Après une enfance vécue à Enghien-les-Bains, Pierre Jutand est élève de l'École Boulle à Paris. Il entre en 1955 à l'École nationale supérieure des arts décoratifs où il est élève de Jules Cavaillès avant de fréquenter l'atelier de Marcel Gromaire, puis, en 1956, d'obtenir deux bourses d'études, l'une au château de Collioure, l'autre aux Pays-Bas. En 1957, il poursuit ses études chez Maurice Brianchon à l'École nationale supérieure des beaux-arts. Il travaille ensuite la tapisserie avec Jean Lurçat, séjournant à plusieurs reprises auprès de ce dernier au château de Saint-Céré (Lot). Pierre Jutand se souvient : « Lurçat ne peignait plus à l'époque mais faisait de la tapisserie, des grands cartons avec lesquels il est devenu célèbre. Il avait tellement de commandes qu'il prenait des élèves pour l'aider sur des périodes de trois à quatre mois »[2]. Appelé sous les drapeaux en 1958, Pierre Jutand effectue son service militaire en Algérie.
Alors qu'il est installé dans la rue de Lesdiguières à Paris, les premières expositions de Pierre Jutand au Salon d'automne lui valent d'être remarqué par la galerie Morantin-Nouvion où se produit sa première exposition personnelle à Paris en 1962. Peintre paysagiste, Jutand peint sur le motif, souvent avec le peintre Michel Pandel (1929-1978) — la disparition dans un accident de deltaplane de cet ami, récipiendaire du Prix Antral en 1967, sera une grande épreuve affective[3] — qui expose dans la même galerie. Si ses toiles d'alors évoquent ses villégiatures en Bretagne (Douarnenez, Tréboul, la Baie des Trépassés), dans le Massif des Corbières, au Portugal, c'est Michel Pandel qui lui fait découvrir dans l'Yonne son village de Cravant où Pierre Jutand, trouvant là « une qualité de vie et de l'espace » qui le persuadent de s'éloigner de « Paris qu'il adore avec ses boîtes de jazz », s'installe de même en 1966[2]. C'est ainsi à Cravant qu'il épouse en 1967 Josée Château, d'origine guyanaise et rencontrée à Paris. Ils auront trois enfants dont Valérie, championne d'Europe d'haltérophilie, cinquième aux Jeux paralympiques de Sydney en octobre 2000.
Le Salon d'automne de 1971 offre à Pierre Jutand de se rapprocher de la galerie Emmanuel David. Le galeriste écrit : « il y avait une grande toile intitulée À ta santé, Catherinette !, composée de personnages truculents traités d'une touche hardie dans des couleurs tumultueuses. Ce tableau me donna le choc. Pour confirmation, je courus chercher ma femme et mon fils qui, sans être prévenus pourtant, tombèrent en arrêt devant cette toile hors du commun. L'auteur : Jutand. La suite fut rapide : visite au peintre dans l'Yonne et accords d'exclusivité »[3].
Pierre Jutand a considéré son propre parcours comme celui d'un homme heureux : « J'ai voulu vivre dans l'absolu. Tenter le métier d'artiste pour moi était un rêve, et le rêve s'est réalisé »[2]. Bertrand Duplessis, cependant, s'interroge : « Pierre Jutand, un homme tranquille ? Oui, si on se contente de ne voir qu'un seul côté du miroir, de ne retenir que son abord ouvert et cordial ; non, si l'on pressent ou découvre qu'il est aussi un Janus »[4]. Continuant de peindre jusqu'à ses derniers jours, l'artiste meurt le [5], alors qu'il préparait une exposition-rétrospective de son œuvre à Mers-les-Bains pour .
Culture française - Exposition du département de la culture et de l'art de la région de Kirov, Musée N. Hokhryakov, Kirov (Russie), décembre 2006 - février 2007.
Pierre Jutand et Jean-Pierre Gonnin (sculpteur), Maison de pays du Coulangeois, Coulanges-la-Vineuse, [15].
Les peintres dans le parc, Jussy (Yonne), , Pierre Jutand invité d'honneur[16].
Atelier de peinture du pays coulangeois, Vincelles (Yonne), , Pierre Jutand invité d'honneur.
Salon d'automne de l'Association des amis des arts de l'Auxerrois, salle des congrès Auxerrexpo, Auxerre, , Pierre Jutand invité d'honneur.
Jean Lurçat, ses amis, ses élèves. Peintures, lithographies, gravures, tapisseries, céramiques, espace Orlando, Saint-Jean-Lespinasse, juillet-.
Réception critique
« Capiteuses, lascives dans leur nis de dentelles et de soies précieuses, mais aussi mystérieuses, intemporelles et pures. Comment la femme peut-elle s'offrir et se refuser dans une même attitude, un même regard ? Par quel secret l'amante triomphe-t-elle de toute la splendide beauté d'un corps sur lequel joue la lumière ou se montre-t-elle pudique ainsi qu'une vierge? Demandez le à Jutand, ce peintre poète à sa manière de l'éternel féminin dont il sait admirablement décrypter les multiples facettes de cette vivante énigme nommée : la Femme. Dans l'ombre d'un miroir, la voici ainsi que Narcisse s'éprenant de sa propre image ; étendue, elle se fait vivante et palpitante architecturetout en grâcieuses courbes ; carnation de bronze parmi les fleurs et les fruits, ellesymbolise toutes les beautés de la Martinique. Puis, la femme n'est plus qu'un visage que mangent d'immenses yeux dont il semble qu'ils nous interrogent… Une peinture répugnant aux empâtements, aux brutales rencontres de couleurs, à l'apologie de la vulgarité. Au contraire de cela, une texture aux transparences d'aquarelles obtenue par successifs glacis, une unité tonale dont la dominante impulse ses complémentaires dans de chaudes harmonies, ou les rouges, mauves et gris-bleus sonnent ainsi qu'un accord de musique. » - Jacques Dubois[7]
« La sensibilité chromatique de Brianchon musclée par l'enseignement de Marcel Gromaire. » - Gérald Schurr[17]
« Sa peinture nous convie à la féerie des fêtes galantes. Masques et bergamasques embarquent le spectateur pour Cythère. Le rideau se lève sur le miroir de nos rêves et de nos fantasmes. Des Miroirs de Vénus en passant par Les péchés capiteux, Pierre Jutand théâtralise l'espace pictural, joue sur le découpage des plans, réinvente la perspective. Les couleurs flamboient, les chevelures et les parures des vêtements scintillent de mille reflets, entre l'éblouissement et l'artifice. » - B. Quentin[8]
« Les natures mortes de Jutand, situées fréquemment dans des intérieurs ou des serres, vibrent au sein d'un clair-obscur équilibré où, parfois, une présence féminine se décèle. Il y a plus : Pierre Jutand sait, a toujours su inscrire dans ses compositions la trace d'un érotisme qui amalgame un parfum de fleurs du mal et cette vibration érotique que bien des maîtres du XXe siècle figuratif ont, eux aussi, suggérée. Les petits coins de paradis, Pierre Jutand s'entend à les découvrir et à les fixer sur la toile, dans la mouvance de sa palette... L'humour complète cette panoplie du chromatisme qui relie la mascarade, l'architecture, le sens de la fête et y ajoute une note douce amère pour qui veut bien lire une toile à deux niveaux. » - Bertrand Duplessis[4]
« La peinture de Pierre Jutand présente une sensualité évidente qui parvient à nous faire entrer dans un univers teinté d'érotisme […] Qu'il s'agisse de paysages enchantés, de nus féminins troublants ou de natures mortes chatoyantes, les œuvres de Jutand sont une invitation à des voyages où l'émotion naît autant du sujet que de la couleur […] On découvre, en fouillant un peu plus, une intériorité profonde, une vision presque sacrée de la nature, une approche authentique de la vie. » - Patrice de la Perrière[18]
↑ abc et dNathalie Hadrbolec, Pierre Jutand, Éditions du Conseil général de l'Yonne, 2007.
↑ a et bEmmanuel David, Le métier de marchand de tableaux, Éditions France-Empire, 1978, pages 144-145.
↑ ab et cBertrand Duplessis, « Pierre Jutand - Rétrospective : cinquante ans de peinture, 1957-2007 », Univers des arts, n°122, juin 2007, pages 24-27.
↑Gérald Schurr, Le Guidargus de la peinture, Les Éditions de l'Amateur, 1993, page 562.
↑Patrice de la Perrière, Univers des arts, juillet-août 2008.
↑Patrick-F. Barrer, « Hommage aux grands maîtres et artistes confirmés. Pierre Jutand », in L'histoire du Salon d'automne de 1903 à nos jours, Éditions Arts et Images du Monde, 1992, page 285.
M.C., « Pierre Jutand, les flacons de l'ivresse », Le Courrier des galeries, no 125, .
Bertrand Duplessis, « Pierre Jutand, les êtres et les choses en leur secrète architecture », Arts, sciences, techniques - Connaissance des hommes, no 28, .
Emmanuel Bénézit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs, Gründ, 1999.