À la fin du XVIe siècle, Jean Bodin exprime ce principe ainsi : « la seruitude [...] n’a point de lieu en tout ce Royaume : de sorte mesme que l’esclaue d’un estranger est franc & libre si tost qu’il a mit le pied en France »[7]. Au XVIIe siècle, Antoine Loisel est le premier à le désigner comme une maxime[8] :
« Toutes personnes sont franches en ce roïaume : et sitost qu’un esclave a atteint les marches d’icelui, se faisant baptizer, est affranchi.[9] »
Histoire
Du Moyen Âge au XVIIIe siècle : un principe inviolable
« Le plus ancien acte législatif répertorié [...] qui associ[e] le nom de la France à la condition libre »[10] est une ordonnance de dans laquelle Louis Xle Hutin proclame : « Nous, considérant que notre royaume est dit et nommé le royaume des francs ; et voulant que la chose soit accordante au nom, avons ordonné que toute servitude soit ramenée à la franchise. »[10].
Pour l'historienne américaine Sue Peabody, spécialiste de l'esclavage dans l'Empire colonial français, le privilège trouverait son origine dans un « principe municipal toulousain »[11]. En effet, dans l'édition de des Institutes coutumières d'Antoine Loisel, l'éditeur cite un arrêt de relatif à « quatre esclaves qui se sauvèrent de Perpignan à Toulouse » et qui furent affranchis par le syndic de Toulouse au motif que, « par un privilège de cette ville, toute sorte d’esclaves étaient libres dès qu'ils avaient mis le pied dans sa banlieue »[10]. Dans les Annales de la ville de Toulouse () de Germain de La Faille (-), l'auteur discute d'un cas approchant, porté à la connaissance des capitouls en , et précise que les juridictions municipales toulousaines fondaient leurs décisions sur une tradition propre à la ville[12]. Dans les Six Livres de la République () de Jean Bodin, l'auteur appuie sa description du principe sur deux arrêts du parlement de Toulouse dont il avait été témoin au cours de son séjour dans la ville comme étudiant, entre et [11],[13].
Le principe est consacré en [14],[15] par un arrêt du parlement de Guyenne[14]séant à Bordeaux[16] (où officie notamment Michel de Montaigne, fervent anti-colonialiste avant l'heure) : la cour y déclare que « la France, mère de liberté, ne permet aucuns esclaves »[17] et ordonne la mise en liberté d'esclaves qu'un maître d'équipage expose à la vente[18].
Le 25 octobre 1716, un édit royal[19] indique qu'un maître peut désormais se faire accompagner en métropole de son domestique ou d’un esclave, afin de l'instruire en religion « et pour leur faire apprendre en même temps quelque Art ou Métier », fondant donc un statut d'exception. Cet édit est refusé par le Parlement de Paris, mais entériné rapidement par ceux de Bretagne et de Bordeaux, où les intérêts coloniaux sont importants[20]. Face aux abus, cet édit est encadré par un second, encore plus restrictif, le 15 décembre 1738[21]. À Paris, au fur et à mesure que davantage de personnes esclavagées viennent des colonies, le refus des deux édits de 1716 et 1738 est progressivement contourné par la jurisprudence pour empêcher l'affranchissement[22].
En , la Constituante issue de la Révolution rétablit le principe du privilège de la terre de France par loi du [1] qui dispose que : « Tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France. »[23].
En , Bonaparte suspend[24] le principe par l'arrêté du qui interdit « aux Noirs, Mulâtres et autres gens de couleur d'entrer sans autorisation sur le territoire continental de la République » (qui dans la pratique ne s'applique qu'aux esclaves)[25]. Le même Napoléon signe également la loi du 20 mai 1802, qui maintient officiellement l’esclavage là où il n’avait pas été aboli en raison d'oppositions locales (en Martinique, à Tobago, à l’ile Maurice et à La Réunion) et l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 qui rétablit l’esclavage en Guadeloupe, où il avait été aboli en 1794[26].
Rétablissement définitif par Louis-Philippe et extension à tous les territoires
En , Louis-Philippe Ier réaffirme le principe dans une ordonnance du [27] qui dispose que, « dans le cas où un habitant [Blanc créole] amènerait avec lui en France un esclave de l'un ou l'autre sexe, celui-ci serait d'abord affranchi »[28].
En , le Gouvernement provisoire de la IIe République abolit définitivement l'esclavage par le décret du . Celui-ci réaffirme le principe et en étend le champ d'application aux colonies et autres possessions françaises. Son article 7 dispose, en effet, que : « Le principe que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République. »[17].
[Boulle 2018] Pierre-Henri Boulle, « La situation des libres de couleur en France métropolitaine (XVIIe siècle) », dans Dominique Rogers et Boris Lesueur (dir.), Sortir de l'esclavage : Europe du Sud et Amériques (XIVe – XIXe siècle), Paris, Karthala et CIREsc, coll. « Esclavages », , 1re éd., 1 vol., 277, ill., 16 × 24 cm (ISBN978-2-8111-1990-4, EAN9782811119904, OCLC1043903318, BNF45506532, SUDOC227391861, présentation en ligne, lire en ligne), 1re part., chap. 4, p. 107-127.
[Koufinkana 1992] Marcel Koufinkana, « Les esclaves noirs en France et la Révolution (-) », Horizons maghrébins : le droit à la mémoire, nos 18-19 : « Les idéaux de la Révolution française chez les Maghrébins », , p. 144-161 (DOI10.3406/horma.1992.1129, lire en ligne).