Leur père retourne au Sénégal alors que Pap a trois ans et Marie un an ; il ne reviendra en France que dix ans plus tard. Leur mère, professeure de sciences naturelles dans un collège des Hauts-de-Seine, élève les deux enfants seule[6].
Ces derniers passent une enfance paisible entre leur domicile de Bourg-la-Reine et leurs vacances dans la ferme familiale en Beauce[6],[7].
Tant leur mère que Pap et Marie ont adopté une orthographe différente de leur patronyme (respectivement N'Diaye, Ndiaye et NDiaye)[6].
Pap Ndiaye est le compagnon de la sociologue Jeanne Lazarus[8]. Ils sont parents de deux enfants, Rose et Lucien[6]. Leurs enfants sont scolarisés à l'École alsacienne, établissement parisien privé laïque sous contrat[9].
De 1991 à 1996, il étudie aux États-Unis pour préparer une thèse d'histoire sur la société pétrochimique DuPont de Nemours. Titulaire d'une bourse du gouvernement français pour étudier un an à l'université de Virginie — où il obtient un Master of Arts en 1992[14],[15] —, il est choqué lorsqu'une fraternité noire, la Black Student Alliance, l’invite à une réunion non mixte, mais il y retourne[6]. Ce séjour dans la société américaine a sur lui l'effet d'une prise de conscience : « Il n'y a pas, aux États-Unis, ce modèle de citoyen abstrait qui commande de faire fi de ses particularités individuelles » ; selon le journaliste Christophe Boltanski, il se découvre en quelque sorte « Noir sur le tard »[16]. Il se met alors à lire Aimé Césaire et Frantz Fanon[6]. En 1995, il est boursier de la Fondation Thiers[17].
En 1996, il obtient un doctorat en histoire à l'École des hautes études en sciences sociales avec une thèse intitulée Du nylon et des bombes : les ingénieurs chimistes de Du Pont de Nemours, le marché de l'état, 1910-1960, sous la direction de Jean Heffer[18].
À son retour en France, Pap Ndiaye est élu maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1998, où ses travaux portent désormais davantage sur la question noire, les discours et pratiques de discrimination raciale en France et en Amérique. Il est l'un des pionniers en France à traiter de la question complexe de la population d'ascendance africaine vivant en France et de la diaspora[13] que l'on nomme outre-Atlantique les African-American studies[20], notamment à travers son ouvrage paru en 2008, La Condition noire : essai sur une minorité française, avec lequel il espérait « poser les fondations [de ce] nouveau champ d’études[21] ».
En 2003, aux côtés d'autres intellectuels, tels que Patrick Lozès et Catherine Coquery-Vidrovitch, il participe à la création d'une association, le Cercle d'action pour la promotion et la diversité en France (Capdiv)[13]. Catherine Coquery-Vidrovitch témoigne : « Nous ne voulions pas apparaître comme communautaristes, mais traiter de la discrimination dont étaient victimes les Noirs. Pap était très impliqué[13]. » En 2005 est créé le Conseil représentatif des associations noires (Cran), présidé par Patrick Lozès. Pap Ndiaye siège au conseil scientifique[13]. Il a été membre du Centre d'études nord-américaines, laboratoire de l'EHESS et du CNRS[3], et du comité scientifique de la revue L'Histoire[22].
En 2018-2019, il collabore à l'exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse montrée notamment au musée d'Orsay[25]. En 2020, avec Constance Rivière, il réalise un rapport sur la diversité à l'Opéra de Paris[26]. Dans ce rapport rendu public en 2021[27], il préconise plusieurs mesures pour lutter contre les discriminations et abolir les traces de racisme à la fois dans le fonctionnement de l'institution mais aussi dans le contenu des œuvres[note 1]. On trouve dans ce rapport l'opinion suivante :
« L’opéra européen était le point de vue sublime des dominants sur le monde : celui d’hommes européens blancs, au pouvoir ou proches de lui.[note 2] »
Le , il s'exprime pour la première fois à la presse, dans une longue interview auprès du Parisien. Il annonce notamment une hausse de rémunération des enseignants en 2023 et promet un professeur dans chaque classe à la rentrée[39]. Pour tenir cette promesse, de nombreux contractuels sont recrutés en urgence, après un entretien de quelques minutes[40]. Il déclare aussi envisager, pour pallier les absences non remplacées, que les professeurs rattrapent les heures de cours qu'ils n'auraient pas pu dispenser alors qu'ils étaient en arrêt maladie[41], ce qui est assez mal reçu dans le corps enseignant[42]. Les syndicats enseignants signalent également que la hausse des salaires effectuée début 2023 est inférieure à l'inflation, ne rattrape pas leur dévalorisation et pénalise ceux qui ont de l'ancienneté.
Le , sur la radio France Inter, il juge normale l'élection de deux députés du Rassemblement national à la vice-présidence de l'Assemblée nationale et affirme ne pas être choqué que des députés de la majorité présidentielle y aient contribué, tout en précisant qu'il est « essentiel […] de ne pas faire de concessions au programme du Rassemblement national »[43],[44].
En avril 2023, Pap Ndiaye remodèle le Conseil des sages de la laïcité. Celui-ci, considéré comme l'« outil d'une vision rigoureuse de la laïcité », voit son périmètre étendu à « la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et toutes les formes de haine et de discriminations, l'égalité femme-homme, la promotion du principe de fraternité à l'école ». Il nomme cinq nouvelles personnalités en plus des quinze membres, dont Alain Policar, qui avait critiqué dans une tribune en 2019 ceux qui font « de la laïcité une arme contre la religion ». Il réduit enfin les pouvoirs du conseil[45]. En redéfinissant les périmètres du Conseil des sages de la laïcité, il est soupçonné de vouloir diluer son action[46]. Après cette décision, Jean-Éric Schoettl démissionne du Conseil estimant que la ligne défendue par Jean-Michel Blanquer ne l'est plus par Pap Ndiaye. En réaction à ces accusations, dont il se défend, le ministre de l'Éducation nationale nomme Christophe Capuano, professeur en histoire contemporaine à l'université de Grenoble-Alpes et président du jury du prix Samuel-Paty, créé en hommage au professeur[47].
Dans un entretien accordé au journal Le Monde fin juin 2023, Pap Ndiaye annonce vouloir rendre le concours pour devenir professeur des écoles accessible dès trois années d'études après le baccalauréat[48]. Pour revaloriser les enseignants, Emmanuel Macron leur demande de travailler plus, notamment pour assurer les remplacements de courte durée. Pap Ndiaye met donc en place progressivement le Pacte conçu par son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, dans lequel les syndicats voient une attaque contre le statut de la fonction publique et un système d'astreinte[49].
En juillet 2023, le quotidien Le Figaro estime qu'il pourrait être remplacé lors du prochain remaniement ministériel. Le quotidien le juge « transparent depuis sa nomination » et lui reproche de ne « [s'être] guère montré plus visible après les émeutes alors que de nombreux établissements scolaires ont été incendiés ou attaqués »[50], tandis que l'hebdomadaire Marianne le qualifie de « timoré et sans poids politique »[51]. Lui-même admet en privé : « En arrivant ici, je pensais que la posture de l'intellectuel suffirait pour réussir, que je n'avais qu'à me concentrer sur mes propres dossiers pour avancer. Mais c'était une erreur. J'aurais aussi dû faire de la politique, c'est évident. J'ai trop négligé cet aspect »[52]. Un remaniement ministériel a lieu le 20 juillet 2023, et Gabriel Attal lui succède le jour-même[53]. Lors de la passation de pouvoir, Pap Ndiaye relève avoir fait l'objet de nombreuses attaques « ad hominem »[54], faisant notamment référence aux qualificatifs de « wokiste » et d'« indigéniste » qui lui ont été accolés[55]. Il déclare quelques semaines plus tard dans le quotidien Le Monde que « son départ du gouvernement (…) est un "trophée de chasse" pour l’extrême droite et la droite »[56].
Ambassadeur
Le , il est nommé ambassadeur, représentant permanent de la France auprès du Conseil de l'Europe[57] où il succède à Marie Fontanel, à partir du [58]. La représentation permanente de la France est située dans la villa Oppenheimer du quartier de l'Orangerie à Strasbourg[59].
Il expose en 2008, dans son ouvrage La Condition noire : essai sur une minorité française, des arguments en faveur d'un usage raisonné de statistiques ethniques en France, pour des motifs scientifiques et politiques, afin d'identifier des discriminations raciales et d'y remédier[61]. En 2009, Ndiaye, en tant qu'historien, veut approfondir la notion de discrimination positive à la française[62].
En 2012, il signe une tribune intitulée « Pour une nouvelle République » appelant à voter pour le candidat François Hollande[63],[64].
Dans une interview accordée au Monde en décembre 2017, il considère que la notion de « racisme d’État » n'est pas pertinente concernant la France, mais qu'« il existe bien un racisme structurel en France, par lequel des institutions comme la police peuvent avoir des pratiques racistes. Il y a du racisme dans l’État, il n’y a pas de racisme d’État »[65],[66].
Il est critique à propos de la suppression en 2018 du mot « race » de l’article 1er de la Constitution, considérant que cela risque d'affaiblir le combat antiraciste[67],[68]. Il déclare dans une entrevue au Monde en 2019[69] : « Même s’il est évident que la « race » n’existe pas d’un point de vue biologique, force est de constater qu’elle n’a pas disparu dans les mentalités : elle a survécu en tant que catégorie imaginaire historiquement construite, avec de puissants effets sociaux. Même si l’intention est louable, abolir la « race » dans les sciences sociales ou la Constitution ne fera pas disparaître les discriminations fondées sur elle »[21].
En juin 2020, lors du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis faisant suite au décès de George Floyd, il déclare sur France Inter ne pas être surpris du silence des autorités françaises sur le sujet, alors que d'autres chefs d'État internationaux réagissent, car selon lui « l'attitude de déni sur les violences policières en France est classique, et depuis longtemps »[70],[66]. En juillet de la même année, il fait partie des premières personnalités à répondre à l'appel de Laurent Joffrin ayant l'intention de lancer un mouvement pour la « refondation d’une gauche réaliste, réformiste »[71].
Dans une interview au Monde en février 2021, Pap Ndiaye revient sur l’origine du terme woke, qu'il associe à un discours de Martin Luther King : « Être woke, c’est être conscientisé, vigilant, engagé. Cette expression argotique a cheminé dans le monde des Afro-Américains à partir des années 1960 »[72]. Plus tard, il déclare « partager la plupart des causes » wokes, « comme le féminisme, la lutte pour la protection de l’environnement ou l’antiracisme », mais pas « les discours moralisateurs ou sectaires ». Il considère que le wokisme est « un épouvantail plus qu'une réalité »[66].
En février 2021, lors de la polémique sur l'islamo-gauchisme à l'université lancée par la ministre Frédérique Vidal, il déclare sur France Inter : « Ce terme ne désigne aucune réalité dans l'université, c'est plutôt une manière de stigmatiser des courants de recherche »[73],[74],[note 3].
Du nylon et des bombes : Du Pont de Nemours, le marché et l'État américain, 1900-1970, Paris, Belin, coll. « Cultures américaines », , 397 p., 22 cm (ISBN2-7011-2990-7)Traduction en langue anglaise : Nylon and Bombs, DuPont and the March of Modern America, Johns Hopkins University Press, 2007.
Alya Aglan et Robert Frank (dir.), Pap Ndiaye et al. (ouvrage collectif, 22 auteurs), 1937-1947 : la guerre-monde (tome 2), Éditions Gallimard, coll. « Folio histoire », , 1072 p., 12,5 x 19 cm (ISBN978-2-07-046417-3)
Pauline Peretz (dir.), Pap Ndiaye, Simon Hall, Andrew Diamond et al., L'Amérique post-raciale ?, Paris, PUF, coll. « La Vie des idées », (réimpr. 2019), 109 p., 19 cm (ISBN978-2-13-061931-4)
Pap Ndiaye, Jean Heffer et François Weil (trad. de l'anglais, textes réunis par), La Démocratie américaine au XXe siècle, Paris, Belin, coll. « Cultures américaines », , 319 p., 22 cm (ISBN2-7011-2653-3)
Blanchir, une affaire pas très claire (interviews de Isabelle Mananga-Ossey, Pap Ndiaye, Éric-David Aumjaud [et al.] de Olivier Enogo, l'Harmattan vidéo, 2012, DVD, 52 min (EAN9782296134164) [voir en ligne]
↑Parmi les propositions, fortement inspirées de certains exemples américains : un recrutement de l'école de danse plus ouvert aux candidats d'outre-mer, la contextualisation des œuvres anciennes pouvant comporter des éléments jugés racistes, l'affectation de la salle modulable de l'Opéra à un public « différent » de celui des grandes salles, l'interdiction des grimages et maquillages pour faire un visage noir ou jaune (« blackface » et « yellowface ») et du blanchiment de peau dans les ballets classiques, l'invitation d'artistes « non blancs » pour servir de « rôles modèles », la mise en place d'objectifs de recrutement du personnel pour favoriser la diversité[28].
↑Pap Ndiaye poursuit : « Ce sont des recherches tout à fait importantes qui irriguent la recherche internationale et il serait catastrophique de les mettre à l’index, même s'il peut y avoir des problèmes avec des formes de crispation identitaire, avec des formes de sectarisme parfois, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain[66] ».
↑Ndiaye, avec les patronymes Diop, Fall, Diagne, Dièye, Guèye, Mbaye, Mbengue, Thiam, Dieng, Mbacké, Bèye, Ndao, Wade, Mbodj, Lèye, Diaw, Niang, Niasse, Pène, Kassé, Mboup... a été répertorié comme appartenant principalement à l'ethnie wolof. Avec 43,3% de la population, les Wolofs forment l'ethnie dominante au Sénégal. Toutefois, le métissage l'a répandu dans plusieurs autres ethnies: Serère, Djola et Haalpulaar. cf. https://journals.openedition.org/etudesafricaines/108?lang=en incl bibliographie.
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