Marie-Thérèse Casgrain vient au monde dans un milieu de la haute bourgeoisie francophone. Sa mère est Blanche MacDonald, d'origine écossaise, et son père est Rodolphe Forget, avocat, homme d'affaires et homme politiqueconservateur. Elle a deux frères : Gilles et Maurice. Son enfance se déroule entre les murs de la résidence familiale montréalaise (sise rue Sherbrooke, qu'habitent alors les plus riches familles de la ville[1]) et le « Château » à Saint-Irénée (Charlevoix), chalet d’été de 17 chambres à coucher qui fait aujourd'hui partie du Domaine Forget[2].
En 1905, à l’âge de 8 ans, elle devient pensionnaire chez les Dames du Sacré-Cœur, au Sault-au-Récollet. Elle souhaite poursuivre ses études à l'université, mais son père s'y oppose, n'en voyant pas l'utilité. Selon lui, elle devait plutôt apprendre à gérer une maison, une qualité que doit posséder une future épouse de son rang[2].
En , elle épouse l’avocat Pierre-François Casgrain, d'allégeance libérale. Ils auront deux filles et deux garçons (Hélène, Renée, Rodolphe[3] et Paul).
Après le retrait de la vie politique de son beau-père Rodolphe Forget, Casgrain décide, en 1917, de lui succéder à titre de député libéral dans le comté fédéral de Charlevoix—Montmorency. Il est élu, puis conservera son siège jusqu'en 1941. Thérèse prononce des discours pour lui à quelques reprises lors de campagnes électorales[4]. Entre-temps, il aura présidé la Chambre des Communes. Il sera nommé juge à la Cour supérieure du Québec en 1942[5].
Thérèse accompagne son mari à Ottawa pour l’ouverture de la session parlementaire, au printemps 1918. C'est dans la capitale fédérale qu'elle est sensibilisée à la question du vote pour les femmes. Lors de l'élection précédente, on avait accordé ce droit à un certain nombre de femmes. Le gouvernement Borden fait ensuite adopter le Women’s Suffrage Act, un projet de loi accordant le droit de vote aux élections fédérales à toutes les Canadiennes de vingt et un ans et plus. Mais, au Québec, les femmes ne pouvaient toujours pas voter lors des élections. L'opposition à une telle extension du droit de vote aux femmes y était forte, notamment de la part du clergé et de l'éliteconservatrice.
Le , elle fait partie d’une délégation du CPSF, avec Marie Lacoste-Gérin-Lajoie, Carrie Derick, Idola Saint-Jean et Lady Drummond (Grace Julia Parker Drummond), qui rencontre le premier ministre du QuébecLouis-Alexandre Taschereau pour réclamer que l'on accorde le droit de vote aux femmes. Thérèse Casgrain y prend la parole. Elle avance que les femmes sont assez intelligentes et instruites pour pouvoir voter[6]. Il s'agira du premier d'une longue série de périples annuels dans la vieille capitale pour obtenir ce droit.
Thérèse Casgrain est désignée présidente du CPSF en 1928. Elle y occupe cette fonction jusqu'en 1942[7]. Le CPSF devient la Ligue pour les droits de la femme en 1929[8]. Organisation laïque, elle lutte sans relâche pour améliorer la situation des femmes, notamment sur le plan juridique et pour obtenir le droit de vote aux élections au Québec. En 1937, elle assiste au couronnement de George VI à Londres en compagnie de son mari et de leur fille Hélène puis au congrès du Conseil international des femmes à Paris, où elle intervient pour le Canada. Elle y rencontre notamment Louise Weiss, une importante féministe française[9].
En 1938, Thérèse Casgrain prend la parole au congrès d'orientation du Parti libéral au sujet du droit de vote[10]. Les libéraux adoptent alors une résolution à cet effet et promettent de l'accorder dès qu'ils seront de retour au pouvoir[11]. Elles obtiendront finalement ce droit en 1940 sous le gouvernement d'Adélard Godbout, malgré de fortes pressions de l'épiscopat catholique.
La recherche de l'égalité pour les femmes
En même temps que ce combat pour le droit de vote, Thérèse Casgrain poursuit sa lutte pour l'obtention de l'égalité tant juridique que sociale des femmes en usant de ses relations dans les cercles politiques et de son influence dans les médias.
Thérèse Casgrain fait part de ses préoccupations pour la situation des femmes à la radio, d'abord à CKAC vers 1933-1934. Dans une émission datée du , elle affirme :
« Les femmes subissent les conditions de vie qui leur sont imposées par une société où dominent les hommes. Le droit de vote pour la femme [constitue le seul moyen logique et compatible avec notre système politique, pour [lui] assurer la sanction qu'il lui faut avoir à sa disposition pour faire reconnaître et maintenir ses droits[12]. »
À Radio-Canada, elle anime l’émission Fémina à partir de 1937, qui obtient un grand succès d'audience[13].
Thérèse Casgrain fait aussi campagne pour l'admission des femmes à certaines professions dont l'accès leur était encore refusé, notamment le droit et le notariat. En 1945, alors qu'elle copréside le Service aux consommateurs, organe de la Commission des prix et du commerce en temps de guerre, elle réussit à obtenir que les allocations familiales soient versées aux mères de famille (et non aux pères)[8]. Il s'agit d'une grande victoire pour les femmes, après celle du droit de vote.
En 1946, alors qu'une commission est mise sur pied pour étudier le statut légal de la femme mariée (Commission Méthot), des organismes féminins, à l’initiative de Thérèse Casgrain, présentent un mémoire demandant notamment la levée de l’incapacité juridique de la femme mariée et le droit du conjoint survivant et des enfants d'être soutenus par la succession[14]. Le rapport de la commission ne paraîtra qu'en 1954.
En 1966, afin de coordonner les associations féminines à l'échelle nationale dans un cadre non confessionnel, elle compte parmi les membres fondatrices de la Fédération des femmes du Québec.
Engagement politique
En 1942, à la suite de la nomination de son mari comme juge à la Cour supérieure du Québec, Thérèse Casgrain se présente comme candidate libérale indépendante lors d'une élection fédérale partielle dans Charlevoix-Saguenay[15]. C'est la première de sept tentatives électorales, qui se solderont à chaque fois par un échec[16].
Première femme chef d'un parti politique au Canada[15], Thérèse Casgrain se présente comme candidate du PSD en 1952 lors d'une élection partielle dans Outremont—St-Jean, à nouveau en 1953, dans Jacques-Cartier—Lasalle, en 1957 dans Villeneuve et en 1958 dans Jacques-Cartier—Lasalle. Chaque fois, elle est battue. Elle dira « le fait d'être une femme, dirigeant un parti de gauche par surcroît, m'enlevait toute chance de succès. Cependant, mon but était atteint puisque mon désir était avant tout de faire connaître la philosophie du CCF et de lui assurer une large publicité[20] ». Ferron écrit à son sujet en 1960 :
« Madame Casgrain est née Forget d'un père baron d'affaires et d'une mère lady. On ne peut le lui reprocher. Elle vaut d'ailleurs beaucoup mieux que sa famille. Chose rare mais naturelle, ce fut sa condition de femme qui l'a poussée de la droite vers la gauche; le féminisme lui inculqua des notions de justice et l'ambition fit le reste[21]. »
Thérèse s'engage dans de multiples causes et organismes, entre autres au Conseil fédéral du salaire minimum, à la Société des concerts symphoniques de Montréal, au Conseil de la santé au Canada, à la section francophone de l'Association canadienne pour l'éducation des adultes, aux Charités fédérées francophones, au Conseil canadien du développement social et au Comité consultatif de l'administration de la justice au Québec, où elle est vice-présidente. Elle cofonde de plus la Ligue des jeunes francophones et œuvre auprès de nombreuses associations caritatives.
En 1961, elle met sur pied la section québécoise de La Voix des femmes, un organisme féminin luttant contre l'armement nucléaire et pour la paix[8]. De plus, Thérèse Casgrain cumule le poste de présidente de la Ligue des droits de l'homme et s'implique au sein du Comité du secours médical du Québec au Viêt-Nam.
En 1969, elle est élue présidente de la section québécoise de l'Association des consommateurs du Canada. Avant son arrivée à la tête de la section québécoise, cette dernière était dominée par des éléments anglophones et sa langue de travail était l’anglais, une situation que son prédécesseur, le professeur David MacFarlane, qualifiait d’« indéfendable ». Plusieurs membres de l’organisation ont misé sur Casgrain pour régler ce problème[23]. De plus, grâce aux démarches de l'Association, un ministère de la Consommation est instauré au fédéral.
Fin de carrière
Le , elle est nommée sénatrice par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau[15]. Comme l'âge limite pour un tel poste est alors fixé à 75 ans, elle n'y siègera que neuf mois[24]. À un journaliste qui le lui fait remarquer, elle répond : « Vous seriez surpris, jeune homme, de ce qu'une femme peut faire en neuf mois[25]. » Guy Bouthillier considère qu'elle devait cette nomination au fait qu'elle était une amie de Trudeau, une femme de gauche, défenderesse des droits et des libertés et qu'elle pourrait prendre la défense de Trudeau dans le contexte de la crise d'Octobre[26].
En 1980, la Société Elizabeth Fry du Québec ouvre la Maison Thérèse-Casgrain, une maison de transition pour femmes, la première du genre au Québec. Elle est établie dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal[31].
En 1982, la Fondation Thérèse F.-Casgrain est créée pour perpétuer son souvenir et poursuivre son travail sur la justice sociale et la cause des femmes.
En 1982, le gouvernement du Canada nomme en son honneur le prix Thérèse-Casgrain du bénévolat. En 2010, le gouvernement Harper le remplace par un prix du Premier ministre pour le bénévolat[32],[33].
Le , un timbre-poste, conçu par Muriel Wood et Ralph Tibbles, a été émis en son honneur.
Le pavillon Thérèse-Casgrain de l'Université du Québec à Montréal a été construit entre 1988 et 1990. Il est situé au 455, boulevard René-Lévesque Est[35].
Créé en 2007, le Prix Égalité est décerné par le Secrétariat à la condition féminine du gouvernement du Québec afin de récompenser des projets réalisés par des organismes publics, parapublics, privés ou communautaires qui favorisent l’égalité entre les femmes et les hommes au Québec. En , à l’occasion du 75e anniversaire de l’obtention du droit de vote et d’éligibilité des femmes aux élections québécoises, le nom du prix a été modifié et est devenu prix Égalité Thérèse-Casgrain[37].
En 2012, le monument en hommage aux femmes en politique est inauguré. Situé sur le terrain de l'Assemblée nationale du Québec, il représente Marie Lacoste-Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean, Thérèse Casgrain et Marie-Claire Kirkland-Casgrain[38]
Toponymie
Dans diverses villes du Québec, selon la base de données de la Commission de toponymie du Québec[39], une douzaine de rues rendent hommage à Thérèse Casgrain. Un parc public de Montréal porte également son nom[40]. Depuis 1982, un mont situé au nord de La Malbaie, dans Charlevoix (Québec), porte aussi son nom[41],[42].
1967 : le Conseil national des femmes juives du Canada lui décerne la médaille de « Femme du siècle » du Québec ; la Société de criminologie du Canada lui remet la médaille de la « personne qui s'est le plus distinguée dans la défense des droits de la personne et des idéaux de justice dans notre société » ;
↑Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, Idola Saint-Jean, l'insoumise, Montréal, Boréal, 2017, p. 292.
↑Il décède le . Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 306 et 504; Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 112.
↑Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 111 et 114.
↑Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 131.
↑ abc et dDenyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 112.
↑Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, Idola Saint-Jean, l'insoumise, Montréal, Boréal, 2017, p. 303; Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 212-213.
↑Elle est alors près des libéraux, faisant même partie du Club des femmes libérales de Montréal et présidant la section québécoise de la Fédération nationale des femmes libérales du Canada. Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, Idola Saint-Jean, l'insoumise, Montréal, Boréal, 2017, p. 292.
↑Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 146.
↑Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 11.
↑Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 138; Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 215.
↑Ce n'est qu'en 1964 qu'une loi met fin à l'incapacité juridique de la femme mariée. Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 295-296.
↑Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 350.
↑Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 348-349.
↑Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 353.
↑Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L'histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, éditions du remue-ménage, 2019, p. 172-173. Voir aussi Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 446-450.
↑Jeanne Dansereau, « Thérèse Casgrain élue présidente de la section provinciale de l’ACC », La Presse, , p. 20
↑Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, Idola Saint-Jean, l'insoumise, Montréal, Boréal, 2017, p. 212.
↑Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, p. 427.
↑Guy Bouthillier, "La marche de Trudeau vers les mesures de guerre" dans Anthony Beauséjour (dir.), Démesures de guerres. Abus, impostures et victimes d'octobre 1970, IRAI, no. XII, Étude 7, Octobre 2020, p. 101. [1]
Thérèse Casgrain, Une femme chez les hommes, Montréal, Éditions du Jour, , 296 p.
(en) Thérèse Casgrain (trad. Joyee Marshall), A woman in a man's world, Toronto, McClelland and Stewart, , 192 p. (ISBN0-7710-1915-7)
Micheline Dumont et Louise Toupin, La pensée féministe au Québec. Anthologie [1900-1985], Montréal, Remue-Ménage, , 752 p. (ISBN978-2-89091-212-0, présentation en ligne)
Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, Idola Saint-Jean, l'insoumise, Montréal, Boréal, 2017.
Articles, chapitres de livres
Wayne Brown, « Thérèse Casgrain, suffragette, première femme à diriger un parti et sénatrice », Perspectives électorales, , p. 30-34 (ISSN1488-3538, lire en ligne)
Thérèse F. Casgrain, « The Canadian constitutional challenge : a search for direction and accommodation. » — Canadian Confederation Forum (1977-1978, Hamilton). — Proceedings of the fifth session of the Canadian Confederation Forum, Hamilton, McMaster University, à , p. 77 à 84.
Nicolle Forget, «Thérèse Casgrain et les pionnières du droit des femmes», fondationlionelgroulx.org, . (en ligne)
Véronique Lalande, « 6. Thérèse Casgrain, Québec (1896–1981) », dans Florence Piron, Citoyennes. Portraits de femmes engagées pour le bien commun, Québec, Éditions science et bien commun, (ISBN978-2-9814827-3-0, lire en ligne).
(en) Susan Mann Trofimenkoff, « Thérèse Casgrain and the CCF in Québec », dans Beyond the Vote. Canadian Women and Politics, Toronto, University of Toronto Press, 1989.
Samantha Nutt, Thérèse Casgrain, dans André Pratte, Jonathan Kay, dir., Bâtisseurs d'Amérique: Des Canadiens français qui ont fait l'histoire, La Presse, Montréal, 2016.
(en) Legacy. How french Canadians shaped North America, Toronto, McClelland & Stewart, 2016; réimpr. 2019 (ISBN0771072392).
Mémoires et thèses
Maryse Darsigny, Du Comité provincial du suffrage féminin à la Ligue des droits de la femme (1922-1940) : Le second souffle du mouvement féministe au Québec de la première moitié du XXe siècle, M.A. (histoire), UQAM, 1994.
Luigi Trifiro, La crise de 1922 dans la lutte pour le suffrage féminin au Québec, M.A. (Histoire), Université de Sherbrooke, 1976, 113 p.
Autres
Nicolle Forget (invitée) et Éric Bédard (animateur), «Thérèse Casgrain et les pionnières des droits des femmes», 9e rencontre de la série Figures marquantes de notre histoire, MAtv, . (en ligne)
Nicolle Forget (invitée) et Jacques Beauchamp (animateur), «Thérèse Casgrain, une militante parfois sous-estimée», à l'émission de radio Aujourd'hui l'histoire, Radio-Canada, , 20 min. (en ligne)
Nicolle Forget (invitée) et Catherine Perrin (animatrice), «La biographie de Thérèse Casgrain : longue vie d'une militante», à l'émission de radio Médium large, Radio-Canada, , 16 min 34 s. (en ligne)
«Thérèse Casgrain, la battante», Ici Première, Radio-Canada, 26 min. (en ligne)
«Thérèse Casgrain, humaniste», Femme d'aujourd'hui, Radio-Canada, , 55 min 22 s. (extrait en ligne via les Archives de Radio-Canada.)