San Lazzaro degli Armeni

San Lazzaro degli Armeni
Image illustrative de l’article San Lazzaro degli Armeni
Présentation
Culte Catholique arménien
Type Monastère
Rattachement Congrégation des pères mékhitaristes
Début de la construction XIIe siècle / XVIIIe siècle
Géographie
Pays Italie
Région Vénétie
Ville Venise
Coordonnées 45° 24′ 43″ nord, 12° 21′ 41″ est
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San Lazzaro degli Armeni
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San Lazzaro degli Armeni

San Lazzaro degli Armeni (en français littéralement « Saint-Lazare des Arméniens » ; en vénitien San Làzaro dei Armeni ; en arménien Սուրբ Ղազար կղզի, « île Saint-Lazare ») désigne à la fois un monastère arménien catholique et la petite île dans la lagune de Venise, en Italie, que celui-ci occupe intégralement. Le monastère est le siège de la congrégation des pères mékhitaristes depuis 1717.

L'île San Lazzaro degli Armeni est semi-artificielle, ayant été agrandie plusieurs fois de 1717 à 1949 pour atteindre aujourd'hui 3 ha. Elle est située à environ 1 km au sud de la ville de Venise elle-même et à seulement une centaine de mètres à l'ouest de l'île du Lido.

Géographie

Localisation

L'île San Lazzaro degli Armeni est située dans la lagune de Venise, à 2,5 km au sud-est de la place Saint-Marc et à environ 100 m à l'ouest de l'île du Lido[1]. L'île de San Servolo, ancien monastère bénédictin, se situe entre Venise elle-même et San Lazzaro, à 500 m de cette dernière. L'unique moyen d'accès à l'île est le bateau, notamment la ligne numéro 20 du vaporetto qui relie Venise au Lido[2].

Topographie

L'île San Lazzaro est de forme rectangulaire, avec une échancrure sur son côté ouest servant de port et d'embarcadère. L'île a été plusieurs fois agrandie au cours des siècles et atteint aujourd'hui une superficie de 3 ha, soit quatre fois sa taille initiale[1]. Les bâtiments du monastère occupent la partie centrale, entourés par des jardins d'agrément et de maraîchage[3], ainsi qu'un petit cimetière[4].

Démographie

L'île est habitée depuis au moins le IXe siècle. Son usage et sa population ont varié au cours des siècles, l'île étant tout à tour un hôpital, une léproserie puis une usine d'armement. Des données de recensement existent depuis l'arrivée de douze moines arméniens menés par Mékhitar de Sébaste en 1715[5]. Un siècle plus tard, en 1816, lorsque Lord Byron visite l'île, il y a quelque 70 pères mékhitaristes à San Lazzaro[1]. Leur nombre diminue par la suite. Au début des années 1840, l'île abrite 50 moines et étudiants[6]. En 1960, une vingtaine de moines résidents sont recensés[7]. En 1998, un article du Los Angeles Times note que San Lazzaro est toujours un « centre d'activité monastique », bien qu'il n'abrite plus que 10 pères et 10 séminaristes[8]. En 2015, un autre article indique 12 vardapets (moines éduqués) et cinq séminaristes résidant à San Lazzaro[2].

Histoire

Moyen Âge

La première mention de l'île dans un document date de 810, année où la république de Venise décide d'octroyer la garde de cette île à l'abbé du monastère bénédictin de Saint-Hilaire de Fusina[3]. En 1182, le patricien vénitien Leone Paolini reçoit l'île en cadeau de la part de l'abbé de Saint-Hilaire et y transfère le lazaret de San Trovaso pour y héberger les lépreux à l'écart de la ville[1], à une époque où le commerce avec l'Orient amène de plus en plus souvent des épidémies, tout comme les pèlerins de retour de Terre Sainte[9]. L'île prend alors son nom actuel de San Lazzaro, soit Saint Lazare en français, le saint patron des lépreux. Paolini fait également construire la première église, dédiée au pape Léon le Grand[1]. En 1262, l'activité de l'hôpital de la paroisse saint Gervais et saint Protais, situé en pleine ville sur le canal dei Mendicanti, est transférée vers l'île de San Lazzaro. À cette époque l'île compte vraisemblablement plusieurs bâtiments construits en pierre et organisé autour de l'église[9].

En 1348, commence la construction d'une église nommée San Lazzaro. La même année l'hôpital est rénové et le patriarcat catholique de San Pietro à Venise acquiert la propriété sur l'île[3]. La diminution des cas de lèpre dans la seconde moitié du XVIe siècle fait que l'hôpital se trouve quasiment désertée, alors que dans le même temps la mendicité augmente considérablement dans la ville de Venise. Le Sénat cherche une solution à ce problème et décide d'imiter d'autres villes italiennes comme Bologne : le 26 mai 1594 il décrète qu'outre les lépreux, l'hôpital accueillera aussi les malades souffrant de toutes les maladies de peau (notamment la gale), les vieillards et les mendiants. Le nom de l'hôpital devient San Lazzaro dei Mendicanti (« Saint Lazare des mendiants »). Les responsables de l'hôpital réalisent alors que la localisation sur une île n'est non seulement plus nécessaire (il n'y a plus de cas de lèpre) mais devient un handicap, car étant éloigné de la ville l'hôpital reçoit peu de visiteurs et peu d'aumône, une des principales sources de revenu à l'époque. En 1595, le Sénat décide le transfert de l'hôpital dans la ville. En 1601, la quarantaine de pauvres alors hébergés sur l'île déménage vers le nouvel hôpital bâti à côté de Santi Giovanni e Paolo, dans le nord de Venise. Une partie des pierres des bâtiments de San Lazzaro sont démontées, transportées et réutilisées pour construire les nouveaux bâtiments loin de l'île. Sur San Lazzaro, seuls restent un aumônier et quelques jardiniers pour s'occuper des potagers[9].

En 1651, des pères dominicains, chassés de Crète par les Ottomans, s'installent sur l'île pendant une vingtaine d'années. En 1678, c'est au tour de Jésuites de s'y installer, qui y restent peu de temps car le Sénat décide de la transformation de San Lazzaro en une usine d'armes pour faire face à la guerre de Morée à partir de 1684[3]. Une fois la guerre remportée, San Lazzaro est laissé à l'abandon et au tout début du XVIIIe siècle il ne s'y trouve que des ruines[5].

Période arménienne

Fondation du monastère

En avril 1715, un groupe de douze moines Arméniens mené par Mékhitar de Sébaste arrive à Venise en provenance de Morée, à la suite de l'invasion de cette région par l'Empire ottoman. Les moines sont tous membres d'un ordre catholique fondé par Mékhitar en 1701 à Constantinople, capitale de l'Empire ottoman, puis installé en 1703 à Methóni en Morée, après les répressions du gouvernement ottoman et de l'Église apostolique arménienne[10]. En 1712, l'ordre est reconnu par le pape Clément XI[11]. L'historien Victor Langlois écrit que le gouverneur vénitien de Morée et un amiral de la flotte vénitienne « compatissant profondément à la détresse effrayante de la malheureuse communauté, ont cédé à leurs vives supplications pour obtenir la permission de s'embarquer sur un navire gouvernemental qui était sur le point de partir pour Venise »[5].

Le 8 septembre 1717, jour de la célébration de la Nativité de Marie, le Sénat vénitien cède l'île de San Lazzaro à Mékhitar et ses compagnons, qui acceptent de ne pas la renommer[12]. San Lazzaro lui aurait rappelé une autre île, celle du monastère Sevanavank sur le lac Sevan, où il avait étudié dans sa jeunesse[12]. Dès leur acquisition, les moines entament des travaux de restauration des bâtiments existants alors en ruine et toute la communauté déménage sur l'île en avril 1718 lorsque les premiers bâtiments deviennent habitables. Mékhitar dessine lui-même les plans du nouveau monastère, qui est achevé en 1740. Il comprend à l'origine 16 cellules pour les moines, réaménagées à partir de l'ancien hôpital. La restauration de l'église dure de mai à novembre 1722[5]. Mékhitar meurt en 1749 avant que le clocher ne soit achevé un an plus tard, en 1750[10]. Une activité éditoriale commence dès 1718, puis une imprimerie est construite sur l'île en 1789[6].

Développement culturel

En 1797, Napoléon Ier met fin à la république de Venise qui est incorporée, en 1805, dans le nouveau royaume d'Italie. En 1810, tous les ordres monastiques sont abolis dans le royaume d'Italie, à l'exception de celui des Mékhitaristes de San Lazzaro[13]. Les Mékhitaristes sont épargnés, selon les sources, soit grâce à l'intercession de Roustam Raza, garde du corps mamelouk de Napoléon d'origine arménienne[6], soit parce que l'empereur a pris connaissance de la renommée du travail scientifique et littéraire pratiqué au sein du monastère dirigé par l'abbé Koverakonts[14]. Napoléon signe un décret, daté du 27 août 1810, qui déclare que la congrégation peut continuer à exister en tant qu'académie[13]. Dès lors, San Lazzaro devient connu comme une académie et parfois appelé en latin Academia Armena Sancti Lazari (« Académie arménienne de Saint-Lazare »)[15]. Dans les années qui suivent les visites de prestigieuses personnes lettrées se succèdent : Lord Byron, Alfred de Musset, George Sand ou encore Nicolas Gogol[16].

Agrandissements de l'île

De 1815 au milieu du XXe siècle l'île est agrandie à quatre reprises à l'aide de terre-pleins. Tout d'abord, en 1815, les Mékhitaristes reçoivent l'autorisation par l'empereur autrichien François II d'agrandir l'île. La zone située au nord de l'île est remblayée, ce qui permet de doubler sa superficie, qui passe de 7 900 m2 en 1815 à 13 700 m2 en 1818. En 1836, un mur d'enceinte est construit autour de la zone nouvelle. En 1912, le chenal d'accès amenant les bateaux au pied des bâtiments est comblé, le hangar à bateaux étant déplacé à l'extrémité ouest de l'île. La ligne de rivage devient rectiligne. Ces ajustements porte la superficie de l'île à 16 970 m2. Le dernier agrandissement majeur de San Lazzaro a lieu après la Seconde Guerre mondiale. De 1947 à 1949, l'île est agrandie au sud-est et au sud-ouest pour atteindre une superficie de 30 000 m2, soit quasiment quatre fois sa taille initiale[4],[3].

Depuis les années 1960

L'île est fortement touchée par l'acqua alta du 4 novembre 1966, la plus haute connue à ce jour avec une surcote record de 1,94 m. L'eau de mer entre dans l'église et inonde le jardin du cloître pendant une douzaine d'heures. La bibliothèque et le dépôt de manuscrits ne sont pas touchés et aucun ecclésiastique ne subit de blessure[17]. Dans la nuit du 8 décembre 1975, se déclare un incendie qui détruit partiellement la bibliothèque et endommage le côté sud de l'église. Deux tableaux de Gaspare Diziani sont totalement brûlés[18]. Le 13 novembre 2019, le monastère est de nouveau inondé par une acqua alta, la plus haute depuis 1966[19].

De 2002 à 2004, une campagne de restauration de grande envergure est menée à San Lazzaro sous l'égide du Magistrat des eaux et de l'agence Consorzio Venezia Nuova dépendante du ministère italien des Infrastructures et des Transports. Les travaux de restauration concerne les bâtiments du monastère, les rives de l'île et le mur d'enceinte, et le hangar à bateaux[3].

En 2015, à l'occasion de la 56e biennale de Venise, San Lazzaro héberge le pavillon de la république d'Arménie[20]. L'exposition, dédiée à la commémoration du 100e anniversaire du génocide arménien et dirigée par Adelina Cüberyan von Furstenberg, gagne le lion d'or du meilleur pavillon[21].

Monastère arménien

Description générale

Le monastère San Lazzaro est le siège de la Congrégation des pères mékhitaristes. Il est aujourd'hui habité en permanence par une quinzaine de personnes (moines, séminaristes, gardien et jardinier). Contrairement à la plupart des monastères catholiques, les moines mékhitaristes ne vouent pas leur existence au travail agricole ou manuel mais au travail intellectuel et scientifique. Le monastère, qui occupe la totalité de l'île, est constitué par les bâtiments (logements, réfectoire, église, bibliothèque, salles d'études, etc) et par les jardins qui les entourent[2]. Le cloître se situe au centre de l'île et des édifices. Il se compose d'une colonnade de 42 colonnes de style dorique. Au centre se trouve un jardin planté de nombreuses essences d'arbres et d'arbustes, ainsi qu'un puits du XVe siècle. Divers vestiges archéologiques ont été retrouvés dans le cloître, notamment des inscriptions phéniciennes et paléochrétiennes et une statue décapitée d'un noble romain d'Aquilée datant du premier siècle[3]. Le clocher à bulbe, terminé en 1750, est séparé de l'église et se trouve sur le flanc nord de celle-ci[10].

En plus de la messe dominicale, des visites guidées sont organisées quotidiennement à 15h30 en plusieurs langues : italien, français, anglais, arménien et allemand.

Église

L'église de San Lazzaro, bien que rénovée à plusieurs reprises au cours des siècles, conserve le style en arc brisé du XIVe siècle. L'église est largement restaurée par Mékhitar en 1722, cinq ans après l'installation des moines arméniens. L'autel est entièrement reconstruit cette année là. L'abside est agrandie en 1899, principalement par l'ajout d'éléments néo-gothiques. L'ensemble de l'intérieur de l'église est principalement du même style. L'église est à trois nefs, soutenue par six colonnes de marbre rouge. Les trois fenêtres principales de l'abside de l'autel possèdent des vitraux qui représentent, de gauche à droite : le patriarche Sahak, saint Lazare et Mesrop Machtots[10].

La tombe de Mékhitar se trouve devant l'autel principal de style baroque. Outre l'autel principal, il y a quatre autres autels dédiés à la Sainte Croix, à saint Grégoire l'Illuminateur, à Marie et à Antoine le Grand. Tous ont été construits entre 1735 et 1738 et sont ornés d'œuvres, principalement d'artistes vénitiens. Le retable de saint Grégoire, œuvre de Noè Bordignon, représente le saint célébrant le baptême du roi arménien Tiridate III. Le retable dédié à la mère de Jésus représente la Nativité de Marie de Domenico Maggiotto. Enfin, le retable de saint Antoine peint par Francesco Zugno représente le fondateur du monachisme oriental qui a inspiré Mékhitar[22].

L'église abrite des fresques et des peintures d'Antonio Ermolao Paoletti du début XXe siècle représentant des saints majeurs du catholicisme, saint Pierre, saint Paul, Jean le Baptiste et saint Étienne, ainsi que des saints arméniens : Ghevond, Hripsimé, Nersès de Lambron, Nersès le Grand, Sandoukht, Vardan, Grégoire de Narek, Nersès Chnorhali. Parmi les autres peintures notables, datant des XVIIe siècle et XVIIIe siècle, se trouvent une Vierge à l'enfant de Palma le Jeune, le baptême du roi Tiridate III par Saint Grégoire l'Illuminateur de Hovhannes Patkerahan, l'Assomption de Marie de Jacopo Bassano, l'Annonciation et la Mère de la Miséricorde par Matteo Cesa, le Déluge par Leandro Bassano, la Fuite en Égypte par Marco Basaiti, l'Annonciation par Bernardo Strozzi, Sainte Thècle et les Saints Pierre et Paul par Girolamo da Santacroce, Moïse sauvé des eaux et l'Archange Raphaël par Luca Carlevarijs[18].

Œuvres peintes par Francesco Zugno

De nombreuses œuvres du peintre vénitien Francesco Zugno se trouvent dans divers bâtiments du monastère. Tout d'abord les plafonds de la bibliothèque peint durant les années 1740 dans le style de l'école de Giambattista Tiepolo[23]. Certaines de ses fresques de Zugno ont été très abîmées par l'incendie de 1975, comme le Jugement de sainte Catherine d'Alexandrie (fresque centrale du plafond de la bibliothèque), mais d'autres sont encore visibles comme Les Pères de l'Église d'occident, qui faisait pendant aux Pères de l'Église d'orient aujourd'hui disparue[24]. Une Allégorie de la Foi se distingue, fresque en camaïeu de sépia, au-dessus de la porte d'entrée de la bibliothèque, de même que quatre dessus de fenêtre en camaïeu de vert, représentant les quatre Évangélistes[25]. Enfin, dans l'escalier dit « de l'abbé Mékhitar » (qui conduit à la même bibliothèque), une autre fresque de Zugno au plafond dont l'iconographie fut longtemps erronée dans la bibliographie sous le nom de l'Ange réconfortant Daniel. En fait après étude elle se révèle plutôt être Habacuc et saint Michel Archange, une allégorie de l'histoire personnelle de l'abbé Mékhitar de Sébaste, qui comme Habacuc a affronté mille tempêtes avant de trouver l'asile qui lui a permis de se consacrer à l'étude et à l'écriture[26].

À l'intérieur de l'église se trouve une œuvre remarquable de Zugno : Saint Antoine abbé résistant à la Tentation, une grande Pala à droite de l'autel majeur. Elle fut peinte en 1737 et représente le saint en extase dans un paysage rude et montagneux, où s'enfuient des figures démoniaques. Dans la partie supérieure, apparait le Christ accompagné d'un ange et de chérubins. Le tableau, riche de significations et de symboles, est très expressif. L'influence de Jérôme Bosch se fait sentir dans la représentation des figures démoniaques, de même que celles de Tiepolo et de Véronèse dans la façon de faire les ombres et le rendu de la figure extatique[27]. On souligne également la partie supérieure du tableau, qui n'est pas étrangère au style de Sebastiano Ricci. Le jeu des couleurs est remarquable[28], de même que l'opposition entre l'élégance des figures célestes comme l'ange et la rudesse du personnage de saint Antoine, représenté avec les traits du fondateur du couvent, Mékhitar de Sébaste[29].

Au premier étage des appartements des pères se trouve un triptyque de Zugno : Saint Grégoire baptisant le roi d'Arménie, toujours dans les années 1737-1740[30], un tableau d'autel à trois volets sous la forme du retable, ce qui est plutôt rare au XVIIIe siècle. Il représente un des évènements majeurs de la culture chrétienne arménienne, le baptême du roi Tiridate III par saint Grégoire l'Illuminateur[31]. L'influence de Véronèse pour la composition est évidente[32]. Les traits stylistiques de Zugno sont déjà présents dans cette œuvre de jeunesse, comme l'allongement des figures ou encore les formes arrondies des visages. À noter que la tête de saint Grégoire reprend les traits du visage de Mékhitar de Sébaste, commanditaire du tableau. Les deux panneaux latéraux représentent, quant à eux, les scènes du Martyre de Saint Grégoire l'Arménien, disposées sur un fond d'éléments très décoratifs dont la douceur tranche avec la cruauté des moments représentés[33]. On retrouve le style propre au peintre dans l'allongement des petites figures minces et élégantes dans une formule néo-maniériste, qui deviennent plus tard un leitmotiv du peintre, surtout quand il collaborera avec le quadraturista Francesco Battaglioli[34].

Jardins

Les jardins du monastère sont de tous temps admirés par les visiteurs et contribuent à sa renommée. Au XIXe siècle, ils admirent déjà les vergers constitués d'orangers, de figuiers et de grenadiers, ainsi que les nombreuses plantes à fleurs[35],[36]. La botaniste irlandaise Edith Blake écrit : « Le jardin au centre des cloîtres était gai avec des fleurs, et il y avait un air calme et paisible de repos sur l'ensemble de l'endroit »[37]. En 1905, un visiteur écrit « L'île [...] avec ses jardins de fleurs et de fruits est si bien entretenue qu'une excursion à San Lazzaro est l'une des préférées de tous les visiteurs de Venise »[38]. Aujourd'hui encore vergers et potagers sont cultivés pour l'alimentation des moines qui fabriquent notamment la vartanouche, une confiture de pétale de rose également vendue aux touristes[39].

Dans les jardins entourant les bâtiments se trouvent quelques œuvres d'art comme une statue en bronze de Mékhitar, sculptée en 1962 par Antonio Baggio, un mémorial au génocide arménien[40], datant également des années 1960, ainsi qu'un khatchkar du XIVe siècle offert par le gouvernement de la république socialiste soviétique d'Arménie en 1987[3].

Collections

Les collections du musée du monastère conservent des milliers d'œuvres d'art dont des statues, des icônes, des tableaux, des écrits et des armes anciennes. La momie égyptienne de Mekhmeket ayant environ 4 000 ans d'âge et son sarcophage sont le clou de l'exposition[41].

Bibliothèque

La bibliothèque abrite entre 150 000[1],[42] et 200 000 volumes[2],[43] imprimés en arménien, ainsi que dans des langues européennes et orientales (notamment arabe et copte). Quelque 30 000 d'entre eux datent d'avant 1800[2]. La collection comprend des livres sur les arts, les sciences, l'histoire, les sciences naturelles, divers textes classiques, des critiques littéraires, de grandes encyclopédies et d'autres ouvrages de référence, ainsi que de très anciennes bibles. Certains de ces manuscrits ont été prêtés au musée du Louvre en février 2006 pour l'exposition Armenia Sacra dans le cadre de l'année de l'Arménie en France[44].

Le sol de la bibliothèque est décoré dans un style vénitien. Son plafond, partiellement détruit lors de l'incendie de 1975, présente fresques et peintures de Francesco Zugno. Une sculpture en craie de Napoléon II par Antonio Canova est conservée dans une vitrine de la bibliothèque. Une sculpture du pape Grégoire XVI par Giuseppe De Fabris, offerte aux Mékhitaristes par le pape lui-même, est également conservée dans la salle[7].

En 2021, l'Initiative humanitaire Aurora fait un don de 50 000 dollars pour soutenir la bibliothèque en mémoire de Vartan Gregorian[45].

Manuscrits

Les Mékhitaristes considèrent leur collection de manuscrits comme le plus grand trésor du monastère. Au cours du XIXe siècle, les moines de San Lazzaro extraient de ces manuscrits et publient des textes inédits de la littérature arménienne et non arménienne[44]. Selon des sources d'époque, en 1870, San Lazzaro possède la deuxième plus grande collection de manuscrits arméniens après Etchmiadzin, avec quelque 1 200 manuscrits[46]. De nos jours, le nombre exact de manuscrits conservés à San Lazzaro est inconnu. Selon Bernard Coulie, ce nombre est d'environ 3 000[47], ce qui représente environ 10 % de tous les manuscrits arméniens existants. Selon le site internet de la Congrégation mékhitariste, le monastère contient 4 500 manuscrits arméniens[3] ; selon d'autres sources la collection comporte plus de 3 000 volumes complets et environ 2 000 fragments[42]. San Lazzaro est généralement considéré comme la troisième plus grande collection de manuscrits arméniens au monde, après le Matenadaran à Erevan, et le Patriarcat arménien de Jérusalem. La collection est conservée dans la salle des manuscrits, une rotonde de plusieurs étages, dont la construction a été financée par le marchand d'antiquités arménien Boghos Ispenian, basé au Caire, et dont les plans ont été conçus par son fils Andon Ispenian. La rotonde est inaugurée en 1970 en présence du Catholicos de l'Église arménienne Vazguen Ier[4].

Les manuscrits les plus anciens conservés à San Lazzaro datent du VIIIe siècle[16]. Parmi les manuscrits les plus remarquables se trouvent l'Évangile de la reine Mlké, datant du IXe siècle[48], lÉvangile d'Adrianopolis, datant du début du XIe siècle[49] ; La Vie d'Alexandre le Grand, traduction arménienne d'une version grecque du Ve siècle de Pseudo-Callisthène ; et les Évangiles de Gladzor, datés de 1307. Entre 1976 et 1979, quelque 300 manuscrits sont donnés par Harutiun Kurdian, pour lesquels de nouvelles vitrines d'exposition doivent être ajoutées[3]. La collection conserve l'un des dix exemplaires existants dUrbatagirk, le tout premier livre arménien imprimé, en 1513 à Venise[49]. En outre, 44 parchemins de prière arméniens (hmayil) sont conservés dans la salle[50].

Musée arménien

Le musée arménien a été conçu par l'architecte vénitien Giovanni Rossi et achevé en 1867. Gravement endommagé par l'incendie de 1975, il est restauré dans son état actuel par Manouk Manoukian. Il servait auparavant de bibliothèque pour les manuscrits et les ouvrages en arménien. Le musée abrite aujourd'hui des objets liés à l'histoire et à l'art arméniens, notamment des casques et des ceintures de bronze de la période ourartéenne, l'épée de Léon VI, dernier roi arménien de Cilicie, forgée à Sis en 1366[2], des céramiques arméniennes de Kütahya, des pièces de monnaie, des timbres et un passeport émis par la première république d'Arménie en 1918-1920. De nombreux objets d'art religieux arméniens du XVIe au XVIIIe siècle sont exposés. Un bas-relief en agate provenant de la capitale médiévale arménienne Ani et un rideau provenant du monastère de l'île de Lim sur le lac de Van sont également exposés, ainsi que plusieurs peintures de l'artiste marin russo-arménien Ivan Aïvazovski, dont des représentations du mont Ararat et des chutes du Niagara. Son tableau Chaos (1841), sur le thème de la création biblique, a été offert à la congrégation par le pape Léon XIII en 1901. Le masque mortuaire de Komitas, le musicologue qui a créé l'école nationale de musique arménienne, est également exposé au musée[3]. Enfin, l'une des épées les plus anciennes jamais découvertes, originaire d'Anatolie et datant du troisième millénaire avant Jésus-Christ est conservée au musée[51].

Notes et références

  1. a b c d e et f (en) Lucy Gordan, The Venetian Island of St. Lazarus: Where Armenian Culture Survived the Diaspora, Inside the Vatican, (lire en ligne), p. 38–40
  2. a b c d e et f (en) Teresa Levonian Cole, « San Lazzaro degli Armeni: A slice of Armenia in Venice », sur The Independent, (consulté le )
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  7. a et b (en) James Morris, The World of Venice, New York, Pantheon Books,
  8. (en) Susan Allen Toth, « Hidden Venice », Los Angeles Times,‎ , p. 3 (lire en ligne)
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  10. a b c et d (en) Rouben Paul Adalian, Historical dictionary of Armenia, Scarecrow Press, coll. « Historical dictionaries of Europe », (ISBN 978-0-8108-6096-4 et 978-0-8108-7450-3, OCLC 463675723, lire en ligne), p. 426-427
  11. (en) From the eighteenth century to modern times, Wayne State Univ. Press, coll. « The heritage of Armenian literature / Agop J. Hacikyan, coordinating editor. Gabriel Basmajian », (ISBN 978-0-8143-3221-4), « The Mkhitarist (Mekhitarist) Order », p. 50-55
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Bibliographie

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Ouvrages en anglais

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  • (en) Alberto Peratoner, From Ararat to San Lazzaro. A Cradle of Armenian Spirituality and Culture in the Venice Lagoon., Venise, Casa Editrice Armena, .

Ouvrages en italien

  • (it) Rodolfo Pallucchini, La pittura nel Veneto, Il Settecento., vol. 2, Milan, Electa, , 645 p. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (it) G.M. Pilo, Francesco Zugno, Saggi e Memorie di Storia del Arte., vol. 2, Vita e Pensiero - Pubblicazioni dell’Università Cattolica del Sacro Cuore, , 380 p. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (it) Michela Maguolo et Massimiliano Bandera, San Lazzaro degli Armeni: l'isola, il monastero, il restauro ., Venise, Marsilio, , 165 p. (ISBN 978-88-317-7422-2).

Filmographie documentaire

Voir aussi

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Articles connexes

Liens externes

  1. Les chemins de la foi: L'histoire des Arméniens à Venise [Production de télévision] (, 30 min minutes), consulté le