La première famille noble à faire souche au Canada s'installe en 1636[1]. Il s'agit des frères Pierre Le Gardeur de Repentigny et Charles Le Gardeur de Tilly[1]. Par la suite, de nombreux gentilshommes de la noblesse d'épée viennent en Nouvelle-France comme officiers du régiment de Carignan-Salières, des troupes de la Marine et des troupes de terre de Montcalm[1]. Certains colons méritants sont anoblis par le roi de France, tandis que certaines familles roturières intègrent officieusement l'aristocratie[1]. Par contre, la noblesse canadienne-française est déstabilisée par la conquête britannique de 1759-1760 et voit une partie de ses membres émigrer en France[2]. Elle commence alors à expérimenter un lent déclin de son hégémonie sur le pouvoir. Certaines familles dérogent et se fondent dans le prolétariat, tandis que d'autres maintiennent leur rang en mettant en valeur leurs seigneuries, en obtenant des postes de conseiller législatif ou d'officier dans l'armée britannique ou bien en s'ouvrant davantage aux professions libérales[3]. À partir de la décennie 1830, la noblesse canadienne-française entame son déclin final, concurrencée par la bourgeoisie, qui devient définitivement la classe dirigeante de la société[3]. Elle se désintègre comme groupe social distinct entre les rébellions de 1837-1838 et l'abolition de la milice sédentaire en 1868, laquelle fournissait traditionnellement aux nobles de nombreux postes de commandement[3]. Durant cette période, plusieurs membres de familles aristocratiques se fondent dans la bourgeoisie professionnelle ou encore d'affaires du Québec naissant[3]. Cependant, au courant du XIXe siècle, la monarchie britannique anoblit quelques Canadiens français et d'autres, comme les barons de Longueuil, voient leur statut nobiliaire d'origine française reconnu. Ils reçoivent alors généralement la qualification de sir.
Noblesse et société d'Ancien Régime
La noblesse tenait son origine dans le modèle social de l'Ancien Régime, qui envisageait la société comme un tout organique où chacune des parties vivait en symbiose avec les autres. Ainsi, la société française de Nouvelle-France, tout comme celle du vieux continent, était organisée en trois ordres distincts, qui correspondaient à trois fonctions sociales ou secteurs d'activités : le clergé, la noblesse et le tiers état. Ces fonctions étaient hiérarchisées en dignité. Autrement dit, la logique spirituelle du premier ordre prévalait sur celle politique du second, qui elle-même prévalait sur toutes les considérations économiques. Les deux premiers ordres, le clergé et la noblesse, avaient des fonctions de services publics à remplir, qui étaient onéreuses. Ainsi, le clergé prenait à sa charge le culte public, l'état civil, l'instruction, la culture et l'assistance publique, tandis que le troisième ordre, qui comprenait toutes les activités économiques, avait des fonctions lucratives. De ce fait, la plupart des impôts reposaient sur le tiers état, afin d'entretenir les deux premiers. Par contre, en Nouvelle-France, il n'y aura pas de différence au point de vue fiscal entre les clercs et les nobles vis-à-vis des roturiers du tiers état, étant donné que le roi ne prélevait pas d'impôts en Amérique. Le second ordre, celui de la noblesse, se chargeait des fonctions régaliennes, soit de la défense de la société, principalement par la fonction militaire (la noblesse d'épée - qui payait ainsi « l'impôt du sang »), mais aussi par la fonction judiciaire (noblesse de robe), ainsi que par la haute administration. Cependant, les nobles de Nouvelle-France, qui était généralement assez pauvres, auront le droit de pratiquer certains commerces, comme la traite des fourrures.
En 1669, l'intendantJean Talon prie le roiLouis XIV d'envoyer davantage de nobles et d'accorder des lettres patentesanoblissant quelques pionniers pour les remercier de leurs services. Il veut former une élite qui puisse encadrer les habitants et défendre le territoire. Le roi accepte le projet, mais il est bien vite assailli de demandes de gratifications, car les nobles de la colonie veulent mener le train de vie des gentilshommes français et éprouvent de sérieux problèmes financiers. Ils lui réclament de l'argent prétextant qu'ils ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille. En 1685, le gouverneur qualifie d'ailleurs ce groupe de « tout ce qu'il y a de plus gueux ». En apprenant la pauvreté des nobles de Nouvelle-France, Louis XIV décide de limiter les lettres patentes. Il en remet uniquement à ceux qui ont une excellente situation financière et qui font avancer le commerce. Les anoblis s'efforcent d'agir comme les gentilshommes d'ancienne noblesse et adoptent tant bien que mal leurs us et coutumes.
Un noble se doit avant tout de servir le roi en soutenant son autorité et ses intérêts en toutes choses. Louis XIV demande d'ailleurs dans ses lettres de « faire les gestes ou les fonctions que les nobles habituellement font ». La majorité des nobles de la colonie se retrouvent dans l'armée, mais plusieurs exercent des fonctions dans l'administration civile et judiciaire. Certains postes, comme prévôt de la maréchaussée, sont strictement réservés aux nobles, et 65 % des nominations au Conseil souverain sont fait en faveur de gentilshommes. Étant donné que plusieurs nobles de la colonie ont une situation précaire, ils ont le droit de s'adonner au commerce, contrairement à ceux qui sont en France. Mais un noble qui pratique une activité non conforme à sa situation, en devenant par exemple menuisier ou boulanger, déroge et perd sa noblesse. Il n'est donc pas question pour lui d'exercer un métier manuel. La noblesse de Nouvelle-France s'adonne, par exemple, au commerce des fourrures.
La noblesse en fait rêver plusieurs, notamment les bourgeois, qui cherchent à s'allier à elle par tous les moyens. Quelques-uns réussissent en contractant un mariage avantageux et, au fil du temps, plusieurs familles se greffent au groupe nobiliaire. Mais la noblesse de Nouvelle-France est de moins en moins une classe sociale comme en France.
Histoire sous le régime britannique
Après la guerre de la Conquête, les autorités britanniques ne font que modérément confiance à leurs nouveaux sujets canadiens-français. Les gentilshommes sont peu attirés par le service dans la milice provinciale, mal payé et sans perspective d'avancement. Entre 1775 et 1815, quelques-uns, en petit nombre, servent comme officiers dans la British Army et prennent part à la guerre d'indépendance des États-Unis et à la guerre anglo-américaine : on peut citer les d'Estimauville de Beaumouchel, Fleury d'Eschambault, d'Irumberry de Salaberry, Lorimier, Juchereau Duchesnay et Saint-Ours[4].
Sous le régime britannique, la noblesse perd progressivement son homogénéité et finit par ne plus se distinguer clairement des autres groupes ni par son niveau de vie, ni par sa culture. Elle finira par se fondre au sein de l'élite canadienne-française où on retrouve, à côté d'elle, des officiers civils, judiciaires et militaires ainsi que des marchandsbourgeois.
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations contenues dans cette section proviennent du Dictionnaire généalogique de la noblesse de la Nouvelle-France[6].
Gustave d'Odet d'Orsonnens, fait comte romain en 1874[18]
Joseph-Arthur Papineau, fait comte romain en 1950[19]
Notes et références
↑ abc et dYves Drolet et Robert Larin, La noblesse canadienne : Regards d'histoire sur deux continents, Montréal, Québec, Canada, Éditions de la Sarracénie, , 220 p. (ISBN978-2-921177-15-3, lire en ligne), Partie I : La noblesse canadienne en Nouvelle-France (1636-1760), pp. 9-48
↑ a et bYves Drolet et Robert Larin, Histoire sociale/Social History, vol. 41, Les Publications Histoire sociale (no 82), (lire en ligne), Les listes de Carleton et de Haldimand. États de la noblesse canadienne en 1767 et 1778, pp. 563-564
↑ abc et dYves Drolet et Robert Larin, La noblesse canadienne : Regards d'histoire sur deux continents, Montréal, Québec, Canada, Éditions de la Sarracénie, , 220 p. (ISBN978-2-921177-15-3, lire en ligne), La brunante des gentilshommes : La noblesse canadienne à l'ère de la démocratie bourgeoise, pp. 135-154
↑L’organisation militaire sous le régime britannique et le rôle assigné à la gentilhommerie canadienne (1760-1815), Roch Legault, Revue d'histoire de l'Amérique française, Volume 45, Numéro 2, automne 1991, p. 229–249.
↑ abc et dJimy Pelletier, « Chapitre 3 : Vie et mort des fiefs de dignité », dans Les fiefs de dignité en Nouvelle-France : origines, mutations et impact sur la société coloniale, Sherbrooke, Université de Sherbrooke, , 200 p. (lire en ligne)
↑Yves Drolet, Dictionnaire généalogique de la noblesse de la Nouvelle-France, Montréal, Québec, Canada, Éditions de la Sarracénie, , 3e éd., 879 p. (ISBN978-2-921177-16-0, lire en ligne)
↑Sylvain Daignault, « La baronnie de Longueuil », Le Courrier du Sud, (lire en ligne)
↑Pierre-Georges Roy, Bulletin des recherches historiques : bulletin d'archéologie, d'histoire, de biographie, de numismatique, etc., Lévis, , 128 p. (lire en ligne), p. 115-119
↑Journal La Justice (Ernest Chouinard, rédacteur en chef), UNE NOUVELLE DISTINCTION CONFEREE A L'HONORABLE H. MERCIER, Québec, Québec, Canada, , 4 p. (lire en ligne), p. 2
↑Jacques Castonguay, Dictionnaire biographique du Canada, ODET D'ORSONNENS, LOUIS-GUSTAVE (D'), Québec et Toronto, Université Laval et Université de Toronto, (lire en ligne)
↑« Song Exc. Mgr Papineau créé comte romain », La Patrie, , p. 9 (lire en ligne [PDF])
Les bourgeois-gentilshommes de la Nouvelle-France. 1729-1748, Cameron Nish, Fides, Montréal, 1968.
La noblesse de Nouvelle-France, familles et alliances, Lorraine Gadoury, Cahiers du Québec, Collection Histoire, Éditions Hurtubise, Ville LaSalle, 1991.
Initiation à la Nouvelle-France, histoire et constitution, Marcel Trudel, Hotl, Rinehart et Winston, Montréal, 1971.
La Nouvelle-France, Denis Héroux, Robert Lahaise et Noël Vallerand, Centre de psychologie et de pédagogie, Montréal, 1967.
L’organisation militaire sous le régime britannique et le rôle assigné à la gentilhommerie canadienne (1760-1815), Roch Legault, Revue d'histoire de l'Amérique française, Volume 45, Numéro 2, automne 1991, p. 229–249 [1]
Yves Drolet et Robert Larin, La noblesse canadienne : Regards d'histoire sur deux continents, Montréal, Éditions de la Sarracénie, 2019, 220 p. (ISBN978-2-921177-15-3), [lire en ligne]
Yves Drolet, Dictionnaire généalogique de la noblesse de la Nouvelle-France, Montréal, Éditions de la Sarracénie, 2019, 3e éd., 879 p. (ISBN978-2-921177-16-0), [lire en ligne]