Édouard Prudhomme de La Boussinière
Édouard Prudhomme de La Boussinière, né le au Mans où il est mort le , est l'une des principales figures républicaines du Mans au XIXe siècle. En 1903 il est présenté comme le « doyen de la démocratie sarthoise »[1]. Il est aussi connu comme le protagoniste dupé d'une affaire d'escroquerie au testament de son frère, dite « l'affaire de La Boussinière ». BiographieFamilleÉdouard Alexandre François Prudhomme de La Boussinière est né le au Mans du mariage de René-Jean-François Prudhomme de la Boussinière, émigré royaliste, maire de Saint-Pierre-du-Lorouër, né le et mort le et d'Élisabeth Burrows, mariés à Birmingham (Angleterre) en 1801[2]. Le fait qu'il se soit marié ou pas n'est pas une certitude[3],[4], cependant il eut un fils, Georges de La Boussinière, sergent, qui, après s'être conduit avec bravoure à la bataille de Borny-Colombey où il « ramena au feu sa compagnie », reçut la médaille militaire à la suite d'une longue captivité dans la province de Prusse-Orientale[3],[4]. Il est le cousin germain du lieutenant-colonel Louis-Ferdinand Prudhomme de La Boussinière et le petit-neveu de Jacques-Guillaume-René-François Prudhomme de La Boussinière. Un républicain proscrit de l'EmpireEn 1832, officier d'un régiment de Ligne, il réprime le mouvement royaliste en Maine-et-Loire. Pendant deux ans, il se consacre à lire à haute voix, tous les soirs, dans la salle de lecture du Bonhomme manceau, les journaux, à en commenter les articles, à en discuter avec les ouvriers, gagnant ainsi leur confiance et organisant une transmission rapide et orale des consignes. Fermé, le cabinet de lecture se transporte rue Bourgeoise[5]. Au sein du Bonhomme manceau, il côtoie le chansonnier Félix Milliet[6], le publiciste Napoléon Gallois[7], et plus largement les républicains et fouriéristes Louise Milliet, Marie Pape-Carpantier, Julien Chassevant, Jacques François Barbier[8]. En 1851, le prince Louis Napoléon Bonaparte fait son coup d'état. Tout opposant au régime est chassé et réprimé. Édouard de La Boussinière sera arrêté et écopera de 3 mois de prison[3]. À sa sortie Édouard de La Boussinière gagnera Genève à pied[9] accompagné d'un curé et d'un menuisier. « A nous trois, disait-il, nous représentions le clergé, le tiers et la noblesse. »[10] Il y restera quarante ans et il jouera un grand rôle au sein de la colonie française dont il est l'un des organisateurs et le président[11]. La Commission mixte du Mans le condamne officiellement au bannissement[12],[13]. Une icône de la politique mancelleEn 1890, il est de retour au Mans où arrive l'affaire du testament de La Boussinière[9],[10]. Loin de l'affaiblir cette affaire n’entachera pas sa foi républicaine. Ainsi, il participera aux réunions de quartier organisées par La Libre Pensée du Mans (crée le ) aux côtés des hommes politiques Louis Crétois et Anselme Rubillard[9]. En 1893, il se fera particulièrement remarquer pendant la campagne des législatives du Mans, lors d'une réunion entre les électeurs et les concurrents dans cette élection. Ces derniers sont Rubillard et Vilfeu, député sortant destitué de son poste de substitut de l'empire par le régime républicain. Vilfeu est un avocat de talent qui sait bien parler. La salle est comblée de républicains et de monarchistes. Les républicains font venir Édouard de La Boussinière, qui a alors 82 ans, et il prendra la parole ainsi : « Citoyens, par ma naissance, j'appartiens à la noblesse, mais je ne fais plus partie que d'une grande famille, la famille républicaine. Je ne suis pas connu de beaucoup d'entre vous car j'ai longtemps été en exil. Vous permettrez de prendre la parole à un ancien proscrit qui a sacrifié à la République sa fortune et sa liberté. Citoyen Vilfeu, vous avez dit aux républicains : il n'y a rien qui nous sépare. Si, il y a un abîme entre nous, cet abîme, c'est votre cléricalisme. Citoyen Vilfeu, je vais vous poser trois questions, répondez-y franchement : Voulez-vous l'instruction laïque par l'état ? Voulez-vous la suppression des congrégations ? Si un coup d'état était tenté, jurez-vous à la face des électeurs de descendre dans la rue, ceint de votre écharpe, un fusil à la main, pour défendre la République ? » Vilfeu, sonné par ce discours et ne sachant que répondre, perdit les élections[9]. Il accepte en la présidence d'honneur de l'université populaire du Mans[10],[9]. Édouard Prudhomme de La Boussinière meurt le au Mans où il est enterré au cimetière de l'Ouest[14]. Beaucoup de politiciens et de personnalités entourent le vieux républicain lors de ses obsèques. Parmi eux : Paul d'Estournelle de Constant, député, futur sénateur et prix Nobel de la paix qui prononce l'éloge funèbre ; le maire Paul Ligneul, les conseillers généraux Georges Bouttié, Anselme Rubillard, Adrien Tironneau, le sénateur Louis Cordelet et le receveur municipal Louis Crétois[9]. Affaire de la BoussinièreObjetL'affaire de la Boussinière concerne un faux testament olographe[15],[16],[17]. Adolphe Prudhomme de la Boussinière détestait son frère Édouard et, à sa mort en , le premier lègue par testament tous ses biens au comte de Bréon[18], parent de son épouse. Dix-huit mois plus tard, un second testament olographe apparaît, adressé au tribunal de Segré. Selon ce nouveau testament, daté du , Adolphe fait d’Édouard son unique héritier. Ce document est attaqué par le comte de Bréon mais les experts en écriture affirment son authenticité et le jugement du tribunal d'Angers, confirmé en appel, attribue tous les biens à Édouard. Celui-ci donne 600 000 francs à son notaire, Maitre Guyard, car il avait promis, des années plus tôt, de lui céder une partie de son héritage si jamais Adolphe testait en sa faveur[19]. En réalité, le second testament est un faux, élaboré par un faussaire parisien, sur la demande du notaire Guyard. Le faussaire, trouvant ridicule son salaire de 100 francs, commence à faire chanter le notaire et finit par le dénoncer. Un autre procès commence. Pour sa défense, le notaire affirme que le testament a vraiment existé mais qu'il l'a perdu, probablement utilisé par inadvertance pour allumer le feu[20]. Finalement, le notaire est condamné à dix ans de prison, le faussaire acquitté et l'héritage retourne au comte de Bréon[19]. En 1898, Alphonse Bertillon écrit « Le faux testament "de La Boussinière" est resté et restera longtemps encore le cheval de bataille, l'argument suprême, que tout défenseur dans une affaire d'écriture garde en réserve pour sa péroraison »[21]. Cette affaire, tout comme celle du lieutenant Émile de La Roncière condamné puis réhabilité par Napoléon III, l'affaire Dreyfus et les faux carnets d'Adolf Hitler ou le « testament mormon » d'Howard Hughes a « jeté un certain discrédit sur l'expertise en écritures »[22], elle eut d'autre part un écho dans l'affaire Dreyfus[23] dans la mesure où le sujet du faux en écriture publique devient aussi le centre de l’affaire, et où certains des experts en écritures de l'affaire Dreyfus (deux sur les trois, dont Bertillon) sont les mêmes qui ont certifié que le testament olographe d'Adolphe Prudhomme de La Boussinière était authentique[24]. Dans les rapports de la cour lors de l'affaire Dreyfus, on lit qu'Alphonse Bertillon, ramenant tout à des questions de mensuration, a été certainement hypnotisé, possédé en quelque sorte par un souvenir, celui de l'affaire de la Boussinière[25]. On le dit aussi « obsédé par le souvenir du testament de la Boussinière »[26]. Ce dernier était créateur de l'anthropométrie judiciaire, appelée « système Bertillon » et il est invité à intervenir dans l'affaire Dreyfus, sous la pression de l'armée ; ce dernier affirme que Dreyfus est bien l'auteur du fameux « bordereau ». En outre, deux des experts, dont Bertillon, si malheureux dans l'affaire de la Boussinière, déclarent que le document est bien de la main de Dreyfus[27],[24]. À la suite de cette affaire, les juristes parlent souvent d'un « La Boussinière » pour parler d'un faux en écriture. Judiciairement validé, au début, sur un rapport de M. Gobert, expert en écriture de la Banque de France, le faux testament de la Boussinière a occupé toute la hiérarchie des tribunaux pendant plus de cinq ans[28]. Arrêt de la BoussinièreEn droit, l’arrêt De la Boussinière (Cass. civ. ) se rapporte à un prolongement de l'affaire. Après avoir été rétabli dans ses droits successoraux, le comte de Bréon veut récupérer la propriété d'immeubles vendus par Édouard à des tiers. Le cas monte jusqu'à la Cour de cassation qui casse les décisions du tribunal de Morlaix et de la cour de Rennes : les immeubles restent la propriété des tiers. « Dès que l'erreur commune et invincible ainsi que la bonne foi du tiers sont établies, les aliénations consenties par l'héritier apparent échappent à toute action en résolution dirigée par l'héritier véritable »[18]. HommagesEn 1902, la municipalité décide de donner le nom d'Édouard de la Boussinière à la place et à la rue Saint-Germain. Une souscription publique est lancée en 1909 pour ériger un monument à sa mémoire avec son buste. La statue en bronze à son effigie est réalisée par Alphonse Le Feuvre, mais elle est fondue par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale[29],[30]. La stèle comportait l'inscription suivante, devise d'Édouard de la Boussinière : « Nous devons tout sacrifier à la République, la République ne nous doit rien »[9]. La ville du Mans le qualifie d'« Officier militaire, bourgeois voltairien, libre-penseur, attaché aux valeurs de liberté et de progrès, Édouard de la Boussinière fut un ardent républicain. Il souhaitait que les ouvriers et paysans prennent conscience de leurs droits politiques dans la République, le régime idéal à ses yeux. Ami de Ledru Rollin, il fut l'une des principales figures républicaines du Mans au XIXe siècle »[31]. Un quartier dans le secteur Nord-Ouest[32], une place et son marché[33], une école et une rue sont nommés en hommage à Édouard de La Boussinière au Mans. En 1941, le journal républicain L'Ouest-Éclair, le présente comme « doyen de la démocratie sarthoise », « très brave type. et plus original qu'il ne parait. Pour tout dire, un révolutionnaire en pantoufles », « solide comme le chêne sarthois »[10]. Pour approfondirBibliographie
Articles connexesNotes et références
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