C'est donc en suédois qu'à l'été de 1846Runeberg a d'abord composé les paroles de cet hymne.
Vårt land est le premier des trente-cinq poèmes des Contes de l'enseigne Stål, Fänrik Ståls sägner en suédois[2] ; ces Contes sont une épopée lyrique, publiée en deux tomes, le premier en 1848 et le deuxième en 1860, sur la perte de la Finlande par la Suède au profit de la Russie en 1809.
On dit que Runeberg aurait été poussé à écrire « Vårt land » par l’Appel, « Szózat(en) », de Mihály Vörösmarty, publié en 1836 et encore aujourd'hui hymne national officieux de la Hongrie.
Versions finnoises
On attribue souvent le texte en finnois à la traduction de l'ensemble des Contes par Paavo Cajander(en) en 1889, mais c'est en fait une adaptation de 1867, faite par Julius Krohn, dont il s'agit.
Une nouvelle traduction finnoise des Contes par Juhani Lindholm(fi) a été publiée en 2007, comprenant une nouvelle version de Maamme[3], mais c'est toujours l'ancienne qui sert d'hymne national.
Contexte historique
L'hymne fut chanté pour la première fois en public en suédois le à Helsinki, lors de la « Journée de Flore » (Floradagen en suédois, Flooran päivä en finnois) dans le jardin de Kumtähti.
Fredrik Cygnaeus, président de la Chorale universitaire(sv) (en suédois « Akademiska sångföreningen ») de la ville, que Fredrik Pacius lui-même avait créée en 1838, y avait fait le discours principal, concluant en levant son verre « À la Finlande ». À la fin, les centaines d'étudiants présents entonnèrent joyeusement « Vårt land » à sa suite, sur l'air de Pacius, la première adaptation musicale du poème qui ait connu un véritable succès.
Pour l'occasion, l'association avait composé un drapeau, représentant un lion couronné de lauriers sur champ d'argent : on peut dire que ce fut le premier drapeau de la Finlande contemporaine.
Le statut de « Maamme » comme hymne national a souvent été contesté en Finlande, jusqu'au Parlement, et Finlandia de Jean Sibelius proposé à la place, entre autres parce que les partis de droite vainqueurs de la guerre civile en 1918 avaient fait un usage politique des poèmes de Runeberg. Ainsi, une association nationaliste féminine fondée en 1919 s'était donnée le nom de « Lotta Svärd »[4], celui d'un autre poème[5] des Contes de l'enseigne Stål – svärd veut dire « épée » en suédois, comme stål veut dire « acier » ; de même, « Sotilaspoika », devenu entre les deux guerres le nom d'une association patriotique pour jeunes garçons, était le nom finnois d'un autre poème[6] des Contes, « Soldatgossen »[7] -- L'enfant soldat en suédois.
Chanson patriotique en Suède
Comme, à la différence de la version finnoise, la version en suédois de l'hymne ne comporte aucune référence expresse à la Finlande, on le chante aussi en Suède, dans les écoles primaires et secondaires. Elle figurait par exemple dans le Psautier de l'École du dimanche de Suède (Svensk söndagsskolsångbok) de 1929, comme le Psaume no 283, sous la rubrique « XXIV, Maison et patrie » (XXIV. Hem och fosterland).
Cependant, l'hymne national de Suède, quoique non officiel mais sur un thème singulièrement comparable, est Du gamla, du fria.
Mélodie
Fredrik Pacius, qui a composé en 1848 l'air de Maamme, était un compositeur d'origine allemande : né Friedrich Pacius à Hambourg le , il s'était en 1834, après de nombreuses années passées comme violoniste à Stockholm, installé à Helsinki, où il était devenu professeur de musique à l'université impériale Alexandre (aujourd'hui l'université de Helsinki[8]).
On dit qu'il avait écrit cet air en un quart d'heure, et les musicologues y notent des réminiscences de la chanson à boire « Papst und Sultan »[9] (en allemand : « Pape et Sultan »). « Sotilaspoika », également composé en 1858 par Pacius à partir des Contes de l'enseigne Stål, présente aussi des ressemblances avec « Papst und Sultan ».
Oi maamme, Suomi, synnyinmaa!
Soi, sana kultainen!
Ei[10] laaksoa, ei kukkulaa,
ei vettä, rantaa rakkaampaa
kuin kotimaa tä'ä[11] pohjoinen,
maa kallis isien.
Oh, notre pays, Finlande, pays natal !
Résonne, ô parole d'or !
Nulle vallée, nulle colline,
nulle eau, nulle rive, n'est plus aimée
que cette demeure dans le Nord,
cher pays de nos pères.
Onzième strophe
S'un[12] kukoistukses'[13] kuorestaan,
kerrankin puhkeaa.
Viel'[14] lempemme saa nousemaan,
s'un toivos'[15], riemus'[16] loistossaan.
Ja kerran laulus'[17], synnyinmaa,
korkeimman kaiun saa.
Ta floraison, de son bouton,
de nouveau va éclore.
Notre amour fera ressurgir
ton espoir, ton triomphe dans leur splendeur.
Et un jour ton hymne, ô patrie,
au plus haut retentira.
Le poème de Runeberg en entier
Le texte suédois d'origine ne se réfère expressément à la Finlande que dans la strophe 4 : « Det finska folkets hjärta slog » (« Battait le cœur du peuple finlandais »). Seule la strophe 10 pourrait contenir une autre allusion spécifique par l'intermédiaire de son statut politique : « Vår forntids land, vår framtids land » (« Notre pays d'hier, notre pays de demain », traduit par Krohn comme « s'a[18] muistojen, s'a toivon maa » c'est-à-dire : « toi, pays des souvenirs, toi pays de l'espoir »). Cette même strophe 10 contient la fameuse périphrase désignant la Finlande « pays des mille lacs » (tusen sjöars land / maa tuhatjärvinen), quoique la Suède en comporte aussi pas mal.
Le texte intégral du poème est repris ci-dessous. La traduction du suédois au français est parue dans le recueil Le roi Fialar, Garnier frères, 1879. Elle est en prose et a été alignée typographiquement de façon à correspondre au mieux au texte suédois en vers.
Traduction (du suédois) par Hippolyte Valmore (1879)
Première strophe
Vårt land, vårt land, vårt fosterland,
ljud högt, o dyra ord!
Ej lyfts en höjd mot himlens rand,
ej sänks en dal, ej sköljs en strand,
mer älskad än vår bygd i nord,
än våra fäders jord!
Oi maamme, Suomi, synnyinmaa!
Soi, sana kultainen!
Ei laaksoa, ei kukkulaa,
ei vettä, rantaa rakkaampaa
kuin kotimaa tä'ä pohjoinen,
maa kallis isien.
Patrie ! ô patrie ! notre pays natal !
Retentis bien haut, nom chéri !
Il n'est pas une cime dressée au bord du ciel,
pas une vallée profonde, pas une rive baignée par la mer
qui soit plus aimée que notre terre du Nord,
le pays de nos pères.
Seconde strophe
Vårt land är fattigt, skall så bli,
för den, som guld begär.
En främling far oss stolt förbi:
men detta landet[19] älska[20] vi,
För oss med moar, fjäll och skär,
ett guldland dock det är.
On maamme köyhä, siksi jää,
jos kultaa kaivannet[21].
Sen vieras kyllä hylkäjää,
mut'[22] meille kallein maa on tä'ä[23],
sen salot, saaret, manteret,
ne meist'[24] on[25] kultaiset.
Notre pays est pauvre et sera toujours tel
pour qui demande de l'or.
L'étranger passera dédaigneusement devant lui sans s'arrêter ;
Mais nous l'aimons ainsi.
Avec ses landes, ses rochers, ses récifs,
c'est pour nous un pays d'or.
Troisième strophe
Vi älska[26] våra strömmars brus,
och våra bäckars språng.
Den mörka skogens dystra sus,
vår stjärnenatt, vårt sommarljus.
Allt, allt, vad här som syn, som sång,
vårt hjärta rört[27] en gång.
Nous aimons le fracas de nos fleuves,
les bonds de nos torrents,
le murmure mélancolique de nos sombres forêts,
nos nuits étoilées, nos clairs étés…
tout, tout ce qui, chant ou image,
toucha une seule fois notre âme.
Quatrième strophe
Här striddes våra fäders strid
med tanke, svärd och plog.
Här, här, i klar som mulen tid.
Med lycka hård, med lycka blid,
det finska folkets hjärta slog.
Här bars vad det fördrog.
Täss'[34] auroin, miekoin, miettehin[35]
isämme sotivat,
kun päivä piili pilvihin[36],
tai loisti onnen paistehin[37],
täss'[34] Suomen kansan vaikeimmat,
he vaivat kokivat.
Ici s'est battue la bataille de nos pères,
avec l'épée, la charrue, la pensée.
Ici, dans les beaux jours comme aux temps orageux,
sous le sort rigoureux ou propice,
le cœur du peuple finnois a palpité :
c'est ici qu'il a souffert toutes ses douleurs.
Cinquième strophe
Vem täljde väl de striders tal,
Som detta folk bestod?
Då kriget röt från dal till dal,
då frosten kom med hungers kval.
Vem mätte allt dess spillda blod
och allt dess tålamod?
Tä'än[38] kansan taistelut ken[39] voi
ne kertoella, ken?
Kun sota laaksoissamme soi,
ja halla näläntuskan toi,
ken mittasi sen hurmehen[40]
ja kärsimykset sen?
Qui compterait les combats
que ce peuple a soutenus
quand de vallée en vallée rugissait la guerre,
qu'à la guerre vinrent se joindre le froid et la faim ?
Qui pourra mesurer tant de sang répandu,
tant de patience dépensée ?
Sixième strophe
Och det var här det blodet flöt,
Ja, här för oss det var,
Och det var här sin fröjd det njöt,
Och det var här sin suck det göt.
Det folk som våra bördor bar
Långt före våra dar.
Täss'[41] on sen veri virrannut
hyväksi meidänkin,
täss' iloaan on nauttinut
ja murheitansa huokaillut
se kansa, jolle muinaisin
kuormamme pantihin.
C'est ici que le sang de nos pères
a coulé pour nous ;
ici que ce peuple,
qui longtemps avant nous porta notre fardeau,
jouit sa joie
et pleura ses sanglots.
Septième strophe
Här är oss ljuvt, här är oss gott,
Här är oss allt beskärt;
Hur ödet kastar än vår lott.
Ett land, ett fosterland vi fått[42],
Vad finns på jorden mera värt
att hållas dyrt och kärt?
Tääll'[43] olo meill'[44] on verraton
ja kaikki suotuisaa,
vaikk'[45] onni mikä tulkohon[46],
maa, isänmaa se meillä on;
mi[47] maailmass'[48] on armaampaa
ja mikä kalliimpaa?
Il fait bon ici ; il fait doux ;
tout nous est donné.
Quel que soit le lot que nous réserve le sort,
nous avons un pays, une patrie ;
qu'y aurait-il pour nous sur la terre
de plus digne d'amour ?
Huitième strophe
Och här, och här är detta land,
vårt öga ser det här;
vi kunna[49] sträcka ut vår hand
och visa glatt på sjö och strand
och säga: "se, det landet där:
vårt fosterland det är."
Ja tässä, täss'[50] on tämä maa,
sen näkee silmämme;
me kättä voimme ojentaa
ja vettä, rantaa osoittaa
ja sanoa: "kas tuoss'[51] on se,
maa armas isäimme."
Là, là-bas encore, c'est notre pays ;
notre regard l'embrasse.
La main étendue,
montrant la mer et le rivage,
nous disons : « voyez ! toute cette terre,
c'est notre pays natal ! »
Neuvième strophe
Och fördes vi att bo i glans
bland guldmoln i det blå;
och blev vårt liv en stjärnedans,
där tår ej göts, där suck ej fanns,
till detta arma land ändå
vår längtan skulle stå.
Jos loistoon meitä saatettais'[52]
vaikk'[53] kultapilvihin[54],
mis'[55] itkien ei huoattais'[56],
vaan tärkein riemun sielu sais'[57],
o'is'[58] tähän köyhään kotihin[59]
halumme kuitenkin.
Et dussions-nous un jour vivre dans la splendeur,
au sein des nuages dorés,
notre vie fût-elle une dans d'étoiles,
dans ce ciel où l'on ne connaît ni pleurs ni sanglots,
notre désir s'élancerait encore
vers ce pauvre pays.
Dixième strophe
O land, du tusen sjöars land,
där sång och trohet byggt[60],
där livets hav oss gett[61] en strand,
vår forntids land, vår framtids land.
Var för din fattigdom ej skyggt;
var fritt, var glatt, var tryggt.
Totuuden, runon kotimaa
maa tuhatjärvinen
miss'[62] elämämme suojan saa,
s'a[63] muistojen, s'a toivon maa,
ain'[64] ollos[65] onnes'[66], tyytyen,
vapaa ja iloinen.
Ô pays des milles lacs,
pays de la musique et de la fidélité,
où l'océan de la vie nous offre un port,
grâce à ton indigence
tu ne fus jamais inquiété ;
tu es resté libre, heureux, tranquille !
Onzième strophe
Din blomning, sluten än i knopp,
skall mogna ur sitt tvång.
Se, ur vår kärlek skall gå opp
ditt ljus, din glans, din fröjd, ditt hopp;
och högre klinga skall en gång
vår fosterländska sång.
S'un kukoistukses' kuorestaan,
kerrankin puhkeaa.
Viel' lempemme saa nousemaan,
s'un toivos', riemus' loistossaan.
Ja kerran laulus', synnyinmaa,
korkeimman kaiun saa.
Ton épanouissement encore contenu dans le bouton
éclatera un jour, délivré de toute contrainte.
Vois ! Ta lumière, ton espoir, ta splendeur, ta joie
surgiront de notre tendresse,
et notre hymne filial
retentira alors plus haut que jamais !
Contes et légendes de Finlande, Lucie Thomas, Fernand Nathan, 1947. Cet ouvrage contient une traduction plus littéraire du texte de l'hymne, mais également une traduction de « Björneborgarnas marsch », la « Marche des habitants de Björneborg », autre poème des Contes de l'enseigne Stål, qui sert d'hymne présidentiel[67], et que la Télévision d'état finlandaise (YLE) joue chaque fois qu'un Finlandais gagne une médaille d'or aux Jeux olympiques[68].
↑Installé à Helsinki, Fredrik Pacius devait y demeurer Professeur de Musique et de facto chef d'orchestre jusqu'en 1867, exerçant de ce fait une forte influence sur la vie musicale de la ville par sa direction de chœurs et d'orchestres, principalement constitués d'amateurs.
Outre l'air de Maamme, ses œuvres les plus connues sont Sylvian laulu (« La Chanson de Sylvie »), l'opéra Kung Karls Jakt (1852) (« La Chasse du Roi Charles »), en finnoisKaarle-kuninkaan metsästys et l'opéra fantastique en quatre actes Prinsessan av Cypern (« La Princesse de Chypre »), en finnois Kypron prinsessa, tous trois sur des textes de Zacharias Topelius
On a appelé Pacius « le père de la musique finlandaise » ; il est mort le et il a son buste, par Emil Wikström, dans le parc Kaisaniemi à Helsinki.
↑Le verbe négatif ole a subi ici une élision poétique.
↑Tä'ä pour tämä - « ce, cette » ; les textes publiés à l'usage des gens cultivés ne marquent pas tous l'élision ; ici, elle est systématiquement marquée par une apostrophe, pour signaler les écarts par rapport à la langue qu'on enseigne aujourd'hui.
↑S'un pour sinun - « ton, ta » (licence poétique).
↑Kukoistukses' pour kukoistuksesi, - « ta floraison » (bâti sur le génitif singulier de kukoistus, qui est kukoistu-kse[-n] ; le finnois marque deux fois la possession : une fois dans le pronom génitif sinun, une autre dans la désinence -si possessive) ; encore une fois, nombre de versions publiées ne notent pas l'élision.
↑Aujourd'hui on dirait en suédois : detta land ; la double détermination demeure en danois et en norvégien : dette landet.
↑Älska, forme archaïque : aujourd'hui on dirait älskar ; depuis, le suédois s'est débarrassé d'une bonne partie des formes du pluriel des verbes.
↑Jos… kaivannet - « au cas où tu voudrais… » : c'est le mode potentiel, rare et poétique, du verbe kaivata, « convoiter », à la 2e personne du singulier du présent - cf.Wiktionary, Kaivata.
↑Mi pour mikä - « lequel », licence poétique ; exemple, mi hämäryys sieluni ympär - « quelle obscurité autour de mon âme » (Aleksis Kivi).
↑ a et bTäss' pour tässä - « ici », « c'est ici que ».
↑Miettehin pour miettein - « par la pensée » : version ancienne de miete à l’instructif - cas qui n'existe que sous la forme du pluriel et se construit donc, comme tous les pluriels finnois, sur le partitif pluriel (ici, miet-te-i[-tä]). Dans la déclinaison finnoise l'instructif est un cas qui indique le moyen, mais il est passablement archaïque et on le remplace par l’adessif (terminaison en -lla / -llä) ou par une postposition comme kautta, ou encore par avulla (« à l'aide de »), précédés du génitif ; auroin et miekoin sont aussi des instructifs, respectivement de aura - « la charrue » et de miekka - « l'épée », mais ceux-là sont réguliers.
↑Pilvihin pour pilviin - « derrière les nuages » ; dans ces cas-là le « h » du finnois, qui implique une aspiration assez forte, entre le « -h » anglais et le « -kh » russe, est devenu en un siècle… un « -h » français, marqué par une interruption du son - ce que nous appelons à tort « -h aspiré », ou pas marqué du tout. En linguistique du finnois l'interruption du son, qu'on appelle « occlusive glottale », n'est pas respectée, mais elle a existé et en tant que consonne désormais « fantôme » elle a, comme toutes les consonnes, affaibli en permanence certaines des consonnes qui précédaient.
↑Paistehin pour paistein - « de l'éclat / des éclats » (paiste à l’instructif - complément de moyen).
↑Ken? pour kuka? - « qui ? » ; une flexion de ken qui n'est pas encore archaïque est le génitif, comme dans kenen vuoro? - « à qui le tour ? »
↑Sen hurmehen pour sen hurmeen, « tout ce sang » (forme du génitif singulier de se hurme, expression poétique pour « ce sang », employé comme accusatif « perfectif », c'est-à-dire pour désigner « tout ce sang » et non pas seulement une partie de ce sang, qui se dirait sitä hurmetta).