Onze bagatelles
Les Onze bagatelles, opus 119 sont un ensemble de pièces pour piano composées par Ludwig van Beethoven à plusieurs époques. CompositionTout au long de sa vie, Ludwig van Beethoven a composé des petites pièces qu'il appelait des Kleinigkeiten (« petits riens »), qu'il gardait de côté dans une chemise, en attendant de pouvoir les publier[1]. L'histoire de la composition des Onze bagatelles est complexe et les imprécisions dans la correspondance de Beethoven (près de 16 lettres) rendent difficile son établissement. On peut néanmoins établir le schéma suivant :
Bagatelles nos 7 à 11En 1820, Friedrich Starke[N 1] distrait Beethoven de la composition de sa Missa solemnis. Vers le , Carl Joseph Bernard[N 2] écrit dans un cahier de conversation que Starke veut une petite pièce de Beethoven et quelques brefs détails biographiques pour une méthode de piano qu'il publie — la Wiener Piano-Forte-Schule — et à laquelle plusieurs autres compositeurs en vue contribuent. Cette requête insignifiante a des répercussions profondes qui affectent une sonate pour piano de Beethoven et deux séries de bagatelles. La petite pièce fut dûment écrite un mois ou deux après pour Franz Oliva[N 3] qui lui demande le : « Donnez-vous cela à Starke comme unique pièce ? » Cependant, Beethoven avait reçu la commande de nouvelles sonates pour piano de la part de l'éditeur berlinois Adolf Schlesinger. Avant qu'il ne puisse dire s'il acceptait cette commande, Oliva propose de donner un départ éclatant à la composition de ces sonates : « Utilisez peut-être la nouvelle petite pièce pour une sonate pour Schlesinger ». Il est clair qu'il reprend cette suggestion d'Oliva car son cahier d'esquisses révèle que le premier mouvement de la sonate opus 109 fut élaboré séparément en mars-, avant la commande de Schlesinger, et il doit s'agir de cette petite pièce à l'intention de Starke[2]. Après avoir préparé l'édition des 25 Mélodies écossaises, opus 108 et de la sonate opus 109 pour Schlesinger, Beethoven se souvient de sa promesse à Starke et compose cinq bagatelles (opus 119 nos 7 à 11) pour sa méthode de piano qui est publiée à Vienne en 1821 dans la Wiener Piano-Forte-Schule[3]. La date exacte de leur composition est confuse : la partition autographe est datée du , bien que les esquisses apparaissent immédiatement après les dernières esquisses de l'opus 109 fin 1820. L'explication tient sans doute au fait que, d'une part, le jour du Nouvel An est un jour traditionnel pour l'échange de cadeaux et que, d'autre part, Beethoven refusait obstinément toute rétribution de son ami Starke. Cependant, Starke refuse d'accepter quelque chose d'une telle valeur sans rétribution. Dès lors, la solution pour Beethoven est de présenter ces bagatelles à Starke en tant que cadeau de Nouvel An et Starke lui a sans doute rendu la pareille d'une façon ou d'une autre. Les bagatelles nos 7 à 11 ont donc certainement été composées durant la deuxième moitié de 1820 et sans doute avant la mi-octobre[2]. Bagatelles nos 1 à 6Au cours de l’été 1822, l’éditeur de Leipzig Carl Friedrich Peters écrit à Beethoven pour l’inviter à composer, entre autres choses, quelques petites œuvres pour piano. Beethoven, qui est en plein travail sur la Missa solemnis et la Neuvième symphonie ne répond qu'en [4] et lui envoie une demi-douzaine de bagatelles connues aujourd'hui comme l'opus 119 nos 1 à 6. Excepté la 6e, ces bagatelles sont des pièces anciennes datant d'environ 1794-1802, nouvellement révisées[2]. Romain Rolland estime que les pièces les plus anciennes sont les nos 2 et 4, « dont les esquisses voisinent avec celles pour l'Erlkönig. Les esquisses du no 3 (Allemande) sont des étincelles jaillies de la forge du dernier mouvement de l’Eroïca. Et celles du no 5 (cette sorte de danse des Furies, au rythme de violente Sicilienne) s'intercalent au milieu de la composition de la sonate pour piano et violon, op. 30 n° 2, à l'empereur Alexandre ». Pour Jean et Brigitte Massin [5], des esquisses de la 5e Bagatelle se retrouvent dans un cahier de 1802, et elle serait la transcription d'un Lied inédit composé avant 1800. Romain Rolland voit dans l'andante-introduction de la Bagatelle no 6 « une des interrogations solitaires que posent les derniers quatuors », suivi par l'« esprit débridé, telle une volée de lutins, qui s’empare des bribes de la question [qui] se transforme en un jeu espiègle. […] L’intérêt musical de cette Bagatelle est dans la mobilité perpétuelle des rythmes »[6]. Peters, lui, est très déçu et répond le :
— Carl Friedrich Peters, Leipzig, lettre du à Beethoven[1]. Schindler approuve le jugement de Peters :
Publication des 11 BagatellesBeethoven ne perd pas son temps et expédie les 6 Bagatelles à l'éditeur Antonio Pacini à Paris[8] puis à Carl Lissner à Saint-Pétersbourg[9] sans succès. Il s'adresse finalement à son ancien élève Ferdinand Ries qui vit à Londres : « Vous allez recevoir six bagatelles ou babioles, et cinq autres encore qui font partie du même lot, en deux séries. Tirez-en le meilleur parti que vous pourrez ». Ries vend les désormais 11 Bagatelles à l'éditeur et compositeur londonien Clementi & Co, qui ne se plaint pas qu'elles soient trop faciles ou peu caractéristiques de Beethoven, et les publie sous le titre Trifles for the Piano Forte, Consisting of Eleven pleasing Pieces Composed in Various Styles by L. Van Beethoven (« Petites choses pour le piano-forte, se composant de onze agréables morceaux composés dans divers styles par L. Van Beethoven »)[2]. Beethoven exprime à Ries sa satisfaction des « honoraires » qu'il en retire[10] mais cette édition est piratée[11] peu après par Moritz Schlesinger qui les publie à Paris avec de nombreuses erreurs (1823) et Sauer & Leidersdorf recopie cette dernière à Vienne (1824) en ajoutant encore des erreurs, de sorte que Beethoven n'en retire aucun droit sur le continent. Diabelli les publie finalement à Vienne en 1828. Contrairement à Peters, qui avait si sèchement rejeté les Bagatelles opus 119, certains contemporains de Beethoven ont su apprécier la valeur de ces miniatures, et la première édition allemande de la série a été accueillie par une critique enthousiaste dans l’Allgemeine musikalische Zeitung de Berlin : « Un rapide coup d’œil nous montre onze petits morceaux de musique ; mais quelle infinité d’attraits dans leur cercle magique ! Ils contiennent peu de mots musicaux, mais ils en disent beaucoup — comme le croira volontiers toute personne initiée ; car Beethoven n'est-il pas tout compte fait un Eschyle de la musique dans sa concision débordante d'énergie ? Pour nous, ces onze bagatelles semblent être de véritables petits tableaux de vie[1]. »
— Romain Rolland[6]. StructureDurée moyenne d'interprétation : 14 minutes.
AnalyseComparées aux Bagatelles op. 33, ces Bagatelles sont plus aventureuses et variées en terme d'harmonie, de forme, de mètre, de technique et de longueur[12]. On retrouve des techniques utilisées dans les dernières œuvres de Beethoven (les Variations Diabelli, les trois dernières sonates) : ambiguïté du rythme, de la forme, de l'harmonie, changements soudains de mesure, trilles dans différents registres soutenant d'autres voix[12]. Les numéros 7 à 11, à l'origine écrits pour un recueil pédagogique, présentent une moindre difficulté technique et une plus grande concision des idées musicales[12]. 1. AllegrettoCette Bagatelle en sol mineur est construite sur une forme ABA avec une coda. Plusieurs éditeurs ont édité cette pièce, et on trouve fréquemment des erreurs dans la partition[13]. Elle se termine ironiquement en sol majeur, la dominante de do mineur ou la tonalité parallèle de sol mineur, ce qui donne un sentiment ambigu de suspension[12]. Cette fin en sol permet d'enchaîner sur la Bagatelle suivante en do majeur[13]. 2. Andante con motoC'est une Bagatelle assez simple en deux parties (AA') avec une courte coda. La main droite joue des accords brisées en croches, et la main gauche joue des motifs en triolets de doubles croches dans le registre grave et aigu, ce qui nécessite un croisement de mains[14]. 3. À l'AllemandeC'est une pièce de forme ABA, avec une coda gaie. L'indication à l'Allemande renvoie aux Ländler, des danses paysannes. On retrouve cette indication dans sa Sonate no 25 et dans son Quatuor no 13 (écrit en italien, alla tedesca)[15]. On trouve également dans la Bagatelle l'indication, très rare chez Beethoven, Da capo sin’al segno ed allora la Coda, qui signifie qu'il faut rejouer le début jusqu'au signe de renvoi vers la coda[15]. 4. Andante cantabileIl s'agit d'une courte pièce lyrique de forme AABB. Il s'agit d'une première et simple apparition de la « diminution rythmique » chez Beethoven, un procédé qui voit les durées des notes se raccourcir (croches vers doubles-croches) et le discours s'intensifier[16]. 5. RisolutoCette Bagatelle est construite en trois parties (AABBC). Elle est basée sur une esquisse de final pour sa 7e sonate pour violon[17]. Le terme Risoluto (« Résolu, déterminé ») suppose une forte énergie rythmique, indiquée par de nombreux accents et appogiatures[17]. 6. Andante — AllegrettoAprès une introduction Andante, Beethoven écrit une première section Allegretto puis l'istresso tempo. C'est une indication rare dans les Bagatelles, tout comme leggiermente que l'on trouve à la fin de l'Andante[18]. L'introduction est à trois temps, et un passage quasi Cadenza amène à la section suivante à deux temps. Après l'apparition de triolets de croches (diminution rythmique), l'écriture passe à 7. Allegro, ma non troppoDans cette Bagatelle, Beethoven utilise une diminution rythmique soutenue par de longues trilles, technique que l'on retrouve également dans le final de la sonate no 30[19]. Dans la Bagatelle, la main droite fait progressivement monter la tension avec une intensification rythmique expressive (croches, doubles croches, triolets, triples croches), pendant que la main gauche maintient une trille sur la tonique. Ce long crescendo se termine par un arpège descendant de do majeur[19]. Cette technique est également utilisée dans la sixième variation du final de la sonate no 30, qui commence par un thème tranquille en noires répétant des si à la voix supérieure. Ce motif est exploré en diminution rythmique (croches, triolets, doubles-croches, triples croches…) jusqu'à un moment de suspension avec une trille, cette fois sur la dominante[20]. On retrouve cette technique dans l'arietta de sa dernière sonate[21]. 8. Moderato cantabileDans cette pièce de forme AABB, on trouve une ambiguïté harmonique que l'on retrouve dans les sonates tardives, notamment au passage à la section B, qui débute en si bémol majeur[22],[23]. 9. Vivace moderatoC'est une courte pièce de forme ABA sans coda, une sorte de « danse miniature » avec deux phrases de huit mesures, elles-mêmes symétriquement divisées en quatre mesures ; ces phrases sont séparées par un passage de quatre mesures sur la dominante[24]. Les phrases se terminent sur des accords brisés, basés sur une progression harmonique originale et répétée quatre fois : I – II – V7 – I[25],[26]. 10. AllegramenteIl s'agit de la pièce la plus courte écrite par Beethoven, avec seulement treize mesures[27]. Cette Bagatelle simple est basée sur trois accords en la majeur (sus-tonique, dominante, tonique), joués alternativement par les deux mains[27]. L'harmonie est d'ailleurs ambiguë : le morceau a l'air d'être en mi majeur, et le premier accord de la est perçu comme la sus-tonique ; ce n'est que pendant la courte coda que la tonalité est affirmée[28]. 11. Andante, ma non troppoAprès une première section A, une petite cadence amène vers vers la section B puis vers une petite coda en forme de choral. L'écriture et la tonalité rappellent la deuxième partie de la 8e Bagatelle[29]. On y trouve les caractéristiques du style de dernière période de Beethoven : ambiguïté thématique (les thèmes A et B ne partagent aucun motif) ; cadence de style improvisé ; exploration des registres extrêmes ; mélodie legato sur un accompagnement staccato ; une fin en forme de choral[29]. PostéritéMax Reger se souviendra près d'un siècle plus tard de la mélodie de la bagatelle no 11 en empruntant son thème pour écrire ses Variations et fugue sur un thème de Beethoven[30]. Repères discographiques
Édition
Bibliographie
Notes et références
Liens externes
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