« Ces hommes étaient rayés du livre de la République, on m'avait dit de les faire mourir sans bruit… »
— Capitaine Laly, du ponton les Deux Associés.
Le clergé réfractaire refusant de signer la Constitution civile du clergé et de prêter le serment est si nombreux qu'on ne peut le condamner à la guillotine dans son ensemble : en 1792, il est donc décidé par l'Assemblée constituante de les déporter en Guyane ou à Madagascar via les ports de Nantes, Bordeaux et Rochefort. De longs convois s'acheminent vers l'océan. À Rochefort, où le stationnement est long, le transfert des prisonniers s'effectue sur des navires négriers (réduits à l'état de pontons) qui ne partiront jamais en Guyane : les Deux-Associés (capitaine Laly), le Washington (capitaine Gibert) ainsi que sur un navire ancien, le Bonhomme Richard[n 1],[3].
La plupart des prêtres déportés décéderont du typhus dû à l'insalubrité extrême, à l'absence totale d'hygiène, à la nourriture rare et très malsaine et aux mauvais traitements. Les malades du typhus sont transférés sur deux chaloupes-hôpital, puis sous des tentes ; ils y meurent et sont enterrés sur l'île Madame[n 2],[4] (alors île Citoyenne), et sur l'île d'Aix (dans l'ossuaire des prêtres déportés)[n 3],[5].
Le , on transfère les prêtres sur l'Indien[n 4],[6] à la suite d'une visite du Comité de salubrité et, à partir de 1794, un semblant de liberté leur est rendu avec possibilité de lire le courrier et le bréviaire. Les survivants sont libérés le . Beaucoup raconteront leurs aventures dans des mémoires publiées ultérieurement, et dont les récits concordent. En 1795 a lieu une seconde déportation.
La déportation sur les pontons de Rochefort aurait au moins concerné 829 prêtres, dont 547 ont péri d'avril 1794 aux premières semaines de 1795 (en tout entre mille et deux mille prêtres déportés). Puis sous le Directoire, à partir de , 143 prisonniers, vieillards, infirmes ou convalescents, hors d'état de supporter le voyage vers l'outre-mer, furent déportés à l'île de Ré et à l'île d'Oléron (ils furent enfermés dans les forts)[7]. Un des prêtres survivants des pontons évangélisera le Bénin, comme a eu à le rappeler le cardinal Bernardin Gantin lors de la messe du pèlerinage à l'île Madame à l'occasion du bicentenaire de la déportation en 1989.
En 1880, des ossements de prêtres réfractaires des pontons de Rochefort sont trouvés lors de travaux sur les batteries de Jamblet et de Tridoux sur l'île d'Aix. Ils sont transférés dans la crypte de l'église Saint-Martin, puis dans le maître-autel. Une croix commémorative a été élevée en leur mémoire sur l'île d'Aix.
À l'entrée de l'île Madame, la croix de galets marque l'emplacement où le chanoine Pierre Lemonnier découvre quatre corps disposés en croix, les bras croisés sur la poitrine, le 12 décembre 1913.
Un sanctuaire des prêtres déportés a été construit en leur hommage à Port-des-Barques, qui est, avec la croix de galets, le lieu du pèlerinage diocésain annuel, depuis le premier pèlerinage diocésain officiel qui s'est déroulé le 18 août 1910. MgrJean-Auguste Eyssautier, évêque de La Rochelle et Saintes, bénit le calvaire à cette occasion. Une chapelle expiatoire est également érigée dans le fortin en 1912.
À Fouras, un calvaire est élevé à la mémoire des prêtres morts sur les pontons et dont 25 reposent sur les rivages de la commune.
Une plaque commémorative est visible au fort Lupin.
À Brouage, une grotte creusée dans l'épaisseur des remparts et dont le fond est tapissé de coquillages disposés en forme de coquille Saint-Jacques faisait partie de l'ancien palais des gouverneurs et avait reçu le nom de « cabinet de rocaille ». Les prêtres déportés en firent une chapelle.
Claude-Joseph Jouffret de Bonnefont, sulpicien, supérieur du petit séminaire d'Autun. Déporté sur les Deux-Associés ; mort le .
Claude Laplace, prêtre à Moulins. Déporté sur les Deux-Associés ; mort le .
Noël-Hilaire Le Conte, ancien musicien de la cathédrale de Bourges où il portait le titre de "vicaire de résidence". Déporté sur les Deux-Associés ; mort le .
Charles-Adrien de Cholet, chanoine de la cathédrale de Toul et de la collégiale de Ligny-en-Barrois, mort le 10 octobre 1794 sur le Washington
Pierre-Grégoire de Labiche de Reignefort, chanoine de Limoges, mort en 1831
Jean Michel, curé de la cathédrale de Nancy
Pierre-Joseph Rousseau, mort en 1800
Michel-François Soudais, mort curé de Beugnon en 1843
Claude Rollet, mort archiprêtre de Bar-le-Duc en 1836
Antoine-Jean Besson, chanoine de Saint-Brieuc, mort en 1813
Claude Masson, prêtre du diocèse de Nancy, mort en 1837
Philippe Bottin, prêtre du diocèse de Paris
Nicolas-Isaïe d'Aligre, chanoine titulaire de Paris, grand-vicaire du diocèse de Bourges, interné dans le ponton "Washington", mort à Paris en 1839
François-Gervais d'Aligre, chanoine de Saint-Sauveur, frère du précédent, interné dans le ponton "Washington", y décédé, enterré sur l'Ile Madame en 1794
René Santigny, mort curé d'Avallon en 1838
Jacques Maugras, mort curé de Saulxures en 1840
Simon Guilloreau, curé de Saint-Rémy-du Plain
Claude Dumonet, mort en déportation
Antoine Lequin, curé de Loriges
Jean-Antoine Pone, mort en 1840
Nicolas Parisot, mort le 14 octobre 1794 à l'île Madame
André Perret
Jean-Baptiste Chamblet de La Couture, mort curé du Dorat en 1832
Nicolas Dugrézeau
Nicolas Thibiat, supérieur du séminaire de Metz, mort en 1832
Jean Baptiste Laborie, gardien des Cordeliers de Périgueux, libéré à Saintes, membre de la loge maçonnique L'Anglaise de l'Amitié de Périgueux (1774)
Notes et références
Notes
↑Deux bâtiments de commerce aménagés pour le trafic d'esclaves, le Washington et les Deux-Associés, sont finalement armés pour le transport des déportés. Les premiers prisonniers montent à bord le 11 avril. L'accueil qu'ils y reçoivent ne leur laisse aucune illusion : on les interroge, on les fouille, on les dépouille de leurs vêtements, on leur confisque tout ce qu'ils possèdent ne leur laissant qu'une culotte, trois chemises, un bonnet, quelques bas et mouchoirs. Le jour, les déportés étaient parqués sur la moitié avant du pont. La nourriture servie était volontairement infecte, souvent avariée et en quantité insuffisante. La nuit était encore plus terrible à cause de l'entassement dans l'entrepont.
↑Ils ont été enterrés à l’Île Madame, près de Rochefort, dans une fosse où reposent 254 des 547 prêtres morts sur les pontons en 1794.
↑Théâtre de sombres exactions entre 1794 et 1795, dans un contexte post révolutionnaire de persécution et de déportation, 827 prêtres considérés comme réfractaires furent retenus sur deux navires… 220 furent enterrés sur l'île d'Aix où leurs ossements furent recueillis et déposés dans un ossuaire situé sous une dalle devant l'autel de l'église.
↑Les décès dus aux conditions de détention s'accélèrent, le scorbut, le typhus font des ravages. L'épidémie est telle qu'enfin les prisonniers valides sont transférés sur un troisième navire, l'Indien, tandis que les plus malades sont débarqués sur l'île citoyenne (l'île Madame) où beaucoup périront.
↑Jean-Baptiste Souzy est un chanoine, membre du comité des subsistances, délégué par l'évêque en exil comme vicaire-général auprès des prêtres déportés sur les pontons de l'île d'Aix où il mourut. Un pèlerinage sur l'île Madame est organisé chaque année. « Les archives du port de Rochefort constituent elles-mêmes une source particulièrement riche : les listes des objets confisqués aux détenus, les comptes-rendus des visites des officiers de santé à bord des vaisseaux, les listes des décès ainsi que les états d'embarquement sont autant de pièces administratives corroborant les divers témoignages des prisonniers ».
↑ a et b« Bienheureux Jean-Baptiste Duverneuil et Pierre-Yrieix Labrouhe », Parole et Prière, no 85, , p. 32.
↑« Le martyrologe romain fait mémoire du bienheureux Scipion-Jérôme Brigeat », Magnificat, no 238, , p. 72.
Voir aussi
Bibliographie
Pierre-Grégoire Labiche de Reignefort, Relation très-détaillée de ce qu'ont souffert, pour la Religion, les prêtres et autres ecclésiastiques français... détenus en 1794 et 1795, pour refus de serment, à bord des vaisseaux "Les Deux-Associés" & "Le Washington" dans la rade de l'île d'Aix. Seconde édition, revue et corrigée et augmentée de près de moitié : en particulier de notices sur plus de quatre-vingts des prêtres morts dans cette déportation, Le Clere, 1801.
Abbé Isidore-Bernabé Manseau (curé de Saint-Martin-de-Ré), Les prêtres et religieux déportés sur les côtes et dans les îles de la Charente-Inférieure, publiée en deux tomes chez Desclée de Brouwer, Bruges.
Jacques Hérissay, Les Pontons de Rochefort 1792 - 1795, éditions Perrin, 1937.
Courson, Les prêtres prisonniers sur les pontons de Rochefort pendant la Révolution.
Abbé Yves Blomme, Les Prêtres Déportés sur les Pontons de Rochefort, Éditions Bordessoules, 1995.
Marcel Fristot, Les Pontons de Rochefort : Jacques-Pierre Poitevin, 1744-1794, confesseur de la foi, 1998.
Louis Garneray, Mes Pontons - Neuf Années De Captivité, Éditions La Découvrance, 2007.
Philippe de Ladebat, Seuls les morts ne reviennent jamais : les pionniers de la guillotine sèche, sur Google Books.
Marcel Meyssignac, Des pontons de Rochefort aux camps de la mort en Guyane - un témoignage constant, M. Chastrusse, Brive, 1998.
A. Gaillemin & J. Bours, « Vie et mort des prêtres meusiens déportés sur les pontons de Rochefort en 1794-1795 », in Bulletin des Sociétés d'histoire et d'archéologie de la Meuse, 1996, no 32, pp. 25-102, Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, Bar-le-Duc.
Philippe Regibier, « De l'adhésion aux Lumières aux pontons de Rochefort, l'étrange destinée du chanoine Nicolas-Antoine de la Morre (1736-1794) », in Bulletin des Sociétés d'histoire et d'archéologie de la Meuse 1998-2003, no 34-35, pp. 161-187, Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, Bar-le-Duc, 1964.
Abbé Pierre Langlois, Essai historique sur le chapitre de Rouen pendant la Révolution : 1789-1802, Rouen, Fleury, , 132 p. (lire en ligne), p. 70- (chapitre 3 : 90 prêtres déportés vers Rochefort).