Moi président de la République
En communication politique, « Moi président de la République » est le syntagme répété dans l'anaphore prononcée le par François Hollande, au cours du débat télévisé de l'entre-deux-tours l'opposant à Nicolas Sarkozy, lors de l'élection présidentielle française de 2012. Par synecdoque, il désigne surtout l'anaphore en question. Particulièrement commenté par la presse, qui l'a reprise sous forme de texte[1] ou de vidéo[2] à l'issue du débat, cet élément de rhétorique politique fait suite à la question posée par la journaliste Laurence Ferrari : « Quel président comptez-vous être ? ». ContexteLa campagne officielle de l'élection présidentielle française de 2012 a débuté le . Dix candidats ont recueilli les 500 parrainages nécessaires pour se présenter. À l'issue du premier tour, François Hollande et Nicolas Sarkozy, qui sont arrivés respectivement en première et deuxième position, se sont qualifiés pour le second tour. Depuis l'élection présidentielle de 1974, un débat télévisé est organisé entre les deux finalistes. À l'exception notable de l'élection de 2002, les deux candidats acceptent la confrontation. DébatPour les médias, le débat télévisé du 2 mai 2012 a été particulièrement « tendu » entre les deux candidats[3]. Le chroniqueur Bastien Millot le compare, au niveau de l'intensité et du « rapport de force », aux débats qui ont eu lieu lors des élections présidentielles de 1974, 1981 et 1988[4]. Coprésenté par les journalistes Laurence Ferrari et David Pujadas et réalisé par Jérôme Revon, le débat a commencé à 21 h et s'est achevé à 23 h 50. François Hollande et Nicolas Sarkozy ont eu tous les deux un temps de parole de 72 min 17 s[5]. Diffusé en direct sur huit chaînes de télévision[n 1], le débat a rassemblé 17,79 millions de téléspectateurs[6], soit une part d'audience totale de 63,8 %[7]. Il a également été diffusé en direct sur six radios[n 2]. AnaphoreLa séquence où François Hollande fait cette anaphore dure 3 min 21 s et intervient en fin de débat[9]. Il commence ainsi sa réponse à la question posée par la journaliste Laurence Ferrari, « François Hollande, quel président comptez-vous être ? » :
Puis, il enchaîne avec l'anaphore constituée des cinq mots « Moi président de la République » (avec ellipse des trois mots « si je suis »[10]), prononcés à quinze reprises[11] :
François Hollande termine cette séquence en justifiant ainsi l'un de ses slogans de campagne, « la présidence normale »[1],[12] :
À cette « scansion » qui « brosse en creux » un portrait de sa présidence[13],[14] , Nicolas Sarkozy répond en prononçant à cinq reprises le mot « normal » ou l'un de ses dérivés, dont quatre en fin de phrase constituent une épiphore :
Puis, en réponse à François Hollande, qui lui reproche d'avoir eu « une présidence partisane », et pour illustrer combien il a été, selon lui, un président impartial, il énumère tous les hommes de gauche nommés à des postes importants sous son quinquennat et utilise une seconde épiphore, en rythmant à cinq reprises la fin de ses phrases par la même question : « C'est une présidence partisane ? »[15],[16],[17] :
Réactions des deux candidatsNicolas Sarkozy a confié, à l'issue du débat, s'être volontairement abstenu d'interrompre cette anaphore de François Hollande, ajoutant au sujet de son adversaire : « Il était ridicule, pendant qu'il parlait, je comptais combien de fois il se répétait. Son attitude sera sanctionnée »[18]. Selon Patrick Buisson dans La Cause du peuple, le lendemain du débat, Sarkozy justifia son silence ainsi : « C'est Giscard qui m'a conseillé de ne pas l'interrompre. Cela aurait donné une image d'un manque de confiance en moi »[19]. Interrogé le lendemain, François Hollande déclare au sujet de cette tirade : « J'avais les idées et c'est la forme qui m'est venue dans le débat[9] ». Il ajoute « au bout de la dixième fois, je pense que Nicolas Sarkozy va m'interrompre et il ne le fait pas. J'aurais pu continuer longtemps, j'en avais ! »[20]. CommentairesDans le camp adverseParmi les proches de Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, juge cette « fameuse tirade de 18 minutes [sic] » comme « ridicule »[21]. Le conseiller spécial de l'Élysée, Henri Guaino, commente le nombre de déclinaisons : « Deux fois, trois fois, c'était bien. Mais au bout de la cinquième ou sixième fois, j'ai trouvé ça un peu ridicule, et au bout de la dixième, franchement grotesque »[21]. Tandis que Brice Hortefeux, ancien ministre de l'Intérieur, la considère « pas mal »[21]. Interrogés plusieurs années plus tard dans le documentaire Face à face pour l'Elysée, diffusé en 2021 sur La Chaîne parlementaire, plusieurs proches de Nicolas Sarkozy reconnaissent à François Hollande un choix stratégique intelligent et payant. Sa proche conseillère Emmanuelle Mignon se dit « sidérée », parlant d'une séquence « bien [faite] ». Pierre Giacometti salue « la virtuosité de l'exercice », tandis que Claude Guéant parle d'un « morceau de bravoure assez brillant ». Dans la presseLe journaliste Bruno Roger-Petit compare cette anaphore à la phrase de Valéry Giscard d'Estaing, lors du débat télévisé de l'entre deux-tours de l'élection présidentielle de 1974, « Vous n'avez pas le monopole du cœur » : comme cette dernière selon lui, elle « restera dans l'Histoire »[22]. Daniel Schneidermann, journaliste à Arrêt sur images, qualifie cette anaphore « d'étrange et légèrement ambiguë », en se demandant quelle est la ponctuation exacte de la phrase. Il indique néanmoins en préambule que c'est une « longue et brillante tirade exprimant calmement une rupture implacable avec l'esprit du sarkozysme »[23]. Pour l'éditorialiste du journal Le Monde, Françoise Fressoz, Nicolas Sarkozy « aurait pu l'interrompre en disant qu'il ne l'était pas encore [président], ou en pointant son arrogance ». Elle ajoute : « Au contraire, il s'est tu. Il a laissé le candidat socialiste à sa litanie, et on se demande à ce moment du débat s'il ne s'est pas déjà résigné à la transmission du flambeau : c'était très étonnant venant de sa part »[24]. Charline Vanhoenacker, correspondante de la RTBF à Paris, estime que l'anaphore « fait depuis longtemps partie du fonds de commerce oratoire de François Hollande » et qu'il n'a pas improvisé celle-ci[25]. Lors de l'émission Envoyé spécial du , un reportage montre que l'équipe de communication de François Hollande avait en partie préparé les grandes lignes de l'anaphore[26] et l'hebdomadaire Le Point du même jour précise que François Hollande et ses conseillers ont hésité entre plusieurs syntagmes, préférant finalement « Moi président » aux formules « Si j'étais président » et « Quand je serai président », la première étant jugée « trop naïve » et la deuxième « trop présomptueuse ». Autres avisLe comédien François Berléand déclare : « Dans le style, c’est très théâtral », avant de préciser « Sa réponse est travaillée. Ce n’est pas de l’improvisation, mais ce n’est pas appris par cœur non plus. C’est extrêmement bien fait »[27]. AnalyseLe chercheur Damon Mayaffre estime que cette anaphore doit être considérée historiquement car elle apparaît comme une reprise presque mot pour mot de l’anaphore « Je veux être le président de la République … » que Nicolas Sarkozy avait prononcée 27 fois de suite lors de son investiture de candidat en 2007. Ainsi, en 2012, la stratégie rhétorique de François Hollande aurait été de déposséder[28] Nicolas Sarkozy et de sa figure rhétorique préférée (15 répétitions pour Hollande, 27 pour Sarkozy) et du volontarisme exprimé (Moi président de la république je serai… pour Hollande, Je veux être le président qui… pour Sarkozy)[29]. Le sémioticien Denis Bertrand qualifie cette anaphore d'« événement rhétorique » saluant « une audace extraordinaire dans le discours » ; il note aussi que ce moment a été l'un des points d'orgue d'un débat entre deux protagonistes très techniques, et qu'il a permis à François Hollande d'affirmer le style de sa rhétorique, « faite d’effets de ralentissement, où il soupèse le mot qu'il va utiliser dans une forme de suspense, puis d’accélérations fulgurantes qui mettent la pression sur son adversaire »[30]. Culture populaireDès le soir du débat, cette anaphore est remixée par des internautes sur notamment les chansons Around the World de Daft Punk, Ma Benz du groupe NTM, Still D.R.E. de Dr. Dre ou encore Moi j'ai pas du rappeur Soprano[31],[32]. Ce dernier remix a par ailleurs été relayé sur son compte Twitter par Valérie Trierweiler, à l'époque compagne de François Hollande[33]. Des détournements d'images sont également effectués, comme le « gag du tableau noir » fait par Bart Simpson, dans le générique de la série télévisée Les Simpson[32]. Selon Europe 1, le hashtag « #moiprésidentdelarépublique » est arrivé en première position des sujets les plus évoqués sur le réseau social Twitter, le soir du débat[34]. Cette anaphore a également été parodiée par les humoristes Nicolas Canteloup[35] et Laurent Gerra[36], ou encore par l'émission satirique Les Guignols de l'info[37]. En , le film américain The Campaign sort en France sous le titre « Moi, député », en référence à la tirade du président de la République française[38]. Dans la série télévisuelle Fais pas ci, fais pas ça, l'anaphore est parodiée par le personnage de Renaud Lepic sous la forme "Moi, délégué des parents d'élève". Dans le téléfilm La Dernière Campagne diffusé en , Jacques Chirac rêve qu'il aide François Hollande à mettre au point cette tirade. Puis devant le débat télévisé, il demande à son domestique de mettre un film, puisqu'il connaît par cœur cette tirade[39]. En , paraît la bande dessinée « Moi président » aux éditions Jungle, créée par le dessinateur Faro et la journaliste Marie-Ève Malouines, qui retrace le parcours de François Hollande[40]. Le journaliste et écrivain André Bercoff sort également le livre Moi, président aux éditions First[41]. À la rentrée radiophonique de , la chronique « Moi président » est présentée du lundi au jeudi à 7 h 21 dans Le Sept neuf sur France Inter par Hervé Pauchon. Il s'agit d'un micro-trottoir durant lequel un individu est invité à faire des propositions comme s'il était candidat à la présidence de la République, en les introduisant par ces mots[42]. Le 21 octobre 2021 est publié le 31e album d'Iznogoud aux éditions Imav, intitulé « Moi, calife... », parodiant l'anaphore de François Hollande. Notes et référencesNotesRéférences
Voir aussiArticles connexes
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