Anaphore (rhétorique)L'anaphore (du grec ancien ἀναφορά / anaphorá, « reprise, rapport ») est une figure de style qui consiste à commencer des vers, des phrases ou des ensembles de phrases ou de vers par le même mot ou le même syntagme. L'anaphore rythme la phrase, souligne un mot, une obsession, provoque un effet musical, communique plus d'énergie au discours ou renforce une affirmation, un plaidoyer, suggère une incantation, une urgence. Syntaxiquement, elle permet de créer un effet de symétrie. DéfinitionsDéfinitions linguistiquesUne anaphore consiste à répéter un ou des mot(s) identique(s) au début ou à la fin de vers ou de phrase. L'anaphore en rhétorique est distinct de l'anaphore grammaticale, qui est un procédé de la langue consistant à utiliser un élément discursif (pronom, adverbe, adjectif, etc.) renvoyant à un constituant qui précède et qui est nécessaire à son identification et à son interprétation. Il s'agit avant tout d'un constituant contextuel comme dans :
« Il » se rapporte à « professeur » et ne peut s'interpréter qu'en rapport à ce dernier. On parle plutôt, afin d'éviter la confusion, de « relation anaphorique », d’« aes » ou de « déictiques anaphoriques ». De même, il existe une typologie d'anaphores différentes mais renvoyant toutes à la linguistique pure et non aux figures de style (voir les articles correspondants) comme : « anaphore lexicale », « anaphore associative » et « anaphore pronominale ». Définitions stylistiquesLes effets de l'anaphore sont variés et dépendent de l'intention du locuteur. Ils sont avant tout proches de ceux recherchés dans le phénomène du refrain ou de la répétition :
Le sentiment recherché est aussi et surtout, en poésie, la mélancolie ou la tristesse (voir les exemples de Louis Aragon, Paul Éluard ou Joachim du Bellay). Parce que l'homme devient sa pensée, la répétition d'une idée influe sur l'être. À force de répéter un mot, ce mot s'ancrera dans l'esprit de l'individu pour finalement influer sur son existence. C'est le principe de la propagande. Une idée répétée maintes et maintes fois apparaîtra comme vraie pour l’individu. Ce procédé est aussi utilisé pour la publicité par exemple. Genres concernésL'anaphore est une figure généralisée à tout le domaine littéraire, avec un emploi beaucoup plus ancien d'une part, et plus privilégié d'autre part, en poésie. De même, elle est utilisée dans les discours très couramment, notamment dans les discours politiques, proches des oraisons rhétoriques classiques [1],[2]. Par exemple, l'anaphore de François Hollande prononcée lors du débat télévisé du second tour de l'élection présidentielle française de 2012 a été particulièrement remarquée[3],[2]. L'anaphore est une figure traduisible dans les arts :
Historique de la notionElle est une des figures les plus anciennes de la rhétorique, car elle est utilisée par les orateurs en premier lieu. L’auteur anonyme de La Rhétorique à Herennius (premier siècle avant notre ère) la donne en exemple comme procédé pour donner du brillant au style : « L'anaphore consiste, pour des idées analogues ou différentes, à employer le même mot en tête de plusieurs propositions qui se suivent ; par exemple : C'est à vous qu'il faut attribuer cette action, à vous qu'il en faut rendre grâce, à vous que votre conduite rapportera de l'honneur » (Livre IV). Un rhéteur moderne comme André Malraux saura s’en souvenir dans son discours prononcé lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon : (« Entre ici, Jean Moulin »). Les ballades du Moyen Âge usent souvent des anaphores pour imprimer un rythme jovial au poème (Christine de Pisan par exemple). L'anaphore est une figure privilégiée de la poésie: chez Rimbaud surtout, dans son objectif de rendre musical le poème[4], dans L'expiation de Victor Hugo avec l'expression « il neigeait », chez Guillaume Apollinaire dans Poèmes à Lou avec « Il y a ». Les poètes modernes, nés des mouvements expérimentaux comme l'Oulipo l'emploient de manière rythmique, sous l'influence de la chanson populaire ou du blues, ainsi Georges Perec avec Je me souviens. Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux — Guillaume Apollinaire, Alcools, Automne Figures proches
DébatsLa tendance est de classer l'anaphore comme une figure de l'insistance ; or ce n'est pas décrire la nature de son fonctionnement linguistique et stylistique[5]. Anaphore linguistiqueDans un extrait d’Amphitryon de Molière (acte II, sc. 1), Sosie évoque par anaphore un moi autre que lui-même. Véritable haute voltige du calembour, le jeu de mots repose sur des sèmes différents (le moi…) pour des signifiants grammaticalement et syntaxiquement distincts (... / pronom de rang premier[6]), mais orthographiquement et phonétiquement identiques [mwa] si on ne tient pas compte des variantes. Devant tant de confusion (sic), ignorant les faits, le protagoniste du locuteur, Amphitryon, ne peut que conclure à l’aliénation mentale. Le spectateur, en revanche, – qui a vu Mercure rouer Sosie de coups pour usurper son identité – saisit à la fois tout le comique et le tragique de la situation : Sosie n’est plus lui-même ; l'autre a douloureusement pris « sa » place. Notons que, formellement, l’anaphore satisfait à la règle de la redite rigoureusement identique (« Ce moi [qui] »), alors que la répétition propose, au contraire, des variantes : « m' / moi-même / mon... » L'alternance en écho de l’une et de l’autre hisse cet extrait au niveau de la tragi-comédie. Par cet exercice de style, Molière rejoint la notion de double et ouvre la voie au « Moi est un autre d'Arthur Rimbaud. Cet extrait est analysé par le didacticiel en ligne BDstyle.ca[7]. Anaphores stylistiquesExemples
— Paul Valéry, Palme dans Charmes
— Corneille, Camille dans Horace, acte IV, scène 5
— Corneille, Le Cid, acte I, scène 4
— Louis Aragon, Strophes pour se souvenir
— Pierre de Marbeuf, Sonnet, Poètes français de l'âge baroque, Anthologie (1571-1677)
— Paul Éluard, À peine défigurée dans La vie immédiate
— Joachim du Bellay, Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage... dans Les Regrets
— Joachim du Bellay, Maintenant je pardonne à la douce fureur... dans Les Regrets
— David Diop, Afrique dans Je est un autre, Anthologie des plus beaux poèmes sur l'étranger en soi présentée par Bruno Doucey et Christian Poslaniec
— Maurice Maeterlinck, Chasses lasses dans Serres chaudes
— Maurice Maeterlinck, Heures ternes dans Serres chaudes
— Discours de M. François Mitterrand, Président de la République française, devant le monument de la Révolution à Mexico, mardi 20 octobre 1981 (Discours dit de Cancun)
— Charles de Gaulle, extrait du discours du 25 août 1944, à la suite de la libération de Paris
— Baudelaire, Moesta et errabunda dans Les Fleurs du mal, v.17 à v.20
Notes et références
AnnexesArticles connexesBibliographie
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