Mohamed Fellag est né à Azeffoun (appelée alors Port-Gueydon) en Kabylie. Né d'une famille modeste — sa mère est femme au foyer, son père technicien en hydraulique et il a trois frères et trois sœurs dont il est l'aîné[4] —, il ne parle que le kabyle jusqu'à ce que la famille s'installe à Alger alors qu'il a huit ans. Il apprend alors l'arabe algérien et le français[5].
Son père, militant FLN pendant la guerre, est tué dans un accident de voiture en 1965 lors d'une mission (le jeune Fellag a 15 ans)[6].
Il fait des études de théâtre à l'Institut national d'art dramatique et chorégraphique d'Alger, situé à Bordj el Kiffan, de 1968 à 1972. À cet âge, dira Fellag, « c'était faire l'acteur ou le suicide[7] ».
Après avoir terminé ses études, il quitte l'Institut national et fonde sa compagnie avec d’anciens élèves, produisant des spectacles dans plusieurs théâtres d'Algérie[4]. Ils écrivent des textes, partent en tournée, jouent dans les prisons, les usines, etc. N'y tenant plus sous le régime autoritaire de Boumédiène[7], il émigre au Québec en 1978, puis à Paris en 1982, vivant de petits emplois. En , il retourne en Algérie, « revoir Alger et reprendre ses rêves[7] », et est engagé par le Théâtre national algérien[6] pour interpréter L'Art de la comédie de Eduardo De Filippo[8]. Il travaille en tant que comédien et metteur en scène et commence à écrire ses textes, dont son premier spectacle, Les Aventures de Tchop, en 1986. Il devient une vedette grâce à des performances mêlant berbère, arabe et français[9]. À cette époque d'éphémère libéralisation qui précéda la décennie de guerre civile, il est le premier à oser plaisanter en public du président algérien et de la sécurité militaire. « À tous les niveaux, son numéro rompait avec les usages », raconte l'acteur Mustapha Laribi. Même au Maroc et en Tunisie, partout où la télévision nationale algėrienne — symbole absolu de la langue de bois officielle — est captée, le spectacle provoque un véritable séisme. Fellag se permet tout, rien ne l'arrête[N 1]. Pour le peuple, il représente bien plus qu'un humoriste, il est adulé comme un véritable héros populaire[7].
En 1991, Babor Australia est créé en kabyle, puis joué en arabe algérien à Paris. Au théâtre de l'Europe en 1992, il est joué alternativement en kabyle et en arabe algérien[9]. Babor Australia, actualisé en Un bateau pour l'Australie en 2002, est basé sur une rumeur évoquant l'arrivée prochaine à Alger d'un bateau australien supposé emmener des chômeurs pour leur procurer là-bas emploi et logement[N 2], rumeur qui provoqua une longue file d'attente devant l'ambassade d'Australie[10].
Il dirige quelque temps le théâtre de Béjaïa, à l'est d'Alger, en 1992-93[11].
En pleine guerre civile algérienne, Fellag part en tournée en 1994 avec Babor Australia, en Algérie puis en Tunisie. À la fin de l'année, il s'établit à Tunis où il crée Delirium. En 1995, il s'exile à Paris[N 3]. Il y écrit Djurdjurassique Bled, qui est représenté alternativement en kabyle et en arabe algérien. Puis, il l'adapte en français[N 4] et ce premier spectacle dans la langue de Molière, créé en , lui vaut le Prix du Syndicat de la critique 1997-1998, révélation théâtrale de l'année[12].
S'ensuivent alors de nombreux spectacles, dont le dernier, Bled Runner, produit pour la première fois en 2016 au Théâtre du Rond-Point à Paris et qui fera l'objet d'une longue tournée, est un florilège des scènes les plus marquantes de ses comédies[13].
Fellag, également acteur dans une vingtaine de films et auteur d'une dizaine de livres, a vécu avec la comédienne Marianne Épin, morte le [14], qui a mis en scène plusieurs de ses derniers spectacles[15].
Accueil critique
Daniela Morella : « [S]es spectacles […] racontent avec un humour corrosif l'histoire et le présent tragique de l'Algérie ainsi que la vie en émigration, les difficultés quotidiennes, les tabous, les histoires de folie ordinaire, le désarroi individuel et collectif[10]. »
Michèle Bourcet, Télérama : « Avec un humour dénué de tout manichéisme, Fellag porte un regard à la fois incisif et plein d'humanité sur ses concitoyens et sur nous, les Français. Un message plus que jamais indispensable[13]. »
Fabienne Darge, Le Monde : « Un humour plein de poésie, de sens de l'absurde et surtout de tendresse. C'est irrésistiblement drôle[13]. »
Albert Algoud, Le Canard Enchaîné : « Des souvenirs riches d'atmosphères, d'émotions intenses et de personnages pittoresques qui s'inscrivent dans l'histoire de tant d'espoirs déçus. Fellag, lui ne déçoit pas ![13]. »
Julia Molkhou, LCI : « C'est tendre, intelligent, drôle et sans pareil[13]. »
Sylvain Merle, Le Parisien : « Fellag fait du bien[13]. »
2003 : Che bella la vita !, Théâtre international de langue française, Paris
2003 : Opéra d’Casbah, « mise en images » Jérôme Savary, avec Fellag, Biyouna, Abdou Elaïdi, un orchestre arabo-andalou et des danseuses; Espace Saint-Jean (sous chapiteau), Marseille
2011 : Petits Chocs des civilisations, mise en scène de Marianne Épin
2016 : Bled Runner, mise en scène de Marianne Épin
Metteur en scène
2008 : Comment réussir un bon petit couscous de Fellag, CNCDC (Centre national de création et de diffusion culturelles) de Châteauvallon, Ollioules (Var), interprété par Bruno Ricci
2008 : Tous les Algériens sont des mécaniciens, mise en scène avec Marianne Épin.
Comment réussir un bon petit couscous suivi de Manuel bref et circoncis des relations franco-algériennes, éd. JC Lattès, Paris, 2003, (ISBN2-7096-2323-4).
Le Dernier Chameau et autres histoires, nouvelles, éd. JC Lattès, Paris, 2004, rééd. J'ai Lu 2010, (ISBN978-2-290-00905-5).
↑« Dans ses textes virtuoses et hilarants, il allie critique féroce des systèmes d’oppression, qu’ils soient étatiques, tribaux ou familiaux, et moquerie pleine de tendresse de nos travers humains et relie vies personnelle et politique, disant de la frustration sexuelle en Algérie : « C’est tout ce manque d’amour qui produit l’érection des kalachnikovs. » L'artiste veut « créer des chemins émotionnels entre les gens », car « cela permet au public algérien de respirer parce qu'il étouffe et au public français de mieux nous connaître. Et de retrouver notre humanité à tous, la même en fait. » Propos recueillis par Monique Perrot-Lanaud, cités dans Mokhtar Farhat, Analyse du verbal, du paraverbal et du non-verbal dans l’interaction humoristique, p. 38
↑Il est souvent écrit qu'il avait choisi l'exil après qu'une bombe eut explosé dans un théâtre où il jouait, mais Fellag a démenti cette information : « C’est une erreur qui a été reprise dans plusieurs médias. Il y a bien eu une bombe, mais je n’y jouais plus depuis trois mois, j’étais en Tunisie. C’est le lieu qui a été visé, en tant que lieu de culture. » Sandrine Blanchard, « Fellag : La colonisation est devenue un fonds de commerce », Le Monde, .
↑Fellag : « Ce trilinguisme n'est pas du tout calculé. Le type de théâtre que je fais c'est un théâtre de la vie et il ne peut s'exprimer qu'avec le langage vivant et comme nos langues dans la rue sont le berbère, l'arabe et le français, je les ai donc adoptées le plus naturellement du monde. Je suis pour toutes les combinaisons possibles. Je suis contre tous les purismes. » Cité in Foued Laroussi (coord.), Plurilinguisme et identités au Maghreb, Publications de l'Université de Rouen et du Havre, 1997, p. 95
↑Els Van Der Plas, Malu Halasa et Marlous Willemsen, Creating Spaces of Freedom : Culture in Defiance, Saqi, , 196 p. (ISBN978-0-86356-736-0, lire en ligne), p. 190.
↑Marie-Hélène Bonafé (coord.), André Benedetto, un homme-théâtre, Montpellier, Éditions Théâtre des treize vents / Les Presses du Languedoc, 1999, p. 148
↑Mokhtar Farhat, Analyse du verbal, du paraverbal et du non-verbal dans l’interaction humoristique à travers l’étude de trois one-man-shows d'humoristes francophones d’origine maghrébine : Fellag, Gad El Maleh et Jamel Debbouze, Université Paris-Ouest Nanterre, 2011, p. 37
« Les 100 personnalités de la diaspora africaine : Fellag », in Jeune Afrique, no 2536-2537, du 16 au , p. 62
Olivier Mongin, « Fellag, l'entrechoquement des langues et des identités », dans De quoi rions-nous ? Notre société et ses comiques, Plon, 2006
(en) Ruth Weiner, « Djurdjurassique Bled (review) », Theatre Journal(en), vol. 51, no 4, , p. 470-472
Malika Boussahel, « Contact et contraste des langues dans Djurdjurassique Bled de Fellag », in Synergies Algérie no 7, Littérature comparée et interculturalité, 2009, p. 121-140
Mireille Rosello, « Fellag, plat national et demande d'amour subliminale », dans Isaac Bazié, Peter Klaus (dir.), Canon national et constructions identitaires dans les Nouvelles Littératures francophones, Neue Romania, 33, été 2005, p. 253-266
(en) Mireille Rosello, The Reparative in Narratives : Works of Mourning in Progress, L'Liverpool University Press, coll. « Espaces discursifs », , 237 p. (ISBN978-2-7475-6249-2 et 2-7475-6249-2, lire en ligne)
Dominique Caubet, Les Mots du bled : Entretiens avec Fellag, Cheb Sahraoui, Allalou, Fadhel Jaïbi, Baâziz, Aziz Chouaki, Gyps, Amazigh Kateb, Rachid Taha, etc., Paris/Budapest/Torino, L'Harmattan, coll. « Espaces discursifs », , 237 p. (ISBN2-7475-6249-2, lire en ligne)
(en) Khalid Amine et Marvin Carlson, The Theatres of Morocco, Algeria and Tunisia : Performance Traditions of the Maghreb, Springer,
Dominique Caubet, « Humour et défigement des expressions figées au Maghreb chez les humoristes Mohamed Fellag et Gad Elmaleh », Rencontres Linguistiques Méditerranéennes : Le figement lexical, no 1, 1998, p. 351-360
Dominique Caubet, « Un exemple concret d’alternance de codes en Algérie : les spectacles de Mohamed Fellag », in Caroline Juillard, Louis-Jean Calvet (éds), Les Politiques linguistiques, mythes et réalités, 1996, p. 109-113
Daniela Merolla, De l'art de la narration tamazight (berbère) : 200 ans d'études : état des lieux et perspectives, Peeters Publishers,
Sandrine Blanchard, « Fellag : La colonisation est devenue un fonds de commerce », Le Monde, .