Speak White
Speak White, en français : « Parlez blanc » est un poème écrit en 1968 par Michèle Lalonde, récité lors du spectacle Chansons et poèmes de la Résistance pour soutenir les prisonniers felquistes[1]. Ce poème, devenu célèbre au Québec, a souvent été lu comme un manifeste[2]. Usage de l'expression Speak WhiteLe , au cours des débats à la Chambre des communes du Canada, le député du Parti libéral du Canada Henri Bourassa se fait huer par des députés anglophones. Quand il tente de s’expliquer en français, il se fait crier « Speak White ! » par des Canadiens anglais[3]. Le dictionnaire québécois-français a une entrée tirée d’un numéro de Maclean's datant de 1963 : « Sur vingt Canadiens français que vous rencontrez chez moi ou chez vous, quinze peuvent dire avoir été intimés de ce méprisant “speak white”. »[note 1] Écriture et lecture du poèmeL’expression a inspiré la poétesse québécoise Michèle Lalonde à écrire le poème engagé Speak White en . Le poème était censé être lu sur la scène de la Comédie canadienne par la comédienne Michelle Rossignol lors d’un spectacle intitulé Chansons et poèmes de la Résistance, mais ce fut Michèle Lalonde qui fit la lecture du poème. Le spectacle, qui réunissait plusieurs artistes dont Robert Charlebois, Yvon Deschamps et Gaston Miron, était organisé pour soutenir la cause de Pierre Vallières et de Charles Gagnon, qui venaient d’être emprisonnés pour leurs activités au sein du Front de libération du Québec (FLQ). À l'instar de Nègres blancs d'Amérique, Speak White met sur un pied d’égalité le racisme que subissent les personnes noires américaines et la colonisation à laquelle sont assujettis les peuples colonisés des empires coloniaux, à la discrimination linguistique dont sont victimes les Québécois francophones[4],[5]. Ces deux textes faisaient partie de la tendance des intellectuels nationalistes de s’approprier la négritude et son vocable[6]. Mais comme l’expression speak white est utilisée par des anglophones à l’encontre des francophones depuis la fin du XIXe siècle, l’affirmation voulant que les nationalistes québécois s’approprient la négritude et son vocable durant les années 1960–1970 doit être largement tempérée, voire écartée, puisque ce vocable leur a historiquement été imposé. Il n’y a pas ici d’appropriation à proprement parler. L’expression speak white n’ayant pas été forgée par les intellectuels nationalistes, le parallèle entre la condition des francophones du Canada et celle des Afro-Américains aux États-Unis découle donc avant tout de l’utilisation de cette expression par des anglophones. Loin de ne s’associer qu’au mouvement de libération afro-américain, le discours nationaliste québécois des années 70 s’inscrit dans un vocable anticolonialiste beaucoup plus large que la seule question de la négritude américaine, en se reconnaissant, par exemple, une parenté avec les luttes menées en Algérie et au Vietnam, tel que mentionné dans le poème de Michèle Lalonde. La proximité du Front de libération du Québec avec les mouvements révolutionnaires ou anticoloniaux de Cuba, d’Amérique du Sud, de Palestine, d’Algérie, mais également avec les Black Panthers aux États-Unis, illustre combien le nationalisme québécois des années 1960-1970 se réclame d’un anti-impérialisme global, dont la négritude n'est qu’un des multiples visages[7] et dénonce universellement l’oppression de tout peuple par un autre par le biais de sa langue et de sa culture[8]. Critiques et réceptionRéceptionLe poème devint rapidement un phare pour la cause du mouvement souverainiste du Québec et fut publié dans le magazine Socialisme[9]. Quelques années plus tard, le texte donne son nom à un recueil de poèmes publié aux éditions L’Hexagone[10]. CritiquePlus de cinquante ans après l’écriture du poème, Emilie Nicolas écrit dans la revue Liberté que selon elle, Speak White a comme effet, non de créer des solidarités, mais plutôt d’amoindrir les souffrances. Elle affirme que comparer la situation des francophones québécois à celle des esclaves noirs de Saint-Domingue, des indigènes du Viêt Nam, du Congo et de l’Algérie, des victimes de la ségrégation raciale aux États-Unis ou dans l’Allemagne nazie, et d’en faire, en plus de cela, un cri de ralliement politique ne font que dévoiler une ignorance totale et une incompréhension de la brutalité de ces régimes. Selon elle, il faut voir ces victimes pour ce qu’elles sont vraiment et non comme une métaphore dont on peut profiter[11]. Pierre Dubuc trouve « stupéfiante » cette critique : « l’approche d’Émilie Nicolas est totalement ahistorique. Au début des années 1960, les conditions des ouvriers québécois s’apparentaient à celles des Noirs américains. Onze années d’école pour les hommes noirs contre dix pour les Canadiens français, le salaire moyen des premiers représentant 54 % de celui des Blancs et celui des seconds à peine 52 % de celui des hommes anglophones … »[12]. HommagesFilms dédiésLe , pour les besoins du film de l’Office national du film du Canada (ONF), Jean-Claude Labrecque tourne des images lors de la Nuit de la poésie, puisqu’il était interdit de filmer lors du spectacle politique de 1968[13]. Pour l’occasion, on a demandé à Michèle Lalonde de lire son poème afin qu’il puisse être archivé à l’ONF[14]. En 1980, les réalisateurs québécois Pierre Falardeau et Julien Poulin ont réalisé, pour l’ONF, un court métrage d’une durée de six minutes. Le poème est lu par Marie Eykel, sur une musique de Julien Poulin et se déroule sur un montage de photos-choc[15],[16]. Un autre court métrage, de Labrecque, d’une durée de cinq minutes et tourné à la nuit de la poésie le , est joint à ce court métrage. Michèle Lalonde fait la lecture de son poème. Les deux films seront combinés en 1984 pour une durée totale de 11 minutes[17],[18]. Réinterprétations
Speak WhatEn réponse à l’adoption de la loi 178, le dramaturge québécois d’ascendance italienne, Marco Micone publie, en 1989, le poème politique Speak What, en français : « Parlez de quoi » dans la revue théâtrale Jeu[24]. En 1990, il sera publié par la revue Québec Français[25] et sera lu lors de l’émission radiophonique Littératures actuelles de Radio-Canada l’année suivante. Il finira aussi par être publié par le ministère de l’Éducation. Cette réécriture se veut un moyen d’entamer une réflexion politique sur le rôle des immigrants et suggérer un point de vue critique de la société québécoise affectée par l’immigration[26],[27]. Critiques et réceptionCe texte de Marco Micone fut critiqué avec virulence par Gaëtan Dostie, ancien directeur des éditions Parti pris, qui l’accuse de plagiat et de censure[28], [note 2]. Ainsi, en signe de protestation, Michèle Lalonde rompt avec son éditeur lorsqu’il devient celui de Marco Micone[29](p. 184). Notes et référencesNotes
Références
Liens externes
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