Adhémar Hennaut
Adhémar Hennaut (né le à Jumet en province du Hainaut et mort le à Braine L'Alleud) est un dirigeant syndical, secrétaire fédéral et dirigeant du Parti Communiste Belge (1923-1928). Il est également directeur du journal De Roode Vaan, cofondateur et dirigeant de l'Opposition de Gauche du PCB (1928-1930), rédacteur au journal Le Communiste, directeur du journal De Kommunist et fondateur et dirigeant de la Ligue des Communistes Internationalistes (1932-1939). Il est ouvrier peintre de profession. BiographieEnfance et jeunesseAdhémar Hennaut est issu d'une famille ouvrière. Son père, Joseph Hennaut, est ouvrier verrier à Jumet et sa mère, Hortense Decorte, est femme au foyer[1]. On sait peu de choses sur son enfance et adolescence. En 1913, il a 14 ans, l'âge où, à l'époque, les jeunes de milieux ouvriers commencent à travailler. On a retrouvé dans ses archives des articles de journaux soigneusement découpés qui attestent déjà de son éveil politique. Dans deux articles du journal Le Peuple datés de et de , il a souligné les positions de la social-démocratie sur la Première Guerre mondiale, imminente[2]. 1913 – 1921 : Les débuts de la militanceEn 1917, Hennaut travaille aux Pays-Bas. Il y apprend le néerlandais. Il adhère au Syndicat des peintres de Rotterdam. En 1919, il revient travailler à Bruxelles où il milite au sein du Syndicat du Bâtiment qui vient de fusionner avec le Syndicat des peintres. Il est élu au Comité exécutif en 1919 et, en , il est nommé, malgré son jeune âge, secrétaire permanent du Syndicat du Bâtiment, Ameublement où il assure ces fonctions jusqu'en , époque où il démissionne[3]. 1921 – 1928 : Le Parti Communiste BelgeAdhémar Hennaut lit vraisemblablement L’Ouvrier Communiste (Organe de presse du premier Parti Communiste belge). En 1921, il devient membre du Parti Communiste Belge unifié lors de la fusion de la branche de L'Exploité de Joseph Jacquemotte et de celle de War Van Overstraeten. Au cours de ses deux premières années de militance dans le PC, de 1921 à 1922, Hennaut est un militant du rang et n'apparaît pas au grand jour. À partir de la fin de 1922, ses premiers meetings sont destinés à la jeunesse[4],[5]. Il s'engage ensuite dans une série de meetings contre la guerre et l'occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges. Il s'oppose alors résolument au traité de Versailles et à l'imposition de réparations aux puissances vaincues[6]. En 1923, il est annoncé seize fois dans des meetings. Parlant le néerlandais, il « consacre particulièrement ses qualités et ses capacités de militant à la propagande en Flandre »[3]. Il occupe alors la fonction de secrétaire de la Fédération Communiste Bruxelloise. 1923 est aussi l’année de l'affaire du « Grand Complot ». Le fascisme italien est triomphant. La répression féroce du Parti Communiste Italien a comme conséquence internationale la prise de mesures de répression par les États contre les partis communistes des pays européens. De plus, un certain nombre de dirigeants communistes belges et français ont participé à la Conférence d’Essen (Allemagne) qui condamnait l’occupation de la Ruhr par les armées française et belge. Cette contestation vaut aux communistes belges une offensive de l'État à leur égard. Le , 54 communistes belges sont arrêtés sur toute l'étendue du territoire. Le , 15 d'entre eux sont inculpés devant la Cour d'assises pour « avoir comploté pour détruire ou changer, par les armes au besoin, la forme de gouvernement » (p. 92)[7]. La Belgique suit la France qui vient de procéder aux mêmes arrestations. Le Parti se retrouve privé pour plusieurs semaines de ses cadres dirigeants. C’est pour cette raison que des jeunes militants sont appelés à prendre en charge l’organisation du Parti. Hennaut fait partie de ces jeunes recrues. Il va assurer le secrétariat fédéral du parti. Un des meetings les plus importants de Hennaut est celui qu'il a fait contre le fascisme en , avec Célestin Demblon, un membre de la social-démocratie se rapprochant des communistes[8]. De plus, il est l'orateur qui accueille les dirigeants de deux partis frères à un meeting pour la libération de leurs camarades : Marcel Cachin pour le Parti Communiste Français et Henriette Roland Holst pour le Parti Communiste des Pays-Bas. Le , la justice belge est obligée, faute de preuves, de relâcher les cadres dirigeants du PC (p. 92)[7] mais Hennaut, qui a démontré ses capacités, garde la charge de secrétaire fédéral du parti. Au Congrès du 17 et , il est élu secrétaire au Comité Exécutif du Parti et membre du Bureau Exécutif. Il le reste jusqu’à son exclusion du parti en 1928. Au même moment, il commence à écrire dans le Drapeau Rouge (organe de presse francophone du Parti) et dans le Roode Vaan (organe de presse néerlandophone du Parti)[9]. À partir de , il commence à rédiger les cahiers qui sont conservés au Centre d'Histoire et de Sociologie des Gauches de Bruxelles et où il prend note des différents points abordés au Comité Exécutif ou au Bureau Exécutif. Les dirigeants du Parti de l'époque sont Massart, Jacquemotte, Coenen, Van Overstraeten, Vandenborre, Plisnier, Pasteels, Lesoil, Bondas, Mathieu[10]. À partir de la fin , un nouvel événement occupe l'actualité du Parti Communiste : la révolution allemande. De fin août à début décembre, Hennaut participe à une dizaine de meetings pour la défense de la révolution allemande[11],[12],[13],[14]. Au commencement de 1924, le reflux de la révolution allemande va de pair avec une série d'attaques patronales contre les conquêtes ouvrières obtenues dans les dernières années. Par exemple, le patronat voudrait réviser la loi de 1921 sur les 8 heures de travail quotidien. Dans ce contexte, le Parti Communiste riposte en organisant de très nombreux meetings pour défendre la journée des 8 heures et c'est très souvent Hennaut qu'on envoie parler sur cette question[15]. D'ailleurs, par rapport aux attaques contre la classe ouvrière qui ont lieu partout en Europe, Hennaut « marque la nécessité de démonstrations et surtout d'actions internationales, au moment où partout la réaction attaque »[16]. Il écrit aussi dans un article que « Les travailleurs doivent renforcer leurs organisations et les entraîner à la lutte contre la réaction ; lutte pour les huit heures, lutte pour les salaires ! »[17]. Il y décrit aussi la position du PC de l'époque sur la social-démocratie. Pour lui, les événements « (...) marquent la faillite totale, dans tous les pays, de la social-démocratie enchaînée au capitalisme national »[17] :
, Lénine meurt. À cette occasion, la social-démocratie critique largement l'Union Soviétique. Hennaut défend le jeune régime mais évite tout panégyrique et met en exergue les nombreux défauts de la société soviétique[19]. En août de la même année 1924, une grève des mineurs importante par son ampleur a lieu dans le Borinage. Le Parti Communiste organise de nombreux meetings sur place et envoie Hennaut pour les animer[20]. En , à l'apogée de son activité militante, Hennaut préside le Troisième Congrès du PCB[21]. En avril de la même année, ce sont les élections législatives belges. À cette occasion, le Parti Communiste présente des listes un peu partout en Belgique. Il s'agit de « mettre à profit l'agitation créée par la campagne électorale pour intensifier la propagande du parti et développer tout notre programme en dénonçant la décomposition du régime capitaliste et l'impuissance du réformisme à surmonter cette crise mortelle »[22]. Lors des élections législatives, Hennaut est candidat no 1 de la liste à Anvers. De février à avril, il entre en campagne pour le Parti Communiste. Se succèdent alors meetings et conférences animés par Hennaut[23],[24]. À cette occasion, une courte notice biographique est réalisée sur lui dans le Drapeau Rouge[25]. L'élection ne porte pas Hennaut au parlement, mais les communistes obtiennent deux sièges de députés pour Joseph Jacquemotte et War Van Overstraeten. En , une nouvelle grande grève occupe le Parti Communiste, celle des métallurgistes de Liège. Plusieurs meetings sont organisés et Hennaut est envoyé en première ligne[26],[27]. Pourtant élément extérieur, il appartient au Comité de Grève des métallurgistes, ce qui dénote le haut degré d'influence qu'il a acquis à l'époque auprès des travailleurs[28]. Lors des élections provinciales qui ont lieu en , Hennaut se présente dans le Canton d'Ixelles pour les communes d'Ixelles, Auderghem et Watermael-Boitsfort. Il est encore à nouveau en tête de liste[29]. Il participe dans le courant des mois de septembre et d'octobre à de nombreux meetings. Il n'est pas élu. Au 4e Congrès du Parti Communiste en , Hennaut est chargé de présenter un rapport sur la « réorganisation du parti » imposée par l'Internationale Communiste[30]. De cellules communistes locales basées sur le lieu de résidence, l'Internationale voulait passer à des cellules d'entreprise, créant ainsi deux ou trois organisations là où une seule avait existé. Cette réorganisation est un échec. Les cellules d'entreprise fusionnent de nouveau entre elles pour former des cellules locales. En 1927, le parti compte encore 83 rayons[31] et seulement 24 cellules d'entreprises[32]. En , Hennaut est chargé de présenter les raisons de l'échec de cette réorganisation. Or, il explique :
La suite du rapport est constituée de solutions pour remédier à ces problèmes. C'est Hennaut qui est dorénavant chargé de l'organisation du parti et d'ailleurs, à partir de 1926, toutes les questions des membres du parti concernant son organisation doivent lui être adressées directement[33]. Hennaut est donc un membre dirigeant de premier plan lors des congrès du PCB de 1925 et 1926. En , de nouvelles élections se tiennent : les élections communales. Cette fois, Hennaut est tête de liste à Etterbeek[34]. Encore une fois, il part en campagne pour le Parti Communiste[35],[36] et n'est pas élu. En , le PCB tente une nouvelle réorganisation de ses cellules. Une Conférence Nationale essaie de résoudre les problèmes de la réorganisation une nouvelle fois infructueuse. Hennaut y est l'animateur principal. Il est présent dans différents meetings en 1927, mais son activité au sein du PCB semble en baisse. Sa présence est attestée en à Anvers lors d'un meeting pour la commémoration de la Révolution Russe[37]. Vie syndicale dans les années 1920Au cours de la même période, même s’il a démissionné de son poste à la direction du Syndicat des Travailleurs du Bâtiment, Bois et Ameublement du Grand-Bruxelles (STBBAB), Adhémar Hennaut continue à en faire partie. En tant que membre influent de la section de Bruxelles, il prend la parole aux Congrès sur de nombreuses questions et critique très violemment la direction de la Centrale, lui reprochant de « mettre obstacle à la volonté de lutte des sections (syndicales) »[38]. Il est plusieurs fois menacé d'exclusion. En , Hennaut est secrétaire de la Fédération bruxelloise du Parti Communiste. Or, le STBBAB est affilié au Parti Ouvrier Belge. Pour le secrétaire de la Fédération Bruxelloise du Parti Ouvrier, Hennaut ne peut appartenir en même temps au syndicat socialiste et au PCB. Il faut donc l'exclure des rangs du syndicat. Joseph Jacquemotte, appartenant à une autre centrale syndicale est lui aussi menacé d'exclusion. Finalement, par peur de la réaction des affiliés syndicaux, la Fédération recule et les deux motions d'exclusion sont abandonnées[39]. Hennaut est un membre du syndicat bien trop indiscipliné pour la Commission Syndicale du Parti Ouvrier Belge :
Hennaut a toujours lutté pour l'unité syndicale. Il le prouve à plusieurs reprises. En , il soumet un amendement à l'Union des Syndicats pour la participation de sa centrale syndicale au « front unique pour la grève générale et contre la guerre »[41]. Cela signifie qu'il souhaite que les socialistes s'allient aux communistes dans les syndicats dans un front unique contre la guerre. Par ailleurs, Adhémar Hennaut écrit à plusieurs reprises pour l’organe Le Travailleur, organe de sa section syndicale, le Syndicat du Bâtiment, de l'Ameublement et de Industries diverses[40]. On peut ainsi y lire ses positions sur les rapports qui doivent exister entre les partis et le syndicat :
Vie privée dans les années 1920 et 1930Les archives sont quasiment muettes sur la vie personnelle du militant. En 1923, il est marié à Marthe Sucrier. De son union avec Marthe Sucrier naît en 1927 Jacqueline Hennaut, décédée en 2012[42]. Il est d'abord peintre en bâtiment dans les années 1920 jusque dans les années 1930. Il devient ensuite peintre indépendant sur « tout genre d’enseignes, calicots et pancartes ». 1928 – 1930 : L’Opposition de GaucheA la fin de 1927 s'annonce lentement le conflit majeur qui va naître au sein du PCB sur la question de l'Opposition russe. Pourtant, contrairement à la plupart des partis communistes d'Europe, le PC belge aborde la question très tardivement. En , le Comité Exécutif, composé majoritairement de partisans de l'Opposition trotskyste, s'explique : « Les comités centraux de la plupart de nos partis frères se sont déjà prononcés en condamnant l'opposition. Quant à nous, nous tenons à soumettre au parti une documentation aussi complète que possible, exposant scrupuleusement les points de vue qui s'affrontent, soucieux de donner à nos militants l'occasion d'étudier les problèmes pour qu'ils soient en mesure de se prononcer en pleine connaissance de cause »[43]. Dans les archives de Georges Vereecken conservées à Amsterdam, ce dernier explique :
Pourtant, la pression de l'Internationale Communiste s'exerce de plus en plus fort sur le Parti pour que la question soit tranchée. En , le Comité Exécutif de l'I.C. accuse le Bureau Politique du PC composé de Van Overstraeten, Hennaut, Lesoil et Lootens (tous de futurs oppositionnels) de sectarisme et de tentative de division du Parti Communiste. Ces derniers s'en défendent tout en ne prenant pas encore clairement position pour l'Opposition trotskyste[45]. Mais l'étau se resserre autour de la fraction oppositionnelle. La fraction stalinienne conquiert des positions. Le Drapeau Rouge et le Roode Vaan se font maintenant la guerre. Jacquemotte tient le Drapeau Rouge, Hennaut le Roode Vaan. La discipline de Hennaut est critiquée dans le Drapeau Rouge ; Hennaut réplique dans le Roode Vaan que la discipline existe quand un membre est convaincu de la bonne politique de son parti[46]. Deux tendances contraires naissent au sein du Parti Communiste. La faction stalinienne, plus unie et ayant le soutien de l'IC, pousse de plus en plus rapidement dans ses retranchements la fraction trotskyste morcelée. Au début de la lutte entre les deux factions, la question se focalise autour de la discipline comme en témoigne un article de Félix Coenen :
Finalement, ces diverses escarmouches aboutissent à la Conférence Nationale des 11 et . La division est déjà scellée avant la conférence. Dans Faux Passeports, son ouvrage majeur, Charles Plisnier, alors membre de l'Opposition en fait une description magistrale :
Le Parti Communiste Belge se distingue par le fait que la majorité des dirigeants vont devenir oppositionnels. Ils signent ensemble le Manifeste de l’Opposition du Parti communiste belge avec Bourgeois, Lootens, Mathieu, Plisnier, Van Den Heuvel et Van Overstraeten[49]. A la fin de la conférence, les thèses de l'opposition sont rejetées et les thèses « majoritaires » confirmées par 74 voix contre 34. Plisnier explique comment la fraction stalinienne a accueilli de nombreux nouveaux membres dans le parti pour gonfler les résultats de sa fraction lors des votes :
A Trotsky, Hennaut écrivait quelques années après :
Finalement, la conférence décide « de suspendre les camarades Van Overstraeten, Hennaut, Lesoil, Lootens, Cloosterman, Dewaet, et Polk pour un délai de six mois au moins de tout poste de responsabilité, avec devoir de travailler comme simple militant de base »[51]. Personne n'est exclu, mais le PCB exige l'impossible des oppositionnels. Ils devaient engager la lutte contre les oppositionnels eux-mêmes. Elle force donc l'Opposition à s'exclure elle-même. Par ailleurs, le PCB cherche à les exclure sous n'importe quel prétexte. Après la conférence, les 46 participants de l'opposition se concertent. Ils écrivent une déclaration pour continuer la lutte par tous les moyens politiques[52]. Ils convoquent une nouvelle réunion pour le et ils écrivent un manifeste pour expliquer leur version de la conférence et leurs positions politiques. Hennaut en est un des signataires. D'abord, les oppositionnels se déclarent solidaires de communistes russes déportés. Ils rejettent la politique du socialisme dans un seul pays de Staline. Ils refusent de laisser au second plan la révolution mondiale et soulignent l'importance de soutenir les révolutions dans l'ensemble du monde. L'opposition politique de Hennaut et des autres oppositionnels se base sur plusieurs événements politiques de l'époque qu'il convient ici de contextualiser. D'abord, il y a la Révolution chinoise manquée. En 1927, en Chine, un soulèvement populaire majeur secoue l'impérialisme occidental. Sous l'impulsion de l'URSS, les communistes chinois se mettent au service du Kuomintang, le parti nationaliste chinois, représentant du patronat chinois. Grâce au soulèvement populaire et à l'aide des communistes, le Kuomintang parvient à prendre le pouvoir. Sitôt fait, il désarme et écrase les communistes dans le sang[53],[54]. Les oppositionnels au PC condamnent la politique de « 'collaboration de classe » qui a mené à la tragédie de la révolution chinoise ; ils dénoncent l'alliance du Parti Communiste Chinois avec le Kuomintang, préconisée par la direction de l'Internationale Communiste[55]. Ensuite, il y a la question du Comité anglo-russe. En 1926, une grève générale très dure a lieu en Grande-Bretagne. L'Union Soviétique encourage les communistes à siéger dans un comité composé en grande partie de leaders syndicaux. Or, ceux-ci s'opposent à la grève. Pour les oppositionnels, il s'agit d'une « trahison de la grande grève anglaise de 1926 »[49]. Ensuite, les oppositionnels constituent un comité provisoire chargé d'organiser l'opposition et annoncent une série de meetings dans tous les centres communistes du pays[52]. En même temps, ils annoncent la sortie de deux hebdomadaires en français et néerlandais, Le Communiste et De Kommunist. Hennaut écrit souvent dans les deux journaux. Il s'occupe de la chronique Internationale et écrit notamment sur les Procès de Moscou[56]. L'Opposition se constitue en groupe autonome. Pour tous, il ne s'agit pas de constituer un nouveau parti. Pour Hennaut non plus. L'exclusion n'est pas encore prononcée, mais elle ne va pas tarder. Le prétexte est donné le lendemain, le lundi . Ce jour-là, Clémentine Dumortier, Georges Vereecken et Adhémar Hennaut viennent récupérer une bonne part de leur matériel au Bureau du Parti Communiste. Ils sont accusés de vol et exclus du parti[57]. Van Overstraeten, lui aussi, est exclu[58]. Au début, le PCB ne souhaite pas exclure les militants de base qui approuvent les thèses de l'opposition, il espère ainsi récupérer ces militants. Mais l'opposition réagit et pousse ses partisans à ne plus se rendre aux réunions du PC. En effet, les décisions de la conférence nationale sont approuvées partout à l'unanimité[52] ; en fait, les oppositionnels ne participent nulle part au vote. Le PCB sort très affaibli de la scission. Il perd la plupart de ses cadres à Charleroi, Anvers, Ménin, Gand. La fédération du Centre est aussi très affaiblie. Le Drapeau Rouge manque de rédacteurs. Tout l'appareil du parti est déstabilisé. L'Opposition, elle, rassemble ses forces. Le , elle tient une conférence nationale restreinte. Une commission nationale et un exécutif sont désignés. War Van Overstraeten en est secrétaire politique, Adhémar Hennaut, secrétaire administratif (p. 82)[59]. Hennaut fait aussi partie de la nouvelle Fédération bruxelloise de l'opposition. Le premier meeting avec War Van Overstraeten et Adhémar Hennaut se tient le . Un public de 500 personnes les écoute. Ils exposent les thèses de l'opposition et les raisons de leur exclusion (p. 86)[59]. Les premiers mois d'existence de l'Opposition sont couronnés de succès. Mais peu à peu, leurs effectifs décroissent à partir de . C'est un travail de fond qui attend l'opposition. Elle se fixe trois objectifs : le renforcement idéologique, l'amélioration de la presse et une nouvelle approche du travail syndical (p. 104)[59]. En , l'Opposition se focalise sur des élections communales partielles à Anvers. L'ancien bourgmestre décédé, des nouvelles élections sont organisées. L'Opposition présente une liste avec Hennaut en tête de liste et Leo Frenssen comme suppléant (p. 113)[59]. La liste obtient un peu plus de 3000 voix contre 2600 pour le Parti Communiste (p. 114)[59]. C'est un succès pour l'Opposition. De nouvelles élections sont prévues pour . Dans l'Opposition, on se demande si cette dernière doit y participer. En effet, selon Trotsky, dont la ligne est représentée dans l'Opposition belge par Plisnier, il ne faut pas construire de parti autonome. Les oppositionnels doivent essayer de « redresser la politique des PC ». Dans ce cadre, il est exclu de se présenter aux élections. Dans l'opposition belge, au début de 1929, une large fraction d'oppositionnels désire déjà se faire reconnaître ouvertement en tant que parti. Elle ne se reconnaît plus comme l'opposition du PCB mais comme un nouveau parti. Dans ce cadre, il faut se présenter aux élections. Cette tendance est représentée dans l'opposition par Van Ovestraeten, Lesoil, Dewaet, Hennaut, Deschamps et Polk. Cette tendance soutient la particularité nationale de l'Opposition Belge (dont la plupart sont des anciens membres influents du PCB) et la nécessité de former un nouveau Parti. Au début, Trotsky les soutient, puis se rétracte en (p. 116)[59]. Ainsi, en , l'Opposition participe aux élections. Des listes sont déposées dans les arrondissements d'Anvers, Gand, Bruxelles, Charleroi et Liège. Lors de ces élections, l’Opposition subit un recul général. Le PC remporte quatre fois plus de voix au total (p. 118)[59]. Dans l'Opposition, c'est la démoralisation. Le nombre d'adhérents baisse. Des militants connus comme Plisnier abandonnent la lutte. C'est le moment des conflits et des divisions au sein de l'Opposition. Au cœur du débats, deux questions : la création ou non de partis communistes autonomes et la trahison ou non de l'IC. Le , à une séance du Secrétariat International de l'opposition, Hennaut décrit l'état de l'Opposition :
La première scission a donc lieu au début de 1930, une partie des militants part et crée le Cercle Marx-Engels, un groupe d'étude sans vocation de parti. C'est Vereecken qui le dirige. L'une des raisons de la scission est sans doute le conflit qui oppose Vereecken et Van Overstraeten depuis plusieurs années[61]. Ensuite, c'est un événement international qui attise les divisions au sein de l'opposition. Un conflit fait rage entre l'Union Soviétique et la Chine de Tchang Kaï Chek au sujet d'une ligne de chemin de fer. L'Armée Rouge finit par intervenir en Chine. En Belgique, la majorité des oppositionnels s'insurgent de cette mesure de l'URSS et traitent cette dernière d’impérialiste[62]. La Fédération de Charleroi, suivant Trotsky, réplique qu'une politique impérialiste ne peut exister de la part d'un État ouvrier. La Fédération refuse de vendre Le Communiste ; c'est une catastrophe pour l'opposition : Charleroi est sa plus grande place-forte (p. 120)[59]. Néanmoins, c'est la polémique sur la question du parti autonome qui met le feu aux poudres. Trotsky, en , revise son avis et juge qu'il faut former des fractions pour relever l'Internationale. La Fédération de Charleroi suit cet politique (p. 121)[59]. La division s'approfondit et finalement, la fraction Hennaut - Van Overstraeten est exclue de l'Opposition Internationale. La Fédération de Charleroi quitte le groupe le . Elle reproche à la majorité des divergences d'opinions importantes sur la nature de classe de l'URSS et l'attitude défaitiste de l'Opposition Belge[63]. La scission est provoquée par les divergences sur la politique à adopter par rapport à l'Internationale Communiste et aux Partis Communistes officiels. Hennaut se positionne pour la création de nouveaux partis. Le groupe se scinde en deux. D'un côté, il y a l'Opposition Communiste de Gauche (Groupe Charleroi) avec Léon Lesoil, de l'autre, le groupe oppositionnel de Hennaut et Van Overstraeten. En , l'abandon de la possibilité de redressement du PC et de l'Internationale et le lancement d'un nouveau parti poussent l'organisation de Lesoil à essayer de se rapprocher de la Ligue. Mais les réunions ne font que constater le fossé entre les deux organisations. À cette occasion, Trotsky, qui participe à la discussion, écrit sur Hennaut qu'il est « modèle de confusion politique et théorique doutant de tout et craignant le danger partout » (p. 143)[59]. Les négociations n'aboutissent pas, la fusion est impossible. La majorité de Hennaut, plus nombreuse à la scission de 1930, finit par fondre. Les cotisations n'arrivent plus, des membres abandonnent la partie, le journal passe en mensuel. Hennaut tente de maintenir Le Communiste en vie, mais finalement, il est obligé de l'arrêter. Van Overstraeten, lui, cesse complètement de militer en 1931. La direction ne repose plus maintenant que sur les épaules de Hennaut (p. 150)[59]. 1931 – 1939 : La Ligue des Communistes InternationalistesDésormais, Hennaut milite dans le groupe dit « de Bruxelles ». En , ils éditent un nouveau bulletin mensuel, le Bulletin de l’Opposition Communiste pour le Groupe de Bruxelles. Lode Polk et Hennaut, au moment de la scission, forment une commission chargée de rassembler les forces de l'opposition restante. Il leur faudra un an et demi pour le faire. Finalement, une conférence nationale de constitution d'un parti se tient le 20 et le . À la conférence sont présentes les fédérations d'Anvers, Bruxelles, Gand, Liège, Verviers et Malines. La principale décision de la conférence n'est pourtant que la dénomination du groupe : « Ligue des Communistes Internationalistes » (pp. 151-152)[59] dont le but est la création d'un nouveau Parti Communiste. En 1932, la Ligue commence aussi à collaborer avec la Fraction de Gauche du Parti Communiste Italien[64]. Ainsi, à partir de 1933, Hennaut participe à la revue théorique mensuelle de la fraction bordighiste dirigée par Ottorino Perrone (it), Bilan. Les deux organisations partagent la même position sur l’Opposition Internationale de Gauche, refusant sa politique en Allemagne (celle du « front démocratique contre le fascisme » et du soutien au parti communiste dit « dégénéré »). Bilan publie des résolutions de la Ligue, recommande son bulletin, l'aide en faisant de la réclame pour des souscriptions et publie des articles de Hennaut[65],[66],[67],[68],[69]. Au cours de l'année 1933, l'activité des Communistes Internationalistes faiblit très fortement. Les contacts entre les fédérations disparaissent progressivement. Le groupe de Bruxelles se lie toujours plus étroitement avec la Fraction de Gauche du Parti Communiste italien. Le groupe de Verviers se rapproche des libertaires. Anvers travaille avec le Parti Socialiste Révolutionnaire des Pays-Bas. À Gand, il n'y a plus de réunion. Et à Seraing-Ougrée, il n'y a plus que deux membres (Cerneels et Bondas). Après 1933, les activités se limitent principalement au terrain syndical. Pratiquement, il n'y a plus aucune activité politique vers l'extérieur. Seul le mensuel reste régulier (p. 154)[59]. À partir de , ils éditent un nouveau bulletin qu’ils sortiront jusqu’en 1939. En 1937, Hennaut et la Ligue rompent résolument avec la Fraction italienne sur la question de la Guerre d'Espagne. Un terme a été mis à une collaboration qui s’est étendue sur près de quatre années. La rupture avec la Fraction de Gauche Italienne provoque aussi des remous au sein de la LCI. Depuis 1936, deux fractions se sont progressivement constituées : d'un côté, les « participationnistes », majoritaires, qui souhaitent soutenir la République espagnole, dont Hennaut et de l'autre, les « anti-impérialistes », minoritaires, qui condamnent la guerre civile espagnole (comme impérialiste et non révolutionnaire). Celui qui mène le deuxième groupe est Jehan. En 1937, la Conférence Nationale de la Ligue aboutit à la fois à la rupture avec la Fraction italienne et à l'exclusion de la minorité menée par Jehan. La période de la rupture est surtout une période de soutien à la révolution espagnole et à un groupe qui leur est proche, le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste)[64]. Cette rupture annonce un tournant progressif dans la carrière militante de Hennaut. En 1938, il écrit un rapport sur sa situation au comité exécutif de la Ligue. Il explique que son activité professionnelle lui prend trop de temps. Il a en plus les charges de direction politique de la Ligue et du secrétariat administratif. Il souhaite alors être déchargé du secrétariat. Progressivement, le temps qu’il consacre à la militance diminue. Suit alors une période de crise pour la Ligue. Deux dirigeants (non nommés) veulent changer la direction que prend le groupe. Les débats continuent pendant que la préparation de la guerre bat son plein. Finalement, le Bulletin et la Ligue disparaissent à la fin de 1939 trois mois après le début de la guerre, à la suite d'une absence de politique à adopter par rapport à celle-ci[70]. Vie syndicale dans les années 1930En , Hennaut avait demandé sa réintégration au sein du syndicat. Elle lui est accordée au bout d’un mois. Néanmoins, rapidement, en 1932, le Comité Général de la Centrale du Bâtiment, de l'Ameublement et des Industries diverses prend de nouvelles mesures pour exclure Hennaut à nouveau. Le , une procédure d’exclusion est enclenchée. Il a droit à une défense le et finalement définitivement exclu en 1933[71]. Au même moment, la Ligue commence à collaborer avec le Réveil Syndicaliste, organe des Groupes d’Action syndicalistes. Ce journal a été édité à Liège de 1932 à 1934 par Nicolas Lazarevitch, également exclu de la Centrale générale socialiste. 1940 – 1945 : La Guerre, l’obscurité militanteLa Guerre commence et les archives d’Adhémar Hennaut se taisent : plus rien. La correspondance semble s’arrêter, l’activité militante s’évanouit, le bulletin meurt, la Ligue périclite,… Seuls subsistent quelques documents sur d’autres organisations, ce qui semble montrer que Hennaut s’intéresse encore à la vie politique. Il n'y a aucune certitude sur les raisons pour lesquelles il n'a été ni arrêté, ni déporté au contraire de nombre de ses anciens camarades (p. 53)[72]. 1948 – 1976 : Le crépuscule du militantEn 1948, sa correspondance réapparaît soudainement. Il correspond avec Anton Pannenkoek, un célèbre leader communiste de gauche hollandais. En fait, il s’est lancé dans la traduction de ses œuvres[73]. À partir de 1949, il commence à écrire à Alfred Rosmer. Ils correspondent à propos dans un intérêt purement théorique pour les œuvres de Pannenkoek. Ces lettres sont éclairantes sur les dernières années de militance de Hennaut :
Il meurt en 1977. Cinquante ans avant, Hennaut s’était marié avec Marthe Sucrier. Sa petite-fille raconte les circonstances de la mort de son grand-père :
Accablé par des soucis d'argent, Hennaut décide de mettre fin à ses jours le , à 78 ans[75]. Il se tire une balle dans la tête. C’est donc ainsi, dans l'oubli, que prend fin la vie d’un militant qui, très jeune, avait assumé d'importantes charges au sein du PCB. Sa petite-fille et son arrière-petit-fils ne savaient presque rien de son parcours militant. Notes et références
BibliographieOuvrages
Bibliothèque Royale de Belgique - Drapeau Rouge
Centre d’Histoire et de Sociologie des Gauches - Fonds Adhémar Hennaut
Institut international d’Histoire sociale d'Amsterdam
Autres
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