ces comités sont invités à publier des brochures, à rendre compte de leurs réunions et observations à la presse locale et aux députés et pairs, et à demander aux conseils généraux d'émettre des vœux en faveur de l'abolition[56]. Celui de Lyon est particulièrement actif ; outre les pétitions, il organise des conférences et réunions d'informationSchmidt 2000, p. 290.. Une adresse est rédigée par la Société française pour l’abolition de l’esclavage aux Abolitionnistes de France, commençant par ces termes :
... Une autre adresse est destinée aux conseillers généraux et aux maires en vue de la fondation de « comités abolitionnistes » dans les principales villes françaises. En 1847 commence la Campagne des banquets visant à mettre en cause la politique de Louis-Philippe et de son gouvernement dirigé par François Guizot. Elle aboutit à son abdication, suivie de la création d'un Gouvernement provisoire. L'échec de la SFAE pour faire abolir l'esclavageDans une lettre adressée à la British and Foreign Anti-Slavery Society de Londres le , l'abolitionniste Guillaume de Félice analyse les raisons de la non abolition de l'esclavage dans les colonies françaises pendant la Monarchie de Juillet, malgré les actions menées par la SFAE et d'autres abolitionnistes :
Dans une seconde lettre datée du , également adressée à la British and Foreign Anti-Slavery Society, Guillaume de Félice précise :
Plusieurs débats en , en 1845, en , confirment que l'abolition de l'esclavage correspondait à la volonté de la majorité des Chambres, surtout de la Chambre des députés. À quelques exceptions près, le principe de l'abolition était acquis, mais les modalités de l'application n'étaient pas trouvées ; à défaut d'un accord sur le système d'émancipation le statu quo s'est prolongé et ce sont seulement des améliorations partielles qui ont été légalement apportées à la condition des esclaves. L'action puissante et coordonnée des esclavagistes utilisait de l'argent, la presse et la tribune des assemblées parlementaires, les uns s'opposaient au principe même de l'émancipation, les autres l'admettaient mais en reculaient tellement son application qu'il s'agissait en réalité d'une manœuvre[59]. La Révolution de février 1848 a mis subitement fin au combat émancipateur de la SFAE après quatorze années de lutte. Aurait-elle fini par atteindre son but ? En , son secrétaire Henri Dutrône adresse à plusieurs sympathisants de l'abolition une lettre[60] imprimée dans laquelle il fait part de son optimiste :
L'influence de la SFAE sur l'abolition de l'esclavage en 1848La Monarchie de Juillet est renversée et un gouvernement provisoire composé de onze personnes est institué. Dans un premier temps, le Gouvernement provisoire estime que la loi abolissant l'esclavage devra être votée par l'Assemblée nationale constituante dont l'élection doit avoir lieu le . Victor Schœlcher, qui a rejoint la SFAE en 1837[61], rentré en France le , après un voyage au Sénégal, parvient à convaincre François Arago, membre du gouvernement provisoire et adhérent de la SFAE qu'il ne faut pas attendre l'élection de l'Assemblée constituante pour faire voter la loi d'abolition, mais abolir l'esclavage le plus tôt possible, ce qui fut fait par le Gouvernement provisoire par le décret historique du . L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises fut donc promulguée par un gouvernement provisoire constitué de onze personnes, dont cinq étaient membres de la Société française pour l’abolition de l’esclavage : François Arago, Adolphe Crémieux, Alphonse de Lamartine, Louis Blanc et Alexandre Ledru-Rollin. En outre, un sixième membre du Gouvernement provisoire, Ferdinand Flocon, avait en 1844 signé une des pétitions abolitionnistes lancées par la SFAE[62]. Selon l'historien canadien Lawrence C. Jennings
L'oubli dans l'histoire du rôle de la SFAE dans l'abolition de l'esclavageL'historienne Patricia Motylewski, auteur d'une étude sur la Société française pour l'abolition de l'esclavage parue en 1998, écrit :
Après avoir lu, étudié et analysé le discours que François-André Isambert, le secrétaire de la SFAE, a tenu à la Chambre des députés en faveur de l'abolition de l'esclavage le , Patricia Motylewski ajoute : « Ici, nous devons noter que ce discours, qui ouvre en 1835 l'offensive contre la forteresse esclavagiste, étonne le chercheur d'aujourd'hui par la richesse de sa démonstration. L'idéologie républicaine a plus tard gommé ce remarquable débat parlementaire. Il s'agissait pourtant d'un événement advenu, tout à fait réel. Ces paroles généreuses ont bien été prononcées, les sources consultées en font foi, dans l'hémicycle législatif. (...) Ces mots se sont donc perdus dans les sables de l'oubli, ceux du désert d'une histoire devenue officielle. » Et précise : « Si Schœlcher s'est distingué au tournant des années 1840 par son discours radical en matière d'abolition, qu'il souhaitait complète et immédiate — précisons ici qu'il ne fut pas le seul — alors que d'autres, il est vrai, hésitaient encore en 1847, il n'en reste pas moins que l'abolition de l'esclavage sera le résultat de la longue lutte collective de la SFAE dont Schœlcher n'a été qu'un des membres[64]. » L'historien Marcel Dorigny écrit : "Il serait pourtant injuste et historiquement fallacieux de laisser croire que la seconde abolition de l'esclavage [1848] fut une décision improvisée et presque imposée par un homme, Victor Shœlcher ; le seul nom que la postérité ait finalement retenu. À l'opposé d'une décision prise au hasard, fruit d'une initiative isolée, cette seconde abolition française a été le résultat de l'action de longue durée d'un grand nombre d'hommes, célèbres ou restés anonymes, qui ont consacré une partie de leur vie et de leur énergie militante pour imposer la fin de l'esclavage colonial[65]." En 1864, l'historien Henri Martin (1810-1883) dans son Étude sur l’histoire de la Révolution de 1848 écrit : « Le , l’abolition de l’esclavage fut décidée en principe ; elle fut réalisée et réglementée les 23 et . On ne dissimula ni les difficultés ni les inconvénients d’une abolition soudaine et immédiate ; mais on comprit qu’il y a des choses qu’il faut se hâter de rendre irrévocables, et que la hardiesse qui ne regarde que le but et ne compte pas les obstacles était ici un devoir. Le ministre Arago et le commissaire Schœlcher eurent l’honneur de réaliser l’œuvre appelée, préparée sous le régime précédent, par M. le duc de Broglie, par M. Isambert et par d’autres hommes politiques des anciennes assemblées[66]. » L'esclavage ayant été aboli dans les colonies françaises en 1848, la Société française pour l'abolition de l'esclavage cessa son existence en 1850[67]. Références
Liens externesSylvie-Marie Steiner " Un beauceron engagé : François-André Isambert (Aunay-sous-Auneau, 1792 - Paris, 1857)". Publié dans le Bulletin de la Société Archéologique d'Eure-et-Loir, n°58, 3ème trimestre 1998, pages 47 à 56. Article publié dans le cadre du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage. en ligne sur Gallica (Bibliothèque nationale de France) |
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