Félix-Frédéric HébertFélix-Frédéric Hébert Félix-Frédéric Hébert, caricature anonyme[1]
Félix-Frédéric Hébert, né le à Cherbourg[2], mort le à Vannes, normalien, agrégé, docteur ès sciences, est un professeur de physique de lycée français, célèbre pour avoir inspiré le personnage du Père Ubu. Enseignant peu motivé, peu respecté de ses élèves, Hébert doit faire face partout à des chahuts et à des scandales. Il est muté dix fois. Sa carrière s'achève au lycée de Rennes. Il y est tourné en dérision dans chants et saynètes, et dans la tragédie parodique Les Polonais, œuvre des frères Charles et Henri Morin. Un condisciple de ce dernier, Alfred Jarry, remanie la pièce. Elle prend le titre d'Ubu roi. Hébert y devient Ubu, figure mythique de l'homme de pouvoir cruel et grotesque. BiographieEnfance et formationIl naît à Cherbourg[2], le [3]. Il fait ses études au collège de cette ville. En 1849, il est déclaré écrivain de marine[4]. En 1851, ayant obtenu son baccalauréat, il démissionne de son poste. En 1853, il est maître d'études au collège Stanislas à Paris. Il intègre l'École normale supérieure la même année. En 1856, il en sort agrégé de sciences physiques[5]. CarrièreLes premiers postesLe , il est nommé professeur de physique adjoint au lycée de Rennes[5]. Il n'y reste que quelques mois, en raison d'une affaire de « femme de mauvaise réputation »[3]. En 1858, il est muté au lycée d'Angoulême[6]. Il se marie le à Angoulême avec Marie Françoise Céleste Prévéraud, âgée de 23 ans. Avec elle et leur enfant, né le à Angoulême, il part en 1859 au lycée du Puy. Au Puy, il fait l'expérience douloureuse de perdre son fils le , puis sa jeune épouse le . En 1862, il est nommé au lycée d'Évreux ; en 1864, au lycée de Rouen[3]. Le , il épouse au Havre Pauline-Marie Lescan, de neuf ans sa cadette. Le couple aura cinq enfants[7]. Catholique convaincu, Félix-Frédéric Hébert affiche des opinions conservatrices et fréquente les milieux bien-pensants[5]. Enseignant peu charismatique, il laisse la discipline se relâcher dans ses classes, et un rapport d'inspection sévère le fait muter à Limoges pour « mollesse »[8]. Professeur à Limoges (1868-1877)En 1868, il est professeur de physique au lycée de Limoges, poste qu'il occupe durant neuf ans[7]. Là encore, il se heurte à l'esprit chahuteur de ses élèves. En 1872, face à une agitation lycéenne qui confine à la mutinerie (on est dans l'année qui suit la Commune de Paris), il va jusqu'à appeler pour rétablir l'ordre le proviseur, le maire, le procureur général, l'inspecteur d'académie et même le général commandant la place[9]. À la suite de cette affaire, il sollicite une promotion comme inspecteur d'académie, mais ses positions cléricales ne sont guère appréciées au ministère[10]. En 1876, il est nommé ingénieur en chef, président de la commission météorologique de la Haute-Vienne. Il entreprend des recherches sur les orages, centralise les observations d'orages que lui font parvenir de toutes les communes du département des instituteurs, des prêtres et notables divers. Il commence à échafauder sa thèse sur les tourbillons de l'atmosphère. Inspecteur d'Académie (1877-1878)La crise du 16 mai 1877 amène aux affaires le gouvernement dit « d'ordre moral ». Hébert est enfin nommé inspecteur d'académie, à Draguignan, en juillet 1877[7]. Pour peu de temps : les élections d'octobre de la même année reconduisent une majorité républicaine, et Félix-Frédéric Hébert est déplacé à Chambéry en décembre. En janvier 1878, il est destitué, rappelé dans son corps d'origine et nommé à Moulins[5]. Professeur à Moulins (1878-1881)Le , il prend ses fonctions de professeur de physique au lycée de Moulins. Il ne cache pas son amertume, se disant « victime des circonstances politiques »[7].
Il entre rapidement en conflit avec un de ses collègues, M. Gérard, professeur d'anglais, pour des querelles de voisinage auxquelles participent leurs épouses respectives, et qui dégénèrent en insultes, coups et pugilats[12]. Devant l'ampleur du scandale, le recteur de Clermont-Ferrand finit par déplacer les deux professeurs[13] et en 1881 Félix-Frédéric Hébert est muté sans promotion au lycée de Rennes, où il avait commencé sa carrière[14]. C'est son dixième changement de poste[15].
Le « Père Ébé », professeur à RennesEn 1881, il prend donc ses fonctions de professeur de physique au lycée de Rennes. Il soutient l'année suivante, le , devant la Faculté des sciences de Paris, sa thèse de doctorat ès sciences intitulée Études sur les lois des grands mouvements de l'atmosphère et sur la formation et la translation des tourbillons aériens[16]. C'est, semble-t-il, sa dernière publication. Cette thèse n'est suivie d'aucune activité particulière dans le domaine de la météorologie. En 1887, il perd son épouse Pauline, âgée de 46 ans. Au lycée, ses élèves le chahutent constamment. Entre eux, ils le nomment « le père Hébert[17] ». On décline ce surnom sous toutes les formes : le P. H., le père Heb, le père Ébé, Ébou, Ébance, Ébouille[16]… Henri Hertz, élève de troisième à Rennes en 1888-1889, brosse un portrait de son professeur qui nuance quelque peu celui laissé à la postérité par Alfred Jarry :
Les PolonaisEn 1885, un de ses élèves, Charles Morin, commence à composer des parodies d’œuvres classiques dont « le P. H. » est le héros bouffon[16]. L'inspiration est puisée principalement dans Rabelais et Lesage[19]. La plus connue de ces pièces est une tragédie parodique dans laquelle le « père Ébé » est roi de Pologne. Charles Morin élabore cette pochade avec l'aide de son frère cadet Henri. Elle a pour titre : Les Polonais[16]. Pièce en cinq actes de MM. Charles et Henri M., auteurs de La Bastringue, de La Prise d’Ismaël et de bien d’autres ouvrages sur le P. H. Charles Morin couche par écrit et illustre le texte des Polonais dans un cahier vert d'écolier[20]. Il précisera plus tard que son professeur n'était qu'un « énorme, inoffensif et pacifique bonhomme[16] ». Guillaumin, vice-président du tribunal civil de Rennes et ancien condisciple d'Henri Morin et de Jarry, tient lui aussi à faire la part des choses : « Dans les légendes que les potaches élaboraient autour de sa personne, il n'entrait pas un atome de vérité, sauf en ce qui concerne les particularités du costume ; mais, sur un plan purement imaginatif, on lui attribuait les pires forfaits[21]. » Charles Morin travaille sur le P. H. principalement en 1885 et 1886. Ensuite, ses études l'accaparent. Il quitte Rennes en octobre 1888, au moment où Alfred Jarry, âgé de 15 ans, arrive au lycée de cette ville. Jarry se lie avec Henri Morin[22]. Celui-ci lui communique le manuscrit des Polonais. Jarry s'enthousiasme. C'est lui qui a l'idée de mettre en scène la pièce. Les deux amis montent un théâtre avec acteurs dans le grenier des Morin. Jarry peint les décors. À partir de décembre 1888 ou janvier 1889, ils représentent plusieurs fois devant leurs camarades Les Polonais. Henri Morin tient le rôle du P. H.[23]. Au début de l'été 1889, les Morin déménagent, et n'ont plus de vaste grenier. Les activités théâtrales prennent fin. L'hiver suivant, Jarry monte chez lui un théâtre de marionnettes, qu'il remplace bientôt par un théâtre d'ombres[24]. C'est à cette occasion qu'Henri lui remet le cahier vert contenant le texte et les illustrations des Polonais[25]. En 1891, à un an de son départ en retraite, Hébert est toujours jugé sévèrement par l'inspection générale : « M. Hébert est lourd, diffus, parfois même il laisse échapper de grosses erreurs. C’est un pitoyable professeur[26]. » Retraite et mythificationEn 1892, Hébert termine sa carrière. Il quitte le lycée de Rennes[3]. En 1894, Jarry, qui vit maintenant à Paris, sollicite d'Henri Morin l'autorisation de représenter Les Polonais. Persuadé que Jarry va « au devant d'une avalanche de pommes cuites[28] », Henri accepte, y mettant une condition : que rien, dans le titre ou dans les noms propres cités dans le texte, ne permette un rapprochement avec des personnes encore vivantes[29]. Jarry apporte quelques modifications au texte, changeant notamment les noms de personnages[30]. Le P. H. devient le Père Ubu, et le titre devient Ubu roi. En 1896, la pièce Ubu roi est publiée, puis représentée à Paris[31]. On y retrouve l'écho des cours d'un Hébert qui tente de glisser à l'occasion, malgré le chahut, des allusions à ses propres recherches :
En 1899, dans la salle des fêtes du lycée de Rennes, se tient le second procès d'Alfred Dreyfus. Antidreyfusard enragé, Hébert entre en politique. Il est élu au conseil municipal de la ville en 1900. Rapportant une de ses envolées contre les « combinards de la ville, les bandes de francs-maçons juifs, les gouvernants corrompus[3] », etc., un journal local parle d'un « vieux boniment rassis […] gauchement délivré par le Père Ubu[3] ». Félix-Frédéric Hébert se retire ensuite à Vannes, où il meurt le [33]. Peut-être n'eut-il jamais conscience d'être littéralement entré dans la légende et, sous le nom de Père Ubu, d'être devenu un classique de la littérature française. Une salle de concerts, située en face du lycée de Rennes, a été baptisée L’Ubu. Ouvrages et publications
Notes et références
Voir aussiBibliographie
Articles connexes |
Portal di Ensiklopedia Dunia