Proposition d'annexion de la Transnistrie par la Russie

Territoires occupés par la Russie depuis la chute de l'Union soviétique
Carte montrant la fédération de Russie en rouge foncé avec les territoires occupés par la Russie en Europe en rouge clair, comme suit :
1. Transnistrie (depuis 1992)
2. Abkhazie (depuis 1992)
3. Ossétie du Sud (depuis 2008)
4. Crimée (depuis 2014)
5. Oblast de Louhansk (partiellement occupé par la république populaire de Louhansk depuis 2014)
6. Oblast de Donetsk (partiellement occupé par la république populaire de Donetsk (depuis 2014)
7. Oblast de Zaporijjia (partiellement occupé depuis 2022)
8. Oblast de Kherson (partiellement occupé depuis 2022)
(Cette carte n'inclut pas les îles Kouriles, disputées avec le Japon.)
La Nouvelle-Russie (incluant la Transnistrie et la Gagaouzie) revendiquée en 2016 par le parti Nouvelle Russie ; en vert foncé, les oblasts de Donetsk et Lougansk détachées de l'Ukraine dès 2014. L'annexion russe du Sud et de l'Est de l'Ukraine en 2022 correspond à environ la moitié de cette revendication, soit quatre oblasts ukrainiennes et la Crimée, et ne s'étend pas à la Moldavie.

La Transnistrie (officiellement Приднестровская Молдавская Республика soit « République moldave du Dniestr ») est un État séparatiste non reconnu internationalement mais considéré en droit international comme faisant partie de la Moldavie en tant que région autonome de ce pays. Le gouvernement transnistrien a demandé à plusieurs reprises l'annexion de la Transnistrie par la Russie afin de former une oblast russe exclavée à l'exemple de l'oblast de Kaliningrad. La Transnistrie s'est séparée de la Moldavie en 1991 par crainte d'une éventuelle unification entre la Moldavie et la Roumanie, pays décrit par les médias russes comme « fasciste et impérialiste ». Cela a déclenché la guerre de Transnistrie de 1992, l'un des premiers conflits post-soviétiques, au cours de laquelle la Transnistrie, militairement soutenue par la Russie, a réussi à rester séparée de la Moldavie. La Russie n'a pas pour autant reconnu l'indépendance de la Transnistrie qui reste aujourd'hui légalement et internationalement considérée, même par la Russie, comme faisant partie de la Moldavie.

Après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les espoirs en Transnistrie que la Russie annexerait également son territoire ont grandi. La Transnistrie compte une importante population ethnique russe et la totalité de ses habitants comprennent le russe. Le territoire est soutenu financièrement par la Russie, et l'éducation et les lois transnistriennes sont également liées à la Russie. En 2006, un référendum en Transnistrie (en) a été organisé par le premier président de Transnistrie Igor Smirnov pour voter une éventuelle réintégration en Moldavie ou l'indépendance et une future adhésion à la fédération de Russie. La première proposition a été rejetée et la seconde a été approuvée, bien que la sincérité du scrutin ait été mise en doute. Pourtant, des études postérieures ont prouvé la popularité de l'idée sur au moins une partie de la population de Transnistrie.

En raison de tout cela, exactement le même jour où la Russie annexa la Crimée, le chef du parlement transnistrien Mikhail Burla (en) a envoyé une lettre à la Russie demandant la facilitation d'une annexion russe de la Transnistrie dans les lois du pays, qui a eu une réponse négative. Le sujet a été mentionné à de nombreuses autres reprises par différents politiciens transnistriens tels que l'ancienne ministre des Affaires étrangères de Transnistrie Nina Chtanski, l'ancien président transnistrien Evgueni Chevtchouk (qui a publié un décret infructueux en 2016 pour éventuellement faire rejoindre la Transnistrie à la Russie) et l'actuel, Vadim Krasnosselski. Certaines personnalités russes telles que Zakhar Prilepine, Vladimir Jirinovski, Maxime Fomine et le parti Pour la vérité ont évoqué favorablement une telle possibilité.

Mars 2009 : rencontre trilatérale Vladimir Voronine (pro-russe de Moldavie, à gauche), Dmitri Medvedev (Russie, au centre) et Igor Smirnov (Transnistrie, à droite).

Le la Russie a abrogé un décret de 2012 exprimant la volonté du Kremlin de « trouver une solution légale pour la Transnistrie en respectant l'intégrité territoriale de la Moldavie », abrogation pouvant permettre à la Russie de reconnaître officiellement la sécession transnistrienne[1], comme elle l'a déjà fait avec L'Abkhazie ou l'Ossétie du Sud en Géorgie[2]. Plusieurs analystes estiment toutefois que la Russie ne tentera pas d'annexer la Transnistrie car la légalité russe devrait alors s'y exercer, ce qui rendrait plus difficiles un certain nombre d'échanges internationaux rendus possibles par la non-reconnaissance du pays, et dont la Russie aurait alors à répondre[3]. Une annexion de la Transnistrie par la Russie serait contre-productive pour cet objectif, et pourrait même accélérer une unification non souhaitée entre la Moldavie et la Roumanie. De plus, la Transnistrie est éloignée de la Russie, enclavée, et les russes ethniques n'y forment qu'un tiers de la population, les deux autres tiers étant ukrainiens et moldaves, qui, même s'ils ne peuvent pas s'exprimer librement, pourraient se soulever contre un tel projet.

Contexte

Carte ethnique de la Transnistrie basée sur le recensement de Transnistrie de 2004 (en).

Après la Dislocation de l'URSS, la république socialiste soviétique de Moldavie (RSS de Moldavie) a déclaré son indépendance (ro) et est devenue la Moldavie moderne. La peur a surgi dans la région la plus à l'est que la Moldavie ne s'unisse à la Roumanie que les médias russes décrivaient comme un pays « fasciste et impérialiste ». Cela a conduit à la guerre du Dniestr de 1992, l'un des premiers conflits post-soviétiques[4], au cours de laquelle la Transnistrie a reçu l'aide de la Russie, qui a envoyé sa 14e armée de la Garde commandée alors par le général Alexandre Lebed. Victorieuse[5], la Transnistrie est restée séparée de la Moldavie, mais a continué à être reconnue comme territoire moldave par la communauté internationale[4].

Après la fin de la guerre, il y a eu des tentatives de résolution du conflit de Transnistrie, notamment le mémorandum Kozak, mais aucune n'a abouti[4],[5]. Le 17 septembre 2006, un référendum en Transnistrie (en) a été organisé par les autorités de l'État. Il a demandé à la population si la Transnistrie devait être réintégrée à la Moldavie ou non et si elle devait rechercher l'indépendance et une éventuelle intégration future à la Russie ou non. 96,61 % ont rejeté la première question et 98,07 % ont approuvé la seconde, le taux de participation étant de 78,55 %. Cependant, la branche moldave du Comité Helsinki pour les droits de l'homme a affirmé avoir détecté des irrégularités et des infractions lors du référendum et a suggéré que les résultats auraient pu être préparés à l'avance. Le président à cette époque était le premier de la Transnistrie, Igor Smirnov. Smirnov a suggéré et fait référence à une éventuelle adhésion de la Transnistrie à la Russie à plusieurs reprises au cours de ses 20 ans de règne.

Selon le recensement de Transnistrie de 2015 (en), la Transnistrie est un territoire à majorité russe, avec 34 % de la population s'identifiant comme Russes, 33 % Moldaves/Roumains et 26,7 % Ukrainiens. Le reste de la population qui a déclaré son appartenance ethnique appartient à de plus petites minorités. Les Bulgares représentaient 2,8 %, les Gagaouzes 1,2 %, les Biélorusses 0,6 %, les Allemands 0,3 % et les Polonais 0,2 %, entre autres. On prétend cependant que les Moldaves/Roumains représentent en fait 40 % de la population.

Propositions

Historique

Igor Smirnov
Yevgeny Shevchuk
Vadim Krasnoselsky
Igor Smirnov (haut), Yevgeny Shevchuk (centre) et Vadim Krasnoselsky (bas), les présidents successifs de la Transnistrie. Tous ont tenté d'intégrer formellement la Transnistrie à la Russie à un moment donné.

À la suite de l'annexion officielle de la Crimée par la Russie le 18 mars 2014, des spéculations ont surgi quant à savoir si la Transnistrie serait la prochaine étape. Le jour même de l'annexion de la Crimée, Mikhaïl Bourla (en), président du Conseil suprême de Transnistrie (c'est-à-dire le président du parlement transnistrien), a envoyé une lettre au nom du Conseil suprême de Transnistrie à l'ancien Président de la Douma d'État (l'une des deux chambres du Parlement russe) Sergueï Narychkine appelant à des modifications des lois russes pour faciliter une future annexion de la Transnistrie par la Russie. De plus, selon les rapports de mars 2014 du journaliste indépendant Mitra Nazar, les habitants de Transnistrie espéraient alors être annexés par la Russie et voyaient dans l'annexion de la Crimée un « signe d'espoir ». Une retraitée qu'elle a interrogée a déclaré qu'elle espérait que l'annexion par la Russie apporterait des pensions plus élevées et un avenir meilleur aux jeunes générations.

Le président moldave de l'époque, Nicolae Timofti, a répondu à la lettre de Mikhail Burla, affirmant que ce serait « une erreur » de la part de la Russie d'annexer la Transnistreie et que cela finirait par « nuire davantage à son statut international ». Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre luxembourgeois et alors futur président de la Commission européenne, a incité l'Union européenne (UE) à prendre des mesures pour éviter que la Moldavie ne soit « la prochaine victime de l'agression russe ». Le président roumain Traian Băsescu a appelé à accélérer le processus d'adhésion de la Moldavie à l'UE, la sécurité du pays en dépendant selon lui.

Quelques jours plus tard, Nina Shtanski, alors ministre des Affaires étrangères de Transnistrie, approuvait l'annexion de la Crimée, déclarait que « nous nous considérons comme faisant partie du monde russe » et que « nous ne sommes pas différents des Russes et de la civilisation russe » et demandait au président russe Vladimir Poutine d'annexer la Transnistrie. Par la suite, en avril 2014, les parlementaires transnistriens ont appelé la Russie à reconnaître l'indépendance transnistrienne.

Le 7 septembre 2016, le président de Transnistrie de l'époque, Evgueni Chevtchouk, a publié le décret n° 348 "Sur la mise en œuvre des résultats du référendum républicain tenu le 17 septembre 2006" pour rapprocher le système juridique transnistrien du système russe et se rapprocher à une future annexion de la Transnistrie par la Russie. Cela a été fait pour commémorer le 10e anniversaire du référendum transnistrien de 2006. Cependant, le décret a été jugé invalide car le référendum a eu lieu dix ans plus tôt et les actions de Shevchuk ont été critiquées. Les autorités de Transnistrie ont également exprimé à plusieurs reprises leur intention d'adhérer à des organisations internationales parrainées par la Russie telles que l'ancienne Communauté économique eurasiatique, qui a succédé à cette dernière, l'Union économique eurasiatique ou l'Union douanière eurasiatique. Le 12 avril 2017, le Conseil suprême de Transnistrie a adopté un nouveau drapeau co-officiel pour la république basé sur le drapeau tricolore russe afin de renforcer davantage l'indépendance de la Transnistrie ainsi que l'intégration avec la Russie, comme le Conseil suprême lui-même l'a expliqué dans une note.

Le successeur de Evgueni Chevtchouk à la présidence de la Transnistrie, Vadim Krasnoselsky, a exprimé en 2018 son engagement à faire en sorte que la Transnistrie rejoigne la Russie à l'avenir. Il a également déclaré en 2019 que la Russie « est notre destin » et qu'un éventuel nouveau référendum sur une éventuelle unification avec la Russie pourrait être organisé si nécessaire, mais à condition que la Russie en reconnaisse les résultats.

Analyse

Un drapeau à rayures horizontales blanches, bleues et rouges (de haut en bas).
Drapeau co-officiel de la Transnistrie adopté en 2017 en parité avec le drapeau transnistrien : c'est celui de la Russie.
Drapeau de la Transnistrie : c'est celui de la République socialiste soviétique de Moldavie.

L'influence russe sur la Transnistrie est grande, avec environ 200 000 Transnistriens ayant un passeport russe en 2014. La Transnistrie est économiquement financée par la Russie grâce au paiement des pensions et des dettes de gaz naturel, certains politiciens russes investissant également dans l'industrie de la Transnistrie et de nombreuses entreprises transnistriennes appartenant à des entreprises russes. De plus, les écoles transnistriennes utilisent des manuels russes pour enseigner l'histoire russe et de nombreux étudiants transnistriens se rendent dans des villes russes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg pour étudier. Depuis 2013, des efforts ont été déployés pour lier les lois russes au code de droit de la Transnistrie, et le russe est la langue commune (mais pas maternelle) de plus de 90 % des Transnistriens, utilisée pour les affaires et comme langue interethnique du pays séparatiste. Dans une étude réalisée entre octobre 2018 et février 2019, lorsqu'on leur a demandé quelle option conduirait à un développement plus rapide de la Transnistrie, 37,1 % des Transnistriens interrogés ont répondu pour faire partie de la Russie. En revanche, 22,6 % ont déclaré qu'un État transnistrien indépendant et internationalement reconnu le ferait, tandis que seulement 5,2 % l'ont fait avec la réintégration en Moldavie, entre autres options.

La proposition a reçu un soutien en Russie. Par exemple, l'homme politique russe Vladimir Jirinovski, chef du Parti libéral démocrate de Russie et ancien vice-président de la Douma d'État, a déclaré que la Russie devrait reconnaître et défendre la Transnistrie. Il a également déclaré que la Transnistrie « est un territoire russe ». L'ancien parti russe Pour la vérité a également soutenu la reconnaissance et l'annexion de la Transnistrie par la Russie. L'écrivain russe Zakhar Prilepine est une autre figure qui a lutté pour l'annexion russe de la Transnistrie, ainsi que de l'Abkhazie, de la république d'Artsakh, de l'Ossétie du Sud et de Donetsk et Lougansk.

Cependant, certains analystes et universitaires ont affirmé qu'une annexion russe de la Transnistrie est peu probable. La Russie ne reconnaît pas la Transnistrie comme un pays indépendant contrairement à d'autres États séparatistes tels que l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, reconnus par elle en 2008, et n'a montré aucun intérêt à le faire. Il est possible que si la Russie faisait cela, elle perdrait toute son influence sur la politique moldave et rendrait la Moldavie fortement pro-occidentale. Au lieu de cela, certains analystes ont déclaré que la Russie souhaitait que la Transnistrie ait un « statut spécial » au sein de la Moldavie pour conserver son influence sur l'ensemble de cette dernière. La reconnaissance de la Transnistrie par la Russie pourrait faciliter une unification de la Roumanie et de la Moldavie, à laquelle la Russie est opposée. De plus, la Transnistrie est considérablement plus éloignée de la Russie que la Crimée, et elle est enclavée, de sorte que la Russie ne pourrait être reliée au territoire que par des États qui seraient hostiles à une hypothétique annexion. Créer un mouvement nationaliste suffisamment fort pour réaliser l'annexion de la Transnistrie à la Russie pourrait également être plus difficile qu'avec la Crimée, qui était présentée comme une terre « perdue » et « volée » dans le pays.

Notes et références

  1. Laurent Lagneau, « Guerre en Ukraine : La Russie accentue sa pression sur la Moldavie », dans Zone militaire du 23 février 2023 - [1].
  2. « La Russie reconnaît l'indépendance sud-ossète et abkhaze », Le Point, 26 août 2008.
  3. Xavier Deleu, Transnistrie - La poudrière de l'Europe, Hogodoc 2005, (ISBN 2-7556-0055-1)
  4. a b et c (en) Natalia Cojocaru, « Nationalism and identity in Transnistria », Innovation: The European Journal of Social Science Research, vol. 19, nos 3-4,‎ , p. 261–272 (DOI 10.1080/13511610601029813, S2CID 53474094, lire en ligne, consulté le ).
  5. a et b (en) Steven D. Roper, « Regionalism in Moldova: the case of Transnistria and Gagauzia », Regional & Federal Studies, vol. 11, no 3,‎ , p. 101–122 (DOI 10.1080/714004699, S2CID 154516934, lire en ligne, consulté le ).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Florent Parmentier, « La Transnistrie Politique de légitimité d'un Etat de facto », Le Courrier des Pays de l'Est, vol. 2007/3, no 1061,‎ , p. 69-75 (lire en ligne, consulté le ).